Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 12 septembre 2013, n° 11-20191

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dufetel & Fils (SARL)

Défendeur :

Pétroles Shell (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Pomonti, Michel-Amsellem

Avocats :

Mes Fisselier, Bourgeon, Bodin Casalis, Djavadi

T. com. Lille, du 22 juin 2011

22 juin 2011

FAITS ET PROCEDURE

En 1956, M. Raymond Dufetel a créé une entreprise en nom personnel, spécialisée dans le négoce des produits pétroliers et qui s'est approvisionnée auprès de la société des Pétroles Shell.

En mars 1998 a été créée la société Dufetel & Fils qui a poursuivi l'exploitation du fonds de commerce, en tant que locataire-gérant avant de l'acquérir.

Dans le cadre de la mise en place de son réseau de distributeurs, la société des Pétroles Shell a signé, le 1er avril 2008, avec la société Dufetel & Fils un contrat de distribution ayant pour objet la distribution des lubrifiants de la marque Shell en vrac ou en conditionné pour une durée de 3 ans.

A la suite d'un entretien le 15 juin 2010, confirmé par un courriel du 18 juin 2010, la société des Pétroles Shell a indiqué à son distributeur qu'il existait des "freins au développement de l'activité des ventes Shell" qu'elle souhaitait voir résolues avant le 31 mars 2011, date de l'échéance du contrat en cours.

Par courrier du 16 décembre 2010, la société des Pétroles Shell a estimé que les conditions n'étaient pas réunies pour qu'elle envisage la signature d'un nouveau contrat et a confirmé à la société Dufetel que le contrat en cours prendrait fin le 31 mars 2011 ; aux termes d'un courrier du 7 février 2011, la société des Pétroles Shell a maintenu sa position.

Par acte du 13 avril 2011, la société Dufetel a assigné la société Les Pétroles Shell, devant le Tribunal de commerce de Lille, en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale et fautive de la relation commerciale.

Par jugement en date du 22 juin 2011, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Lille a :

- dit que la relation commerciale entre la société des Pétroles Shell et la société Dufetel & Fils était établie de manière stable depuis 1956,

- dit que cette relation commerciale était importante pour la société Dufetel et que son arrêt avec un préavis insuffisant lui cause un préjudice,

- dit que la rupture ne présente pas un caractère brutal,

- fixé à neuf mois la durée du préavis,

- condamné la société des Pétroles Shell à payer à la société Dufetel & Fils la somme de 113 000 euros

- condamné la société des Pétroles Shell à payer à la société Dufetel & Fils la somme de 3 000 euros

Sur le fondement de l'article 700 du CPC,

- condamné la société Dufetel & Fils à supprimer toute référence sur son site Internet à la qualité de distributeur de lubrifiants Shell, sous astreinte provisoire de 50 euros par jour à compter du mois suivant la notification de la décision,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires

Vu l'appel interjeté le 10 novembre 2011 par la société Dufetel & Fils contre la société des Pétroles Shell.

Vu les dernières conclusions signifiées le 24 avril 2013, par lesquelles la société Dufetel & Fils demande à la cour de :

- dire la société Dufetel & Fils recevable et fondée en son appel,

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

- dit que la relation commerciale entre la société des Pétroles Shell et la société Dufetel & Fils était établie de manière stable depuis 1956,

- dit que cette relation était importante pour la société Dufetel & Fils et que son arrêt avec un préavis insuffisant lui a causé préjudice

- le réformer pour le surplus et :

- dire et juger que le préavis de 3 mois, notoirement insuffisant, avec lequel la société des Pétroles Shell a mis fin à la relation commerciale confère un caractère brutal à la rupture,

- dire et juger que la société des Pétroles Shell aurait dû respecter un préavis de rupture de 36 mois,

- condamner la société des Pétroles Shell à payer à la société Dufetel & Fils en compensation de la privation de 33 mois de préavis, la somme de 1 000 000 euros de dommages et intérêts,

subsidiairement, la somme de 433 800 euros,

- débouter la société des Pétroles Shell de son appel incident et de sa demande reconventionnelle

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société des Pétroles Shell à payer à la société Dufetel & Fils, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 CPC et y ajoutant : de condamner la société des Pétroles Shell à payer à la société Dufetel & Fils une somme supplémentaire de 15 000 euros sur ce même fondement,

Concernant l'ancienneté de la relation commerciale, la société appelante soutient qu'il s'agit d'une relation stable et continue qui s'est poursuivie sans discontinuer de 1956 à 2011 et qu'il ne s'agit pas d'une succession de contrats indépendants mais d'une seule et même relation commerciale, entre mêmes "partenaires économiques".

Concertant l'importance de la relation commerciale et le préjudice résultant de l'arrêt de cette relation, la société Dufetel précise qu'elle se trouvait en situation de dépendance économique du fait notamment d'une obligation de quasi-exclusivité sur les approvisionnements en lubrifiants Shell. Elle soutient qu'elle ne se fournissait pas auprès de différentes sociétés Shell mais auprès de la même entité juridique dont la dénomination et le siège social avaient simplement changé.

Concernant la durée du préavis, la société appelante argue son insuffisance manifeste. Elle maintient que le caractère brutal d'une rupture de relation commerciale établie peut être conféré par l'absence d'un préavis suffisant. La société Dufetel soutient également que la société des Pétroles Shell ne justifie pas l'insuffisance du préavis par une réorganisation de son réseau.

Enfin, en ce qui concerne sa demande indemnitaire, la société Dufetel & Fils précise qu'elle a enregistré, au cours des trois dernières années de relation commerciale avec la société des Pétroles Shell, une progression constante de la marge brute retirée de la commercialisation des lubrifiants Shell.

Vu les dernières conclusions signifiées le 13 mai 2013 par la société des Pétroles Shell, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- dire et juger irrecevable et mal fondée la société Dufetel & Fils dans son appel principal et l'en débouter,

- dire la société des Pétroles Shell recevable et fondée en son appel incident,

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Lille en date du 22 juin 2011 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné la société Dufetel & Fils à supprimer toute référence sur son site Internet à la qualité de distributeur de lubrifiants Shell, sous astreinte provisoire de 50 euros par jour à compter du mois suivant la notification de la décision,

- dire et juger que la société des Pétroles Shell ne s'est rendue coupable d'aucune rupture brutale des relations commerciales,

- condamner la société Dufetel & Fils à supprimer toute référence à la marque Shell sur son site Internet notamment la première page ainsi que sur ses camions et enseignes commerciales et ce, sous astreinte de 50 euros par jour, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- condamner la société Dufetel & Fils au paiement de la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC

La société intimée considère que la société Dufetel & Fils ne démontre pas une continuité et une intensité des relations commerciales depuis 1956 avec la société des Pétroles Shell. Elle contredit le caractère continu de la relation commerciale dans la mesure où celle-ci ne fait pas la démonstration de la reprise des obligations de l'entité précédente par la société Dufetel & Fils.

Concernant la durée de préavis, la société intimée précise que contrairement à ce qu'a affirmé le tribunal, elle a tenu compte de la durée des relations commerciales en accordant un préavis de 9 mois qui, selon elle, est amplement proportionné et suffisant, excluant dès lors tout caractère brutal à la rupture des relations.

Concernant une éventuelle situation de dépendance économique de la société appelante, la société intimée ajoute que la société Dufetel disposait de solutions alternatives pour se fournir en lubrifiants.

La société intimée estime que l'état de dépendance économique doit être écarté lorsque l'importance du chiffre d'affaires est la conséquence du choix délibéré du revendeur de concentrer ou recentrer son activité avec un seul partenaire.

En ce qui concerne le préjudice allégué, la société intimée le conteste car elle considère que la société Dufetel pourra vendre des lubrifiants acquis auprès d'autres distributeurs Shell et ne peut donc arguer une perte totale de marge.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur le caractère brutal de la rupture

Considérant que la société des Pétroles Shell soutient que la rupture des relations commerciales n'a pas été brutale en ce que, d'une part, le caractère continu des relations commerciales depuis 1956 n'est pas établi, d'autre part, en ce qu'il n'y a eu aucune brutalité du fait de la durée du préavis dont a bénéficié la société Dufetel & Fils, soit 9 mois ;

Qu'elle fait valoir que les relations ont été nouées entre des entités différentes de sorte que la relation entre la société des Pétroles Shell et la société Dufetel a duré au plus 12 ans et non 55 ans comme le soutient cette dernière et que le préavis de 9 mois tenait compte de cette durée ;

Considérant que la société Dufetel fait valoir que c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu que les relations étaient établies depuis 1956 ; qu'elle soutient qu'elle n'a bénéficié que d'un préavis de 3 mois, notoirement insuffisant et que la rupture des relations commerciales a été imprévisible et brutale ;

Considérant que, si la société Dufetel n'a été constituée qu'en 1998, elle a poursuivi la même activité que celle exercée par M. Dufetel à titre individuel, au travers tout d'abord de l'exploitation d'un même fonds de commerce sous la forme d'une location-gérance puis en pleine propriété ;

Qu'il convient de relever que les contrats de revente de lubrifiants signés à partir de 1989 l'ont été avec la société Dufetel, alors même que celle-ci n'était pas encore constituée et alors que le numéro d'immatriculation attribué à cette société était en fait toujours celui de M. Raymond Dufetel, ce que la société des Pétroles Shell ne pouvait pas ignorer, dans la mesure où elle avait précédemment contracté avec ce dernier en mentionnant ce même numéro ;

Que, de plus, le dernier contrat conclu avec M. Raymond Dufetel, exploitant en nom personnel, à effet du 1er janvier 1992 pour 12 mois renouvelable par tacite reconduction s'est poursuivi sans discontinuité avec la société Dufetel constituée en mars 1998 en tant que locataire-gérante du fonds de commerce qui constituait donc bien le support de la relation commerciale, indépendamment de l'entité exploitante ;

Que les contrats successifs ont toujours visé le fonds de commerce comme étant Route de Doullens à Dainville Les Arras, caractérisant ainsi leur continuité ;

Considérant que, si M. Raymond Dufetel a signé des contrats avec la société des Pétroles Shell Berre et produit des factures à en tête de cette société, il a signé le 29 mars 1976, puis chaque année une convention "lubrifiants" avec la société Shell France ;

Que l'avenant en date du 25 février 1987 sur l'objectif annuel et les remises est signé "pour Shell française" ;

Que, depuis 1956 et sans discontinuité, l'objet des contrats a été l'achat par le distributeur grossiste, en vrac ou conditionné des lubrifiants de marque Shell, faisant partie de la gamme Shell, en vue de leur revente ; que ces opérations se sont toujours déroulées dans le cadre du fonds de commerce exploité à Dainville les Arras ; que, dès lors, la circonstance que ce fonds de commerce ait été exploité sous forme d'une entreprise individuelle, puis dans le cadre d'une société, n'a pas modifié l'objet de la relation commerciale ;

Considérant que cette relation a toujours eu pour objet la distribution des lubrifiants de marque Shell, que ce soit à l'origine avec une société dénommée société des Pétroles Shell Berre, puis société des Pétroles Shell ; que le Kbis de la société des Pétroles Shell révèle que celle-ci a repris la distribution des produits Shell de sorte qu'elle est devenue le seul partenaire économique de la société Dufetel, poursuivant une relation ayant débuté avec la société des Pétroles Shell Berre ;

Que l'article 442-6 du Code de commerce vise les relations entre "partenaires économiques" et non des entités juridiques de sorte que doit être prise en compte la relation commerciale d'un point de vue économique ; que la société Dufetel verse une invitation de la société des Pétroles Shell adressée aux époux Dufetel et rédigée en ces termes "Chers amis, 40 ans de partenariat, cela se fête" ;

Qu'outre cette invitation, la société Dufetel produit les différents contrats et avenants signés depuis 1971, des factures et des courriers depuis 1961, démontrant ainsi la durée stable et continue des relations, quand bien même les éléments chiffrés produits ne concernent que la période des années 2008 à 2011 ;

Qu'il en résulte que la relation commerciale initialement nouée par M. Raymond Dufetel en 1956 s'est poursuivie jusqu'au 31 mars 2011, comme l'ont à juste titre retenu les premiers juges ; qu'il s'agit donc d'une relation stable avec une durée exceptionnelle de 55 ans.

Considérant que la société des Pétroles Shell fait valoir que, dès le mois d'avril 2009, elle a évoqué la nécessité de réorganiser le développement des ventes et de voir nommé un chef des ventes au sein de la société Dufetel et que, par son courrier du 18 juin 2010, elle a, de façon explicite, évoqué le non-renouvellement du contrat à son échéance ; qu'elle considère avoir ainsi fait bénéficier son distributeur d'un délai de 9 mois ce qui selon elle est largement proportionné et suffisant, excluant toute brutalité ;

Considérant que la société Dufetel soutient que le préavis raisonnable dont elle aurait dû bénéficier était de 36 mois et que les préconisations de la société des Pétroles Shell s'inscrivaient dans une perspective de poursuite des relations commerciales, qui ne peuvent dès lors caractériser la mise en œuvre d'un préavis ; qu'elle ajoute n'avoir manqué à aucune de ses obligations contractuelles ;

Considérant que l'article 11.2 du contrat autorisait une rupture 30 jours après une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réceptionnée [sic] sans résultat "en cas de manquement(s) important(s) ou persistant(s) et/ou en cas d'inexécution par l'une ou l'autre des parties de l'une quelconque de ses obligations" ;

Que la société des Pétroles Shell n'a jamais invoqué ces dispositions ; qu'elle a visé les dispositions de l'article 11.1 du contrat qui stipule qu'"avant l'échéance de celui-ci, les parties se rapprocheront pour discuter la possibilité de conclure un nouveau contrat et si elles sont d'accord négocier les termes d'un nouveau contrat" ;

Que dans son courriel du 18 juin 2010, la société des Pétroles Shell indique "Nous nous sommes entendus sur les points suivants : Il manque un chef des ventes (...). Il manque un système de reporting complet (...). La duplicité des points de livraison entraîne de fait un non-respect des minimums de commande (...). Par conséquent, le renouvellement du contrat de distribution Shell sera conditionné à la résolution de ces 3 problèmes (...), le contrat pourra toujours être renouvelé si ces problèmes sont résolus" ;

Considérant qu'il résulte de ce courriel que les préconisations ont été convenues par les deux parties à l'occasion d'une visite sur place de la société des Pétroles Shell ; que, dès lors, les courriers de la société Pétroles Shell faisant état de ces accords, ne sauraient être interprétés à l'encontre de la société Dufetel comme valant préavis de rupture à son encontre ;

Considérant que, si la société des Pétroles Shell prétend que ces mesures s'inscrivent dans une réorganisation de son réseau de distribution, elle n'apporte aucun élément pour en justifier ; qu'au contraire, dans ses échanges avec la société Dufetel, elle indique le 27 septembre 2010 "nous avons identifié les facteurs freins au développement de l'activité de vente des lubrifiants Shell distribués par les Ets Dufetel et qui sont propres à la structure actuelle des Ets Dufetel", puis le 25 février 2011 "Par courrier RAR du 30 septembre 2010 nous vous rappelions que la résolution de ces facteurs était une condition essentielle à la négociation d'un éventuel nouveau contrat et que toute éventuelle négociation ne pourrait avoir lieu dans le cas inverse. Vous vous êtes engagé, à plusieurs reprises, à remédier à ces dysfonctionnements (...)." ;

Qu'il en résulte que la société des Pétroles Shell ne démontre pas avoir procédé à une réorganisation de ses propres services ayant justifié une réorganisation de la société Dufetel; qu'il s'agissait de mesures concernant la société Dufetel, alors même que la société des Pétroles Shell ne lui avait jusqu'alors fait aucun reproche et, qu'en termes d'efficience, elle était en constante progression ;

Considérant, au surplus, qu'il n'était pas précisé de délai pour la mise en place de ces préconisations, la société des Pétroles Shell indiquant que le contrat pourrait être renouvelé si ces questions étaient résolues ; qu'elle n'a jamais mis en demeure la société Dufetel de les mettre en œuvre ; que, dès lors, la société Dufetel pouvait escompter une poursuite des relations commerciales, dans la mesure même où elle avait manifesté son accord aux mesures préconisées et qu'à l'occasion d'une réunion le 8 décembre, M. Dufetel a fait part à la société des Pétroles Shell des mesures mises en œuvre, à savoir la mise en place d'un dépôt unique à compter du 1er janvier et la création d'un poste de chef des ventes lubrifiants en faisant accéder un commercial à cette fonction et en recrutant un nouveau vendeur, mesure dont la société Dufetel justifie de l'effectivité, M. Reynald Bonay ayant été désigné à compter du 1er février 2011 comme responsable des ventes ;

Considérant que, par courrier du 16 décembre 2010, la société des Pétroles Shell a, néanmoins, estimé que les conditions n'étaient pas réunies pour qu'elle envisage la signature d'un nouveau contrat et a confirmé à la société Dufetel que le contrat en cours prendrait fin le 31 mars 2011 ; qu'en conséquence, seul ce courrier marque la rupture des relations commerciales ; que le préavis octroyé par la société des Pétroles Shell a donc été de 3 mois ;

Considérant que la société des Pétroles Shell fait valoir que le chiffre d'affaires réalisé par la société Dufetel, au titre des lubrifiants Shell ne représentait qu'environ 4 % de son chiffre d'affaires total et qu'elle lui a elle-même proposé de continuer à s'approvisionner auprès d'autres distributeurs de la marque, dont elle lui a fourni l'adresse, dans des conditions particulières et avantageuses afin de la soutenir dans sa phase de réorganisation ; qu'ainsi, selon elle, la société Dufetel a continué de bénéficier au cours des années 2011 et 2012 des produits contractuels à des conditions avantageuses, de sorte qu'elle n'a pas eu, au cours de cette période, à pallier la perte de son contrat ; que cet élément démontre selon elle qu'il n'y a pas eu de rupture brutale des relations commerciales ;

Considérant que l'article 2.1 du contrat stipulait "le distributeur reconnaît Shell comme son fournisseur principal en matière de lubrifiants et fera tout son possible pour que 75 % des produits qu'il revend soient des produits Shell" ;

Que, de plus, la société Dufetel indique que l'annexe 4B au contrat subordonnait l'octroi d'une remise à la réalisation d'un volume d'achats correspondant à l'essentiel de ses capacités de distribution de lubrifiants de sorte qu'elle n'avait pu entretenir qu'une relation accessoire avec la société Q8, faisant observer, en outre, que cette dernière intervenait sur un marché totalement différent de celui de la société des Pétroles Shell ;

Que la société Dufetel expose que son chiffre d'affaires réalisé au titre de son autre branche d'activité, à savoir la distribution de carburants et de combustibles, résulte de l'importance des taxes pesant sur ces produits et qu'il est donc sans rapport avec l'équilibre économique de l'entreprise ;

Qu'en conséquence, seule est significative la comparaison des marges réalisées par l'entreprise à l'occasion de chacune de ses deux activités ; qu'ainsi, elle réalisait 30 % de celle-ci sur les lubrifiants Shell, ce qui constituait une part significative de son activité ;

Considérant que la société des Pétroles Shell fait état des mesures destinées, selon elle, à permettre à la société Dufetel de poursuivre son activité de distribution des produits Shell; que, pour autant celles-ci s'inscrivent dans un accord postérieur à la rupture qui n'a pas permis à la société Dufetel de retrouver, pendant le délai où elle aurait dû bénéficier du préavis, de conditions économiques équivalentes à celles antérieures à la rupture ; que, dès lors, celles-ci ne sauraient pallier l'insuffisance du préavis et donc le caractère brutal de la rupture ;

Considérant que la rupture des relations commerciales a été soudaine et imprévisible pour la société Dufetel, dans la mesure où celle-ci avait commencé à mettre en place les mesures convenues, de sorte qu'elle pouvait escompter la poursuite des relations commerciales dans le cadre d'un contrat de distribution ;

Considérant qu'au regard de la durée des relations commerciales, la société Shell aurait dû respecter un délai raisonnable de 2 ans soit 21 mois supplémentaires par rapport au préavis de 3 mois dont elle a fait bénéficier son distributeur ; qu'il y a lieu de réformer le jugement entrepris sur ce point.

Sur le préjudice

Considérant que la société Dufetel justifie avoir enregistré une progression constante de sa marge brute au cours des trois dernières années qui a été la suivante :

228 422 € d'avril 2008 à mars 2009

294 333 € d'avril 2009 à mars 2010

253 885 € d'avril 2010 à décembre 2010

soit 776 640 € sur 33 mois soit une moyenne annuelle de 282 414,84 € ; que cette moyenne tient compte de la progression des derniers mois sans qu'il y ait lieu de la majorer de 10 % comme le demande la société Dufetel ;

Considérant que, si la société Dufetel a pu continuer à s'approvisionner en produits Shell, elle n'a pu le faire que pour les produits conditionnés en bidons ; qu'elle a donc perdu ses clients s'approvisionnant en vrac, de sorte que sa marge brute a chuté de 43 % sur la période mars 2011/mars 2012 par rapport à la période mars 2010/mars 2011 ;

Considérant qu'il y a lieu de prendre, néanmoins, en compte le fait que la société Dufetel a pu, au cours des deux années ayant suivi la rupture, conserver une partie de sa marge, de sorte qu'elle a pu conserver 57 % de sa marge antérieure soit plus de la moitié ;

Que la marge mensuelle moyenne réalisée par la société Dufetel s'établissant à (282 414,84 €/12) 23 534,56 € et la baisse de celle-ci ayant été de 43 %, il en résulte que sa perte de marge s'établit à une moyenne mensuelle de 10 119,62 € ; que le montant du préjudice sera donc chiffré à la somme de 10 119,62 € x 21 soit 212 512,02 € ; qu'il y a lieu de réformer sur ce point le jugement entrepris.

Sur la demande de la société des Pétroles Shell

Considérant que la société Shell demande de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné à la société Dufetel de cesser de faire état de la qualité de distributeur Shell.

Considérant que la société Dufetel fait valoir qu'elle s'est exécutée et a fait disparaître toute référence à la marque Shell, notamment sur son site Internet ;

Considérant que la société Shell produit un constat d'huissier dressé le 29 avril 2013 dont il résulte que le site Internet de la société Dufetel continue de la présenter comme étant distributeur des produits Shell depuis 1956.

Considérant toutefois que, si la société Shell a mis fin au contrat de distribution la liant à la société Dufetel, elle a accepté de laisser la possibilité à celle-ci de continuer à s'approvisionner en produits lubrifiants Shell dans des conditions nouvelles et spécifiques, ce dont la cour a tenu compte dans l'évaluation du préavis ; que, dès lors, elle ne saurait interdire à cette société l'usage de signes lui permettant de signaler à ses clients qu'elle peut continuer à les fournir en lubrifiants Shell ;

Considérant qu'il y a lieu de rejeter la demande de la société des Produits Shell et de réformer le jugement entrepris.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que la société Dufetel a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif.

Par ces motifs : Et, adoptant ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit que la relation commerciale entre la société des Pétroles Shell et la société Dufetel & Fils était établie depuis 1956 et en ce qu'il a condamné la société des Pétroles Shell à payer à la société Dufetel & Fils la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Reforme pour le surplus et statuant nouveau, Dit que la rupture des relations commerciales a été brutale, Dit que la durée du préavis raisonnable est de 24 mois, Dit que ce préavis doit être chiffré à la somme de 212 512,02 €, Condamne la société des Pétroles Shell à payer à la société Dufetel & Fils la somme de 212 512,02 € au titre du préavis non exécuté, Rejette toute autre demande plus ample ou contraire, Condamne la société des Pétroles Shell à payer à la société Dufetel & Fils la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.