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Décisions

Cass. com., 8 octobre 2013, n° 12-22.952

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Fiat France (SA)

Défendeur :

Bourret de Bruneau de Saint-Auban, Garage Royal (SARL), Société d'exploitation du garage Royal (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Rapporteur :

Mme Tréard

Avocat général :

M. Carre-Pierrat

Avocats :

SCP Bénabent, Jéhannin, SCP Fabiani, Luc-Thaler

T. com. Paris, du 26 mars 2010

26 mars 2010

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 mai 2012), que la Société d'exploitation du garage Royal (la SEGR) et sa filiale, la société Garage Royal, dirigées par la famille de Saint-Auban, ont représenté les marques du groupe Fiat aux termes de trois contrats de concession exclusive à durée indéterminée, jusqu'à ce que la société Fiat France (la société Fiat), procède à leur résiliation en mars 2001 avec un préavis de vingt-quatre mois ; que l'établissement des comptes entre les parties ayant donné lieu à diverses critiques, la société Fiat a fait assigner la SEGR et le propriétaire de son fonds de commerce en paiement de diverses sommes ; que la SEGR et la société Garage Royal, intervenant volontaire, invoquant le caractère abusif de cette résiliation au regard, notamment, des investissements réalisés en 1998 pour la représentation de la marque Alfa Roméo et des pourparlers de cession des fonds de commerce qui étaient en cours à la date à laquelle elle est intervenue, ont formé des demandes reconventionnelles, Mme Bourret de Bruneau de Saint-Auban (Mme de Saint-Auban) sollicitant également des dommages-intérêts en sa qualité de propriétaire du fonds de commerce Fiat-Lancia exploité par la société SEGR ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Fiat fait grief à l'arrêt d'avoir dit que la résiliation des contrats de concession est intervenue dans des conditions abusives, et de l'avoir condamnée à payer certaines sommes à Mme de Saint-Auban, en sa qualité de propriétaire du fonds de commerce Fiat-Lancia, et à la SEGR, en sa qualité de propriétaire du fonds de commerce Alfa Roméo, alors, selon le moyen : 1°) qu'en vertu de la liberté contractuelle, le concédant peut rompre à tout moment un contrat à durée indéterminée ; qu'aucune obligation de motivation de la rupture ne pèse sur le concédant, sauf stipulation expresse contraire ; qu'en l'espèce, pour décider que la société Fiat aurait résilié abusivement le contrat de concession, la cour d'appel a relevé que le concédant aurait précipité "la notification de la résiliation, sans même invoquer un intérêt personnel impératif à préserver" ; que, ce faisant, la cour d'appel a retenu que la société Fiat aurait commis une faute consistant à ne pas disposer d'un motif justifiant la date de la notification de la résiliation ; qu'en statuant ainsi, quand la résiliation d'un contrat à durée indéterminée est libre et peut intervenir, sans motif, à tout moment, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; 2°) qu'un concédant est en droit de rompre à tout moment un contrat de concession à durée indéterminée, sous réserve que le concessionnaire puisse disposer d'un temps suffisant pour amortir les investissements qui lui ont été demandés, s'ils sont demandés par le constructeur, ce qui est contesté en l'espèce ; que la durée nécessaire à l'amortissement des investissements doit s'apprécier en prenant en compte non pas la date à laquelle la résiliation est notifiée au concessionnaire, mais la date d'échéance du préavis qui marque le terme des relations contractuelles entre les parties puisque l'amortissement peut continuer à s'effectuer durant la période de préavis ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que les investissements prétendument commandés par la société Fiat pour la présentation des véhicules de marque Alfa Roméo devaient être amortis le 30 septembre 2002 ; que la résiliation décidée par la société Fiat le 21 mars 2001 n'était donc pas abusive puisqu'elle ne devait prendre effet que le 22 mars 2003, après écoulement d'un préavis de deux ans permettant l'amortissement complet des investissements ; qu'en décidant pourtant que la résiliation litigieuse était abusive, en relevant que, pour apprécier la bonne foi de la société Fiat, il fallait se placer "non à l'échéance du préavis, mais au moment de la résiliation intervenue", la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; 3°) que le concédant n'étant pas débiteur d'une obligation d'assistance du concessionnaire en vue de sa reconversion, il n'est pas tenu de favoriser la reprise par un tiers des actifs de son concessionnaire ; qu'en conséquence, il ne saurait être fait grief à un concédant d'avoir résilié un contrat de concession à une époque où son concessionnaire discutait avec un repreneur éventuel ; qu'en l'espèce, pour décider que la société Fiat aurait résilié abusivement le contrat de concession, la cour d'appel a relevé "qu'à la date de la notification de la résiliation, le concédant connaissait, pour en être à l'origine, l'existence de pourparlers engagés avec le repreneur", M. Lacomare ; qu'en statuant ainsi, cependant que la société Fiat n'était nullement tenue d'assister ses concessionnaires en vue d'assurer leur reconversion par reprise de leurs actifs, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; 4°) que la décision du concédant de résilier le contrat de concession, prise pendant que le concessionnaire négociait une reprise de ses actifs par un tiers, ne fait nullement obstacle au succès des négociations avec le repreneur ; qu'en effet, les contrats de concession, conclus intuitu personae, n'étant pas librement cessibles et l'agrément du concédant devant toujours être obtenu par le repreneur éventuel, le simple fait que les contrats de concession soient rompus ne modifie en rien la situation du repreneur intéressé qui devra toujours obtenir le consentement du concédant ; qu'en l'espèce, pour décider que la société Fiat aurait résilié abusivement le contrat de concession, la cour d'appel a relevé "qu'à la date de la notification de la résiliation, le concédant connaissait, pour en être à l'origine, l'existence de pourparlers engagés avec le repreneur", M. Lacomare ; qu'en statuant ainsi, cependant que la résiliation par la société Fiat des contrats de concession ne faisait nullement obstacle à la réussite des négociations entreprises par les concessionnaires en vue de leur reconversion par reprise de leurs actifs, dans la mesure où le repreneur aurait dû, en toute hypothèse, obtenir l'agrément du concédant exigé expressément par les contrats de concession avant toute cession, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; 5°) que sauf abus, le refus d'agrément opposé par un concédant au candidat à la reprise des actifs de son concessionnaire n'est pas fautif ; qu'il appartient aux juges du fond de caractériser en quoi le refus d'agrément serait abusif ; qu'en l'espèce, pour décider que la société Fiat aurait résilié abusivement le contrat de concession, la cour d'appel a postulé, sans l'établir, que le refus d'agrément initialement opposé à M. Gemelli était abusif ; qu'elle a relevé "qu'en refusant d'agréer M. Gemelli, puis en l'agréant avec retard quelques mois avant la fin du préavis, alors que les négociations avec M. Lacomare avaient échoué par sa faute, sans même invoquer un intérêt personnel impératif à préserver, et sans même répondre à la lettre de la société Garage Royal lui faisant part de l'urgence à donner cet agrément" le concédant aurait agi avec mauvaise foi ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à établir que le refus d'agrément critiqué était illégitime, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ; 6°) que sauf abus, le refus d'agrément opposé par un concédant au candidat à la reprise des actifs de son concessionnaire n'est pas fautif ; que lorsqu'il a été conventionnellement stipulé que le refus d'agrément devait être motivé, les motifs légitimes avancés par le concédant, même tardivement, excluent tout abus ; qu'en l'espèce, pour décider que la société Fiat aurait résilié abusivement le contrat de concession, la cour d'appel a relevé "qu'en refusant d'agréer M. Gemelli [...] sans même invoquer un intérêt personnel impératif à préserver, et sans même répondre à la lettre de la société Garage Royal lui faisant part de l'urgence à donner cet agrément" le concédant aurait agi avec mauvaise foi ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme il lui était pourtant demandé, si le refus d'agrément initialement opposé à M. Gemelli n'avait pas une cause légitime tenant à l'agrément préalablement accordé par la société Fiat à M. Lacomare, peu important la date à laquelle ce motif a été porté à la connaissance des concessionnaires, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé qu'à la date de la notification de la résiliation, le concédant connaissait, pour en être à l'origine, l'existence de pourparlers engagés entre son concessionnaire et le repreneur qu'il lui avait désigné et retenu, par une appréciation souveraine des faits de la cause, qu'il avait précipité la notification de sa décision de résilier sans ignorer la difficulté dans laquelle il plongeait son concessionnaire, auquel il ôtait toute marge réelle de manœuvre pour obtenir un prix raisonnable pour les cessions envisagées au regard de l'incidence d'une telle décision sur la valeur des éléments incorporels des fonds de commerce, la cour d'appel, qui n'a pas retenu la faute dont fait état la première branche, ni imposé au concédant une obligation d'assistance, et n'a pas dit que la résiliation faisait obstacle à la cession, mais a fait ressortir que le concédant avait sciemment entravé la reconversion des concessionnaires, a, de ces seuls motifs, pu déduire, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les deuxième, cinquième et sixième branches, que, nonobstant le respect du préavis contractuel, la société Fiat ne s'était pas correctement acquittée de son obligation de bonne foi dans l'exercice de son droit de résiliation ; que le moyen, qui ne peut être accueilli en ses deuxième, cinquième et sixième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;

Et sur les deuxième et troisième moyens, rédigés en termes identiques, réunis : - Attendu que la société Fiat fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer certaines sommes à Mme de Saint-Auban, en sa qualité de propriétaire du fonds de commerce Fiat-Lancia exploité par la SEGR et à la SEGR en sa qualité de propriétaire du fonds de commerce Alfa Roméo, alors, selon le moyen : 1°) que la faute tenant aux circonstances dans lesquelles a été exercé le droit de rupture unilatérale des contrats à durée indéterminée n'est pas la cause du préjudice consistant en la perte du contrat lui-même ; que l'abus commis par le concédant dans l'exercice de son droit de résiliation d'un contrat de concession à durée indéterminée n'est pas la cause du préjudice résultant de la perte par le concessionnaire de son fonds de commerce ; qu'en l'espèce, pour condamner la société Fiat à payer à Mme Bourret de Saint-Auban, en sa qualité de propriétaire du fonds de commerce Fiat/Lancia exploité par la SEGR, la somme de 530 587 euros (à la SEGR, en sa qualité de propriétaire du fonds de commerce Alfa Roméo la somme de 60 000 euros), prétendument représentative de la valeur de ce fonds de commerce, la cour d'appel a retenu que le préjudice subi serait "caractérisé par la perte elle-même de leurs activités de concessionnaires exclusifs des marques" ; qu'en statuant ainsi, cependant que la perte du fonds de commerce n'est pas la conséquence de la brutalité de la rupture du contrat de concession, mais de la rupture elle-même qui n'est pas intrinsèquement fautive, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du Code civil ; 2°) que méconnaît l'égalité des armes, la cour d'appel qui se fonde exclusivement sur une expertise non contradictoire établie à la demande de l'une des parties ; qu'en l'espèce, pour condamner la société Fiat à payer à Mme Bourret de Saint-Auban, en sa qualité de propriétaire du fonds de commerce Fiat-Lancia exploité par la SEGR, la somme de 530 587 euros, [à la SEGR, en sa qualité de propriétaire du fonds de commerce Alfa Roméo la somme de 60 000 euros] la cour d'appel s'est exclusivement fondée sur un rapport d'expertise établi de manière non contradictoire par le Cabinet PriceWaterhouseCoopers à la demande des concessionnaires ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le principe de l'égalité des armes et violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, d'une part, qu'en retenant le caractère fautif de la résiliation des contrats de concession au regard des circonstances dans lesquelles elle est intervenue, et en faisant ressortir que cette faute était à l'origine de la cessation d'activité et de la perte des fonds de commerce qui n'ont pu être cédés, la cour d'appel n'a pas procédé à l'indemnisation de la perte des contrats de concession résultant de la résiliation, mais à l'indemnisation du préjudice résultant de l'absence d'exécution de bonne foi des conventions ;

Et attendu, d'autre part, que la société Fiat n'ayant pas demandé dans ses conclusions d'appel que le rapport lui soit déclaré inopposable ou qu'il soit écarté des débats au nom du respect de l'égalité des armes ou du principe du contradictoire, et s'étant bornée à critiquer la méthode d'évaluation utilisée et à faire valoir que ce rapport, réalisé dans l'objectif d'une cession, était inadapté pour déterminer la valeur intrinsèque du fonds, le moyen, mélangé de fait et de droit, est nouveau ; d'où il suit que le moyen, qui n'est pas fondé en sa première branche, est irrecevable en sa seconde branche ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.