CA Versailles, 13e ch., 19 septembre 2013, n° 12-07604
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bodum France (SAS)
Défendeur :
Nespresso France (SAS), Nestlé Nespresso (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Besse
Conseillers :
Mmes Beauvois, Vaissette
Avocats :
Mes Debray, Delile, Minault, Destremeau
Dans les années 1970, le groupe Nestlé a mis au point un concept basé sur le développement de machines à café fonctionnant avec des capsules. En 1986, Nestlé a constitué spécialement une filiale, la société de droit suisse Nestlé Nespresso SA pour développer et promouvoir ce nouveau concept.
En France, c'est sa filiale Nespresso France qui assure la promotion de ce système et la distribution des capsules y afférentes.
La société Bodum France fait partie du groupe Bodum qui a été fondé en 1944 au Danemark. Elle commercialise, depuis 1974, une cafetière à piston dénommée "French press", permettant de faire du café sans filtre.
Les sociétés Nespresso France et Nestlé Nespresso ont découvert qu'au cours du salon professionnel "Ambiente" qui s'est déroulé à Francfort (Allemagne) du 13 au 19 février 2009, le stand de la société Bodum comportait un panneau montrant un amoncellement de capsules percées et déformées assorti du slogan "make taste, not waste" cependant qu'étaient diffusés des catalogues comportant sur une double page, d'une part, le visuel utilisé sur le stand, associé au slogan "make taste not waste" et d'autre part, une cafetière Bodum surmontée du slogan "clearly the best way to brew coffee".
Les sociétés Nespresso France et Nestlé Nespresso s'étant ensuite aperçues que le catalogue était diffusé en France par la société Bodum France, filiale française de la société Bodum, l'on fait constater dans deux espaces Bodum situés aux Galeries Lafayette et au Printemps, dans les boutiques de la société Bodum France et sur le site Internet www.bodum.fr.
C'est dans ces circonstances que le 13 mai 2009, elles ont assigné la société Bodum France devant le Tribunal de commerce de Nanterre pour dénigrement, concurrence déloyale ou parasitaire. Elles se sont également aperçues au mois de juillet 2009 qu'avaient été mis en place de nouveaux éléments de PLV (publicité sur lieux de vente), notamment dans un magasin à l'enseigne du BHV, reprenant le visuel incriminé associé au slogan "tout l'arôme du café, sans polluer". Au mois de novembre 2009, le visuel litigieux était encore diffusé sur un présentoir au BHV et dans le magazine Elle.
Par jugement rendu le 9 novembre 2009, le Tribunal de commerce de Nanterre a :
- dit que Bodum France s'était livré à des actes de dénigrement à l'encontre de Nestlé Nespresso et Nespresso France ;
- débouté Nestlé Nespresso et Nespresso France de leurs demandes visant à qualifier de parasitaire le comportement de Bodum France ;
- condamné Bodum France à verser au titre de la réparation du préjudice pour dénigrement la somme de 25 000 euros à Nestlé Nespresso et Nespresso France ;
- condamné Bodum France à retirer de son site Internet, de ses catalogues et plus généralement de tous supports, toute référence au système Nespresso ou aux capsules qu'il utilise et ce, sous astreinte provisoire de 1 000 euros par jour de retard ;
- débouté Bodum France de ses demandes en publications, tant sur son site Internet que dans des revues ;
- débouté Bodum France de sa demande pour procédure abusive ;
- condamné Bodum France à verser 5 000 euros à chacune des sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; ainsi qu'aux entiers dépens ;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Sur appel de la société Bodum France et appel incident des sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France, la Cour d'appel de Versailles a, le 19 mai 2011, confirmé le jugement en ce qu'il avait débouté les sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France de leurs demandes formées au titre du parasitisme et débouté la société Bodum France de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive, mais l'a réformé pour le surplus et, statuant à nouveau, a débouté les sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France de l'intégralité de leurs demandes.
Sur le pourvoi formé par les sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France, par arrêt du 25 septembre 2012, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé l'arrêt du 19 mai 2011, au visa de l'article L. 121-9 du Code de la consommation selon lequel une publicité comparative ne peut entraîner le discrédit ou le dénigrement des marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens, services, activité ou situation d'un concurrent, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes des sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France formées au titre du parasitisme et renvoyé les parties devant la Cour d'appel de Versailles autrement composée.
Par déclaration en date du 7 novembre 2012, la société par actions simplifiée Bodum France a saisi la Cour d'appel de Versailles.
La société Bodum France, par ses dernières conclusions signifiées le 15 mars 2013, demande à la cour, au visa des articles L. 121-8 et L. 121-9 du Code de la consommation, 1382 du Code civil, 699 et 700 du Code de procédure civile, de :
- la déclarer recevable en son appel et bien fondée en l'ensemble de ses demandes ;
- réformer le jugement du Tribunal de commerce de Nanterre en date du 9 novembre 2009 en ce qu'il a fait droit à la demande des sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France au titre du dénigrement ;
- le confirmer en ce qu'il a débouté les sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France de leurs demandes de publication ;
Et statuant à nouveau :
- débouter les intimées de toutes leurs demandes ;
- condamner in solidum les sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France à lui payer une indemnité de cent mille euros ( 100 000) pour procédure abusive ;
- condamner in solidum les sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France à lui payer une indemnité de cinquante mille euros ( 50 000) par application de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
- les condamner in solidum aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Les sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France, par dernières conclusions en date du 22 février 2013, demandent au visa des articles 1382 du Code civil et L. 121-8 et L. 121-9 du Code de la consommation, de :
- débouter la société Bodum France de l'ensemble de ses demandes ;
- confirmer le jugement rendu le 9 novembre 2009 par le Tribunal de commerce de Nanterre notamment en ce qu'il a dit et jugé illicite la publicité comparative litigieuse diffusée en France par la société Bodum France et en ce qu'il lui a ordonné sous astreinte de retirer de tous supports toute référence au système Nespresso ou aux capsules qu'il utilise ;
- dire que la publicité comparative litigieuse est dépourvue de toute objectivité, qu'elle ne compare pas des produits répondant aux mêmes besoins et/ou objectifs, et qu'elle est en toute hypothèse dénigrante à l'encontre des produits des intimées ;
- réformer en revanche le jugement entrepris en ce qu'il a limité le préjudice des sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France à la somme de 25 000 chacune ;
- le réformer également en ce qu'il les a déboutées de leurs demandes visant à obtenir la publication de la décision à intervenir sur le site Internet de cette dernière et dans la presse ;
En conséquence et statuant à nouveau :
- condamner la société Bodum France à verser à chacune des intimées les sommes de 125 000 à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi au titre des actes de dénigrement ;
- ordonner sous astreinte de 2 000 par jour de retard, la publication de la décision à intervenir en page d'accueil du site Internet de la société Bodum France (www.bodum.fr), ce dans les huit jours de la signification de l'arrêt à intervenir et pendant une durée qui ne saurait être inférieure à deux mois, sous le titre "Communique Judiciaire" écrit en lettres rouges sur fond blanc d'au moins 15 mm de haut, avec le texte suivant dans des polices de caractère noires sur fond blanc d'au moins 10 mm de hauteur :
"Par arrêt en date du (...), la Cour d'appel de Versailles a condamné la société Bodum France pour avoir commis des actes de dénigrement au préjudice des sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France".
- ordonner également la publication de l'arrêt à intervenir dans 5 revues et/ou journaux au choix des sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France, ce aux frais de la société Bodum France et dans la limite de 7 500 euros HT par publication ;
- condamner la société Bodum France à payer à chacune des sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France la somme de 50 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- la condamner enfin aux entiers dépens, qui comprendront notamment le coût des deux procès-verbaux de constat du 13 mars 2009 effectués par la SCP Jezequel Pinheiro Gruel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux dernières conclusions signifiées conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.
DISCUSSION :
La cassation prononcée a porté sur toutes les dispositions de l'arrêt rendu le 19 mai 2011 à l'exception de celles qui ont confirmé le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Nanterre du 9 novembre 2009 en ce qu'il avait débouté les sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France de leurs demandes formées au titre du parasitisme.
Après cassation, la Cour de Versailles autrement composée demeure donc saisie de la question du caractère illicite et dénigrant de la publicité litigieuse, allégué par les sociétés Nestlé et Nespresso France, reconnu par le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Nanterre du 9 novembre 2009 dont appel et contesté par la société Bodum France, et ce au regard des critères définis par l'article L. 121-8 du Code de la consommation et de l'article L. 121-9 du même Code, et en conséquence saisie des demandes en paiement de dommages-intérêts et de toutes les demandes accessoires en découlant.
Sur la publicité litigieuse
1. Sur l'identification de Nespresso
La publicité comparative est celle qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou plusieurs concurrents ou des biens ou services offerts par un concurrent ou des concurrents.
La question de l'identification implicite ou explicite dans la publicité litigieuse de Nespresso qui est contestée par la société Bodum est préalable à l'examen de son caractère licite et/ou dénigrant.
La société Bodum soutient en effet que :
- le concurrent Nespresso ne peut pas être identifié dans la publicité car celle-ci reproduit plusieurs types de capsules et pas seulement celles commercialisées par les sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France, qu'elle reproduit par exemples également des capsules Chicco d'Oro et Delizio commercialisées par d'autres sociétés,
- cette publicité vise de façon générale les entreprises proposant des équipements pour faire du café à partir de capsules, que la publicité litigieuse ne mentionnait ni les marques ni le nom commercial des intimés,
- les intimées n'apportent pas la preuve que les capsules de la publicité litigieuse les identifiaient aux yeux du public qui ne peut se déduire de l'étude produite aux débats commandée pour les besoins de la cause,
- les faits ne démontent pas de façon certaine, ni même vraisemblable que les intimées sont identifiées par la publicité incriminée.
Les sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France répondent :
- que compte tenu de sa notoriété, Nespresso est identifié dans cette publicité, que les intimées ont massivement investi depuis plusieurs années dans un plan de communication de grande envergure, engageant de nombreux moyens, qui mettait systématiquement en scène la capsule Nespresso, que la forme de cette capsule est connue du consommateur, que le public a immédiatement identifié Nespresso et l'a manifesté dans des blogs et des articles de presse ;
- que l'argument de Bodum, selon lequel d'autres marques distribuent des capsules comme les sociétés Chicco d'Oro et Migros est insuffisant car ces marques ne distribuent pas des capsules dans les mêmes proportions et sont quasi inexistantes sur le marché français.
- Sur ce :
La publicité litigieuse montre un amoncellement de capsules trouées et déformées.
Il sera observé en premier lieu que la société Bodum soutient au long de ses écritures que la publicité litigieuse est destinée à comparer le système à piston pour faire du café à celui du système à capsules et revendique le caractère licite et non dénigrant de la publicité litigieuse, ne discutant pas que cette appréciation doive se faire au regard des articles L. 121-8 et L. 121-9 du Code de la consommation.
La publicité comparative se réfère à la notion d'identification explicite ou implicite de la concurrence visée, sans laquelle il n'y a pas de publicité comparative.
En conséquence, la société Bodum revendiquant le caractère comparatif de la publicité incriminée, puisqu'elle est destinée à comparer le système qu'elle commercialise avec celui commercialisé par la concurrence utilisant le système à capsules, il est sans incidence que Nespresso ne soit pas nommément visée dès lors qu'elle est identifiable implicitement ou explicitement.
La société Bodum ne conteste pas que l'illustration présentée comporte des capsules Nespresso et il est également indifférent que les capsules visibles de l'amoncellement ne soient pas uniquement des capsules Nespresso - étant relevé tout de même qu'elles présentent le même aspect en aluminium, colorées et de même forme que les celles commercialisées par Nespresso, au contraire de celles des autres concurrents qui diffèrent toujours au moins par un aspect (dimensions, matière, forme).
Il résulte des pièces produites - et la société Bodum n'apporte pas de contradiction précise à cet égard - que la société Nestlé a été la première à commercialiser le système des capsules individuelles pour faire du café, que le système Nespresso a acquis une notoriété mondiale grâce aux investissements publicitaires considérables qui ont été réalisés depuis une quinzaine d'années, qu'il occupe une des places commerciales de premier plan sur le marché tant en termes de résultats commerciaux que de notoriété publique par rapport à ces concurrents, que la stratégie de communication adoptée a mis systématiquement en scène les capsules Nespresso, que l'image de Nespresso notamment sur le marché français est étroitement liée à ces capsules et que la représentation visuelle de ces capsules est désormais connue et identifiée à Nespresso par le grand public.
Les exemples de réaction, d'articles de presse ou de blogs, à la suite de la diffusion de la publicité suffisent à en témoigner.
Dans la publicité litigieuse laquelle se rapporte sans équivoque à l'univers du café dès lors qu'elle est présentée associée à la cafetière Bodum, compte tenu de la notoriété du système Nespresso, le consommateur ne pouvait manquer d'identifier l'amoncellement des capsules à celles commercialisées par les sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France.
On ne peut enfin que relever que la publicité comparative ne touche sa cible que si le concurrent visé est au moins implicitement identifiable pour le consommateur et qu'il n'est pas sérieusement soutenable par la société Bodum qui a investi dans une telle campagne de publicité comparative destinée à mettre en valeur selon elle sa manière de faire du café, préférable à celle utilisant des capsules, qu'elle n'ait pas ainsi désigné au consommateur visé, au moins implicitement Nespresso, le concurrent de premier plan sur ce marché des capsules, objectif précisément obtenu par le visuel recourant aux capsules du concurrent Nespresso.
C'est donc en vain que la société Bodum prétend que les intimées ne seraient pas identifiables par la publicité litigieuse.
2. Sur sa licéité
A l'appui de l'infirmation du jugement sollicitée, Bodum France, après avoir rappelé les diverses procédures l'ayant opposé au groupe Nestlé en Suisse, Belgique et en Allemagne, fait valoir en substance :
- à titre liminaire, que l'harmonisation des conditions de licéité de la publicité comparative dans les différents Etats membres de l'Union européenne implique que cette licéité soit appréciée uniquement à la lumière des critères établis par le législateur communautaire et que la jurisprudence constante de la Cour de justice rappelle que les conditions de publicité comparative doivent être interprétées dans le sens le plus favorable à celle-ci ;
- que la publicité incriminée comporte un message de sensibilisation des consommateurs à l'environnement et à l'enjeu écologique lié à la diminution des déchets et que le Code sur les pratiques de publicité et de communication commerciale édicté par la Chambre de Commerce Internationale (CCI) prévoit qu'une publicité peut comporter une allégation environnementale comparative et la faculté pour un annonceur de formuler une allégation environnementale relative à la gestion des déchets ;
- que la publicité incriminée compare des biens ou services répondant au même besoin ou ayant le même objectif, que l'argumentation des intimées sur ce point n'est pas pertinente, qu'il suffit qu'il existe un certain degré de substitution entre les produits, que la publicité litigieuse compare bien deux systèmes différents pour faire du café, répondant ainsi aux mêmes besoins ;
- que Bodum compare objectivement une caractéristique essentielle, pertinente, vérifiable et représentative, qu'elle compare la méthode où l'une laisse des emballages vides et l'autre pas, que la circonstance que les cafetières à piston Bodum ne génèrent pas de déchets, à l'exception du marc, est un fait objectif et s'analyse en une caractéristique pertinente, essentielle de ce système de cafetières, facilement vérifiable, que le critère de produire ou non des déchets est bien une caractéristique représentative, permettant de distinguer une différence utile.
Elle conclut en ajoutant que le slogan "make taste not waste" ne comporte aucune appréciation quant au goût du café Nespresso et que la comparaison ne va pas plus loin que le constat de la production de déchets dans un cas (système Nespresso) et leur absence dans l'autre ; que cette comparaison ne porte aucun jugement de valeur.
Les sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France font valoir essentiellement en réponse :
- que la comparaison à laquelle s'est livrée l'appelante est dépourvue de toute objectivité et ne porte pas sur les produits substituables,
- que la référence faite au goût dans la publicité litigieuse la prive de toute objectivité, que le parti pris est de jouer sur le registre du goût et de l'arôme du café et pas seulement de l'environnement, qu'avec son slogan et le visuel de la publicité, Bodum ne s'est pas limitée à une référence à l'impact environnemental des systèmes comparés mais a voulu également se situer sur le terrain du goût en suggérant que son système de "French press" permettrait d'obtenir un café au moins aussi bon que celui de Nespresso, ce qui est totalement subjectif, que si Bodum avait voulu se contenter du critère environnemental, elle se serait contentée d'un slogan "make not waste" et n'aurait nullement eu besoin de se référer au "goût" ("taste") ;
- que le visuel suggère pour l'un des produits comparés (Nespresso) que la qualité essentielle est la production de déchets, alors que pour l'autre (Bodum), c'est la qualité du café obtenu, que les produits Nespresso ne sont pas présentés de façon objective mais cabossés, que si Bodum avait voulu comparer la production respective de déchets par les systèmes de cafés, elle aurait mis en parallèle des capsules (non écrasées) avec le café moulu
- que la publicité litigieuse ne compare pas des méthodes de faire du café mais une machine d'un côté et des consommables de l'autre,
- qu'à supposer que Bodum compare deux systèmes de café différents, les dissemblances entre les systèmes privent également la publicité de toute objectivité, que les produits n'ont toujours rien en commun par leur technicité, par leur prix, par la qualité du café, par le résultat obtenu, qu'ils ne répondent pas aux mêmes besoins et objectifs.
- Sur ce :
Aux termes de l'article L. 121-8 du Code de la consommation, toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n'est licite que si :
1° elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur ;
2° elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif ;
3° elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie.
Ce texte de droit interne émane de la transposition de la législation européenne.
La publicité litigieuse qui figurait sur un panneau sur le stand de la société Bodum lors du salon professionnel de Francfort en février 2009 présentait un amoncellement de capsules percées et déformées surmonté du slogan "make taste, not waste". Lors de ce salon, la société Bodum proposait son catalogue international pour l'année 2009, présentant sur une double page d'un côté, le visuel utilisé sur le stand, associé au slogan "make taste not waste" et de l'autre, une cafetière Bodum surmontée du slogan "clearly the best way to brew coffee" et d'une main tenant le piston.
Cette publicité est reproduite ci-dessous.
Elle a été distribuée en France, diffusée en ligne sur le site Internet www.bodum.fr et été reprise sur divers autres supports publicitaires, dans des magazines et différents lieux de vente, ainsi que l'ont fait constater les sociétés intimées.
La traduction en langue française de ces slogans proposée et admise par les parties dans leurs écritures est pour le premier "Faites du goût, pas des déchets" pour le second "assurément la meilleure façon de faire du café". Les parties communiquent des magazines français, le "Elle" de novembre 2009, et le "Elle Décoration" de décembre 2009 qui ont publié la publicité litigieuse dans lesquels la traduction française, figurant obligatoirement sous un slogan rédigé en langue étrangère, de "make taste not waste" était "oui au goût, non aux déchets".
La publicité comparative doit mettre en évidence de manière objective les avantages et inconvénients des différents produits comparés et ce dans l'intérêt du consommateur. Il est donc exclu qu'elle porte sur des caractéristiques du produit qui relèvent de l'appréciation personnelle, comme le goût, l'odeur, l'esthétisme, invérifiables par le consommateur.
Or, le slogan "make taste not waste", en français "Faites du goût, pas des déchets" ou "oui au goût, non aux déchets", introduit expressément la référence au goût dans la publicité litigieuse.
Même en admettant comme le soutient la société Bodum que la comparaison porte sur des systèmes ou des méthodes pour faire du café, la publicité litigieuse présente dans les termes de la comparaison, d'un côté, la production de déchets "waste", de l'autre le goût "taste".
Si la publicité se bornait à opérer une comparaison entre deux méthodes dont l'une laisse des emballages et l'autre pas, il n'y aurait aucune raison de faire figurer dans le slogan, le terme "taste". La société Bodum ne peut donc prétendre que la comparaison porte exclusivement sur la production de déchets entre les deux systèmes en cause.
La production des déchets étant située du côté des capsules, le goût est, en regard, nécessairement l'avantage comparatif énoncé pour l'autre produit, à savoir la cafetière Bodum.
Or, le goût n'est pas un élément de comparaison objectif et vérifiable.
Sans émettre, explicitement, d'appréciation quant aux qualités gustatives du café Nespresso, en réservant à sa seule cafetière à piston dans son slogan, le terme goût "taste" alors qu'elle situe le système des cafetières à capsules dans le seul registre péjoratif de la production des déchets "waste", la société Bodum opère implicitement en sa faveur une comparaison du goût des cafés et pas uniquement des systèmes pour faire du café, suggérant que le café obtenu avec une cafetière à piston a meilleur goût que celui des cafetières qui ne font que produire des déchets.
Dès lors que la page de gauche met en exergue dans la comparaison effectuée entre les deux modes de fabrication du café, l'avantage du goût pour la cafetière à piston, alors la précision apportée ensuite "clearly the best way to brew coffee" (assurément la meilleure façon de faire du café) ne fait que valoriser cet avantage subjectif.
Le visuel utilisé vient conforter l'impression laissée au consommateur par le texte.
La publicité litigieuse fait apparaître d'un côté, un tas de capsules, percées, cabossées, pliées et de l'autre côté, une cafetière Bodum pleine, dans un style moderne et épuré.
Ce visuel ne représente pas des capsules telles qu'elles ressortent effectivement de la machine après usage mais soumises à un traitement de détérioration volontaire, réduites à l'état de détritus.
Même si l'on retient l'argument de la société Bodum selon lequel il s'agirait de comparer deux méthodes pour faire du café, l'une générant des déchets, l'autre pas, le visuel choisi ne correspond pas à la représentation d'un assortiment de différentes capsules de café après usage comme le soutient l'appelante.
L'amoncellement de capsules percées, cabossées, volontairement dégradées, qui ressemble à des détritus, image donc associée à l'idée de ce qui est inutilisable et se jette, sans représentation du café obtenu avec une cafetière à capsules, ne peut que convaincre le consommateur comme les slogans, que le meilleur café est celui, prêt à être servi - avec la main au-dessus de la cafetière - qui se trouve dans la cafetière à piston.
La circonstance qu'une publicité puisse comporter une allégation environnementale comparative et qu'un annonceur puisse formuler une allégation environnementale relative à la gestion des déchets comme la volonté alléguée de la société Bodum de mettre en évidence un message de sensibilisation des consommateurs à l'environnement et à l'enjeu écologique lié à la diminution des déchets ne fait pas échapper la publicité litigieuse à l'obligation d'être objective dans la comparaison présentée.
Or, la publicité litigieuse ne repose pas sur une comparaison objective portant sur une caractéristique essentielle et vérifiable de la manière de faire du café, d'un côté les cafetières à capsules qui généreraient des déchets et de l'autre, des cafetières à piston qui n'en produiraient pas, puisqu'elle compare des éléments non comparables, d'un côté pour le concurrent de la société Bodum, la production de déchets et l'atteinte environnementale sous-entendue, pour l'appelante le goût du café produit.
La publicité comparative en cause n'est donc pas licite au regard de l'article L. 121-8 du Code de la consommation. Le jugement a dit dans ses motifs que la publicité était illicite mais ne l'a pas dit dans son dispositif. Le présent arrêt ajoutera au jugement sur ce point.
3. Sur le caractère dénigrant de la publicité
La société Bodum qui conteste le caractère dénigrant de la publicité litigieuse au sens de l'article L. 121-9 du Code de la consommation fait valoir en substance que :
- que tant l'image que le slogan incriminés ne constituent pas "une information malveillante ou péjorative", qu'ils ne peuvent donc ainsi être considérés comme dénigrants, que le code graphique de la publicité n'est pas dévalorisant dans la mesure où il se relie à une forme d'expression de l'art contemporain née à la fin des années 60 avec le Pop Art et les Nouveaux Réalistes, que l'illustration montre des capsules déformées mais propres dans un arrangement pyramidal sobre et esthétique qui respecte l'esprit général épuré du catalogue Bodum ; que l'illustration incriminée reflète donc parfaitement les préoccupations environnementales de Bodum ;
- que le message de la publicité n'est pas dénigrant mais inspiré par les préoccupations environnementales de Bodum, que le Code sur les pratiques de publicité et de communication commerciale édicté par la Chambre de Commerce Internationale prévoit le fait qu'une publicité peut comporter une allégation environnementale comparative, qu'il s'agit, de plus, d'un thème d'intérêt général de préservation de l'environnement, qu'il n'a donc pas été choisi volontairement pour nuire ; que Bodum n'a fait que mettre en évidence dans la publicité incriminée l'atout de ses cafetières à piston au regard du respect de l'environnement ;
- que le slogan "make taste not waste", composé de termes mesurés, ne saurait être considéré comme dénigrant à l'égard des sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France car il ne critique en aucune manière les intimées ou leurs produits mais alerte les consommateurs sur l'importance de la préservation de l'environnement, qu'il s'appuie sur des faits qui ne sont pas contestables ;
- que le slogan "Make taste, not waste" étant rédigé en langue anglaise, une grande partie du public français n'était même pas en mesure de comprendre sa signification, qu'il est constant que les tribunaux français prennent en considération les compétences linguistiques du public visé pour motiver leur décision, qu'un slogan rédigé en langue étrangère qui n'a pour la grande majorité du public français aucune signification particulière, ne peut pas être qualifié de "dénigrant" au sens du Code de la consommation, quelle que soit sa signification réelle puisque celle-ci n'est pas perçue.
Les sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France répondent que la publicité est dénigrante au sens de l'article L. 121-9 du Code de la consommation et :
- que Bodum a donné une image dévalorisante des sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France, que l'assimilation des capsules Nespresso à un tas de détritus dans le visuel de Bodum rend celui-ci particulièrement dénigrant, que la présentation des capsules Nespresso n'a rien d'esthétique ni même d'artistique mais n'a qu'une finalité commerciale ;
- que les références environnementales cachent un plan de communication ; que c'est une chose que de dire que ses produits préservent l'environnement mais c'en est une tout autre de dire que ceux des concurrents sont polluants et néfastes pour l'environnement et d'illustrer cette assertion par un visuel dépréciatif, que Bodum a franchi la limite entre information objective et dénigrement ;
- que le slogan publicitaire est lui-même dénigrant car il est clairement suggéré que l'utilisation de capsules pour faire du café, caractéristique du système Nespresso, serait néfaste pour l'environnement en ce qu'elle générerait énormément de déchets, que d'autres passages du catalogue Bodum relayent également ce message dénigrant à l'égard des capsules Nespresso, que la revendication de supériorité de Bodum à travers la mention "La meilleure façon du café" est elle aussi dénigrante ;
- bien que le slogan soit rédigé en anglais, il reste suffisamment parlant et compréhensible pour les consommateurs.
- Sur ce :
Il résulte de l'article L. 121-9 du Code de la consommation que la publicité comparative ne peut entraîner le discrédit ou le dénigrement des marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens, services, activité ou situation d'un concurrent.
La publicité comparative a pour objet de démontrer la primauté des produits de l'annonceur par rapport à ceux de son concurrent ; elle autorise donc l'annonceur à mettre en avant les qualités de son produit par rapport à celles du produit de ses concurrents, ce qui en effet peut justifier de mettre en lumière positivement, ou négativement, les défauts, inconvénients ou manques.
Elle ne doit cependant pas conduire à jeter le discrédit sur les produits du concurrent, par exemple en leur donnant une image exclusivement et excessivement dépréciée par rapport à ceux de l'annonceur qui ne permette pas au consommateur de se faire une opinion objective sur les avantages et inconvénients des produits comparés et qui aboutit en réalité à fausser la concurrence.
En l'espèce, la publicité litigieuse présente une vision uniquement négative et dévalorisante des produits Nespresso, sous la forme d'un amoncellement de capsules écrasées, percées, tordues, comme il l'a déjà été dit non pas telles qu'elles ressortent effectivement d'une cafetière après usage mais soumises à un traitement de détérioration volontaire, s'apparentant à un tas de détritus suscitant chez le consommateur une réaction de dégoût, associées dans le slogan au terme de déchets "waste", et en vis-à-vis, une cafetière Bodum associée au contraire dans le slogan au terme de goût "taste" et surmontée de "clearly the best way to brew coffee" (assurément la meilleure façon de faire du café).
Cette publicité qui met exclusivement en exergue dans la comparaison des produits, une caractéristique négative du système Nespresso en le réduisant à la seule image de fabrication des déchets, en conséquence dans des conditions de nature à jeter le discrédit sur les sociétés intimées, est donc dénigrante, excluant pour les consommateurs visés par la publicité, toute possibilité de se faire une opinion objective sur les avantages et inconvénients des deux systèmes opposés.
L'argument de la société Bodum selon lequel le code graphique ne serait pas dévalorisant dans la mesure où il se relie à une forme d'expression de l'art contemporain dans lequel des artistes ont déformé et/ou compressé des objets de la vie quotidienne n'est pas pertinent car la publicité en cause de nature commerciale ne suggère à aucun moment au consommateur qu'elle se rattacherait à l'univers de l'art contemporain et qu'elle aurait pour finalité de porter un regard critique sur la société de consommation.
Rien ne vient dans cette publicité donner l'idée au consommateur d'associer la représentation des capsules au code graphique artistique allégué. L'objectif poursuivi n'est à l'évidence pas de mettre en scène, voire en valeur, les capsules Nespresso de manière artistique.
Par ailleurs, il est sans intérêt pour apprécier le caractère dénigrant de ladite publicité de déterminer si l'allégation environnementale de la société Bodum, peu important qu'elle soit guidée ou non par la défense de l'intérêt général, est exacte et l'autorise à mettre en avant les avantages de sa cafetière à piston par rapport à la concurrence du système à capsules.
Enfin, le visuel est suffisamment explicite quant à la dévalorisation des capsules pour que même le consommateur français ne maîtrisant pas l'anglais puisse percevoir le caractère dénigrant du message.
En outre, la publicité a été accompagnée dans les publications françaises de la traduction "oui au goût, non aux déchets". Le même visuel représentant les mêmes capsules écrasées a été également associé au slogan français "tout l'arôme du café, sans polluer" sur le stand Bodum au BHV.
La société Bodum ne peut donc opposer le fait que le consommateur français n'aurait pas pu appréhender le sens de la publicité dénigrante.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a dit la publicité dénigrante.
Sur les demandes des intimées
La société Bodum fait valoir que la somme demandée par les sociétés Nespresso France et Nestlé Nespresso à titre de dommages-intérêts ne correspond à aucune justification et que le préjudice allégué par elles est inexistant. Elle soutient que la mesure complémentaire ordonnée par le tribunal est devenue sans objet et demande que la cour réforme le jugement sur ce point, qu'elle le confirme sur le rejet de la demande de publication.
Les sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France demandent à la cour d'ordonner sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard la publication de la décision à intervenir en page d'accueil du site Internet de la société Bodum France et de porter à 125 000 pour chacune d'elles les dommages-intérêts alloués, en faisant valoir que la campagne litigieuse de Bodum a non seulement été diffusée dans les magasins et espaces de vente de l'appelante mais aussi sur son site Internet, que le catalogue était en libre accès et téléchargeable sur le site de l'appelante, site dont elle ne communique pas davantage le trafic, que le préjudice est encore aggravé par le fait, que la campagne litigieuse s'est poursuivie après que le tribunal a rendu son jugement, qu'aujourd'hui encore, plusieurs milliers de page Internet reproduisent celle-ci.
- Sur ce :
Les sociétés intimées ne produisent aucune pièce justifiant d'un préjudice économique découlant de la publicité litigieuse, démontrant la perte consécutive de parts de marché.
Il est établi que la publicité en cause a effectivement été diffusée dans les magasins et espaces de vente de la société Bodum ainsi que sur son site Internet. La preuve est également apportée que cette diffusion s'est poursuivie après la délivrance de l'assignation ainsi qu'après le jugement de première instance, malgré ses dispositions en faisant interdiction sous astreinte.
Par son caractère illicite et dénigrant, cette publicité diffusée en France dans plusieurs médias et librement accessible sur le site Internet de la société Bodum, qui a connu un certain retentissement comme le prouvent les commentaires versés aux débats par les intimées, a porté atteinte à l'image des sociétés intimées.
Le tribunal a donc à bon droit accordé des dommages-intérêts aux intimées pour réparer le préjudice subi et ces dommages-intérêts seront portés par la cour à la somme de 35 000 euros pour chacune, tenant compte ainsi de l'aggravation de ce préjudice postérieurement au premier jugement à raison de la poursuite de la diffusion de la publicité en cause.
La société Bodum n'apporte pas la preuve de ce qu'elle a procédé au retrait ordonné de la publicité passé le délai de 30 jours de la signification du jugement imparti par le premier juge. Le jugement sera donc confirmé en ces dispositions relatives à la condamnation sous astreinte.
Le préjudice subi par les sociétés intimées est suffisamment réparé par les condamnations prononcées et les circonstances de l'espèce ne justifient pas d'ordonner une publication.
Le bien-fondé même partiel de l'action des sociétés intimées exclut de faire droit à la demande de la société Bodum de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
Les dépens seront à la charge de la société Bodum qui succombe en son appel.
L'équité commande de la condamner à payer à chacune des sociétés intimées une indemnité de 20 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Infirme le jugement du 9 novembre 2009 seulement sur le montant des dommages-intérêts accordés. Statuant à nouveau de ce chef et ajoutant au jugement, Dit que la publicité comparative en cause est illicite au regard de l'article L. 121-8 du Code de la consommation. Condamne la société Bodum France à payer à chacune des sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France la somme de 35 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi. Déboute les sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France de leur demande de publication. Confirme le jugement pour le surplus. Condamne la société Bodum France aux dépens qui seront recouvrés par les avocats de la cause conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. La condamne à payer à chacune des sociétés Nestlé Nespresso et Nespresso France une indemnité de 20 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. La déboute de sa demande au même titre.