CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 18 septembre 2013, n° 12-05601
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Autoreflex.com (SAS)
Défendeur :
Piquet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rajbaut
Conseillers :
Mmes Chokron, Gaber
Avocats :
Mes Vignes, Vignon, Pigeon Bormans
Vu le jugement contradictoire du 17 février 2012 rendu par le Tribunal de grande instance de Paris,
Vu l'appel interjeté le 26 mars 2012 par la société Autoreflex.com,
Vu les dernières conclusions du 28 septembre 2012 de la société appelante,
Vu les dernières conclusions du 26 novembre 2012 de David Piquet, intimé,
Vu l'ordonnance de clôture du 9 avril 2013,
SUR CE, LA COUR,
Considérant que la société Autoreflex.com fait valoir qu'elle aurait été créée le 1er mars 1998 et exploiterait sous cette dénomination sociale et sous cette enseigne notamment un site Internet éponyme enregistré le 3 décembre 1999 ;
Qu'elle soutient être également titulaire du nom de domaine "Autoreflex.fr" enregistré le 17 août 2005, ainsi que d'une marque française Autoreflex.com déposée, sous son ancienne dénomination sociale Corb's, le 21 novembre 2005 pour désigner des produits et services dans les classes 35, 38, 41 et 42 ;
Qu'ayant fait constater le 18 novembre 2009 par l'Agence pour la protection des programmes (APP) qu'un site "reflexauto.fr" réservé le 5 mars 2007 permettait l'affichage d'une page à l'entête "Agence Automobile Le n° 1 du courtage automobile", elle a mis en demeure le 11 janvier 2010 David Piquet, apparaissant comme titulaire du nom de domaine et éditeur du site litigieux, de le transférer à son profit, de ne plus exploiter le terme "Reflexauto", de supprimer la mention "Le n° 1 du courtage automobile", et de l'indemniser de ses frais et préjudice ;
Considérant que la société Autoreflex ayant relevé le 17 février 2010 que David Piquet avait fait le nécessaire, sauf en ce qui concerne son indemnisation, lui a adressé une nouvelle mise en demeure ; que David Piquet a alors offert le 15 mars 2010 d'indemniser les frais mais refusé de proposer une indemnisation pour le préjudice, faisant en particulier valoir qu'il s'était rapidement exécuté, n'avait pas "voulu confondre" son activité avec celle opposée, par ailleurs non identique, et que l'Agence Auto n'existait plus depuis le 2 octobre 2009 ;
Que, dans ces circonstances, la société Autoreflex.com a fait assigner David Piquet le 12 août 2010 devant le Tribunal de grande instance de Paris aux fins d'obtenir une indemnisation pour contrefaçon de marque, usurpation de sa dénomination sociale, de son nom commercial et de ses noms de domaine, et pratique trompeuse, et demandé à titre subsidiaire de dire que l'enregistrement et l'exploitation du nom de domaine litigieux constituent des actes de concurrence déloyale et en tout état de cause une faute civile délictuelle préjudiciable ;
Considérant qu'aux termes du jugement dont appel, le tribunal a débouté la société Autoreflex.com de l'ensemble de ses demandes la condamnant aux frais et dépens ;
Que les premiers juges ont, pour l'essentiel, retenu que :
- David Piquet apparaît bien comme titulaire du nom de domaine incriminé et éditeur du site Internet "reflexauto.fr",
- la société Autoreflex.com en fait créée le 7 octobre 2008, ne rapporte pas la preuve de la titularité des droits sur la marque enregistrée au nom de la société Corb's, et ne justifiait ni d'une atteinte aux noms de domaine, à la dénomination sociale ou au nom commercial, ni d'une concurrence déloyale, faute ou pratique commerciale trompeuse, ni d'un préjudice ;
Considérant que la société appelante soutient, au contraire, qu'elle justifierait de ses droits de marque, lesquels n'auraient au demeurant pas été contestés en première instance, et que l'intimé, qui proposait par l'intermédiaire de son site Internet des services, selon elle, similaires ou connexes aux siens, a commis des actes de contrefaçon de marque par imitation, des actes d'usurpation de ses dénomination sociale, nom commercial et noms de domaine, ainsi que des agissements relevant de pratiques commerciales trompeuses au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation ; qu'elle réitère sa demande de réparation financière à hauteur de 30 000 euros et la reprend, également à titre subsidiaire, sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme et, plus subsidiairement, des articles 1382 et 1383 du Code civil ;
Considérant que David Piquet tout en demandant la confirmation du jugement entrepris maintient, à titre liminaire, que la procédure ne pourrait prospérer à son encontre dès lors que le nom de domaine incriminé aurait été exploité par une personne morale, la société Groupe Comunicar, dont il était simplement le gérant ;
Que cependant les premiers juges ont exactement retenu qu'il ressort des pièces du dossier que l'intéressé ne démontre pas l'exploitation du site par cette société, se présentant au contraire comme le titulaire du nom de domaine et l'éditeur du site Internet en cause, le constat APP précité établissant par ailleurs que l'identité du titulaire du nom de domaine "reflexauto.fr" constitue une donnée non publique, alors qu'une telle restriction de diffusion, prévue par l'article 23.2 de la Charte de nommage du .fr de l'AFNIC, bénéficie aux personnes physiques ;
Qu'il sera ajouté que dans ses courriers, David Piquet reconnaissait expressément avoir réservé ce nom de domaine, ne mentionnant nullement la société Groupe Comunicar, même s'il évoquait l'activité, pour lui, "de transition" de l'Agence Auto, constituant, selon l'extrait Kbis produit, le nom commercial de cette société, étant relevé qu'il apparaissait par ailleurs, aux termes du constat APP, titulaire du domaine "agence-auto.com" ;
Qu'en conséquence, la décision entreprise ne peut qu'être approuvée en ce qu'elle a retenu que la société Autoreflex.com était recevable à agir à l'encontre de David Piquet ;
Sur la contrefaçon de marque
Considérant que le tribunal a estimé qu'aucune pièce du dossier ne permettait de rattacher la société Autoreflex.com à la société Corb's titulaire de la marque revendiquée ;
Que la société Autoreflex.com justifie en cause d'appel que le changement de dénomination de la société titulaire de la marque "Autoreflex.com" a été inscrit à l'INPI le 9 mars 2012 et produit un procès-verbal d'assemblée extraordinaire de ladite société en date du 1er octobre 2008 décidant du transfert de son siège social et d'un changement de sa dénomination sociale pour adopter celle de Autoreflex.com ;
Que la société appelante établit ainsi suffisamment son lien juridique avec la société déposante, s'agissant en fait de la même société, dont elle a conservé, selon l'extrait Kbis produit du 1er août 2010, le numéro de Siren (417798519) ;
Considérant, en conséquence, que, même si lors de l'introduction de l'instance elle n'avait pas encore publié à l'INPI son changement de dénomination, il doit être admis que la société Autoreflex.com peut se prévaloir de droits sur la marque revendiquée ; que le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a retenu que sa demande au titre de la contrefaçon de marque était irrecevable ;
Considérant au fond que l'appelante soutient que le nom de domaine "reflexauto.fr" constitue l'imitation de sa marque verbale "Autoreflex.com" qui viserait des services similaires ou connexes, et ce, sous un signe similaire ;
Considérant que le droit de propriété conféré par l'enregistrement de la marque revendiquée concerne les produits et services désignés, savoir notamment la gestion de fichiers informatiques, la publicité, les services de saisie, de traitement et de transmission de données, les services de transmission d'informations sur des terminaux d'ordinateur et de télécommunication, de diffusion de données par ordinateurs, ainsi que l'édition de données destinées à être utilisées sur des réseaux informatiques ;
Que les seuls services désignés visant le domaine de l'automobile sont l'organisation et la conduite de colloques, conférence et congrès "notamment sur la distribution automobile", l'édition de revues sur l'automobile et l'édition d'un journal de petites annonces de ventes de voitures ;
Considérant que, certes, le site incriminé, constituant un nom de domaine en lien avec l'automobile, permet l'accès à un contenu sur Internet et à la fonction de transmettre des données sur des terminaux d'ordinateur ; qu'il n'en demeure pas moins qu'il tend manifestement à une activité de courtage nullement visée dans l'enregistrement de la marque opposée ;
Considérant que le nom de domaine contesté n'est par ailleurs pas la reproduction à l'identique de la marque invoquée, faute de la reproduire sans modification ni ajout en tous les éléments la composant ;
Qu'il convient donc de rechercher s'il existe entre les signes en présence un risque de confusion, qui doit être apprécié globalement à la lumière de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, cette appréciation globale devant, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par les marques, en tenant compte notamment des éléments dominants de celles-ci savoir respectivement les expressions "Autoreflex" et "Reflexauto" ;
Mais considérant que visuellement, la similitude tient à la reprise, quoique inversés, de deux termes lesquels s'avèrent peu distinctifs, le mot "Reflex" renvoyant à l'évidence au réflexe, banalement incitatif, et le mot "Auto" étant générique pour désigner les automobiles ; que l'inversion des termes permet au plan phonétique de distinguer les expressions en cause à raison de sonorités d'attaque très différentes, même si au plan conceptuel les deux signes en cause renvoient à la même idée de réflexe en matière de recherche concernant le domaine de l'automobile sur Internet, mode de recherche en ligne induit par l'adjonction dans la marque du ".com" et dans le signe contesté du ".fr" ;
Qu'en réalité tant l'expression "Autoreflex.com" que l'expression "Reflexauto.fr" demeurent globalement intrinsèquement assez banales ;
Considérant que la clientèle ne saurait être induite en erreur compte tenu de ces appellations usuelles, pour des transmissions accessibles sur le réseau Internet concernant des voitures, les services proposés s'avérant en fait trop peu similaires ou connexes pour que le consommateur moyennement avisé des produits désignés par la marque antérieure soit réellement amené à croire à un lien entre cette marque et le nom de domaine incriminé, utilisé sans la moindre équivoque exclusivement pour une activité spécifique de courtage en ligne, ne relevant pas de l'enregistrement opposé ;
Considérant qu'il s'infère de ce qui précède que le signe contesté ne saurait constituer l'imitation de la marque de la société revendiquée, faute de risque de confusion, voire même d'association, alors que pour des signes non identiques, et intrinsèquement peu distinctifs dans le domaine de l'automobile, seul en cause, les services en présence demeurent différents excluant toute atteinte à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir l'identité d'origine des produits et services marqués ;
Sur l'usurpation de dénomination sociale, de nom commercial et de noms de domaine
Considérant qu'il résulte de l'extrait Kbis produit que la société appelante a pour activité notamment l'exploitation du site Internet Autoreflex.com et pour enseigne cette appellation, sous le nom de laquelle elle est connue ainsi qu'il résulte de la revue de presse produite, et qui est devenue sa dénomination sociale en 2008 ;
Qu'il ne saurait être admis qu'à l'époque des faits incriminés elle avait une autre dénomination alors que le changement avait été décidé, ainsi que précédemment rappelé dès le 1er octobre 2008, l'immatriculation sous cette dénomination datant du 7 octobre 2008 ;
Que toutefois, ainsi qu'exactement retenu par les premiers juges, le seul fait d'utiliser le signe contesté pour des services ne présentant aucune similitude avec ceux de la société Autoreflex.com ne saurait caractériser une atteinte à la dénomination, ni au nom commercial ;
Considérant que même si lors de la réservation du nom de domaine litigieux celui d'Autoreflex.fr n'était pas réservé, l'appelante exploitait déjà un site Internet Autoreflex.com ; que ce site propose comme "N° 1 de l'annonce auto" notamment l'achat et la vente de véhicules automobiles ;
Que le tribunal a pertinemment retenu qu'il s'agit d'un site Internet d'annonces et que la société Autoreflex.com a ainsi une activité de presse spécialisée sur support informatique d'annonceur "très éloignée" du service de courtage automobile qui était proposé par le site de David Piquet ;
Qu'à cet égard il sera précisé que le site de ce dernier permettait l'affichage d'une première page faisant distinctement apparaître un logo "Agence Automobile" avec en caractères parfaitement visibles la mention "Le n° 1 du courtage automobile", renvoyant ainsi immédiatement à la nature de l'activité de l'agence présentée ; que le contenu de cette page indiquait en outre très nettement que l'"Agence Auto" proposait d'effectuer un service de reprise de véhicules et, le cas échéant, de proposition d'achat en cherchant le nouveau véhicule souhaité, ce qui ne correspond pas à une activité d'édition d'annonces de ventes ou d'achats où l'internaute achète ou vend directement un véhicule à un annonceur ;
Considérant que la décision entreprise ne peut dès lors qu'être approuvée en ce qu'elle a débouté la société Autoreflex de ses demandes concernant son nom commercial, sa dénomination, et noms de domaine formées à titre principal ;
Sur les pratiques commerciales trompeuses
Considérant que les premiers juges ont justement rappelé ce qui caractérise une pratique commerciale trompeuse au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation ;
Que, sur ce fondement, la société appelante incrimine la présentation de l'agence automobile faite sur le site Internet litigieux comme "Le n° 1 du courtage automobile" ;
Considérant qu'il sera relevé que l'appelante se présente elle-même comme "N° 1 de l'annonce auto" soit dans un domaine distinct, sans justifier de la pertinence de son classement, même si elle produit une revue de presse tendant à montrer qu'elle aurait racheté l'un des précurseurs de l'annonce auto en ligne aux fins de pouvoir se considérer comme leader sur ce marché ;
Qu'à supposer que l'internaute, habitué de ce type d'accroche, puisse croire que l'agence automobile présentée sur le site litigieux bénéficie d'un quelconque classement dans le courtage automobile, force est de constater que cette indication ne saurait causer préjudice à l'appelante qui n'exerce pas d'activité de courtage ;
Considérant que le jugement déféré sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la société Autoreflex.com fondée sur une pratique trompeuse ;
Sur la concurrence déloyale ou parasitaire et la faute
Considérant que les premiers juges ont justement retenu qu'aucune faute n'était caractérisée à l'encontre de David Piquet alors que les services proposés sont par nature distincts ;
Qu'il ne peut pas plus être admis que l'intimé aurait indûment profité de la renommée du site de l'appelante, à la supposer suffisamment établie, alors qu'il a été démontré qu'aucun risque d'association entre les sites en cause n'était en réalité caractérisé nonobstant la dénomination utilisée ;
Qu'au surplus l'internaute est en mesure de consulter les propriétés des pages affichées et ainsi de constater que les services du site incriminé concernent une agence locale située à Cholet, le site renvoyant à une adresse "www.agence-auto.com" à Cholet, alors que le site de l'appelante met en évidence, selon constat de l'APP produit, un service d'annonces, manifestement national, permettant d'acheter "en 1 clic" ou de vendre "en 2 mins" et de profiter "d'une audience de + 2 millions de visites/mois", excluant tout rapprochement ou assimilation avec un site local de courtage ;
Considérant que le fait d'avoir adopté pour cette activité spécifique distincte, même si elle est présentée comme attractive, un signe constituant l'inversion du signe d'un site Internet préexistant, intrinsèquement banal dans sa dénomination et peu distinctif pour un service en ligne du domaine général de l'automobile, ne saurait suffire à caractériser une faute susceptible d'engager la responsabilité de David Piquet à l'égard de la société Autoreflex.com ;
Considérant, en définitive, que le jugement entrepris doit également être confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes formées à titre subsidiaire par cette société sur le fondement de la concurrence déloyale ou de la faute ;
Par ces motifs : Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a retenu que la demande de la société Autoreflex.com au titre de la contrefaçon de marque était irrecevable ; Statuant à nouveau dans cette limite, Déclare la société Autoreflex.com recevable mais mal fondée en sa demande en contrefaçon de marque, l'en déboute ; Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ; Condamne la société Autoreflex.com aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, et dit n'y avoir lieu à nouvelle application des dispositions de l'article 700 du Code précité au titre des frais irrépétibles d'appel.