Cass. com., 10 septembre 2013, n° 12-20.933
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Serop Concept (SAS)
Défendeur :
Charroux (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
Mme Le Bras
Avocats :
SCP Waquet, Farge, Hazan, SCP Blanc, Rousseau
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Serf a confié la sous-traitance de travaux d'usinage et de montage d'outillages à la société Serop Concept (la société Serop) par une convention comportant des engagements réciproques d'exclusivité, ainsi qu'une clause de non-concurrence post-contractuelle stipulée à la charge du sous-traitant, d'une durée d'un an, portée à 4 ans pour la clientèle des sociétés des groupes PSA Peugeot-Citroën et Renault ; que reprochant à la société Serop d'avoir rompu leurs relations contractuelles le 4 juin 2002 pour se livrer à une activité concurrente en violation de son engagement de non-concurrence, d'avoir démarché sa clientèle et détourné des documents techniques et son savoir-faire, la société Serf l'a assignée en concurrence illicite, déloyale et parasitaire ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Serop fait grief à l'arrêt d'avoir dit qu'elle avait commis des actes de concurrence illicite en exécutant des prestations pour les sociétés APM group Bléré et APM Group Meung-sur-Loire, alors, selon le moyen : 1°) que, conformément aux articles 232 et 238 du Code de procédure civile, le juge peut commettre toute personne de son choix aux fins de l'éclairer, par des constatations, par une consultation ou par une expertise, sur une question de fait qui requiert les lumières d'un technicien, mais ne peut demander à cette personne de porter des appréciations d'ordre juridique et n'est pas fondé à la suivre dans celles-ci ; qu'ainsi, en se fondant, pour dire que la société Serop a commis des actes de concurrence illicite en exécutant des prestations pour les sociétés Valfond Bléré et Valfond Meung-sur-Loire, sur les conclusions d'ordre juridique de l'expert selon lequel la faute de la société est incontestable, la cour d'appel a méconnu son office et violé les articles 12, 232 et 238 du Code de procédure civile ; 2°) qu'aux termes de la convention-cadre du 3 décembre 1997, la société Serop s'interdisait de travailler, pendant la durée du contrat, pour les entreprises utilisatrices des matériels et outillages dont la réalisation lui était sous-traitée par la société Serf, puis, après la cessation des relations contractuelles, de concurrencer la société Serf en fabriquant ou en montant des outillages pour ces mêmes entreprises utilisatrices pendant quatre années si ces dernières appartiennent aux groupes PSA Peugeot-Citroën et Renault ou un an dans les autres cas ; que l'arrêt attaqué, pour dire que la société Serop a commis des actes de concurrence illicite en exécutant des prestations pour les sociétés Valfond Bléré et Valfond Meung-sur-Loire, relève que cette société a explicitement admis par conclusions devant les premiers juges que la société Valfond avait " pu éprouver le besoin de démarcher directement la Serop, souhaitant bénéficier de tarifs intéressants et de prestations techniques véritablement sures " ; qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à établir que les sociétés Valfond Bléré et Valfond Meung-sur-Loire étaient des entreprises utilisatrices pour lesquelles la société Serop avait précédemment réalisé des prestations en sous-traitance et, partant, que les faits reprochés à la société Serop entraient bien dans les prévisions des clauses de non-concurrence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ; 3°) qu'en tout état de cause, l'arrêt attaqué, pour dire que la société Serop a commis des actes de concurrence illicite en exécutant des prestations pour les sociétés Valfond Bléré et Valfond Meung-sur-Loire, relève que le rapport du sapiteur Jacquot cite un cas précis d'outillage de détourage de collecteur d'échappement conçu par la Serf et réalisé d'abord en sous-traitance par la Serop pour la société Valfond Meung-sur-Loire, puis traité directement par la Serop sur la base des mêmes plans de conception ; qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à établir que la société Valfond Bléré était une entreprise utilisatrice pour laquelle la société Serop avait précédemment réalisé des prestations en sous-traitance et, partant, que les faits reprochés à la société Serop s'agissant de la société Valfond Bléré entraient bien dans les prévisions des clauses de non-concurrence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant constaté que le rapport de l'expert et de son sapiteur établissait que la société Serop avait réalisé des prestations de fabrication et de montage d'outillages pour les sociétés APM Group Bléré et APM group Meung-sur-Loire pendant le contrat qui la liait à la société Serf et encore postérieurement à la rupture de leurs relations commerciales, et relevé, avec l'expert, que la société Serop s'interdisait pourtant de travailler pour le compte de ces sociétés en qualité d'entreprise principale, en vertu de la clause d'exclusivité et de travailler avec celles-ci avant le 3 juin 2003, et même avant le 3 juin 2006 tant qu'elles demeuraient des filiales des groupes Renault et PSA, en vertu de la clause de non-concurrence post-contractuelle, la cour d'appel, qui était en droit de s'approprier l'avis de l'expert, même si celui-ci avait exprimé une opinion excédant les limites de sa mission, a, par ces seuls motifs et abstraction faite de ceux, surabondants, critiqués par les deuxième et troisième branches, légalement justifié sa décision ; que le moyen, non fondé en sa première branche, ne peut être accueilli pour le surplus ;
Et sur le deuxième moyen : - Attendu que la société Serop fait grief à l'arrêt d'avoir dit qu'elle s'était livrée à des actes de concurrence parasitaire en exploitant sans rien dépenser la technologie et l'architecture des outillages conçus par la société Serf, alors, selon le moyen : 1°) que l'action en concurrence déloyale, qui trouve son fondement dans les articles 1382 et 1383 du Code civil, implique l'existence d'une faute dont la preuve doit être rapportée par le demandeur ; qu'en l'espèce, pour dire que la société Serop s'est livrée à des actes de concurrence parasitaire en exploitant sans rien dépenser la technologie et l'architecture des outillages conçus par la société Serf, l'arrêt attaqué relève que la société Serop n'apporte pas la preuve qu'elle maîtrisait l'étude de la fabrication des outillages de parachèvement des pièces en fonte avant sa collaboration avec la société Serf ; qu'en se déterminant par de tels motifs, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1315 du Code de procédure civile ; 2°) que l'action en concurrence déloyale suppose une faute du défendeur, faute qui ne saurait résulter du seul fait d'utiliser le même savoir-faire qu'une autre entreprise, non protégé par un droit privatif ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué relève que la technologie et l'architecture des outillages de parachèvement de pièces de fonderie des sociétés Serop et Serf sont similaires ; qu'en déduisant de cette seule circonstance que la société Serop s'est livrée à des actes de concurrence parasitaire, sans établir, en l'espèce, le caractère fautif de l'utilisation du même savoir-faire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant retenu qu'en exploitant pour son propre compte la technologie et l'architecture des outillages dont la fabrication lui avait été précédemment confiée en sous-traitance par la société Serf sans avoir à investir dans leur mise au point, la société Serop s'était livrée à des actes de concurrence parasitaire, caractérisant ainsi la faute dans l'utilisation d'un même savoir-faire, la cour d'appel, qui n'a pas inversé la charge de la preuve, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche : - Vu l'article 1382 du Code civil ; - Attendu que pour dire que la société Serop avait commis un acte de concurrence déloyale en fabriquant pour la société Pacy technologie une unité de tronçonnage de traverse D2X6, l'arrêt retient que le préjudice causé consiste dans la perte de marge que la société Serf aurait dû réaliser en facturant elle-même les prestations fournies déloyalement par la société Serop à la société Pacy technologie;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans établir que l'obtention du marché par la société Serf n'était pas une simple éventualité, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a dit que la société Serop Concept, en fabriquant pour la société Pacy technologie une unité de tronçonnage de traverse, avait commis un acte de concurrence déloyale ayant causé à la société Serf un préjudice consistant dans la perte de marge qu'elle aurait dû faire sur le chiffre d'affaires réalisé par la société Serop Concept, l'arrêt rendu le 7 juin 2011, entre les parties, par la Cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Rennes, autrement composée.