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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 3 septembre 2013, n° 12-01525

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Senechal (ès qual.), Lutin rouge (Sté)

Défendeur :

Géodis Logistic Ile-de-France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

Mmes Brylinski, Poinseaux

Avocats :

Mes Ferchaux-Lallement, Salinas, Iteanu, Minault, Mazaltov

T. com. Nanterre, 6e ch., du 28 sept. 20…

28 septembre 2011

FAITS ET PROCÉDURE

La société Neowenn, devenue Le Lutin Rouge, est spécialisée dans la vente par Internet de jouets et matériels informatiques distribués via son site "le Lutin Rouge.com", avec à son catalogue plus de 10 000 références pour l'offre grand public et de 25 000 références pour l'offre réservée aux collectivités et professionnels de l'enfance.

Sur le bas d'une lettre d'intention du 10 mai 2007 non suivie par la signature d'un contrat, elle a entretenu des relations commerciales avec la société Géodis Logistics Ile-de-France, lui confiant à compter du mois d'août 2007 la gestion de ses stocks et de ses préparations de commandes.

Lutin Rouge s'est plainte d'importants retards de livraison au moment des fêtes de fin d'année, et a laissé impayées plusieurs factures pour un montant total de 221 072 € ; Géodis a proposé le 25 janvier 2008 une indemnisation à hauteur de la somme de 85 000 € en contrepartie d'un règlement complet de ses factures.

Géodis a informé Lutin Rouge par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 mars 2008 de sa décision de mettre fin à leurs relations avec préavis de trois mois ; par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 mars 2008, Lutin Rouge a résilié le contrat à effet immédiat au motif des manquements de Géodis à ses obligations contractuelles, puis par lettre recommandée avec accusé de réception du 31 mars 2008 l'a mise en demeure de lui régler une indemnité de 900 000 € en réparation de son préjudice, et a contesté certaines factures.

Par acte en date du 20 mai 2008, Lutin Rouge a assigné Géodis aux fins d'obtenir la délivrance d'avoirs sur factures, la condamnation de Géodis au paiement de la somme de 900 000 € à titre de dommages et intérêts, et la compensation entre les créances réciproques.

Lutin Rouge a été déclarée en redressement judiciaire le 24 mars 2010, converti en liquidation judiciaire le 3 novembre 2010, la SCP Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias (Maître Marc Senechal) et Maître Francisque Gay ont été nommés respectivement liquidateur judiciaire et administrateur judiciaire ; la SCP Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias est intervenue volontairement en reprise d'instance et la société Géodis a régulièrement déclaré sa créance.

Par conclusions du 12 janvier 2011 Géodis a formé une demande reconventionnelle aux fins de voir fixer sa créance au titre de factures impayées et d'indemnisation du préavis.

Le Tribunal de commerce de Nanterre, par jugement rendu le 28 septembre 2011, a :

- condamné Géodis à payer à la SCP Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias (mission conduite par Maître Marc Senechal) en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Le Lutin Rouge, la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts, déboutant pour le surplus ;

- condamné Géodis à émettre un avoir d'un montant de 46 780,40 € TTC au bénéfice de la SCP Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias (mission conduite par Maître Marc Senechal) en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Le Lutin Rouge, déboutant pour le surplus ;

- ordonné l'inscription au passif de la société Le Lutin Rouge, d'une créance au profit de la société Géodis Logistics Ile-de-France d'un montant de 221 072 € TTC majoré des intérêts au taux de 1,5 fois le taux légal à compter du 15 mai 2008, avec capitalisation en application de l'article 1154 du Code civil, à compter du 30 octobre 2011, date anniversaire de la première demande, au titre des factures impayées ;

- ordonné l'inscription au passif de la société Le Lutin Rouge, d'une créance d'un montant de 84 244 € au profit de la société Géodis Logistics Ile-de-France, au titre de l'indemnité de préavis ;

- débouté les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et les a condamnées chacune pour moitié aux dépens.

La SCP Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias (mission conduite par Maître Marc Senechal) en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Le Lutin Rouge a interjeté appel et, aux termes de ses dernières écritures en date du 25 avril 2013 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, demande à la cour, sous le visa des articles 1115, 1134 et 1147 du Code civil et L. 442-6 I 5° du Code de commerce, de :

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

retenu la responsabilité contractuelle de la société Géodis Logistics Ile-de-France dans le traitement des commandes de la société Le Lutin Rouge et l'a condamnée au paiement de dommages et intérêts,

constaté que la société Géodis Logistics Ile-de-France a effectué des surfacturations injustifiées et l'a condamné à émettre un avoir ;

Réformer le jugement pour le surplus et statuer à nouveau,

- dire que la société Géodis Logistics Ile-de-France n'est pas fondée à se prévaloir d'une créance d'un montant de 221 072 € TTC majoré des intérêts au taux de 1,5 fois le taux légal à compter du 15 mai 2008 ;

- constater le bien-fondé de la résiliation du contrat par la société Le Lutin Rouge notifiée à la société Géodis Logistics Ile-de-France le 21 mars 2008, avec effet immédiat ;

- condamner la société Géodis Logistics Ile-de-France à payer à Maître Senechal en sa qualité de liquidateur de la société Le Lutin Rouge la somme de 900 000 € au titre des préjudices subis, sauf à parfaire ;

- ordonner à la société Géodis Logistics Ile-de-France la production des avoirs sur factures pour un montant total de 66 187,76 € sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter du 8e jour suivant la signification de l'arrêt à intervenir ;

- débouter la société Géodis Logistics Ile-de-France de son appel incident et de l'intégralité de ses prétentions ;

- condamner la société Géodis Logistics Ile-de-France au paiement de la somme de 15 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Géodis Logistics Ile-de-France, aux termes de ses dernières écritures en date du 20 novembre 2012 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, demande à la cour, sous le visa de l'article 1134 du Code civil, de confirmer le jugement entrepris,

- débouter la société Le Lutin Rouge de l'ensemble de ses prétentions ;

- dire que la société Géodis Logistics IDF est créancière de la société Le Lutin Rouge à hauteur de la somme de 221 072 €, majorés des intérêts au taux de une fois et demie l'intérêt légal à compter des dates d'échéance et jusqu'à parfait paiement, et ordonner son admission au passif de la société Le Lutin Rouge à hauteur de 221 072 € majorés des intérêts au taux de une fois et demie l'intérêt légal à compter des dates d'échéance et jusqu'à parfait paiement,

- ordonner la capitalisation des intérêts ;

- dire que la société Géodis Logistics IDF est créancière de la société Le Lutin Rouge à hauteur de la somme de 168 488 € à titre de préavis, et ordonner son admission au passif de la société Le Lutin Rouge à hauteur de cette somme ;

- subsidiairement, sur le préavis, sous le visa de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, dire que la société Géodis Logistics IDF est créancière de la société Le Lutin Rouge à hauteur de 84 244 € à titre de préavis, et ordonner son admission au passif de la société Le Lutin Rouge à hauteur de cette somme ;

- condamner en toute hypothèse, la SCP Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias (mission conduite par Maître Marc Senechal) en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Le Lutin Rouge au paiement de la somme de 15 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

DISCUSSION

Lutin Rouge sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité contractuelle dans le traitement des commandes. Elle fait valoir qu'elle avait imposé à Géodis un traitement des commandes sous 24 h afin de permettre la livraison au client telle qu'annoncée sur son site dans le délai de 48 à 72 h, le délai courant en matière de vente par Internet étant de 24 à 48 h maximum ; que Géodis était parfaitement informée du volume prévisionnel des commandes sur l'année 2007 en particulier sur la période cruciale de novembre à décembre et de l'évolution des commandes pendant cette période ; que la société Géodis a été dans l'incapacité de respecter les délais et faire face à la croissance des commandes, alors qu'elle disposait des marchandises en stock pour satisfaire les commandes mais ne les a pas réceptionnées et traitées.

Elle s'en rapporte par ailleurs à la motivation du tribunal, et soutient que Géodis a reconnu sa responsabilité en proposant une indemnisation de 85 000 €.

À l'appui de son appel incident, Géodis fait valoir qu'aucun délai n'avait été convenu pour la préparation de commande, de sorte qu'elle ne pouvait pas être en retard ; qu'il appartient à Lutin Rouge de prouver qu'elle-même lui avait transmis instruction de préparation de commande dans un délai suffisant et que pour chaque commande la marchandise existait bien en stock, et souligne qu'elle n'était pas en charge du transport. Elle met en cause des défauts d'organisation de Lutin Rouge dans la transmission des commandes, des approvisionnements tardifs et non prévus qu'elle a dû réceptionner au moment où ses capacités logistiques devaient être concentrées sur les exécutions de commandes ; elle soutient avoir respecté les volumes de commandes contractuellement prévus.

La mission confiée à Géodis était la gestion de l'ensemble des stocks y compris réception des marchandises, et la préparation des commandes de tous les clients Lutin Rouge pour remise au transporteur en charge de la livraison. Les parties sont engagées au vu d'une lettre d'intention de Lutin Rouge en date du 10 mai 2007 faisant suite à la dernière proposition commerciale de Géodis du 3 mai 2007.

Les conditions tarifaires sont précisées, mais aucune disposition ne se rapporte à la définition de l'obligation de Géodis quant à un volume de préparation de commande minimum ou maximum, et quant au délai qui lui est imparti à compter de la transmission de l'ordre de Lutin Rouge pour tenir les colis à disposition du transporteur, ni à l'organisation nécessaire pour l'exécution par Géodis de sa mission. Ces points ont cependant fait l'objet de multiples réunions et courriers adressés à Géodis qui n'en a pas contesté les termes.

Il est constant que Lutin Rouge ne propose à la vente sur son site que des marchandises en stock, et Géodis avant de présenter sa proposition commerciale avait nécessairement pris connaissance de ses modalités de fonctionnement. Professionnelle de la logistique, elle ne peut prétendre ignorer la pratique, pour les ventes par Internet sauf information spéciale, d'une livraison dans les 48 à 72 heures maximum, impliquant un bref délai de préparation des commandes en vue de leur transport ; elle a elle-même respecté dans les périodes sans incident d'exécution de ses prestations, un délai de 1 à 2 jours.

La vente de jouets par Internet est à l'évidence une activité commerciale saisonnière avec un pic majeur sur les deux derniers mois de l'année civile, ce dont Géodis avait nécessairement conscience ; Lutin Rouge lui a indiqué à plusieurs reprises ses prévisions de volume de commandes en hausse exponentielle des commandes pour la période de Noël, et elle avait également reçu communication en temps utile des chiffres réalisés en 2006 et d'une estimation des ventes pour la fin ; informée des volumes journaliers, elle avait nécessairement conscience de l'impact de la fermeture de son site les samedis et dimanche sur sa charge de travail le lundi, et de l'échéance majeure que constitue le 24 décembre pour la livraison effective au client ; elle n'a pour autant jamais formulé de réserve quant à la mission qui lui était confiée. Géodis ne rapporte pas la preuve de ce que la totalité du stock à fin novembre aurait dû être intégralement présente pour servir les expéditions, et ne peut utilement arguer de la nécessité pour elle de gérer de nouvelles entrées au début du mois de décembre, qui l'aurait anormalement détournée de sa mission de préparation de commandes.

Ainsi que l'a relevé le tribunal, si jusqu'au 28 novembre 2007 et à partir du 2 janvier 2008, le délai de traitement à J + 2 a été respecté, des retards très significatifs sont apparus à partir du 29 novembre 2007 et jusqu'au 20 décembre 2007 puisque, même si l'on tient compte que Géodis ne travaillait pas les samedis et dimanches, les retards supérieurs à 48 heures ont porté sur plus de 30 %, soit plus de 4 500 des 14 000 ordres de préparation transmis pendant cette période par Lutin Rouge, les traitements à délai égal ou supérieur à J + 7 atteignant plus de 10 %, soit plus de 1 500 commandes ; alertée par Lutin Rouge sur ses problèmes d'organisation en prévision du pic d'activité du mois de décembre, Géodis lui a répondu le 20 novembre 2007 qu'elle réalisait un audit pour lui permettre de s'adapter, montrant ainsi qu'elle acceptait ses demandes.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, le tribunal doit être approuvé en ce qu'il a retenu la faute de Géodis qui n'a pas respecté, et dans des proportions très importantes, pour la période cruciale de fin d'année, le délai tacite de traitement auquel elle s'était engagée en acceptant de travailler avec Lutin Rouge.

A l'appui de son appel principal portant sur le quantum de la réparation, Lutin Rouge prétend avoir subi un préjudice matériel très important correspondant à des annulations de commandes, des pertes d'exploitation et un manque à gagner considérable, mais également un préjudice moral dû à l'atteinte à son image ; elle fait état de l'existence en janvier 2008, de 64 818 € TTC de remboursement de clients suite à des annulations de commandes ayant pour cause exclusive le non-respect du délai de livraison, et d'avoirs pour retours clients, faisant suite à des livraisons hors délai représentent 88 K€ pour l'exercice du 30 juin 2008 ; elle indique avoir subi, sur son exercice clôturé au 30 juin 2008, une perte à 745 435 € trois fois supérieure à celle de l'exercice précédent, en raison des fautes commises par la société Géodis ; elle souligne avoir perdu des clients qu'elle ne retrouvera plus et avoir dû subir une enquête de la DGCCRF sur réclamation de certains d'entre eux.

Géodis oppose en premier lieu ses conditions générales prévoyant à l'article 15 la limitation de la responsabilité au prix de la prestation à l'origine du dommage, exclue pour les dommages immatériels non consécutifs à un dommage matériel. Elle conteste que les remboursements opérés, à les supposer justifiés, soient en relation avec un retard de livraison qui lui soit imputable ; elle fait valoir que les pertes de Lutin Rouge préexistantes à son intervention, sont structurelles et en avance certains éléments d'explication, que Lutin Rouge sollicite indemnisation d'une perte d'exploitation sur un chiffre d'affaires espéré mais ne peut prétendre avoir perdu des clients alors que son chiffre d'affaires a augmenté.

Les prestations exécutées et facturées par Géodis s'inscrivent dans le cadre d'un contrat unique ; dès lors Géodis ne peut prétendre opposer à Lutin Rouge ses conditions générales figurant au dos de ses factures, dont il n'est pas démontré qu'elles auraient été connues et acceptées antérieurement à la signature de la lettre d'intention ; le tribunal a donc justement considéré qu'elles étaient inopposables.

Par courrier du 25 janvier 2008 Géodis avait proposé une indemnisation à hauteur de la somme de 85 000 € ; mais Géodis se trouvait en l'attente de règlement de ses factures et n'a accepté cette indemnisation à titre transactionnel qu'en contrepartie du règlement de l'intégralité de celles-ci compte tenu de l'importance des impayés et du risque de n'être jamais payée, sans que cela vaille reconnaissance de l'argumentaire de Lutin Rouge ; ce projet de transaction n'a jamais été signé ni à plus forte raison exécuté, de sorte qu'il ne peut utilement y être fait référence.

L'indemnisation de l'entier dommage résultant des remboursements ou émission d'avoirs, outre qu'elle ne peut avoir lieu qu'à hauteur de la marge perdue sur les ventes annulée et non sur la totalité du chiffre d'affaires correspondant, suppose que Lutin Rouge rapporte la preuve de ce que ce dommage a pour cause le manquement de Géodis à ses obligations.

Une demande de remboursement peut avoir pour cause l'exercice du droit à rétractation ouvert au client d'une vente par correspondance ; s'il a pour cause un retard dans la livraison, celui-ci peut être imputable à tous les intervenants, que ce soit Lutin Rouge, Géodis ou le transporteur.

Pas plus qu'en première instance Lutin Rouge ne produit la liste des remboursements en précisant leurs motifs et, pour les commandes ayant donné lieu à remboursement ou à annulation pour motif de retard, en indiquant pour chacune les différents délais de traitement.

Elle produit une liste établie sur 18 pages en petits caractères et interlignes la liste des remboursements ; à partir de celle-ci Géodis a repris par ordre chronologique la liste de toutes les commandes avec notamment leurs références précises, les dates de commande client, de transmission par Lutin Rouge et de mise du colis à disposition du transporteur par Géodis et le calcul des jours d'écart ; aucun document n'est fourni permettant d'établir la date de livraison effective au client et le délai imputable au transporteur.

Ce document qui ne fait l'objet d'aucune critique permet de relever que certains remboursements ont été accordés alors que :

- le délai écoulé entre la commande client et la mise à disposition du transporteur était de 48 heures, dont une journée imputable à Lutin Rouge ;

- l'anomalie du délai entre la commande client et la mise à disposition du transporteur est imputable à Lutin Rouge et ce à raison d'un délai de transmission à Géodis pouvant atteindre plusieurs dizaines de jours ;

- un retard peut être retenu du fait de Géodis mais également du fait de Lutin Rouge à un niveau au moins équivalent, ayant toutefois permis une remise au transporteur avant le 21 décembre.

Dans ces conditions Lutin Rouge ne peut prétendre obtenir de Géodis la réparation de l'intégralité des avoirs émis ou remboursements effectués.

Au-delà de la perte de marge subie sur les ventes annulées du seul chef d'un retard, le préjudice matériel indemnisable ne peut être constitué que de la perte de marge sur les ventes à de potentiels clients perdus, renonçant à des achats en ligne sur le site de Lutin Rouge, soit parce qu'ils ont eux-mêmes subi les désagréments d'un retard de livraison, soit parce qu'ils ont pu prendre connaissance des très mauvais commentaires publiés sur les forums ou divers sites.

Le préjudice résultant des commentaires ainsi publiés est certain notamment compte tenu de la persistance des messages, mais s'analyse en une perte de chance de réaliser une marge supplémentaire.

Il doit être relevé que ces commentaires, qui ne sont pas limités à la période de prestations de Géodis, critiquent le site non seulement pour les retards de livraison, dont la responsabilité est pour certains partagée ou étrangère à Géodis, mais aussi voire surtout en raison des retards de remboursement et de l'impossibilité d'entrer en communication avec le service clientèle, dont il n'est pas démontré qu'elle serait imputable à Géodis.

Lutin Rouge a dû faire face à une demande d'explication de la DGCCRF qui n'a pas fait l'objet de suite ; celle-ci était motivée par la réclamation de plusieurs clients, à raison de retards de livraison et absence de réponses, qui ne peuvent tous et intégralement être imputés à Géodis.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le jugement doit être confirmé, en ce qu'il a évalué le préjudice subi par Lutin Rouge à la somme de 30 000 € et condamné Géodis au paiement de cette somme.

Le jugement n'est pas critiqué en ce qu'il a débouté Lutin Rouge de sa demande au titre d'une surfacturation de consommables ; par des motifs pertinents que la cour adopte et qu'aucun nouvel élément en appel ne vient remettre en cause, le tribunal a justement considéré que Géodis n'était pas fondée dans la facturation en janvier, février et mars 2008 de superficies supplémentaires, et qu'au titre de transports express effectués en urgence par Géodis pour résorber des retards de livraison, Géodis n'était pas fondé à facturer de surcoût par rapport à un coût normal de transport ; le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné Géodis à émettre un avoir d'un montant de 46 780,40 € TTC au bénéfice de Maître Senechal ès qualités.

Les factures de Géodis émises de décembre 2007 à avril 2008 sont impayées par Lutin Rouge à hauteur de la somme de 221 072 € ; il n'est pas contesté qu'elles ont été établies conformément au tarif conventionnel ; elles correspondent à des prestations faites ; le fait que dans l'exécution de ses prestations Géodis ait commis des fautes de nature à engager sa responsabilité n'est pas de nature à dispenser Lutin Rouge de leur paiement, mais est sanctionné par l'allocation de dommages et intérêts à la mesure du préjudice justifié en relation avec celles-ci ; le jugement doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a fixé la créance de Géodis, régulièrement déclarée, au passif de Lutin Rouge pour la somme de 221 072 €, augmentée des intérêts d'une fois et demi le taux légal.

Il doit en revanche être infirmé en ce qu'il a fixé le point de départ de ces intérêts au 15 mai 2008 date de mise en demeure ; en application des dispositions de l'article L. 441-6 du Code de commerce ces intérêts courent sur chaque facture à compter du lendemain de leur date d'exigibilité ; ils sont dus non pas jusqu'à parfait paiement, mais arrêtés au 24 mars 2010 date d'ouverture du redressement judiciaire de Lutin Rouge en application des dispositions de l'article L. 622-28 du Code de commerce.

La capitalisation des intérêts sollicitée par Géodis pour la première fois le 30 octobre 2010 ne pourrait trouver à s'appliquer qu'aux intérêts échus postérieurement à cette date ; Lutin Rouge ayant été placée en redressement judiciaire le 24 mars 2010 puis en liquidation judiciaire le 3 novembre 2010, l'interdiction de paiement imposée par les dispositions d'ordre public de l'article L. 622-7 du Code de commerce fait obstacle à l'application de celles de l'article 1154 du Code civil.

Géodis sera en conséquence déboutée de sa demande de capitalisation, le jugement étant réformé en ce sens.

Géodis demande indemnisation de la privation de tout préavis, sur la base du montant de sa facturation sur 6 mois et subsidiairement sur 3 mois.

La résiliation du contrat résulte en premier lieu de la décision de Géodis notifiée le 12 mars 2008, suivie de la décision de résiliation à effet immédiat notifiée par Lutin Rouge le 21 mars 2008.

Si Lutin Rouge avait adressé plusieurs messages d'alerte au cours des deux derniers mois de 2007, elle n'avait pas alors manifesté son intention de résilier de contrat ; ainsi que l'a justement relevé le tribunal lorsque, en réaction au courrier de résiliation de Géodis, Lutin Rouge a notifié sa décision de supprimer tout préavis, Géodis exécutait ses prestations dans des conditions normales depuis plus de trois mois, de sorte qu'au regard des dispositions contractuelles et de la nature très fortement saisonnière de l'activité de Lutin Rouge dont le pic d'activité se situe sur les deux derniers mois de l'année, la suppression de tout préavis ne se justifiait pas.

Le décret du 11 novembre 2009 ayant créé notamment l'article D. 442-3 du Code de commerce qui organise des règles de compétence particulières pour connaître de l'application de l'article L. 442-6 du même Code est entré en vigueur le 1er décembre 2009 ; en son alinéa 1, ce texte renvoie à un tableau annexe 4-2-1 déterminant les tribunaux de commerce compétents, réduits au nombre de huit et regroupant chacun plusieurs ressorts de cours d'appel, pour statuer sur l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce, tableau en exécution duquel les procédures relevant normalement du ressort territorial de la Cour d'appel de Versailles doivent être engagées devant le Tribunal de commerce de Paris.

En son alinéa 2, le même article dispose que la cour d'appel compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions est celle de Paris.

Cette dernière disposition, telle qu'elle est rédigée, a pour conséquence, quelle que soit la juridiction spécialisée compétente en première instance en application de l'alinéa 1, de priver toute autre cour d'appel que celle de Paris de tout pouvoir pour statuer sur des actions fondées sur les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce engagées postérieurement au 1er décembre 2009.

Dans ces conditions la demande de dispense de préavis de Lutin Rouge ne peut être examinée sur le fondement de ce texte.

La lettre d'intention valant contrat stipulait un préavis de 6 mois, mais ainsi que l'a justement retenu le tribunal, Géodis ne peut prétendre au bénéfice d'un préavis de cette durée alors qu'elle avait elle-même appliqué un préavis de trois mois dans sa lettre de résiliation du 12 mars 2008.

Le jugement doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a retenu un préavis de trois mois ; il n'est pas critiqué en ce qu'il a calculé le montant de l'indemnité par référence au montant de la facturation Géodis, et sera en conséquence confirmé en ce qu'il a fixé à la somme de 84 244 € la créance de ce chef au passif de la liquidation de Lutin Rouge.

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux indemnités de procédure et dépens de première instance ; en cause d'appel chacune des parties conservera la charge des frais et dépens par elle exposés.

Par ces motifs : Statuant par arrêt contradictoire en dernier ressort, Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la créance fixée au passif de la liquidation judiciaire de Lutin Rouge au titre de facture impayées, à hauteur de la somme principale de 221 072 € TTC, est majorée des intérêts au taux de 1,5 fois le taux légal à compter du 15 mai 2008, avec capitalisation en application de l'article 1154 du Code civil, à compter du 30 octobre 2011, date anniversaire de la première demande, au titre des factures impayées ; Statuant à nouveau de ce chef, Dit que la créance fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société Lutin Rouge au titre de factures impayées à hauteur de la somme principale de 221 072 € TTC, est majorée des intérêts au taux de 1,5 fois le taux légal, sur chaque facture à compter du lendemain de sa date d'échéance, arrêtés au 24 mars 2010 ; Déboute la société Géodis de sa demande sur le fondement de l'article 1154 du Code civil ; Confirme le jugement entrepris pour le surplus ; Y ajoutant, Dit que chacune des parties conservera la charge des frais et dépens par elle exposés en cause d'appel.