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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 3 octobre 2013, n° 11-08331

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dolium Fine Wines (SARL)

Défendeur :

Louis Moreau (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Pomonti, Michel-Amsellem

Avocats :

Mes Pamart, Bellet, Ribaut, Ferraris

T. com. Auxerre, du 21 mars 2011

21 mars 2011

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Par convention en date du 18 décembre 2002, la SCEV Domaine Louis Moreau, aux droits de laquelle vient la SARL Louis Moreau ("La société Louis Moreau"), a conclu un contrat d'agent commercial avec M. Milhe de Saint Victor pour la représentation, sur le territoire de la Suède, des vins qu'elle produit.

Par un avenant en date du 1er février 2003, son territoire de prospection a été étendu au Royaume-Uni, aux Etats Unis, au Japon et à certaines provinces du Canada.

Le 30 juillet 2003, le contrat d'agent commercial a été transféré à la société Dolium Fine Wines ("la société Dolium"), par M. Milhe de Saint Victor, gérant de cette société.

Le 22 janvier 2004, la société Paul Boutinot Agencies ("la société Boutinot") est devenue importateur exclusif pour le Royaume-Uni des vins de la société Louis Moreau ; afin de prendre en compte cet élément, un nouvel avenant a été conclu pour prévoir contractuellement la rémunération de la société Dolium.

Six avenants successifs ont été convenus entre les parties, dont le dernier en date du 21 mai 2008, par lequel les taux de commissions ont été révisés.

Le 27 mai 2009, la société Louis Moreau a informé la société Dolium que le contrat avec ASDA, principal client de la société Boutinot, n'avait pas été renouvelé.

Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 29 mai 2009, la société Dolium a mis un terme au contrat d'agent commercial.

Par acte du 16 juin 2009, la société Dolium Fine Wines a assigné la société Louis Moreau devant le Tribunal de commerce d'Auxerre aux fins d'obtenir la condamnation de celle-ci au payement des indemnités de rupture.

Par jugement en date du 21 mars 2011 le Tribunal de commerce d'Auxerre a :

- débouté la société Dolium de l'ensemble de ses demandes

- condamné la société Dolium à payer à la société Louis Moreau la somme de 6 000 € au titre de dommages et intérêts pour rupture abusive de contrat d'agent commercial

- débouté la société Louis Moreau de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

- condamné la société Dolium à payer à la société Louis Moreau la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu l'appel interjeté le 3 mai 2011 par la société Dolium contre cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées le 28 mai 2013 par lesquelles la société Dolium demande à la cour de :

- dire l'appel recevable et fondé

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce d'Auxerre

- débouter la société Louis Moreau de la totalité de ses demandes

A titre principal

- constater la mauvaise foi et la déloyauté de la société Louis Moreau dans l'exécution des relations contractuelles

- dire et juger que le contrat d'agent commercial a été rompu à l'initiative de la société Dolium en raison des manquements de la société Louis Moreau

- condamner la société Louis Moreau à verser à la société Dolium la somme de 68 990,22 € soit 83 512,35 € TTC au titre de l'indemnité de rupture

- condamner la société Louis Moreau à verser à la société Dolium la somme de 8 623,78 € soit 10 314,04 € TTC au titre de l'indemnité de préavis

- condamner la société Louis Moreau à verser à la société Dolium la somme de 25 000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive.

- rejeter la demande reconventionnelle de la société Louis Moreau

A titre subsidiaire désigner tel expert qu'il plaira avec pour mission de :

- Entendre les parties ;

- Se faire communiquer tous documents utiles ;

- Examiner les relations contractuelles ;

- Décrire les relations commerciales de chacun des clients présenté par la société Dolium ;

- Examiner les commandes réalisées par la société Dolium ;

- Examiner les commandes réalisées directement par la société Louis Moreau lors de ses relations directes avec le client ;

- Dire si les conditions de ventes demeurent différentes ;

- Dans l'affirmative, évaluer le montant des commissions que la société Dolium aurait dû percevoir ;

- Evaluer le chiffre d'affaires réalisé par la société Dolium sur les différents marchés ;

- Dire qu'elles ont été les commissions perçues par la société Dolium ;

- Evaluer les indemnités contractuelles que la société Dolium doit percevoir au titre des indemnités de ruptures du contrat d'agent commercial et de préavis ;

- Evaluer les préjudices économiques de la société Dolium ;

- S'adjoindre tout sapiteur le cas échéant ;

- Déposer son rapport dans les 6 mois de la saisine ;

En tout état de cause

- condamner la société Louis Moreau à verser à la société Dolium la somme de 8 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Dolium prétend qu'elle a parfaitement exécuté ses obligations d'agent commercial ; elle soutient qu'en revanche la société Louis Moreau a manqué à ses obligations pour avoir traité directement avec le principal client au Royaume-Uni, en ne l'informant pas, ce qui aurait eu pour conséquence de l'évincer de ce marché.

Vu les dernières conclusions signifiées le 30 mai 2013 par lesquelles la société Louis Moreau demande à la cour de :

- débouter la société Dolium de l'ensemble des chefs de sa demande

Reconventionnellement,

- condamner la société Dolium au paiement d'une somme de 20 000 € au titre des dommages-intérêts à raison de la rupture abusive et sans préavis du contrat d'agent commercial ;

- condamner la société Dolium au paiement d'une somme de 5 000 € au titre des dommages-intérêts à raison du caractère abusif de la procédure ;

- condamner la société Dolium au paiement d'une somme de 8 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'intimée prétend que son contradicteur serait de mauvaise foi, particulièrement en ce qu'il ne mentionne pas que le règlement d'indemnités de rupture suite à la fin de la relation contractuelle pour le territoire des Etats-Unis et du Canada avait été la conséquence d'un accord transactionnel.

La société Louis Moreau soutient aussi qu'elle n'a commis aucune faute dans l'exécution du contrat de mandat et qu'elle n'a nullement cherché à évincer la société Dolium du Royaume-Uni.

Elle fait valoir que la rupture unilatérale et sans préavis du contrat par l'agent commercial est constitutive d'une faute de sorte qu'il ne peut revendiquer aucune indemnité.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la demande de la société Dolium Wines

Considérant que la société Dolium Wines n'a présenté en appel aucun moyen nouveau de droit ou de fait qui justifie de remettre en cause le jugement attaqué lequel repose sur des motifs pertinents, résultant d'une analyse correcte des éléments de la procédure, notamment des pièces contractuelles et de la juste application de la loi et des principes régissant la matière,

Considérant que la société Dolium reconnaît que le litige ne concerne pas l'indemnisation au titre des marchés des Etats Unis et de la Colombie britannique, qui ont donné lieu à un règlement amiable et au versement d'indemnités contractuelles, mais porte sur le seul marché du Royaume Uni et sur le cas du client Boutinot ; qu'elle soutient que sur ce marché litigieux, le contrat a été vidé de sa substance de sorte qu'elle a été évincée.

Considérant que la société Louis Moreau conteste avoir traité directement des affaires avec la société Boutinot, le seul client existant sur le territoire du Royaume Uni et pour lequel M. Milhe de Saint Victor a toujours été commissionné ;

Considérant que l'article 1 du contrat d'agent commercial stipule que le contrat concerne le marché domestique sur le territoire géographique de la Suède "L'agent commercial bénéficiera sur le territoire défini du droit exclusif d'assurer la représentation des produits et services du Mandant auprès de la clientèle située sur ce secteur" ;

Qu'il était ajouté "En outre le Mandant autorise expressément l'Agent commercial à prospecter et à démarcher en vue de la représentation des produits et services du Mandant en France uniquement sur le circuit des cafés-hôtels-restaurants et clientèle particulières mais sans aucune exclusivité" ;

Considérant que les parties ont conclu un avenant n° 1 qui a élargi le territoire de prospection de l'agent commercial au Royaume Uni ; qu'au terme d'un avenant n° 2, il a été stipulé que la société Dolium, ayant trouvé un importateur pour la distribution des vins de la société Moreau pour le marché du Royaume Uni, à savoir la société Boutinot, elle percevra des commissions sur chaque commande passée par celle-ci ;

Considérant que, dès octobre 2006, la société Louis Moreau a manifesté son intention de mettre fin à sa collaboration avec son agent commercial sur les marchés des Etats Unis, du Canada et en ce qui concerne la grande distribution au Royaume Uni, écrivant le 11.04.2007 "Comme je te l'ai écrit par mail le 3 avril dernier, ce dossier Off Trade sera géré directement par le Domaine sous tout son aspect (...). Je te précise que je ne t'enlève nullement la partie clé du dossier UK avec notre client PBA où tu as la charge de la distribution on trade" ;

Que le même jour, M. M. Milhe de Saint Victor a répondu "concernant mon rôle sur le Off/Trade/UK et la décision que tu comptes prendre de façon unilatérale, je ne suis pas d'accord sur le fond et la forme" ;

Que, par lettre recommandée du 8 mai 2007, la société Louis Moreau a notifié à son agent commercial la reprise du marché de la grande distribution, lui indiquant "Lors de notre réunion annuelle en novembre dernier au domaine en ta présence et celle de notre importateur, je t'ai fait part de ma décision de cesser notre collaboration sur ce secteur pour des raisons de cohérence économique ; Par fax tu m'as signifié ton désaccord (...) merci de prendre acte de ma décision et ce courrier servira de préavis nécessaire afin de te réorganiser" ;

Considérant que néanmoins la société Louis Moreau a revu sa position dans la mesure où elle a écrit dès 2008 à son agent commercial "Tu deviens l'unique intermédiaire auprès de ce client pour le On trade et Off trade business au niveau des discussions et conduite des affaires pour le Domaine (...).

Tu conduis l'ensemble des négociations volume et prix bouteille avec cet importateur (...).

Guy, il y a urgence cette année afin de rebâtir une distribution solide sur la Grande Bretagne et j'espère sincèrement que tu accepteras ma proposition" ;

Que le 17 avril 2009, M. Milhe de Saint Victor "Dans le passé nous avons eu des discussions s'agissant des relations avec Boutinot et aussi du travail en équipe qu'il fallait avoir entre nous (échanges de courriers en 2006 et 2007). Tu as très justement mis les choses au point vis-à-vis de Boutinot il y a quelques mois et nous avons d'ailleurs réalisé une belle année en 2008" ; qu'il ajoutait "Comme je te l'ai dit je suis aux ordres du producteur/partenaire qui m'a donné mandat et c'est lui qui doit conforter ma position vis-à-vis du client quand cela est nécessaire" ;

Qu'il indiquait que "les relations sont compliquées (...). Je ne suis pas toujours bien accepté".

Que, lors de l'exécution de son mandat sur ce territoire, M. Milhe de Saint Victor a lui-même souhaité l'intervention de la société Louis Moreau, lui écrivant le 20 avril 2009 "Il est évident que sans ton support, celui du producteur, il est difficile pour moi, l'agent commercial, d'accomplir la mission. C'est un peu comme si l'on va à l'assaut sans logistique et appui feu" ;

Qu'en conséquence, il ne reproche nullement à la société Louis Moreau d'intervenir pour le soutenir et d'avoir organisé la réception des clients au domaine par le propriétaire, la présentation des cultures et d'élevage des vins ce qui constitue des éléments déterminants dans la décision de l'acheteur ;

Qu'il lui reproche d'être revenu à sa position antérieure à 2008, lorsqu'elle lui avait notifié sa décision de reprendre la grande distribution ;

Qu'enfin, dans ce même courrier du 17 avril 2009, M. Milhe de Saint Victor a donné son accord à la société Louis Moreau pour qu'elle traite directement avec le client Boutinot, écrivant "tu me fais comprendre très clairement au téléphone que tu désires suivre en direct ce marché et si c'est le cas je respecte ta décision dont la contrepartie doit être, soit comme pour les USA, la continuité dans les versements des commissions d'agent commercial, soit, si tu décides de mettre fin à notre collaboration sur ce marché le versement des indemnités de rupture du contrat" ;

Qu'il résulte de ces courriers que les relations étaient difficiles entre M. Milhe de Saint Victor et la société Boutinot ce que la société Louis Moreau rappelle à son agent dans un mail du 8 mai 2009, lui indiquant "Pour rappel, nous avons des relations directes sur les affaires en cours d'une façon quasi hebdomadaire depuis fin février. Cette situation est à leur demande pour être en ce temps de crise plus pertinent et surtout car il existerait des problèmes relationnels entre toi et Boutinot" ;

Que la société fait observer à son agent que les relations se sont aussi dégradées entre eux en raison de sa façon de gérer les relations commerciales avec les clients: "transmissions des offres avant consultation, mise du Domaine devant le fait accompli" ;

Que la société Louis Moreau a écrit le 20 mai 2009 à son agent "Lors de notre RDV à Londres lors de la Wine Fair sur le stand Boutinot notre agent en Angleterre, tu m'as clairement demandé ma position et même si cette dernière a déjà été écrite lors de mon dernier mail du 8 mai 2009, Boutinot est notre représentant en Angleterre pour le Domaine Louis Moreau et toi même, Guy de St Victor est notre agent auprès de ce dernier. Je n'ai jamais mentionné lors de ce RDV que je ne souhaitais pas reprendre en direct ce marché" ;

Que, par courrier du 15 juin 2009, la société Louis Moreau a indiqué à son agent qu'elle considérait son mandat comme étant toujours en vigueur et qu'elle était toujours disposée à lui régler ses commissions sur les affaires passées ;

Considérant, en conséquence, que le seul fait que la société Louis Moreau ait traité des affaires directement avec le client Boutinot ne saurait constituer une faute, dès lors qu'elle a ainsi répondu à une exigence de ce client du fait même des relations ; que M. Milhe de Saint Victor qui n'a pas contesté les difficultés relationnelles qu'il avait avec ce client, l'a accepté moyennant le maintien de ses commissions ; que les échanges de courriers démontrent, d'une part, qu'il était associé aux affaires conclues, d'autre part qu'il a perçu des commissions sur la totalité des ventes ; que, dès lors, la position de la société Louis Moreau consistant à accepter les exigences de ce client était également dans l'intérêt de son agent ;

Considérant de plus que M. Milhe de Saint Victor ne démontre pas que la société Boutinot bénéficiait d'une exclusivité ; que le marché du Royaume Uni restait ouvert pour lui, de sorte qu'il pouvait continuer d'exercer son mandat ; qu'il ne saurait prétendre que son mandat d'agent commercial avait été vidé de sa substance ;

Considérant que si celui-ci fait état de son professionnalisme et de ses compétences, il n'en demeure pas moins qu'il a mis fin unilatéralement le 29 mai 2009 à son contrat d'agent commercial sans justifier d'aucun grief à l'encontre de son mandant ;

Qu'en conséquence, c'est à juste titre que les premiers juges ont débouté la société Dolium Wines de l'ensemble de ses demandes ; qu'il n'y a pas lieu d'examiner la demande d'expertise formulée par celle-ci.

Sur les demandes de la société Louis Moreau

Considérant que la société Louis Moreau soutient que la rupture du contrat à l'initiative de son agent a constitué une faute grave en ce qu'elle a été abusive et destinée seulement à lui permettre d'en tirer profit ; qu'elle indique avoir perdu la société Boutinot comme client ;

Considérant que M. Milhe de St Victor n'a pas offert de préavis à son mandant de nature à lui permettre de réorganiser la prospection du territoire concédé ; qu'il a donc subi un préjudice ; que c'est à juste titre que les premiers juges ont condamné la société Dolium à réparer le préjudice subi par la société Moreau sauf à fixer celui-ci à la somme de 10 000 €.

Considérant que, si la société Louis Moreau prétend que la société Dolium Wines a engagé la procédure de manière abusive, elle ne caractérise pas ce caractère abusif.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que la société Louis Moreau a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré sauf à fixer le préjudice de la société Louis Moreau à la somme de 10 000 €, Rejette toute autre demande plus ample ou contraire, Condamne la société Dolium Wines à payer à la société Louis Moreau la somme de 6 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Dolium Wines aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.