CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 11 septembre 2013, n° 11-17941
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Eurauchan (SAS)
Défendeur :
Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Luc, Nicoletis
Avocats :
Mes Teytaud, Deschryver
La société Eurauchan est une centrale de référencement dont le rôle consiste à rechercher, à sélectionner et à négocier des offres de vente à des conditions avantageuses pour le compte de ses associés : la société Auchan France, Atac et Schiever.
La négociation commerciale 2009 menée par la société Eurauchan avec ses fournisseurs s'est essentiellement articulée autour d'une convention de distribution Eurauchan 2009 répondant aux obligations prévues par l'article L. 441-7 du Code de commerce et d'un document intitulé "plan d'affaires" constituant l'annexe 1 de la convention de distribution précitée.
A l'occasion d'une enquête nationale mise en œuvre au premier semestre 2009 par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), les contrats commerciaux qui régissent les relations entre la société Eurauchan et ses fournisseurs ont été examinés. Le ministre a estimé que les clauses 14.1.3 et 14.1.2, 14.2 et l'annexe 4 de ces contrats relatives aux révisions de prix et aux pénalités créaient un déséquilibre significatif entre les parties.
Par acte du 29 octobre 2009, le ministre de l'Economie et des Finances a assigné la société Eurauchan sur le fondement de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce. Le ministre de l'Economie et des Finances a demandé au tribunal de commerce de prononcer la nullité de clauses contenues dans les conventions conclues avec les fournisseurs de la société Eurauchan en leur reprochant de créer un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties en faveur de cette dernière et de condamner la société Eurauchan à une amende civile de 2 000 000 euros.
Par courrier en date du 3 septembre 2010, la société Eurauchan a sollicité du tribunal de limiter sa plaidoirie à une demande de sursis à statuer motif pris notamment de l'existence d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce transmise à la Cour de cassation par le Tribunal de commerce de Bobigny le 13 juillet 2010 à la demande de la société Darty.
Le 20 septembre 2010, en accord avec les parties, le tribunal a décidé de limiter les plaidoiries à la demande de sursis à statuer émanant de la société Eurauchan.
Par jugement rendu le 27 octobre 2010, le Tribunal de commerce de Lille a :
- dit n'y avoir lieu à transmettre une question prioritaire de constitutionnalité ;
- sursis à statuer dans l'attente de la décision du Conseil constitutionnel relative à la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société des Etablissements Darty et fils ;
- dit que l'instance serait suspendue jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait statué sur la question soumise ;
- dit n'y avoir lieu à interroger la CJUE sur les questions préjudicielles envisagées par la société Eurauchan ;
- dit que l'instance serait reprise à l'initiative de la partie la plus diligente ;
- réservé les dépens.
Par une décision QPC n° 2010-85 du 13 janvier 2011, le Conseil constitutionnel a déclaré l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce conforme à la Constitution.
L'instance a alors été reprise à l'initiative du ministre de l'Economie et des Finances.
Par jugement rendu le 7 septembre 2011, le Tribunal de commerce de Lille a :
- dit recevable l'action du ministre de l'Economie et de Finances et débouté la société Eurauchan de sa demande d'irrecevabilité ;
- dit que l'articulation des articles 14.1.2 et 14.1.3 de la convention Eurauchan tente de créer un déséquilibre significatif en faveur d'Eurauchan au sens de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce ;
- dit que l'article 4 de l'annexe 4 créé un déséquilibre significatif en faveur de la société Eurauchan au sens de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce ;
- enjoint la société Eurauchan de cesser à l'avenir ces pratiques abusives ;
- donné acte à la société Eurauchan de supprimer les articles 14.1.2 et 14.1.3 dans sa convention de distribution 2012 ;
- prononcé une amende civile de 1 000 000 euros à l'encontre de la société Eurauchan ;
- débouté la société Eurauchan de ses demandes reconventionnelles ;
- condamné la société Eurauchan aux dépens.
La SAS Eurauchan a interjeté appel des deux jugements précités le 6 octobre 2011.
Par conclusions signifiées le 21 mai 2013 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé plus ample des moyens, la société Eurauchan demande à la cour :
- de réformer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lille en date du 27 octobre 2010 ;
Et,
- de saisir la Cour de justice de l'Union européenne des quatre questions préjudicielles qui pourraient être libellées comme suit, à défaut pour la cour de juger elle-même la contradiction des dispositions des articles L. 442-6-I 2° et L. 442-6 III aux dispositions communautaires :
1) Le droit de l'Union européenne et notamment les dispositions des articles 47 et 48 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doivent-ils être interprétés comme permettant à un Etat membre de prévoir au terme d'une loi les dispositions reprises par les articles L. 442-6 I 2° et L. 442-6 III, ensembles, du Code de commerce français
2) Le droit de l'Union européenne et notamment les dispositions de l'article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doivent-ils être interprétés comme permettant à un Etat membre de prévoir au terme d'une loi les dispositions reprises par les articles L. 442-6 2° et L. 442-6 III, ensembles, du Code de commerce français permettant notamment à une juridiction nationale de prononcer une sanction d'amende civile en répression de faits uniquement définis comme "créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties"
3) Le droit de l'Union européenne, et notamment les dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme doit-il être interprété comme permettant à un Etat membre de prévoir au terme d'une loi les dispositions reprises par les articles L. 442-6 I 2° et L. 442-6 III, ensemble, du Code de commerce
4) Le droit de l'Union européenne et notamment les dispositions de l'article 7 de la Convention européenne des Droits de l'Homme doit-il être interprété comme permettant à un Etat membre de prévoir, au terme d'une loi, les dispositions reprises par les articles L. 442-6 I 2° et L. 442-6 III, ensemble, du Code de commerce français permettant notamment à une juridiction nationale de prononcer une sanction d'amende civile en répression des faits uniquement définis comme "créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties"
- d'ordonner par voie de conséquence une mesure de sursis à statuer dans l'attente de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne se prononçant sur la ou les questions préjudicielles posées par la cour ;
- de réformer le jugement du Tribunal de commerce de Lille en date du 7 septembre 2011 ;
- de juger que les demandes présentées par le ministre de l'Economie et des Finances à l'encontre de la société Eurauchan sont irrecevables faute d'avoir été introduites et présentées valablement par un délégataire habilité, et par voie de conséquence, de les annuler ;
- de déclarer encore ces demandes irrecevables faute d'avoir informé les différents fournisseurs concernés ;
- de déclarer irrecevable la demande de condamnation à une amende à hauteur de 2 000 000 euros ;
- de prononcer la nullité du jugement du 7 septembre 2011 en ce qu'il constitue un jugement de règlement ;
- de déclarer les demandes mal fondées ;
En conséquence,
- de débouter le ministre de l'Economie et des Finances de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Reconventionnellement,
- de condamner le ministre de l'Economie et des Finances au paiement de la somme de 50 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- de condamner le ministre de l'Economie et des Finances aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par conclusions signifiées le 17 mai 2013 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé plus ample des moyens, le ministre de l'Economie et des Finances demande à la cour de :
- prononcer l'irrecevabilité des quatre questions préjudicielles relatives à la compatibilité des articles L. 442-6 I 2° et L. 442-6 III du Code de commerce avec les articles 47 à 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi qu'avec les dispositions des articles 6 § 1 et 7 de la Convention européenne des Droits de l'Homme ;
- rejeter la demande subséquente de sursis à statuer ;
à titre subsidiaire, juger les articles L. 442-6 I 2° du Code de commerce et L. 442-6 III du Code de commerce conformes aux articles 47 à 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi qu'avec les dispositions des articles 6 § 1 et 7 de la Convention européenne des Droits de l'Homme ;
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Lille rendu le 7 septembre 2011 en ce qu'il a déclaré son action recevable ;
- juger les exceptions de procédure soulevées par la société Eurauchan non fondées ;
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lille en date du 7 septembre 2011 en ce qu'il a considéré :
1) que l'articulation des articles 14.1.2 et 14.1.3 de la convention Eurauchan tente de créer un déséquilibre significatif en faveur de la société Eurauchan au sens de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce ;
2) que l'article 4 de l'annexe 4 créé un déséquilibre significatif en faveur de la société Eurauchan au sens de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a enjoint la société Eurauchan de cesser à l'avenir la pratique consistant à mentionner les clauses susvisées dans ses conventions ;
- juger que le Tribunal de commerce de Lille n'a pas prononcé un jugement de règlement le 7 septembre 2011 ;
- condamner la société Eurauchan à une amende civile de 2 000 000 euros ;
- débouter la société Eurauchan de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la société Eurauchan au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
SUR CE
1) Sur l'application aux faits de l'espèce de la Charte des Droits fondamentaux de l'Union européenne, de la Convention européenne des Droits de l'Homme, et sur les demandes de questions préjudicielles :
Considérant que la société Eurauchan soutient :
- qu'il convient de savoir si l'article L. 442-6 est conforme aux droits fondamentaux en assurant un procès équitable, en répondant au principe de légalité des peines et en étant suffisamment précis,
- que la Charte des Droits fondamentaux de l'Union européenne est applicable au présent litige (la valeur contraignante de ce texte s'impose aux Etats membres depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le 1er décembre 2009) ;
- que l'action du ministre contrevient au droit au recours effectif, à l'accès à un tribunal impartial et à l'égalité des armes, précisé par les articles 47, 48 de la Charte des droits fondamentaux, que l'autonomie de l'action du ministre ainsi que les moyens mis à sa disposition sont disproportionnés par rapport aux buts choisis par le législateur, que les moyens mis à la disposition du ministre de l'Economie et des Finances - qui peut agir en lieu et place de la prétendue victime d'un préjudice - par le législateur, sont d'une ampleur considérable et disproportionnée par rapport au but recherché ; que le principe d'égalité des armes s'oppose au désavantage dont elle souffre par rapport au ministre de l'Economie et des Finances en matière d'administration de la preuve - ce dernier disposant d'une administration, celle de la DGCCRF, dotée de pouvoirs d'investigation exorbitants - et en matière d'accès au dossier et de communication des pièces de la procédure l'administration pouvant s'affranchir du respect du contradictoire et disposant de la faculté d'apporter des preuves constituées par elle-même ;
- que l'action du ministre contrevient aux dispositions de l'art 49 de la Charte, qu'en effet, ce texte relevant de la matière pénale, il apparaît que la définition claire de ces infractions et des peines n'est pas satisfaite, que la notion de déséquilibre significatif reste parfaitement abstraite, et que les dispositions de l'article L. 442-6 I 2° et L. 442-6 III peuvent être interprétées largement, que les dispositions précitées sont contraires à l'article 49 de la Charte des Droits fondamentaux de l'Union européenne qui dispose que "l'intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l'infraction" ;
- que l'action du ministre doit être interprétée au regard des articles 6 § 1 et 7 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme,
Considérant que le ministre réplique en soutenant :
- que l'appelante a été à même d'organiser sa défense devant les premiers juges et n'a pas été placée dans une situation de net désavantage par rapport à lui pour présenter sa cause et ce d'autant plus que la modification de ses écritures (retrait de la demande en nullité des clauses litigieuses) a consisté en un allègement de ses demandes ;
- qu'en premier lieu, les demandes de questions préjudicielles formées par l'appelante sont irrecevables en ce qu'elles ne l'ont pas été in limine litis alors même qu'elles constituent des exceptions de procédure au sens de l'article 74 du Code de procédure civile ;
- que la Charte des Droits fondamentaux de l'Union européenne n'a nullement vocation à s'appliquer aux articles L. 442-6 2° et III du Code de commerce, et qu'en conséquence, la demande de l'appelante doit être rejetée sur le fondement de l'article 51 de la Charte ;
- que son action ne contrevient pas aux droits à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial prévus à l'article 47 de la Charte des Droits fondamentaux de l'Union européenne ni à la présomption d'innocence et au respect des droits de la défense prévus à l'article 48 de la Charte précitée ;
- que l'argument tiré de la contradiction de l'article L. 442-6 I 2° avec l'article 49 de la Charte est fallacieux dès lors que le Conseil constitutionnel a considéré par sa décision du 13 janvier 2011 que la notion de déséquilibre significatif était suffisamment claire et précise au regard du principe de légalité des délits et des peines ;
- que la Cour de justice de l'Union européenne n'est pas compétente pour se prononcer sur la validité des dispositions du droit national, qu'en outre, si la Cour devait se saisir des questions posées par l'appelante, elle ne pourra que confirmer que les articles L. 442-6 I 2° et III du Code de commerce sont conformes à la Charte des Droits fondamentaux ;
- que la Cour de justice de l'Union européenne n'est pas non plus compétente pour se prononcer sur la conformité des articles du Code de commerce avec les articles 6 § 1 et 7 de la Convention EDH ;
- qu'en tout état de cause, ses demandes fondées sur les articles L. 442-6 I 2° et III du Code de commerce respectent les droits garantis par les articles 6 § 1 et 7 de la Convention EDH ;
Considérant que selon l'article 6 du Traité TUE : "L'Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des Droits Fondamentaux du 7 décembre 2000 telle qu'adoptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg laquelle a la même valeur juridique que les traités", que l'article 51 précise : "I Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et promeuvent l'application conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l'Union telles qu'elles lui sont conférées dans les traités. II La présente Charte n'étend pas le champ d'application du droit de l'Union au-delà des compétences de l'Union ni ne crée aucune compétence ni aucune tache nouvelles pour l'Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les traités".
Considérant qu'il résulte de ces textes que si la Charte a une valeur juridique de droit primaire et si les juridictions tant de l'Union que celles des Etats membres doivent l'interpréter et l'appliquer comme telle, encore faut-il que ce soit dans le cadre de la mise en œuvre du droit de l'Union, Considérant que pour le démontrer, la société Eurauchan expose que le droit de l'Union a une force supérieure au droit national, que la loi LME dont sont tirées les dispositions de l'art L. 442-6 peut avoir une application extraterritoriale et que les dispositions de l'art L. 442-6 I 2° et III, ressemblent à s'y "méprendre" aux dispositions de l'art L. 464-2 et aux règles communautaires en la matière ; que toutefois et à juste titre, le ministre soutient que les dispositions dont il demande l'application ne mettent pas en œuvre les règles du droit de l'Union, qu'il n'apparaît nullement que les pratiques dénoncées par le ministre peuvent affecter sensiblement le commerce entre les Etats membres et sont susceptibles d'être analysées par rapport aux dispositions de la Charte,
Considérant au surplus qu'aux termes de l'article 19 § TFUE et de l'article 262 TFUE que "La CJUE est compétente pour statuer à titre préjudiciel sur l'interprétation des traités, sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes et organismes de l'Union", qu'en l'espèce, la CJUE ne saurait être saisie d'une question préjudicielle concernant la mise en œuvre de l'article L. 442-6 du Code de commerce qui n'entre pas dans le champ de sa compétence,
Considérant enfin qu'il appartient de justifier que les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce auraient pour effet de ne pas respecter les articles 6 § 1 et 7 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, qui consacrent pour le premier le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, et pour le second le principe de légalité de la peine,
Considérant qu'Eurauchan considère que l'action du ministre engagée en application de l'article L. 442-6 est, par son caractère autonome, contraire à ces textes, qu'elle lui interdit de disposer des facultés ordinaires de résolution des litiges, transaction, médiation, arbitrage, qu'elle interdit le choix d'agir ou de ne pas agir et ne constitue pas un outil de police contractuelle, que les moyens de l'Etat sont hors proportion avec le but à atteindre et d'une "violence inouïe", que ce soit dans lors de l'administration de la preuve, ou encore pour l'accès au dossier et pour la communication des pièces, que ce soit pour définir l'infraction (notion de déséquilibre significatif) qui est imprécise et doit faire l'objet d'une interprétation comme l'expose la présidente de la CEPC,
Considérant que pour ce qui concerne l'action du ministre en application de l'article L. 442-6, il apparaît que c'est le rôle prépondérant donné au ministre d'engager seul la procédure sans se substituer aux cocontractants qui est remis en cause par Eurauchan ; que toutefois, le ministre agit avant tout pour défendre l'ordre public économique qui est plus que la somme des intérêts des fournisseurs de la société Eurauchan et doit avoir les moyens de le faire, notamment en engageant seul la procédure et en demandant des condamnations à des amendes civiles ; qu'il n'est pas interdit aux "victimes" d'engager une procédure ou d'intervenir volontairement ou d'être assignées en intervention forcée de la part de l'une ou l'autre des parties mais il doit leur être également laissé la possibilité de ne pas agir, tant le rapport des forces en présence est alors inégal ; que l'équilibre entre les parties est assuré par la soumission de l'action du ministre aux dispositions du Code de procédure civile, que ce soit pour le mode de résolution des conflits, pour l'administration de la preuve ou encore pour la communication des pièces, étant rappelé que le procès est la chose des parties qui apportent au soutien de leurs prétentions les éléments de preuve qu'elles choisissent, et que le juge statue au vu des seuls éléments de preuve qui lui sont communiqués ; qu'il apparaît que la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 442-6 I 2° ne porte pas atteinte aux droits de la défense, à l'égalité des armes et au procès équitable prévu par l'article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme,
Considérant par ailleurs, qu'il est désormais acquis que le principe de légalité des peines s'applique aux amendes civiles, et qu'ainsi, l'article 7 § 1 de la Convention peut être utilement invoqué ; qu'il sera cependant rappelé qu'en retenant la notion de "déséquilibre significatif", le législateur a renvoyé à une notion parfaitement connue et suffisamment claire et précise du droit de la consommation insérée dans l'article L. 132-1 du Code de la consommation lequel reprend les termes de l'art 3 de la directive 93-13-CEE du Conseil du 5 avril 1993 ; qu'enfin, les amendes civiles prévues par le texte sont parfaitement proportionnées aux droits fondamentaux des opérateurs économiques et justifiées par l'ordre économique ;
2) Sur la recevabilité des demandes
- Sur la représentation du ministre :
Considérant que la société Eurauchan expose que le ministre n'était pas régulièrement représenté lorsque l'action a été introduite et n'a pas pour la suite été représenté régulièrement de sorte que la procédure irrégulière au fond et en la forme est irrecevable, que le ministre répond qu'il a été valablement représenté par Monsieur Jean-Louis Cecchetto et par Madame Chantal Gouthière ;
Considérant que les textes en vigueur applicables lors de l'assignation étaient le décret 87-163 du 12 mars 1987 qui autorise le ministre à déléguer sa signature pour l'ensemble des actes relatifs à l'action prévue par l'article 36 de l'ordonnance du premier décembre 1986 modifiée par la loi du premier juillet 1996 (loi Galland) puis par la loi du 15 mai 2001 (NRE) et devenue l'art. L. 442-6 du Code de commerce, l'arrêté du 31 juillet 2007 pris en application du décret n° 83-167 du 12 mars 1987, que les textes applicables pour le déroulement de l'instance étaient à la suite de la réorganisation des services de la DGCCRF, l'article R. 470-1-1 du Code de commerce, issu du décret 2010-1010 du 30 août 2010 outre l'arrêté du 24 septembre 2010 qui organise la suppléance des représentants du ministre désignés en application de l'article L. 470-5 du Code de commerce ;
Considérant qu'il apparaît ainsi :
- que le ministre, autorisé par le décret du 12 mars 1987 à déléguer par arrêté sa signature pour les actes relatifs à l'action prévue par l'article L. 442-6 du Code de commerce devant les juridictions de première instance et d'appel, a, par arrêté du 12 mars 1987, désigné pour le représenter les chefs des services départementaux de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes et précisé qu'en cas d'empêchement de ceux-ci, des fonctionnaires de catégorie A désignés par eux pourraient les suppléer ; qu'il a également, par arrêté du 31 juillet 2007, délégué de façon permanente sa signature à Jean-Louis Cecchetto, directeur interrégional de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ; que Monsieur Cecchetto qui avait pouvoir d'agir sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce a régulièrement fait délivrer l'assignation du 29 octobre 2009,
- que pour développer oralement et déposer des conclusions devant le tribunal de commerce, le ministre pouvait ensuite être représenté par le directeur général de la concurrence, de la consommation, de la répression des fraudes, puis par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi et qu'en cas d'empêchement, le directeur ainsi désigné pouvait désigner des fonctionnaires qui le suppléeraient lors des audiences, développeraient oralement et par écrit des conclusions ; qu'en l'espèce, Madame Balmes directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région (DIRECCTE) a délégué sa signature pour toutes décisions et actes relevant de sa compétence à Monsieur Cecchetto, délégant en cas d'absence de celui-ci Monsieur Cousin, directeur départemental ; que Monsieur Cecchetto avait en outre, dès le 23 octobre 2009 désigné Madame Gouthière pour le représenter dans l'action engagée devant le tribunal contre Eurauchan et que Madame Balmes avait expressément désigné Madame Gouthière pour suppléer Monsieur Cecchetto ; que le mandat donné par Monsieur Cecchetto à Madame Gouthière le 22 mars 2011 pour l'audience de plaidoiries du 20 mai 2011 devant le Tribunal de commerce de Lille était régulier ; que pour l'instance d'appel, Madame Laurent, nommée directrice régionale de la DIRECCTE par arrêté du 2 janvier 2012 était supplée en cas d'empêchement par Jean-Louis Miquel, responsable du pôle concurrence (...) de la DIRECCTE, lequel pouvait désigner un fonctionnaire de catégorie A pour le suppléer ; que Monsieur Miquel a ainsi donné mandat à Madame Gouthière fonctionnaire de catégorie A pour intervenir devant la cour ; qu'il était justifié du pouvoir spécial devant le tribunal de commerce et devant la cour,
Considérant que les documents relatifs à la représentation du ministre ont été communiqués, selon bordereau au dossier, à la société Eurauchan, qui a pu les discuter ; que le ministre était régulièrement représenté pour introduire l'action que pour la poursuivre devant les juridictions,
- Sur la mise en cause des fournisseurs
Considérant que la société Eurauchan soutient que pour agir, le ministre devait préalablement informer ses différents cocontractants de l'action engagée, qu'il a renoncé à son action en nullité et qu'en conséquence, sa demande de condamnation à une amende civile est dénuée de fondement ;
Considérant que selon le ministre, la réserve d'interprétation formulée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 mai 2011 (information des parties au contrat en cas de demande d'annulation de clauses ou contrats instruments d'une pratique abusive et/ou de restitution de sommes indûment perçues) ne s'applique pas au présent litige dès lors que le ministre a retiré sa demande initiale en nullité des clauses litigieuses ; que la demande de cessation des pratiques illicites n'équivaut pas à une demande de nullité des clauses litigieuses ; que l'information des fournisseurs n'est pas nécessaire lorsque le ministre formule une demande de cessation pour l'avenir des pratiques,
Considérant que selon les termes de l'assignation délivrée à la société Eurauchan le 29 octobre 2009, le ministre demandait au Tribunal de commerce de Lille de constater le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au profit d'Eurauchan, de constater la nullité des clauses 14.1.3, 14.1.2, 1.4.2.2 et en Annexe 4 de la convention Eurauchan, de condamner la société Eurauchan à payer une amende civile de 2 000 000 euros et à supporter les entiers dépens ; qu'ultérieurement, le ministre a modifié ses demandes, abandonnant la constatation de la nullité des clauses et sollicitant du tribunal de commerce qu'il enjoigne à la société Eurauchan de "cesser ses pratiques pour l'avenir" outre le prononcé d'une amende de 2 000 000 euros,
Considérant que si l'exigence de l'information des parties aux contrats, en l'espèce les fournisseurs, a été précisée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 13 mai 2011, il n'apparaît pas que les termes de cette décision permettent de soutenir que l'information des fournisseurs soit imposée en préalable à l'introduction de la demande en justice ;
Considérant par ailleurs, que ce soit dans la décision ou dans le commentaire qu'il en a fait, il apparaît que le Conseil Constitutionnel a envisagé l'information des fournisseurs dans le cadre de l'action en nullité contractuelle et en restitution de sommes d'argent, ce qui n'est pas l'objet du litige actuel ; que la demande du ministre ne se heurte pas aux dispositions de l'art 6 § 1 de la CEDH,
Considérant enfin que l'article L. 442-6 du Code de commerce donne au ministre le pouvoir de "demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées au présent article", de "demander le prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à deux millions d'euros" ; que ces demandes ne sont pas subordonnées à la demande concomitante que "soient constatées nulles les clauses ou contrats illicites" sous peine d'irrecevabilité ; qu'au soutien de sa démonstration, le ministre peut d'ailleurs faire référence à l'existence de contrats signés par Eurauchan et des fournisseurs désignés, contrats qui sont reconduits chaque année sans modification, comme l'annexe 4 relative au taux de service de sorte que la décision rendue sur la demande du ministre n'est pas un arrêt de règlement,
3) Sur le fond :
Sur le déséquilibre significatif :
Considérant que la société Eurauchan soutient :
- que la convention annuelle de distribution Eurauchan ne peut être examinée seule pour déterminer l'existence du déséquilibre significatif et qu'il convient de mesurer les effets de la convention ce qui ne peut être fait pour des conventions futures,
- que les conventions signées avec les fournisseurs sont le fruit de véritables échanges et négociations dans lesquelles les parties font toutes deux des concessions de sorte que l'examen global de la convention à laquelle le ministre ne se livre pas, permet de démontrer que le contrat n'est pas déséquilibré par les deux clauses critiquées qui ne peuvent faire l'objet d'une analyse dissociée ;
- que la loi LME a prévu une négociation annuelle des tarifs ; que l'article 14.1.1 ne fait que rappeler le principe d'intangibilité du prix en cours d'année ; que l'article 14.1.2 prévoit une révision à la hausse du prix convenu en cours d'année et l'article 14.1.3 une révision à la baisse en raison d'éléments extérieurs aux parties, qu'il s'agit d'une clause qui a vocation à s'appliquer résiduellement de sorte qu'elle n'a pas d'impact véritable, qu'elle correspond à une réciprocité et à une obligation de renégociation ; que l'article 14.1.3 ne peut être analysé seul mais à la lumière de l'article 14.1 dans son ensemble ; que sous un angle pratique, sur l'année 2009, il n'y a eu que des hausses et pas de baisses de sorte qu'aucun déséquilibre significatif ne peut être relevé ; que les premiers juges n'ont pas répondu à son argumentaire tiré de l'appréciation de l'ordre public économique ;
- que la clause concernant le taux de service n'est pas essentielle à l'exécution du contrat mais accessoire, et applicable en cas d'inexécution, qu'elle s'est scrupuleusement inscrite dans le cadre des procédures recommandées par l'association ECR et par la Commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC) et qu'en outre, les stipulations de l'annexe 4 ont déjà été examinées par la DGCCRF et n'ont pas soulevé de critiques,
Considérant que l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce vise le déséquilibre dans les droits et obligations des parties, qu'il invite à apprécier le contexte dans lequel le contrat est conclu et l'économie du contrat,
Considérant que la négociation distributeur/fournisseur existe ; qu'elle n'a toutefois pas pour effet automatique d'exclure le déséquilibre, tant il apparaît que le rapport des forces en présence reste inégal ; que le poids économique des parties n'est pas le même ; que les chiffres d'affaires réalisés par les fournisseurs qu'invoque Eurauchan ne révèlent pas la situation exacte d'un bon nombre d'entre eux ; que la rupture des relations commerciales sous-jacente dans les négociations dont la société Eurauchan fait état aurait pour le fournisseur des conséquences économiques très importantes, lui faisant perdre ses positions commerciales, ce qui ne le met pas dans la position de négocier utilement et d'engager le cas échéant une action en justice ; que dans la convention unique même négociée, il existe fondamentalement un déséquilibre ;
Considérant que le déséquilibre devient significatif par la présence, dans le contrat unique, d'obligations injustifiées à la charge du fournisseur néfastes pour l'économie (et pour le consommateur) que l'action engagée par le ministre sur les dispositions de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce essaie de corriger ; qu'il importe peu que ces obligations soient ou non exécutées, puisque la loi vise l'obtention ou la "tentative d'obtention" d'un avantage quelconque et qu'il importe peu aussi que les effets concrets du déséquilibre ne soient pas mesurés ; que comme il sera dit ci-après, la société Eurauchan allègue, mais ne le justifie pas que, par la négociation, d'autres clauses du contrat viennent compenser le déséquilibre significatif ainsi causé,
Considérant que, selon le ministre, la clause de révision de prix (article 14.1.2, 14.1.3) tente de créer un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties en faveur de la société Eurauchan et que l'annexe 4 de la convention Eurauchan crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties,
a) La révision de prix :
Considérant que l'article 14 (conditions tarifaires-facturation-paiement) précise :
"14.1 : Conditions tarifaires :
14.1.1 : Si par les présentes conditions, Auchan souhaite affirmer le principe de liberté des prix permettant au fournisseur de fixer librement son tarif général, elle estime cependant qu'à l'issue de la négociation commerciale, les prix du fournisseur s'entendent de prix fermes de telle sorte qu'aucune augmentation de tarif ne pourra intervenir en cours d'année ou du moins sans le consentement d'Auchan.
Ceci étant, en cours d'année :
14.1.2 : Toute proposition de hausse de prix que le fournisseur souhaiterait appliquer en cours d'année devra être notifiée par lettre recommandée avec avis de réception et devra être accompagnée des éléments objectifs sur la base desquels le fournisseur entend procéder à une augmentation de ses tarifs.
Dans l'hypothèse où Auchan accepterait la révision du prix convenu en cours d'année, deux hypothèses sont à distinguer :
- 14.1.2.1 : En cas de hausse de tarif prix par des paramètres externes non maîtrisables par le fournisseur, telle que la hausse des prix des matières premières, le préavis précité ne pourra être inférieur à deux mois à compter de son acceptation par Auchan. Ledit préavis correspond à des besoins internes et techniques d'Auchan en terme notamment d'acceptation des politiques commerciales à la revente et paramétrage des outils informatiques.
14.1.2.2 : Si la hausse de tarif ne correspond pas strictement aux dits paramètres externes, elle ne peut s'appliquer qu'après l'accord express d'Auchan et sous réserve d'un préavis à définir qui ne pourra être inférieur à quatre mois à compter de son acceptation par Auchan. Aussi, Auchan attire l'attention du fournisseur sur le fait que ce préavis doit respecter les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce. Les relations commerciales des parties étant notamment fondées sur l'élément prix, élément déterminant de l'acte d'achat d'Auchan, toute hausse substantielle des tarifs qui ne serait pas justifiée par des paramètres externes et qui serait de nature à remettre en cause l'économie générale des relations commerciales et contractuelles des parties est en effet susceptible de provoquer la rupture desdites relations commerciales.
14.1.3 : De la même manière, Auchan estime que toute baisse technique des tarifs du fournisseur ou des prix des matières premières vaut dénonciation de l'accord commercial et obligation de renégociation.
14.1.4 : Auchan souhaite rappeler au fournisseur qu'elle estime que le présent article 14.1 comme étant essentiel et déterminant dans les relations commerciales des parties de telle sorte que toute clause insérée ultérieurement par le fournisseur serait nulle et réputée non écrite. De même, si cette disposition n'agrée pas le fournisseur, celui-ci est invité à en tirer toutes conséquences dans la limite du respect des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce."
Considérant que la clause de révision de prix par la baisse et la hausse des tarifs ne saurait être remise en cause ; que s'il s'agit comme le soutient Eurauchan, d'une clause accessoire, elle reste pour autant "essentielle et déterminante" ; que le nombre de contestations démontre que ce texte revêt également un caractère déterminant pour le fournisseur,
Considérant que la société Eurauchan explique s'être conformée aux souhaits de ses fournisseurs et en considération de leurs conditions générales de vente et estime que le parallélisme dans la procédure de renégociation ne peut exister ; que toutefois, le déséquilibre n'est pas apprécié au regard de l'élément qui déclenche la révision de prix mais au regard des conditions de mise en œuvre de la révision dans la mesure où il n'existe pas de réciprocité (délais, justificatifs, conséquences) selon que l'initiative en revient à Eurauchan ou aux fournisseurs (article 14.1.2 et 14.1.3) ; que la baisse de tarif initiée par Auchan rend systématique la dénonciation de l'accord et obligation de renégocier, qu'elle est immédiate ; que pour demander la hausse du tarif, les fournisseurs doivent justifier des "éléments objectifs sur la base desquels ils entendent procéder à une augmentation", sans que la teneur de ces éléments objectifs soit connue, de sorte que, comme le remarque Bonduelle, un des fournisseurs, Eurauchan a "la possibilité de figer le tarif et de continuer à acheter à l'ancien tarif pendant un laps de temps qui peut être important" ou encore négocier de nouvelles conditions commerciales qui peuvent alors annihiler la hausse de tarif ; que l'on peut constater que certains fournisseurs, comme la société Lascad (spécialiste capillaire et dermatologique) ou la société Mars Petcarex and Food France (fournisseur d'aliments pour animaux, biscuits et friandises, litières) ou la société Pain Jacquet contestent les termes de cet article qu'ils souhaitent voir modifié ou supprimé mais qu'Auchan fait savoir que toute modification doit recueillir son consentement (courriers du 28 avril et du 12 mai 2009) ; que si, comme en fait état Auchan, une négociation peut donner lieu à des modifications sur certains points du contrat, il apparaît que la modification de l'article 14 est toujours refusée (avenants Bonduelle 2009, Mac Cain, Mars Petcarex and Food France, Lascad) et qu'il appartient à Eurauchan de démontrer, ce qu'elle ne fait qu'alléguer, que la modification des autres clauses à l'issue de la négociation dont elle fait état a permis néanmoins de rééquilibrer le contrat ; qu'en tout état de cause, ce texte est érigé en principe ; qu'il se trouve à nouveau dans la convention annuelle 2010 et est dénoncé par la société Bonduelle,
Considérant enfin que l'approbation par le ministre du Cahier des Clauses Administratives Générales applicable aux contrats de marchés publics qui ne crée pas des ordres publics économiques différents suivant que les domaines concernés sont publics ou privés est ici sans intérêt, que les obligations prévues dans le clause 4.1 .2 et 14.1.3 ne sont pas comparables à ce que prévoit le Code des Marchés publics pour la renégociation des prix,
b) Le taux de service :
Considérant que selon l'annexe 4 (conditions d'approvisionnement) de la convention signée par Eurauchan et les fournisseurs, le taux de service est "l'écart de quantités entre les commandes et les livraisons" (...) "en cas de non-livraison ou livraison incomplète à la date et aux conditions prévues par la commande", qu'il est ainsi prévu un système de pénalités en cas de non-respect par les fournisseurs d'un taux de service minimum de 98,5 % ;
Considérant qu'il est soutenu par Eurauchan qu'il s'agit de la transcription de l'article 1611 du Code civil dans la convention passée avec le fournisseur, qu'il s'agit d'un usage et que ce taux se retrouve dans les conditions générales de vente des fournisseurs, qu'il est approuvé par l'association ECR et la CEPC et est négocié ; qu'il s'explique par la recherche de performances et de qualité de service en matière d'approvisionnement mais qu'il est peu appliqué,
Considérant que l'article 1611 du Code civil prévoit que le vendeur peut être condamné à des dommages-intérêts s'il résulte un préjudice pour l'acquéreur du défaut de délivrance au terme convenu ; qu'en l'espèce et contrairement à ces dispositions, la clause relative au taux de service revêt un caractère automatique ; que de plus, la définition du taux de service n'est pas clairement établie et que ses modalités de calcul ne sont pas précisées ; qu'il ne va de même pour le calcul de la pénalité à partir du "chiffre d'affaires manquant",
Considérant que certes les fournisseurs ont intégré le taux de service dans leurs conditions générales de vente, que toutefois le taux de service est alors déterminé au regard des activités spécifiques des fournisseurs,
Considérant contrairement à ce que soutient Eurauchan, il n'apparaît pas que cette disposition ait fait l'objet de négociations véritables ; qu'elle n'est jamais discutée avant la signature du contrat fixant les conditions d'approvisionnement, contrairement à ce que préconisait l'Association ECR, ce qui peut se traduire par l'absence de place laissée dans l'annexe pré rédigée pour en modifier le contenu à la différence des autres annexes mais ce qui se révèle surtout dans l'uniformité du taux de service pour tous les fournisseurs sans considération de la nature de leur activité, de la relation existante ; qu'elle est contestée par de nombreux fournisseurs, la société Lascad, la société Mars Petcarex and Food France et Pain Jacquet par exemple mais, comme le répond Auchan, elle s'applique immédiatement ; que par ailleurs, le fait que certains fournisseurs rejettent tout principe de pénalité en cette hypothèse ne peut justifier l'imposition de ce taux de service pour éviter qu'Eurauchan, comme elle le soutient, soit victime elle-même d'un déséquilibre significatif dans la relation contractuelle avec son fournisseur, d'autant plus que le recours aux mécanismes de droit de commun pour obtenir l'indemnisation du préjudice reste toujours possible et sans difficulté de mise en œuvre pour Auchan,
Considérant enfin que le critère de déclenchement, comme le remarque un fournisseur, la société AB-INVBEV France, est inconnu ce que révèlent les tableaux produits par Auchan sur les pénalités pour les fournisseurs du service "fromage libre-service" ; qu'il n'est pas non plus discuté ; qu'en réalité, il dépend de la seule volonté de la société Eurauchan, de sorte que comme le souligne le ministre, l'appelante a la maîtrise de l'exécution du contrat et de la discussion, a posteriori, de son application ; qu'il peut être ajouté qu'elle possède une arme pour la négociation du prochain contrat unique,
Considérant que la clause relative à la révision de prix et le taux de service créent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des fournisseurs ; que la société Eurauchan ne justifie pas que d'autres clauses insérées lors des négociations permettent un rééquilibrage,
Considérant que le jugement sera confirmé,
4) Sur l'amende civile et la cessation des pratiques :
Considérant que le ministre expose que la société Eurauchan a troublé l'ordre public économique et que l'amende doit être dissuasive, qu'elle doit cesser à l'avenir ces pratiques,
Considérant que la société Eurauchan expose qu'elle participe toujours aux discussions relatives aux règles à appliquer entre les distributeurs et les fournisseurs, qu'elle rappelle l'incertitude de la portée du texte, les interrogations qu'il suscite et l'insécurité juridique qui en résulte, qu'elle observe que le ministre agit pour l'avenir et qu'il est "contradictoire de solliciter pour le passé la condamnation au paiement d'une amende",
Considérant que l'action du ministre a pour objet de faire maintenir ou de rétablir l'ordre public économique qui a été transgressé, que la loi lui donne mission de protéger les entreprises contre les pratiques défavorables que leur imposent les distributeurs et qu'elles ne sont pas en mesure de discuter utilement ; qu'il apparaît en l'espèce que des clauses relatives à la révision des prix et au taux de service créant un déséquilibre significatif ont existé dans les contrats conclus entre le distributeur et ses fournisseurs ; que selon les éléments du dossier, ces clauses se trouvent toujours dans les conventions annuelles 2010 et que la société Eurauchan ne sollicite plus qu'il lui soit donné acte de la suppression des articles 14.1.2 et 14.1.3 ; que le ministre, constatant ces pratiques, peut par conséquent solliciter le prononcé d'une amende civile dont le montant doit être confirmé,
Considérant que la société Eurauchan sera déboutée de toutes ses demandes,
Par ces motifs : LA COUR, Confirme les deux jugements déférés, exception faite du donner acte, Condamne la société Eurauchan à payer au ministre de l'Economie et des Finances la somme de 3 000 euros en application de l'art 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Eurauchan aux dépens.