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Décisions

CA Metz, ch. com., 19 septembre 2013, n° 09-03538

METZ

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Nord Est Distribution (SA)

Défendeur :

Thirion, Etablissements Paul Kihl (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Soulard

Conseillers :

Mme Knaff, M. Silhol

Avocats :

Mes Bettenfeld, Biver-Pate, Zachayus

TGI Sarreguemines, du 19 mai 2009

19 mai 2009

Selon contrat du 17 octobre 2002, M. René Thirion s'est engagé à se fournir exclusivement auprès de la SA Nord Est Distribution en bières et autres boissons pour une durée de cinq ans.

Selon contrat du même jour, la SA Nord Est Distribution lui a consenti un prêt d'un montant en capital de 3 050 €, assorti d'un taux d'intérêt de 7 % l'an et remboursable sur une durée de 36 mois à raison d'échéances mensuelles de 94,18 €.

Se plaignant de ce qu'elle avait pu constater dès le 25 septembre 2003 que le défendeur s'approvisionnait auprès d'un autre fournisseur, à savoir la SA Etablissements Paul Kihl, la SA Nord Est Distribution a fait citer M. Thirion puis a appelé en intervention forcée la SA Etablissements Paul Kihl devant le Tribunal de grande instance de Sarreguemines aux fins de les voir condamner in solidum au paiement des sommes suivantes :

- 27 819,81 €, correspondant au montant de la clause pénale prévue à l'article 7 du contrat d'exclusivité passé avec M. Thirion le 17 octobre 2002 ;

- donner acte à M. Thirion de ce qu'il lui a restitué le matériel qu'elle revendiquait, soit une tireuse, six tables et vingt-quatre chaises ;

- 2 000 € au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Par jugement du 19 mai 2009, le Tribunal de grande instance de Sarreguemines a :

Sur l'action principale,

- condamné M. René Thirion à payer à la SA Nord Est Distribution la somme de 1 000 € au titre de la clause pénale ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile au bénéfice de la société Nord Est Distribution ;

- condamné M. Thirion aux dépens de l'action principale ;

Sur l'appel en intervention forcée,

- débouté la SA Nord Est Distribution de son appel en intervention forcée ;

- condamné la SA Nord Est Distribution à payer à la SA Etablissements Paul Kihl la somme de 1500 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la SA Nord Est Distribution aux dépens de l'appel en intervention forcée.

Par déclaration du 15 octobre 2009, la SA Nord Est Distribution a interjeté appel de ce jugement, intimant tant M. Thirion que la SA Etablissements Paul Kihl.

Par conclusions récapitulatives du 17 septembre 2012, elle demande à la cour de :

- dire son appel recevable et bien fondé ;

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau ;

- condamner in solidum M. Thirion et la SA Etablissements Paul Kihl à lui payer la somme de 27 819,81 €, subsidiairement la somme de 13 909,90 €, au titre de la clause pénale prévue à l'article 7 du contrat d'achat exclusif de boissons ;

- les condamner in solidum aux entiers dépens d'appel et de première instance, y compris ceux de la procédure sur requête et les frais d'huissier en exécution de cette ordonnance sur requête, ainsi qu'au paiement d'une somme de 4 000 € au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Par écritures récapitulatives du 24 janvier 2011, M. Thirion conclut au rejet de l'appel et à la condamnation de l'appelante à lui verser la somme de 2 000 € à titre de dommages et intérêts, outre une même somme sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, enfin aux entiers dépens d'instance et d'appel.

Par écritures récapitulatives du 30 janvier 2013, la SA Etablissements Paul Kihl demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, et de condamner la SA Nord Est Distribution aux entiers dépens d'appel ainsi qu'à lui payer une somme de 5 000 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 16 mai 2013.

MOTIFS DE LA DECISION

Vu les conclusions récapitulatives déposées pour la SA Nord Est Distribution le 17 septembre 2012, celles déposées pour M. Thirion le 24 janvier 2011, celles déposées par la SA Etablissements Paul Kihl le 30 janvier 2013 et les pièces régulièrement produites aux débats ;

Sur l'appel en tant que dirigé contre M. Thirion

Sur l'existence du contrat d'achat exclusif et du contrat de prêt

En réplique M. Thirion prétend que le contrat d'achat exclusif de boissons n'était qu'un contrat pro forma destiné à être détruit dès le remboursement du prêt et que, celui-ci ayant en effet été remboursé le 26 janvier 2003 ainsi qu'il en justifie, M. Vernet, préposé de la SA Nord Est Distribution, lui avait remis aux fins de destruction le seul exemplaire dont il pensait que cette dernière disposait.

Pour conclure à l'inexistence du contrat d'achat exclusif, M. Thirion invoque les différences qui affecteraient l'original du contrat produit en première instance par rapport à la copie produite devant la cour, notamment en ce que la mention "lu et approuvé", portée de la main de M. Oswald, PDG de la SA Nord Est Distribution. Mais outre que les deux exemplaires produits à hauteur de cour sont identiques sur ce point, en tout état de cause une telle mention n'est prévue à peine de nullité par aucun texte. Au surplus les différences alléguées ne sauraient affecter l'existence même du contrat, dont rien ne permet, hormis les dires de M. Thirion, de conclure qu'il devait être détruit lors du remboursement anticipé du prêt.

Sur la nullité du contrat d'achat exclusif

Ensuite, M. Thirion prétend que le contrat d'achat exclusif serait nul à plusieurs titres, faute de précision du prix des boissons et de contrepartie suffisante, l'octroi d'un prêt d'un montant de 3 050 € constituant à son sens une contrepartie dérisoire.

En réplique la SA Nord Est Distribution oppose la prescription de l'action en nullité, formée par conclusions du 24 janvier 2011 alors que le contrat incriminé date du 17 octobre 2002, soit de plus de cinq ans auparavant.

Selon une jurisprudence constante (Civ. 1ère, 9 nov. 1999 ; 13 fév. 2007 ; 17 juin 2010 ; 4 mai 2012), si, une fois que l'action en nullité est prescrite, la nullité survit par voie d'exception, il n'en est ainsi que pour les contrats qui n'ont pas été exécutés. L'exécution, même partielle, fait obstacle à la survie de l'exception de nullité. Or si la SA Nord Est Distribution soutient que M. Thirion n'a pas exécuté le contrat d'achat exclusif à compter du mois de septembre 2003, il n'est pas contesté qu'il l'ait exécuté au moins partiellement jusqu'à cette date, de même que le prêt de 3 050 € consenti en contrepartie, et ce en toute connaissance de cause, s'agissant de la reconduction d'un contrat antérieur conclu dans des conditions similaires.

M. Thirion ne peut donc plus se prévaloir de la nullité du contrat alors qu'il l'a exécuté partiellement en toutes connaissance de cause.

Sur l'application de la clause pénale

Selon l'article 1152 du Code Civil, lorsque la convention porte que celui qui manquera de l'exécuter payera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte, ni moindre.

Néanmoins le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Toute stipulation contraire sera réputée non écrite.

Il est de jurisprudence constante que, pour apprécier le caractère excessif de la clause pénale, le juge doit se placer à la date de sa décision (Civ. 1ère, 19 mars 1980), et non pas à la date à laquelle la pénalité s'est trouvée exigible (Civ. 1ère, 10 mars 1998) encore moins à la date de la conclusion du contrat, contrairement à ce que soutient l'appelante.

Le caractère excessif de la clause pénale doit s'apprécier par rapport à l'ampleur du préjudice subi par le créancier de la clause. Or la SA Nord Est Distribution ne produit aucun élément quant au chiffre d'affaires qu'aurait pu réaliser M. Thirion jusqu'à la fin du contrat, alors qu'elle est appelante et fonde son appel sur la sous-estimation de son préjudice par les premiers juges. En sens inverse, M. Thirion précise qu'il exploitait un café très modeste (six tables) à Farebersviller et n'exploite plus son café depuis plusieurs années, ayant dû prendre sa retraite. En l'absence de plus amples éléments fournis à la cour par la SA Nord Est Distribution pour apprécier l'étendue de son préjudice, celle-ci confirme la réduction pertinente de la clause pénale opérée par les premiers juges dans la limite de la somme symbolique de 1 000 €.

Sur l'appel en tant que dirigé contre la SA Etablissements Paul Kihl

Au soutien de son appel, la SA Nord Est Distribution fait valoir que la SA

Etablissements Paul Kihl ne saurait être exonérée de toute responsabilité au motif qu'elle n'aurait pas eu connaissance de l'engagement contractuel pris préalablement par M. Thirion envers elle. Elle soutient que, bien au contraire, la SA Etablissements Paul Kihl connaissait pertinemment l'existence de ce contrat d'exclusivité préalable pour avoir été longuement en négociation avec M. Thirion, en concurrence avec elle-même.

Cependant elle ne verse aux débats aucun élément de preuve de la collusion alléguée et se borne à procéder par voie d'affirmation.

En sens inverse, la SA Etablissements Paul Kihl se prévaut à juste titre de la clause contractuelle stipulée au contrat qu'elle a signé avec M. Thirion le 6 octobre 2003, selon laquelle ce dernier "déclare n'avoir aucun engagement qui soit en contradiction avec les obligations qu'elle (il) assume par le présent contrat de livraison".

En conséquence, le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.

Sur la demande en dommages et intérêts dirigée par M. Thirion contre la SA Nord Est Distribution

Au soutien de sa demande en dommages et intérêts, M. Thirion fait valoir que la SA Nord Est Distribution a fait usage de voies d'exécution excessives, à savoir une saisie conservatoire de ses comptes pour un montant de 29 819,81 € ainsi qu'un nantissement sur le fonds de commerce, lui occasionnant le rejet de nombreux chèques.

Cependant le principe de la créance résultant de l'application de la clause pénale étant confirmé, la demande en dommages et intérêts fondée sur le caractère excessif des voies d'exécution ne peut qu'être rejetée.

Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens

L'issue du litige justifie de condamner la SA Nord Est Distribution aux dépens d'appel et, par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, au paiement d'une indemnité de 2 000 € en compensation des frais exposés par M. Thirion à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens.

En revanche au regard des circonstances de la cause, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à chacune des sociétés Nord Est Distribution et Etablissements Paul Kihl la charge des frais exposés à l'occasion de la présente procédure d'appel et non compris dans les dépens.

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Déclare mal fondé l'appel formé par la SA Nord Est Distribution ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Et y ajoutant, Déboute M. René Thirion de sa demande en dommages et intérêts ; Condamne la SA Nord Est Distribution à payer à M. René Thirion la somme de 2000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute la SA Nord Est Distribution et la SA Etablissements Paul Kihl de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SA Nord Est Distribution aux entiers dépens d'appel.