CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 12 septembre 2013, n° 11-08237
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
La Cuverie Occitane (SARL)
Défendeur :
Simop (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mmes Pomonti, Michel-Amsellem
Avocats :
Mes Fisselier, Brun, Grappotte-Benetreau, Bouvier-Ravon
FAITS ET PROCEDURE
La société Simop qui a pour activité le développement et la fabrication de systèmes pour l'assainissement des eaux usées, commercialise, depuis plusieurs années, un filtre compact individuel d'assainissement des eaux usées, dénommé "Zeomop"). Ce dispositif est constitué de deux cuves de couleur verte, dont les capots sont munis chacun d'un "trou d'homme" de 40 cm de diamètre, fermé par un couvercle noir. Le dispositif comporte une ventilation primaire et une autre secondaire.
Ayant appris que la société La Cuverie Occitane commercialisait un dispositif d'assainissement individuel présentant des caractéristiques similaires au sien et qu'elle distribuait des brochures publicitaires ressemblant à la sienne la société Simop a, par acte du 11 janvier 2010, fait assigner la société La Cuverie Occitane, devant le Tribunal de commerce de Paris, en réparation pour concurrence déloyale.
Par jugement du 8 mars 2011, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a :
- dit que la société La Cuverie Occitane (COC Environnement) a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Simop ;
- condamné la société La Cuverie Occitane (COC Environnement) à payer à la société Simop la somme de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
- condamné la société La Cuverie Occitane (COC Environnement) à payer à la société Simop la somme de 7 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Vu l'appel interjeté le 2 mai 2011 par la société La Cuverie occitane,
Vu les dernières conclusions signifiées le 27 juillet 2011 par la société La Cuverie Occitane, qui demande à la Cour de :
A titre principal :
- infirmer, en toutes ses dispositions, le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Paris, le 8 mars 2011 ;
- constater l'absence d'agissements déloyaux de la société La Cuverie Occitane à l'encontre de la société Simop ;
- débouter la société Simop de toutes ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la société La Cuverie Occitane ;
- condamner la société Simop à verser à la société La Cuverie Occitane la somme de 4 000 euros pour procédure abusive ;
- condamner la société Simop au paiement de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
A titre subsidiaire :
- rappeler que l'action en concurrence déloyale requiert la preuve de l'existence d'un préjudice ;
- constater que la société Simop n'apporte aucun élément démontrant qu'elle aurait subi un préjudice ;
- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Paris le 8 mars 2011 ;
- rejeter la demande de dommages et intérêts présentée par la société Simop ;
- débouter la société Simop de toutes ses demandes, fins et conclusions complémentaires dirigées à l'encontre de la société La Cuverie Occitane ;
- condamner la société Simop à verser à la société La Cuverie Occitane la somme de 4 000 euros pour procédure abusive ;
- condamner la société Simop au paiement de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société La Cuverie Occitane soutient, à titre principal, n'avoir commis aucun acte de concurrence déloyale. Elle précise à cet égard que la similitude entre les dispositifs d'assainissement se justifie par le respect des prescriptions légales techniques et que les similitudes que l'on peut relever entre les deux systèmes ne sont pas susceptibles d'entraîner une confusion dans l'esprit du public. Elle ajoute que, de la même façon, les ressemblances des documentations commerciales s'expliquent par le fait qu'elles servent à la promotion de produits semblables, mais ne sont pas, non plus, de nature à provoquer une confusion, ses clients étant des professionnels.
A titre subsidiaire, la société La Cuverie Occitane fait valoir que la société Simop ne démontre pas avoir subi un quelconque préjudice.
Vu les dernières conclusions signifiées le 27 septembre 2011 par la société Simop qui demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que la société La Cuverie Occitane s'est rendue coupable d'agissements constitutifs de concurrence déloyale et parasitaire au préjudice de la société Simop ;
- interdire à la société La Cuverie Occitane de poursuivre la détention et/ou la commercialisation de dispositifs d'assainissement constituant une copie des dispositifs Zeomop de la société Simop, et ce sous astreinte définitive de 50 000 euros par infraction constatée et par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;
- interdire à la société La Cuverie Occitane de poursuivre la détention et/ou la diffusion du catalogue reproduisant les figures et dessins constituant une copie de ceux de la société Simop, et ce sous astreinte définitive de 1 000 euros par infraction constatée et par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société La Cuverie Occitane à verser à la société Simop la somme de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- autoriser la société Simop à faire procéder à la publication de l'arrêt à intervenir dans trois journaux ou revues de son choix, aux frais de la société La Cuverie Occitane, le coût global des publications ne pouvant excéder la somme de 20 000 euros HT ;
- dire que la société La Cuverie Occitane devra reproduire, à ses frais, sur la page d'accueil de son site Internet "www.eog-technology.com" l'intégralité du dispositif de l'arrêt à intervenir, pendant un délai de 6 mois, à compter du délai d'un mois suivant la signification du jugement à intervenir, et ce sous astreinte définitive de 1 000 euros par jour de retard et 1 000 euros par infraction constatée ;
- condamner la société La Cuverie Occitane à verser à la société Simop la somme complémentaire de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Simop fait valoir que les similitudes portent sur la forme et les couleurs des dispositifs d'assainissement des eaux, sans que ces ressemblances soient justifiées par la nécessité de respecter les prescriptions techniques. À ces similitudes s'ajoutent celles des documentations publicitaires et celles des noms de produits. Cet ensemble de caractéristiques reprises de manière simultanée met en évidence, selon elle, des actes de concurrence déloyale.
L'intimée ajoute que les éléments invoqués par la société La Cuverie Occitane sont inopérants pour écarter le risque de confusion.
Enfin, elle rappelle qu'un préjudice s'infère nécessairement des actes de concurrence déloyale et que le sien a parfaitement été établi par les premiers juges.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Sur l'existence d'actes de concurrence déloyale
Les pièces produites par les deux parties permettent de constater que le dispositif d'assainissement commercialisé par la société La Cuverie Occitane se compose, comme celui de la société Simop, de deux cuves de couleur verte et de forme rectangulaire en gradin inversé, recouvertes, chacune, d'un capot légèrement bombé muni d'un "trou d'homme" fermé par un couvercle de couleur noire de 40 cm de diamètre et comportant une ventilation primaire et secondaire.
Ces similitudes d'apparence, que ne conteste pas la société La Cuverie Occitane, ne sont, contrairement à ce qu'elle soutient, pas commandées par les prescriptions techniques. En effet, d'une part, l'arrêté du 24 décembre 2003, invoqué par elle, n'impose nullement que le dispositif se compose de deux cuves rectangulaires et qu'elles soient posées l'une à côté de l'autre en parallèle, d'autre part, les documents techniques et publicitaires produits par la société La Cuverie Occitane permettent de constater qu'elle est la seule à avoir reproduit, de façon quasi identique, le dispositif de la société Simop. Ainsi, le filtre de la société Eparco, comprend deux cuves placées l'une derrière l'autre, tandis que ceux commercialisés par les sociétés Vasee ou Ouest Environnement, se composent d'une seule cuve qui n'apparaissent pas fermées par un capot, ou, encore, le dispositif de la société Frans Bonhomme comprend deux cuves de couleur grise, dont l'une est surmontée d'un "trou d'homme" recouvert d'un couvercle vert, celui de la société Tec'Bio est de couleur bleue. Contrairement, encore, à ce que soutient la société La Cuverie Occitane, tous les systèmes n'utilisent pas des cuves de forme rectangulaire, puisque celui de la société Frans Bonhomme est de forme tubulaire ou celui de la société Sotralentz, de couleur noire est certes, rectangulaire, mais aux angles arrondis.
Ces multiples modèles montrent qu'indépendamment du dispositif technique retenu, les constructeurs ont créé et offert à la vente des modèles bien distincts de cuves. Il importe peu, dans ces conditions, que les cuves de ce genre d'installations soient généralement, quoique non exclusivement, ainsi qu'il a été relevé précédemment, de couleur verte.
Par ailleurs, si l'ensemble des dispositifs comportent un "trou d'homme" permettant un accès pour la maintenance régulière, tous ne sont pas circulaires (le système de la société Frans Bonhomme est carré), ou protégés par un couvercle noir (ceux des dispositifs des sociétés Frans Bonhomme, Eparco et Sotralentz sont verts).
Il convient au surplus de relever que sur de nombreux modèles concurrents les systèmes d'aération se trouvent sur la cuve elle-même et non sur le toit de l'habitation, comme pour les deux modèles objets du litige.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la société La Cuverie Occitane commercialise un dispositif d'épuration des eaux usées qui reprend un ensemble de caractéristiques de celui de la société Simop. Cette accumulation de ressemblances est telle que les deux systèmes sont particulièrement faciles à confondre, sans que les différences de détail que met en évidence la société appelante, quant au couvercle qui peut être retiré de ses cuves, le nombre de pieds, les dimensions qui varient de quelques centimètres, les différences de positionnements des entrées et sorties d'effluents, la présentation monobloc ou posée sur un châssis, ou encore le positionnement latéral ou parallèle des cheminées d'aération, permettent d'en différencier l'origine.
L'ensemble de ces ressemblances est renforcé par la documentation publicitaire des dispositifs des deux sociétés tels que les a décrits le tribunal et représentant une maison en coupe, ainsi que les installations souterraines à découvert. Sur ce point, il convient de relever que la nature des produits et les nécessités techniques ne justifient nullement de présenter les installations de cette façon identique au regard de laquelle les différences d'apparence relevées par la société La Cuverie Occitane sont, là encore, inopérantes pour permettre à un consommateur individuel, ou même à un professionnel, de les distinguer.
Ainsi, le dispositif offert par la société La Cuverie Occitane présente les similitudes de conception et de présentation telles qu'elles sont de nature à induire une confusion dans l'esprit des installateurs de ce type de dispositifs. Ceux-ci, quand bien même seraient-ils professionnels, ne peuvent qu'être conduits à considérer que l'offre de la société La Cuverie Occitane est identique, ou d'origine identique, à celle de la société Simop. En agissant de la sorte, la société La Cuverie Occitane s'est placée dans le sillage de la société Simop pour recueillir, sans rien débourser, les fruits de ses recherches et investissements, et c'est à juste titre que le tribunal a jugé que ce comportement était constitutif de concurrence déloyale.
Sur le préjudice
Ainsi que le rappelle la société Simop le préjudice s'infère nécessairement des actes déloyaux constatés.
Ses demandes relatives à la cessation des actes précédemment relevés doivent donc être accueillies. Il sera en conséquence, fait interdiction à la société La Cuverie Occitane, d'une part, de commercialiser les dispositifs d'assainissements constituant une copie du dispositif dénommé Zeomop, sous astreinte de 30 000 euros par infraction constatée, d'autre part, de poursuivre la diffusion du catalogue reproduisant les figures et dessins constituant une copie de ceux de la société Simop, sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée et par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt. La société Simop sera aussi autorisée à faire procéder à la publication de l'arrêt, ainsi qu'il sera précisé au dispositif. Ces mesures permettant chacune d'assurer le non renouvellement de la pratique de concurrence déloyale apparaissent suffisantes à assurer l'information des consommateurs et il serait inutile et excessif d'astreindre la société La Cuverie Occitane a publier le présent arrêt sur son site Internet.
Par ailleurs, comme l'a relevé le tribunal, la société Simop n'a apporté, ni en première instance, ni devant la Cour, aucun élément ou fait valoir aucun argument permettant de fixer l'étendue du préjudice qu'elle a subi du fait des pratiques de la société La Cuverie Occitane. Sa demande sur ce point ne peut donc qu'être rejetée et le jugement réformé, puisque la cour ne peut exercer aucun contrôle de l'exacte mesure de la réparation prononcée par rapport à l'étendue du préjudice.
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive
Le jugement étant confirmé sur l'existence de la concurrence déloyale, la société La Cuverie Occitane ne saurait prétendre que la procédure engagée par la société Simop était abusive et revendiquer le paiement de dommages-intérêts. Sa demande de dommages-intérêts doit donc être rejetée.
Sur les frais irrépétibles
Au regard de l'ensemble de ce qui précède, il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Simop la totalité des frais irrépétibles engagés pour faire valoir ses droits et la société La Cuverie Occitane sera condamnée à lui verser la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Reforme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société La Cuverie Occitane à payer à la société Simop la somme de 80 000 euros à titre de dommages-intérêts ; Statuant à nouveau, Fait interdiction à la société La Cuverie Occitane de poursuivre la commercialisation de dispositifs d'assainissement constituant une copie des dispositifs Zeomop de la société Simop, et ce sous astreinte définitive de 1 000 euros par infraction constatée et par jour de retard à compter de la signification du présent arrêt ; Fait interdiction à la société La Cuverie Occitane de poursuivre la diffusion du catalogue reproduisant les figures et dessins constituant une copie de ceux de la société Simop, et ce sous astreinte définitive de 1 000 euros par infraction constatée et par jour de retard à compter de la signification du présent arrêt ; Autorise la société Simop à faire procéder à la publication de l'arrêt à intervenir dans deux journaux ou revues de son choix, aux frais de la société La Cuverie Occitane, le coût global des publications ne pouvant excéder la somme de 20 000 euros HT ; Rejette la demande de dommages-intérêts de la société Simop, faute pour elle d'en avoir produit les éléments permettant de quantifier son préjudice ; Rejette la demande de dommages-intérêts de la société La Cuverie Occitane pour procédure abusive ; Condamne la société La Cuverie Occitane à payer à la société Simop la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes les autres demandes plus amples ou contraires de parties ; Condamne la société La Cuverie Occitane aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.