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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 12 septembre 2013, n° 12-18655

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Mogador Santé (SARL)

Défendeur :

Laboratoires Decléor (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Louÿs

Conseillers :

Mmes Graff-Daudret, Lesault

Avocats :

Mes Lesenechal, Vingot, Couturier, Fournier

T. com. Paris, prés., du 3 oct. 2012

3 octobre 2012

Faits constants :

La SARL Mogador Santé (Mogador) exploite une parapharmacie. Elle se fournissait, depuis plus de 17 années, auprès de la SAS Laboratoires Decléor (Decléor), spécialisée dans la fabrication et la distribution de produits cosmétiques haut de gamme.

Le 27 octobre 1997, les sociétés Mogador et Decléor ont conclu un contrat de distribution sélective, aux termes duquel (article 4 "Ventes"), "le Distributeur Agréé s'engage également à ne vendre ces produits que sur le marché français, au détail, à des consommateurs directs et dans le point de vente agréé. Il s'interdit donc de céder ces produits sous quelque forme que ce soit, à toute collectivité, à tout négociant français ou étranger, grossiste ou détaillant, sauf à l'intérieur du réseau de distributeurs agréés dans la CEE, et aux conditions décrites ci-après".

Le 6 mai 2011, un second contrat de distributeur agréé a été conclu entre les sociétés Mogador et Decléor, comportant une clause rédigée en des termes voisins.

La société Decléor reproche à la société Mogador de revendre une part significative des produits achetés auprès d'elle, en Chine, en violation du contrat de distribution sélective liant les parties, et a, en conséquence, suspendu la livraison de ses produits.

La société Mogador a, pour sa part, cessé de régler les factures émises par la société Decléor à compter du mois d'avril 2012.

C'est dans ce contexte que, par acte du 13 juin 2012, la société Mogador a assigné la société Decléor devant le juge des référés, aux fins de voir autoriser Mme Valérie Letondeur à séquestrer entre les mains de M. le Bâtonnier du Barreau de Versailles la somme de 109 535, 16 euros correspondant au solde de la facturation restant due à la société Decléor avec mission de conserver ladite somme et de ne s'en dessaisir qu'après qu'une décision soit intervenue revêtant la force de chose jugée sur la responsabilité de la société Decléor à son encontre en raison d'une rupture brutale des relations commerciales.

Par ordonnance contradictoire du 3 octobre 2012, le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris, au motif de l'existence d'une contestation sérieuse, a :

- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de séquestre formée par la société Mogador,

- débouté la société Decléor de ses demandes,

- condamné la société Mogador aux dépens.

La société Mogador a interjeté appel de cette décision le 17 octobre 2012.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 juin 2013.

Prétentions et moyens de la société Mogador :

Par dernières conclusions du 27 mai 2013, auxquelles il convient de se reporter, la société Mogador fait valoir :

- que la société Decléor a violé l'article L. 442-6 du Code de commerce, en cessant de la livrer à compter du 17 avril 2012, rompant brutalement la relation commerciale entre les parties, et a manqué à son obligation de loyauté, au mépris de l'article 1134 du Code civil,

- qu'elle reste, quant à elle, devoir à la société Decléor un solde de facturation d'un montant global de 131 265,40 euros, mais que le dédommagement auquel elle peut prétendre est supérieur au solde de la facturation dû,

- que la société Decléor n'avait jamais jusqu'alors invoqué une inexécution de ses obligations, cette argumentation étant artificielle, Decléor ayant donné son accord sur le développement de ses affaires tel qu'entrepris par Mogador,

- que la société Decléor a expressément reconnu avoir verbalement rompu le contrat,

- que la société Decléor n'a jamais tenté de négocier la moindre solution amiable,

- qu'elle a, pour sa part, cessé de régler les factures, non par représailles, mais en raison des difficultés financières résultant pour elle de la rupture des relations commerciales,

- que le préjudice qu'elle allègue, notamment devant le juge du fond, qu'elle a saisi, n'est pas fantaisiste,

- que le juge des référés a le pouvoir de désigner un séquestre, qu'elle ne demande pas une saisie conservatoire,

- que la situation est d'une extrême gravité, qu'il existe non seulement un trouble manifestement illicite mais également un dommage imminent.

Elle demande à la cour :

- de la recevoir en ses conclusions,

- de la dire bien fondée,

- de réformer la décision entreprise,

- de l'autoriser à séquestrer entre les mains de M. le Bâtonnier du Barreau de Versailles la somme de 131 265,40 euros correspondant au solde de la facturation restant due à la société Decléor avec mission de conserver ladite somme et de ne s'en dessaisir qu'après qu'une décision soit intervenue revêtant la force de la chose jugée sur la responsabilité de la société Decléor à son encontre en raison d'une rupture brutale des relations commerciales,

- "au cas où le montant des sommes dues par la société Decléor dépasserait celui de la somme déposée en séquestre, le séquestre se libèrera de celle-ci entre les mains de la requérante",

- de débouter la société Decléor de ses demandes,

- de condamner la société Decléor à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel avec bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Prétentions et moyens de la société Decléor :

Par dernières conclusions du 13 mai 2013, auxquelles il convient de se reporter, la société Decléor fait valoir :

- que le niveau de commandes de la société Mogador devenant disproportionné par rapport à sa capacité d'utilisation en cabine et sa capacité de revente, cette dernière lui a expliqué qu'une part significative des produits achetés était revendue en Chine, en violation du contrat de distribution sélective, et qu'à titre de représailles, mais prétextant de difficultés financières, elle a ensuite cessé de régler ses factures,

- que la société Mogador se reconnaît parfaitement débitrice à son égard,

- que la société Mogador ne démontre aucune urgence, ni ne caractérise l'existence d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent,

- que la cour renverra l'affaire devant le juge du fond d'ores et déjà saisi,

- qu'aucune rupture fautive des relations commerciales n'est intervenue,

- que la cour, statuant "en la forme des référés", n'est pas compétente pour se prononcer sur une demande indemnitaire,

- que la demande indemnitaire est en tout état de cause fantaisiste,

- que le séquestre demandé est un dévoiement de la procédure de saisie-conservatoire,

- que la société Mogador demandant à séquestrer la somme de 131 265,40 euros TTC, qu'elle reconnaît devoir, sa créance est incontestable.

Elle demande à la cour :

- de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de séquestre formée par la société Mogador,

- de faire injonction à la société Mogador de produire son livre-journal des ventes depuis le 1er janvier 2010 sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la date de signification de l'arrêt d'appel à intervenir et pendant 60 jours,

- de se réserver la liquidation de l'astreinte,

- de condamner la société Mogador à lui payer la somme de 147 600,16 euros TTC, augmentée des intérêts de retard au taux de 1,5 % à compter de la date d'exigibilité des factures,

- de condamner la société Mogador à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- de condamner la société Mogador aux entiers dépens,

- de lui accorder le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR,

Sur la demande de séquestre :

Considérant que selon l'article 872 du Code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend ;

Que selon l'article 873, alinéa 1er, du même Code, le juge des référés peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;

Considérant qu'il entre dans les pouvoirs du juge des référés d'ordonner un séquestre, sur le fondement de l'un ou l'autre de ces textes, si les conditions en sont réunies ;

Considérant que la société Mogador n'invoque, ni ne justifie de l'urgence ;

Considérant que l'appelante reconnaissant devoir à la société Decléor la somme de 131 265,40 euros, il ne résulte pas des pièces du dossier, avec l'évidence requise en référé, que la suspension des livraisons par la société Decléor serait fautive, et ne constituerait pas la mise en œuvre de l'exception d'inexécution, consécutive au non-paiement, avéré, des factures ou, le cas échéant, et alors qu'il n'est pas contesté que la société Mogador réalise à l'export plus de la moitié de son chiffre d'affaires, ce dont témoigne son bilan 2010, à la violation des clauses du contrat de distribution sélective ;

Que le trouble manifestement illicite n'est donc pas caractérisé ;

Considérant que pour les mêmes raisons, il n'y a pas davantage lieu de retenir l'existence d'un dommage imminent, puisqu'un tel dommage ne peut résulter du propre fait de celui qui l'invoque ; qu'en outre, les difficultés financières alléguées par l'appelante ne sont pas manifestes, puisqu'elle dispose des fonds, objet de la créance de la société Decléor, dès lors qu'elle se propose de les séquestrer ;

Qu'en conséquence, l'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé ;

Sur les autres demandes :

Considérant, sur l'injonction à la société Mogador de produire son livre-journal des ventes depuis le 1er janvier 2010, que la société Decléor n'articule aucun fondement à cette demande, se bornant, à l'appui du moyen par lequel elle soutient qu'aucune rupture fautive n'est intervenue, à soutenir que la société Mogador "refuse de s'expliquer ou de justifier ce niveau disproportionné de commandes" ;

Que la question de la responsabilité de la rupture des relations commerciales relève du juge du fond, lequel a été saisi, à l'initiative de la société Mogador, le 13 juin 2012, soit le même jour que le juge des référés ; que la mesure sollicitée devant le juge des référés ne l'étant pas avant tout procès, elle ne saurait prospérer sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, au demeurant non invoqué, pas plus que ne le sont des stipulations contractuelles obligeant le distributeur agréé à cette production ;

Que la demande d'injonction sera, dès lors, rejetée ;

Considérant, sur la provision, qu'en vertu de l'article 873, alinéa 2, du Code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier ;

Que la société Decléor réclame une somme principale de 147 600, 16 euros TTC, tandis que la société Mogador reconnaît devoir à cette dernière "un solde de facturation d'un montant global de 147 600, 16 euros auquel il convient de déduire la régularisation RFA (ristourne de fin d'année) 2012, soit 16 334,76 euros, de sorte qu'elle reste devoir un solde de 131 265,40 euros" ;

Que cependant, les conditions générales de vente de la société Decléor, "catégorie Indépendants France", stipulent (article 8 et tableau joint) que "la société Decléor se réserve le droit de ne pas verser la remise de fin d'année si les obligations définies dans le contrat de distributeur agréé ou les conditions générales de vente ne sont pas remplies" ;

Que tel est le cas en l'espèce, puisque la société Mogador reconnaît ne pas s'être acquittée des factures échues pour les mois d'avril et mai 2012 ;

Qu'ainsi, la société Mogador ne peut prétendre voir déduire des sommes impayées le montant des "RFA" 2012 ;

Que la créance de la société Decléor ne saurait non plus perdre son caractère incontestable, à raison d'une créance éventuelle de la société Mogador au titre de la responsabilité de la première pour rupture brutale des relations commerciales, l'appréciation tant de la faute alléguée que du préjudice en résultant, relevant du juge du fond ;

Que la société Mogador sera, par conséquent, condamnée à payer à l'intimée la somme provisionnelle de 147 600, 16 euros, augmentée des intérêts de retard au taux de 1, 5 % à compter, non pas de la date d'exigibilité des factures, mais "d'une première mise en demeure envoyée par lettre recommandée avec accusé de réception", ainsi que le prévoit l'article 3 des conditions générales de vente de la société Decléor ;

Par ces motifs : Confirme l'ordonnance entreprise, Y ajoutant, Condamne la SARL Mogador Santé à payer à la SAS Laboratoires Decléor la somme provisionnelle de 147 600, 16 euros, augmentée des intérêts de retard au taux de 1, 5 % à compter de la première mise en demeure envoyée par lettre recommandée avec accusé de réception, Rejette la demande tendant à faire injonction à la société Mogador Santé de produire son livre-journal des ventes, Condamne la SARL Mogador Santé à payer à la SAS Laboratoires Decléor la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SARL Mogador Santé aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.