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Décisions

CA Nancy, 2e ch. com., 4 septembre 2013, n° 12-02968

NANCY

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bourguignon, A Plus Courtage

Défendeur :

Courtage Trois Frontières (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Malherbe

Conseillers :

Mme Thomas, M. Bruneau

Avocats :

Mes Cannet, Decorny, Benoit, Grimal, Kroell

T. com. Nancy, du 24 sept. 2012

24 septembre 2012

EXPOSE DU LITIGE

La SARL Courtage Trois Frontières, dont le siège se situe dans le département du Haut-Rhin, exerce une activité de courtier dans le domaine de l'assurance, qui consiste notamment à commercialiser des contrats d'assurance-santé en direction des frontaliers.

A la fin des années 1990, la SARL Courtage Trois Frontières s'est rapprochée de Monsieur Alain Bourguignon afin de négocier auprès d'une institution de prévoyance la création d'un contrat et sa commercialisation ; un accord est intervenu, prévoyant que Monsieur Bourguignon bénéficierait d'une commission sur les primes encaissées.

A partir de la fin de l'année 2008, la SARL Courtage Trois Frontières a cessé de verser ces commissions.

Après mise en demeure restée infructueuse, Monsieur Alain Bourguignon a fait citer la SARL Courtage Trois Frontières devant le Tribunal de commerce de Nancy aux fins de la voir condamnée à lui payer, ou à la société A Plus Courtage, les arriérés de commission au titre des années 2006, 2007 et 2008 pour un total de 24 861,90 euros, ainsi que la somme de 125 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.

La SARL Courtage Trois Frontières a soulevé l'incompétente matérielle et territoriale de la juridiction saisie.

Par jugement du 24 septembre 2012 rendu après prorogation du délibéré, le Tribunal de commerce de Nancy a dit la SARL Courtage Trois Frontières recevable en son exception d'incompétence, et s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Mulhouse statuant commercialement.

Par déclaration enregistrée au greffe de la cour d'appel le 21 novembre 2012, Monsieur Alain Bourguignon a formé contredit.

Par ordonnance du 18 décembre 2010, l'affaire a été fixée à l'audience du 20 février 2013.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses conclusions déposées au greffe le 5 février 2013, Monsieur Alain Bourguignon et la SARL A Plus Courtage exposent que Monsieur Alain Bourguignon entretenait avec l'ancien dirigeant de la SARL Courtage Trois Frontières des relations de confiance et que son intervention au bénéfice de celle-ci n'a donné lieu à aucun contrat écrit ; que néanmoins l'accord passé lui attribuait une rémunération de 2 % puis de 1,5 % sur les primes encaissées par la SARL Courtage Trois Frontières ; que Monsieur Bourguignon a cédé son activité à la société A Plus Courtage en mars 2008 ; que la SARL Courtage Trois Frontières a cessé de verser les commissions au dernier trimestre 2008 après avoir réduit la base de celles-ci sans son accord.

Monsieur Alain Bourguignon et la SARL A Plus Courtage soutiennent en premier lieu que, contrairement aux affirmations de la SARL Courtage Trois Frontières, le contredit est recevable bien que formé au-delà du délai prévu par l'article 82 du Code de procédure civile en ce qu'il n'apparaît pas du dossier qu'il a été personnellement averti de la date à laquelle la décision devait être rendue ; que cette information donnée à l'audience aux conseils des parties est insuffisante ; que de plus le délibéré a fait l'objet d'une prorogation.

En deuxième lieu, Monsieur Alain Bourguignon et la SARL A Plus Courtage font valoir qu'ils pouvaient, aux termes des dispositions de l'article D. 544 du Code de commerce, soulever des moyens nouveaux s'ils sont relatifs à la question de compétence ; que par ailleurs le contredit a bien été formé pour son compte et celui de la société A Plus Courtage, celle-ci étant également demandeur en première instance.

En troisième lieu, Monsieur Alain Bourguignon et la SARL A Plus Courtage soutiennent que Monsieur Bourguignon exerçait une activité de courtage et que celle-ci est une activité commerciale relevant des juridictions commerciales ; que si la SARL Courtage Trois Frontières estime que seules les juridictions civiles sont compétentes, elle n'a pas cependant formé contredit ; que, par ailleurs, en continuant à verser des commissions à Monsieur Bourguignon en lieu et place de la société A Plus Courtage, la SARL Courtage Trois Frontières l'a considéré comme étant encore commerçant ; qu'en tout état de cause, la demande concernant la rupture du contrat, fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6 I 5 du Code de commerce relève exclusivement du ressort du Tribunal de commerce de Nancy.

Monsieur Alain Bourguignon et la SARL A Plus Courtage demandent donc de :

- les voir dire recevables en leur contredit de compétence ;

- réformer la décision rendue le 24 septembre 2012 par le Tribunal de commerce de Nancy ;

- statuant à nouveau, dire que la juridiction compétente pour connaître du litige est le Tribunal de commerce de Nancy, et de renvoyer l'examen de l'affaire devant cette juridiction ;

- condamner la SARL Courtage Trois Frontières à payer à Monsieur Alain Bourguignon et à la SARL A Plus Courtage chacun la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions déposées au greffe de la juridiction le 29 janvier 2013, la SARL Courtage Trois Frontières demande de voir dire les demandeurs au contredit irrecevables, et de confirmer le jugement entrepris.

Elle soutient en premier lieu que le jugement querellé a été mis à la disposition des parties le 24 septembre 2012 et notifié le lendemain aux représentants des parties, et donc à celui de Monsieur Bourguignon, dans la mesure où celui-ci a choisi d'être représenté ; que le contredit est donc irrecevable ; que de plus le jugement a été notifié à Monsieur Bourguignon, à qui il appartient de produire aux débats l'acte de notification le concernant; enfin, les conclusions de contredit n'indiquent pas pour le compte de qui, de Monsieur Bourguignon ou de la société A Plus Courtage, il est formé ; qu'enfin, le moyen tiré de la compétence du Tribunal de commerce de Nancy sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce est irrecevable comme étant nouveau en cause d'appel.

En second lieu et subsidiairement, la SARL Courtage Trois Frontières fait valoir que Monsieur Alain Bourguignon n'a pas qualité pour agir dans la mesure où il n'était plus inscrit au registre du commerce ; que par ailleurs la société A Plus Courtage ne justifie pas de sa qualité pour agir en ce que d'une part le protocole de cession des contrats à cette société n'a pas date certaine, et que d'autre part ce document fait état de la cession de "contrats de sous-agent", et qu'il n'est pas démontré que le contrat liant la SARL Courtage Trois Frontières à Monsieur Alain Bourguignon à cette société présente cette nature ; qu'en conséquence, les dispositions des articles L. 442-6-I-5° et D. 442-3 du Code de commerce ne sont pas applicables en l'espèce.

La SARL Courtage Trois Frontières demande donc de voir déclarer irrecevables les demandeurs au contredit, de confirmer le jugement entrepris et de condamner Monsieur Alain Bourguignon et la société A Plus Courtage à lui payer la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I) Sur la recevabilité du contredit

I.1) Sur le délai de contredit

Attendu que l'article 82 du Code de procédure civile dispose que "le contredit doit, à peine d'irrecevabilité, être motivé et remis au secrétariat de la juridiction qui a rendu la décision dans les quinze jours de celle-ci" ;

Que l'article 677 du même Code précise que "les jugements sont notifiés aux parties" ;

Attendu qu'il résulte de ces textes d'une part que le délai de contredit ne court à compter du jugement que s'il ressort de celui-ci que la date à laquelle il devait être rendu a été portée à la connaissance des parties ; que d'autre part seule est régulière la notification du jugement faite aux parties elles- mêmes ;

Attendu d'une part qu'aucune mention portée sur le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Nancy le 24 septembre 2012 ne permet d'établir avec certitude que les parties ont été informées de la date à laquelle la décision devait être rendue ; qu'il y a lieu de relever que la décision a été rendue après prorogation du délibéré et qu'il ne ressort pas du dossier que l'information prévue par le dernier alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile a été délivrée aux parties elles- mêmes ;

Attendu d'autre part qu'aucun élément du dossier n'établit que le jugement a été notifié à Monsieur Alain Bourguignon et la SARL A Plus Courtage, de sorte que le délai de contredit n'a pas couru à leur encontre ;

I.2) Sur la qualité des demandeurs au contredit

Attendu que la SARL Courtage des Trois Frontières soutient que, dans ses conclusions de première instance, Monsieur Alain Bourguignon a abandonné toute action à son encontre et qu'en conséquence il n'est pas précisé pour le compte de qui le contredit a été formé ;

Mais attendu qu'il ressort des pièces versées en première instance que la SARL A Plus Courtage est intervenue volontairement à l'instance ;

Que les conclusions déposées dans le cadre du débat de première instance ne font pas apparaître que Monsieur Alain Bourguignon aurait renoncé à ses demandes, celles-ci portant notamment sur une période antérieure à sa cessation d'activité telle qu'elle ressort d'un extrait Kbis du registre de commerce de Nancy en date du 26 octobre 2011 ;

Que les conclusions de contredit font clairement apparaître que celui-ci est formé tant au nom de Monsieur Alain Bourguignon qu'au nom de la SARL A Plus Courtage ;

Attendu que, compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de dire Monsieur Alain Bourguignon et la SARL A Plus Courtage recevables en leur contredit ;

II) Sur la compétence

Attendu en premier lieu que les premiers juges ont relevé que le litige intervient dans le cadre des activités de courtage exercées par les parties ; que, conformément aux dispositions du 7° de l'article L. 110-1 du Code de commerce et 721-3 du même Code, ces opérations possèdent la nature d'acte de commerce dont le contentieux relève des juridictions commerciales ;

Attendu en second lieu que Monsieur Alain Bourguignon, qui n'est plus commerçant à la date de l'introduction de l'instance, dispose d'une option de compétence à l'égard de la SARL Courtage des Trois Frontières, celle-ci, commerçante, étant défenderesse ; qu'il lui est donc possible de saisir du litige l'opposant à cette société une juridiction commerciale ;

Attendu en troisième lieu que l'article D. 442-3 du Code de commerce dispose que, pour l'application de l'article L. 442- 6 du même Code, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes sont fixées selon les dispositions d'une annexe dudit Code ; que cette annexe précise que le Tribunal de commerce de Nancy est compétent aux personnes commerçantes qui ont leur siège dans les Cours d'appel de Besançon, Colmar, Dijon, Metz et Nancy ; que l'article D. 442-4 du même Code prévoit cette même compétence territoriale pour l'application des dispositions de l'article L. 442-6 aux personnes qui ne sont ni commerçantes ni artisans ; que cette compétence est d'ordre public ; que les dispositions de l'article L. 442-6-I-5° n'imposent pas du partenaire de la relation d'affaires qui se prévaut de la rupture brutale qu'il dispose du statut de commerçant ;

Attendu qu'il ressort du dossier que :

- Monsieur Alain Bourguignon est domicilié sur le ressort de la Cour d'appel de Nancy ;

- que la société A Plus Courtage a son siège social sur le ressort de la même cour ;

- que la SARL Courtage des Trois Frontières a son siège à Huningue, commune qui se situe sur le ressort de la Cour d'appel de Colmar ;

Attendu qu'il ressort de plus du dossier que, contrairement à ce qui soutient la SARL Courtage des Trois Frontières, l'application des dispositions de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce a été soulevée en première instance ;

Attendu que, compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de dire le Tribunal de commerce de Nancy compétent pour connaître de litige, et en conséquence d'infirmer le jugement entrepris selon les modalités indiquées au dispositif ;

Attendu qu'il apparaît inéquitable de laisser à la charge de Monsieur Alain Bourguignon et la SARL A Plus Courtage des parties les frais non compris dans les dépens ; qu'il convient de faire droit à la demande sur ce point selon les modalités indiquées au dispositif ;

Attendu que la SARL Courtage des Trois Frontières supportera les dépens de l'instance ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement par mise à disposition au greffe de la juridiction, et en dernier ressort : Dit le contredit formé par Monsieur Alain Bourguignon et la SARL A Plus Courtage recevable ; Infirme le jugement rendu le 24 septembre 2012 par le Tribunal de commerce de Nancy aux termes duquel ce dernier s'est dit incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Mulhouse ; Statuant à nouveau, Dit le Tribunal de commerce de Nancy compétent pour connaître du litige, et renvoie l'affaire à cette juridiction ; Condamne la SARL Courtage des Trois Frontières à payer à Monsieur Alain Bourguignon la somme de mille euros (1 000 euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SARL Courtage des Trois Frontières à payer à la SARL A Plus Courtage la somme de mille euros (1 000 euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Dit que la SARL Courtage des Trois Frontières supportera les frais de l'instance.