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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 10 octobre 2013, n° 2012-13744

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Razel (SAS), Sefi-Intrafor (SAS)

Défendeur :

Président de l'Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie, des Finances et du Commerce extérieur

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aimar

Conseillers :

Mmes Leroy, Cantat

Avocats :

SCP Lissarrague Dupuis Boccon-Gibod, SCP Baechlin, Mes Goossens, Nossereau

CA Paris n° 2012-13744

10 octobre 2013

En 1994, l'épouse d'un ingénieur licencié par la société Bouygues (Mme X) a révélé à plusieurs autorités l'existence d'un logiciel "Drapo" (Détermination aléatoire du prix de l'offre), réécrit par son mari, et utilisé pour fournir des données chiffrées à des sociétés afin qu'elles puissent présenter des offres de couverture dans les marchés publics.

Le 6 décembre 1994, le Procureur de la République de Paris a fait procéder à une enquête préliminaire, puis s'est dessaisi en faveur du Procureur de la République de Versailles qui a ouvert une information judiciaire le 30 juin 1995 du chef de pratiques anticoncurrentielles (articles devenus L. 420-1 et L. 420-6 du Code de commerce).

Le 13 mars 1997, le Conseil de la concurrence (devenu l'Autorité de la concurrence, ci-après "le Conseil" ou "l'Autorité") s'est saisi d'office de la situation de la concurrence dans le secteur des travaux publics constatée à l'occasion de la passation de divers marchés publics dans la région Ile-de-France.

Le 2 mai 1997, le Conseil a adressé au juge d'instruction de Versailles une demande de communication des procès-verbaux et rapports d'enquête ayant un lien direct avec les faits dont le Conseil s'était saisi (article L. 463-5 du Code de commerce).

Au vu des éléments ainsi rassemblés, les rapporteurs ont établi successivement trois notifications de griefs adressées aux parties et au commissaire du Gouvernement, l'une les 9 avril, 14 juin et 15 septembre 2000, les deux suivantes, dites complémentaires, les 9 novembre 2001 puis 29 août 2004.

Par décision n° 06-D-07 bis du 21 mars 2006, le Conseil a estimé que 34 entreprises de travaux publics avaient enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et leur a infligé des sanctions pécuniaires.

Par un arrêt du 24 juin 2008, rectifié le 29 octobre 2008, la Cour d'appel de Paris :

- a annulé la décision du Conseil en ce qu'elle avait prononcé des sanctions pécuniaires à l'encontre de la société SAS Eiffage Construction et à l'encontre de la SA Guintoli devenue NGE ;

- a rejeté les recours formés par 13 entreprises (Botte Fondations, Vinci, Parenge, Bec Frères, Coccinelle, Les Paveurs de Montrouge, Demathieu et Bard, Montcocol, Sefi Intraflor, Eiffage, Colas Ile-de-France-Normandie, Sacer Paris Nord-Est, Screg Ile-de-France/Normandie) ;

- a réformé la décision du Conseil :

* en disant n'y avoir lieu à sanction à l'encontre des sociétés Valentin, SAS CSM Bessac et Sade ;

* en réduisant les sanctions prononcées à l'encontre des sociétés Sogea TPI, Vinci Construction, Urbaine de travaux, Razel, France Travaux, Eiffage TP et Soletanche Bachy.

Douze pourvois ont été formés contre cet arrêt, par 17 entreprises.

Par arrêt en date du 13 octobre 2009, la Cour de cassation a cassé l'arrêt du 24 juin 2008 "en ses seules dispositions relatives à la SA Razel et aux sanctions prononcées contre la société Sefi Intrafor" aux motifs d'une part, "que pour rejeter le recours formé par la société Razel, l'arrêt se prononce au visa du mémoire déposé par celle-ci le 9 juin 2006, sans viser le mémoire déposé par cette société le 19 septembre 2007 en réponse aux observations écrites formulées le 20 mars 2007 par le Conseil de la concurrence", et d'autre part, que "pour apprécier le montant de la sanction pécuniaire infligée à la société Sefi, devenue Sefi Intrafor, l'arrêt relève que les grief d'entente retenus à l'encontre de cette société concernent les marchés n° 30 et 42" alors que n'était retenu que le grief notifié au titre du marché n° 42.

Saisie comme cour de renvoi, la Cour d'appel de Paris, autrement composée, par arrêt du 5 mai 2011, rendu au visa de l'article L. 467-7 alinéa 3 du Code de commerce :

- a constaté que le Conseil de la concurrence avait statué sur les griefs formés à l'encontre des sociétés Razel et Sefi Intrafor plus de dix ans après la cessation des pratiques anticoncurrentielles,

- a annulé la décision déférée en ce qu'elle avait condamné ces deux sociétés,

- a ordonné la restitution des sommes versées en exécution de la condamnation prononcée.

Un pourvoi a été formé à l'encontre de cet arrêt, par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie.

Par arrêt du 15 mai 2012, la Cour de cassation a cassé dans toutes ses dispositions, l'arrêt du 5 mai 2011, pour violation des articles 2 et L. 462 alinéa 3 du Code de commerce, au motif que "de nouvelles lois de procédure ne peuvent priver d'effet les actes accomplis régulièrement avant leur entrée en vigueur et que la décision du Conseil avait été rendue le 21 mars 2006 à une date à laquelle l'ordonnance du 13 novembre 2008 instaurant le délai de dix ans prévu par l'alinéa 3 de l'article L. 462-7 du Code de commerce n'était pas entrée en vigueur", et a renvoyé la cause devant la présente cour, autrement composée.

Les 20 juillet et 15 octobre 2012, la société Razel et la société Sefi Intrafor ont respectivement déposé au greffe de la cour, une déclaration de saisine après renvoi de la Cour de cassation.

Sur ce,

Vu les conclusions d'appel sur renvoi déposées le 4 janvier 2013 par la société Razel, et son mémoire déposé le 30 avril 2013, aux termes desquels :

* soutenant essentiellement que les faits dont s'est saisi d'office le Conseil de la concurrence le 13 mars 1997 sont prescrits, par application de l'article L. 462-7 alinéa 3 du Code de commerce, issu de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008, ratifiée par la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, elle demande à la cour de réformer en ce sens la décision du Conseil de la concurrence du 21 mars 2006, comme l'article L. 464-8 du Code de commerce l'autorise, le présent arrêt se substituant à la Décision de première instance, et valant seulement pour l'avenir, échappant ainsi à la critique de la Cour de cassation,

* à titre subsidiaire, elle sollicite que la sanction prononcée à son encontre soit diminuée en raison de ce que les faits reprochés remontant à 18 ans, elle est fondée en application de l'article 6 de la CEDH, à obtenir réparation de la durée excessive de la procédure, sous la forme d'une minoration de l'amende, dont elle rappelle qu'elle avait été ramenée par arrêt de la Cour d'appel de Paris du 24 juin 2008 de 4 000 000 d'euros, à 3 800 000 euros,

* en toute hypothèse, elle réclame la condamnation du Trésor public à lui payer la somme de 50 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les mémoires déposés au greffe les 4 janvier et 30 avril 2013, par la société Sefi-Intrafor qui demande à la cour d'infirmer la décision du Conseil de la concurrence du 21 mars 2006 qui l'a condamnée pour pratiques anticoncurrentielles :

- à titre liminaire, en revendiquant la prescription des faits qui lui sont reprochés, par application des dispositions de l'article L. 462-7 du Code de commerce, dans la mesure où plus de dix ans se sont écoulés entre la cessation de la pratique dénoncée et la décision du Conseil de la concurrence du 21 mars 2006,

- à titre principal de dire qu'il n'y a pas lieu à sanction pécuniaire à son égard, et à titre subsidiaire, de diminuer le montant de la sanction qui lui a été infligée, compte tenu de la durée excessivement longue de la procédure et de sa mise en cause tardive (9 ans après les faits), qui l'ont irrémédiablement privée de moyens de défense substantiels, d'une part, et du chiffre d'affaires de 30,182 millions d'euros qu'elle réalisait à l'époque des faits, lors de l'exercice du 1er septembre 1995 au 31 août 1996 d'autre part, ou à tout le moins celui du dernier exercice clos disponible avant la décision déférée, soit celui de l'exercice clos au 30 septembre 2005, au lieu de retenir, comme l'a fait le Conseil de la concurrence l'exercice clos au 30 septembre 2004,

- en toute hypothèse,

- de constater que la Cour d'appel de Paris l'a condamnée à 560 000 euros au titre de sa prétendue participation à des ententes sur les marchés n° 30 et 42 alors qu'il est établi qu'elle n'a participé qu'au seul marché n° 42 et de diminuer de moitié le montant de la sanction prononcée à son encontre

- d'infirmer en conséquence sur ces points la décision du Conseil de la concurrence du 21 mars 2006 ;

Vu les observations écrites de l'Autorité de la concurrence du 29 mars 2013, tendant au rejet des recours ;

Vu les observations écrites du ministre de l'Economie et des Finances en date du 28 mars 2013, tendant au rejet des recours ;

Vu les observations écrites du Ministère public, mises à la disposition des parties avant l'audience ;

Ayant entendu à l'audience publique du 13 juin 2013, en leurs observations orales, les conseils des requérantes, qui ont été mis en mesure de répliquer et qui ont eu la parole en dernier, ainsi que le représentant de l'Autorité de la concurrence, celui du ministre chargé de l'Economie et le Ministère public ;

SUR CE

Sur la prescription

Considérant que pour revendiquer le bénéfice de la prescription décennale issue de l'ordonnance du 13 novembre 2008, qui a complété l'article L. 462-7 du Code de commerce, la société Sefi-Intrafor soutient que ces dispositions sont d'application immédiate aux procédures en cours ; qu'en effet, en premier lieu, les dispositions transitoires prévues à l'article 5 de l'ordonnance du 13 novembre 2008, qui selon l'Autorité et le ministre de l'Economie feraient obstacle à ce principe, ne s'appliquent pas aux recours formés devant la Cour d'appel de Paris contre les décisions du Conseil de la concurrence ; qu'en second lieu, la décision de la Cour de cassation heurte les principes généraux du droit, dont celui de l'effet dévolutif de l'appel ; que la société Sefi-Intrafor ajoute que dans une matière qui s'apparente à la matière répressive, l'interprétation de la règle de procédure doit se faire en sa faveur, et doit conduire en cas de doute sur l'interprétation de l'article L. 462-7 du Code de commerce à voir constater la prescription des faits ; que la société Razel fait également référence à l'effet dévolutif de l'appel pour soutenir que la cour doit faire application du droit existant au jour où elle statue ; qu'elle considère aussi, comme la société Sefi-Intrafor, qu'il convient conformément aux règles de procédure pénale, d'appliquer immédiatement les règles nouvelles en matière de prescription, y compris aux faits antérieurs à leur entrée en vigueur ;

Considérant que l'article L. 462-7 du Code de commerce relatif à la prescription des faits a été modifié à deux reprises ; qu'il s'ensuit que le délai de prescription des pratiques anticoncurrentielles poursuivies devant le Conseil de la concurrence - désormais l'Autorité de la concurrence - qui était de trois ans, a été porté à cinq ans par ordonnance n° 2004-1173 du 4 novembre 2004 ; qu'ensuite, l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence, ratifiée par la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, a complété les dispositions de l'article L. 462-7 du Code de commerce, par un troisième alinéa en ces termes "Toutefois, la prescription est acquise en toute hypothèse lorsqu'un délai de dix ans à compter de la cessation de la pratique anticoncurrentielle s'est écoulé sans que l'Autorité de la concurrence ait statué sur celle-ci" ;

Considérant qu'en l'espèce il n'est pas discuté qu'à la date de la décision du Conseil de la concurrence déférée, un délai de plus de dix ans s'était écoulé depuis la fin des pratiques dénoncées ;

que les requérantes en déduisent que la nouvelle prescription étant d'application immédiate, les faits d'entente dans le cadre de marchés publics de travaux en Ile-de-France pour lesquels elles ont été sanctionnées sont prescrits ;

Mais considérant que, d'une part, si en l'absence de dispositions spéciales, les lois relatives à la procédure sont d'application immédiate et ont vocation à s'appliquer aux instances en cours, elles ne sauraient avoir pour conséquence de priver d'effet les actes accomplis régulièrement avant leur entrée en vigueur ;

Considérant que la décision du Conseil de la concurrence a été rendue le 21 mars 2006, soit avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 13 novembre 2008 instaurant la prescription de dix ans à compter de la cessation de la pratique anticoncurrentielle, au regard des textes alors applicables ; que l'application au cas d'espèce, de la nouvelle prescription instaurée par cette ordonnance remettrait en cause la Décision rendue dans le respect des règles de droit en vigueur à l'époque où elle a été prononcée ;

Considérant que c'est en vain que la société Razel demande, non pas l'annulation de la Décision, mais sa réformation ; qu'en effet, il s'agit bien, dans les deux cas, en appliquant la nouvelle prescription à la procédure en cours, de rendre sans effet la Décision prise conformément au droit alors applicable ;

Considérant d'autre part, que conformément aux principes précités dégagés tant en matière pénale que civile, pour l'application dans le temps des lois de procédure, les dispositions transitoires énoncées à l'article 5 de l'ordonnance du 13 novembre 2008 prévoient que :

- "la validité des actes de poursuite, d'instruction et de sanction accomplis antérieurement à la première réunion de l'Autorité de la concurrence est appréciée au regard des textes en vigueur à la date à laquelle ils ont été pris ou accomplis" (II) ;

- "l'examen des affaires de pratiques anticoncurrentielles ayant donné lieu à une notification de griefs ou à une proposition de non-lieu avant cette même date se poursuivent selon les règles de procédure en vigueur antérieurement à cette date. Le collège de l'Autorité de la concurrence est substitué au collège du Conseil de la concurrence pour l'examen de ces affaires, y compris pour les affaires en délibéré" (III) ;

Considérant que contrairement à ce qui est soutenu, la circonstance que ces dispositions ne visent pas expressément les recours exercés contre les décisions du Conseil de la concurrence ne fait pas obstacle à leur application au cas d'espèce ;

qu'en effet, il suffit de constater qu'en vertu du paragraphe III, si les pratiques anticoncurrentielles ont donné lieu à une notification de griefs avant la première réunion de l'Autorité de la concurrence, la procédure se poursuit selon les règles de procédure existantes avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance ; qu'il doit donc en être ainsi a fortiori lorsque, comme en l'espèce, la décision du Conseil de la concurrence sanctionnant ces pratiques était rendue avant la première réunion de l'Autorité de la concurrence qui a eu lieu en mars 2009 ;

Considérant que pas davantage la société Sefi-Intrafor ne peut se prévaloir de l'introduction par la loi Lurel n° 2012-1270 du 20 novembre 2012, relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer, d'un deuxième paragraphe à l'article L. 462-7 du Code de commerce, qui justifierait a contrario l'application de la loi nouvelle ;

Considérant qu'en effet, ce texte dispose que le "délai mentionné au troisième alinéa est suspendu jusqu'à la notification à l'Autorité de la concurrence d'une décision juridictionnelle irrévocable lorsque (...) la décision de l'Autorité de la concurrence fait l'objet d'un recours en application de l'article L. 464-8, à compter du dépôt de ce recours" ; que cette disposition a valeur législative tout comme celles de l'article 5 de l'ordonnance du 13 novembre 2008 ; que, s'il a pu naître un doute sur le fait que le délai préfix de la nouvelle prescription décennale continue à courir ou non durant l'exercice des voies de recours contre une décision de l'Autorité, ce doute ne pouvait exister, en tout état de cause, qu'à l'égard des seules décisions n'entrant pas dans le champ d'application des dispositions transitoires de l'article 5 de l'ordonnance du 13 novembre 2008 puisque leur "validité (...) est appréciée au regard des textes en vigueur à la date à laquelle" elles ont été prises et que donc, comme il a été jugé ci-dessus, la nouvelle prescription décennale ne leur est pas applicable ;

Considérant en outre que la société Sefi-Intrafor fait valoir à tort que, dans la mesure où, en application de l'article 561 du Code de procédure civile, l'appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d'appel pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit, la cour doit nécessairement connaître de la loi nouvelle, qui est applicable aux instances en cours ;

Considérant qu'en effet, l'effet dévolutif de l'appel ne peut conduire la cour à ignorer les principes de droit en matière d'application dans le temps des lois de procédure, ci-dessus rappelés, et les dispositions de droit transitoire prévues par l'ordonnance du 13 novembre 2008 qui imposent en l'espèce, de statuer en considération des textes en vigueur à la date à laquelle la Décision du Conseil a été rendue ; que le moyen est inopérant ;

Considérant qu'il s'en déduit que la prescription décennale instaurée par l'ordonnance du 13 novembre 2008 n'est pas applicable aux pratiques incriminées ;

Sur la durée de la procédure et la sanction infligée à la société Razel :

Considérant que le délai raisonnable prescrit par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, doit s'apprécier au regard de l'ampleur et de la complexité de l'affaire et que la sanction qui s'attache à la violation par l'Autorité de la concurrence, de l'obligation de se prononcer dans un délai raisonnable n'est pas l'annulation de la procédure mais la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai subi, sous réserve, toutefois, que le délai écoulé durant la phase d'instruction, en ce compris la phase non contradictoire, devant l'Autorité n'ait pas causé à chacune des entreprises, formulant un grief à cet égard, une atteinte personnelle, effective et irrémédiable à son droit de se défendre, de telles circonstances devant s'apprécier in concreto ;

Considérant que dès lors, en se bornant à faire état de la durée de la procédure, qu'elle estime excessive (soit 11 ans entre la cessation des pratiques et la Décision du Conseil, et 18 ans jusqu'à ce jour), sans démontrer en quoi le délai écoulé lui aurait causé une atteinte personnelle, effective et irrémédiable l'empêchant de présenter utilement ses moyens de défense, la société Razel n'est pas fondée à solliciter, à titre de réparation, la minoration de l'amende ;

Considérant que la société Razel ne conteste pas les griefs retenus contre elle, relatifs aux marchés n° 21, 30 et 54 ;

Considérant en revanche qu'en ce qui concerne le marché n° 38 (déviation de Soignolles, département de la Seine et Marne), le grief n' est pas établi ; qu'en effet ce marché, objet d'un appel d'offres auquel a participé la requérante, a été attribué à une autre entreprise ; qu'il en a été fait mention dans des notes manuscrites émanant du Président de Nord France TP figurant sur un cahier saisi dans les locaux de celle-ci ; que ces énonciations, partiellement reproduites au paragraphe 253 de la Décision qui indiquent que "Razel répond (...) avec variance" ne suffisent pas à rapporter la preuve de ce que la société Razel aurait participé à un échange d'informations ou à une concertation répréhensible ; que les représentants de Nord France TP interrogés sur leur sens et leur portée n'ont apporté aucun élément à la charge de Razel au sujet de ce marché, expliquant notamment que le rédacteur de ces notes avait pu obtenir des renseignements de plusieurs autres manières, soit par des entreprises soit par des clients ; que le grief retenu de ce chef n'est pas caractérisé ;

Considérant que la Décision sera réformée sur ce point ;

Considérant que l'article L. 464-2 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 15 mai 2001, en vigueur à l'époque des faits, dispose "Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos."

Considérant que la gravité des pratiques d'ententes auxquelles a participé la société Razel sur les marchés n° 21, 30 et 54, en ce qu'elles avaient pour finalité d'aboutir à une répartition concertée entre les entreprises du secteur des marchés publics de travaux publics passés en Ile-de-France, réduisant à néant la mise en concurrence recherchée par les procédures d'appels d'offres prévues pour les marchés publics, ont été caractérisés par le Conseil de la concurrence, de même que le dommage à l'économie qui en est résulté, aux paragraphes 787 à 789 et 792 à 794 de la Décision ;

Que par ailleurs que le Conseil a tenu compte à juste titre du facteur d'aggravation de la sanction, tenant à une précédente sanction prononcée le 25 octobre 1989 contre la société Razel Ile-de-France ;

Considérant en outre que la société Razel invoque en vain l'ancienneté des faits qui lui sont reprochés, qui ne constitue pas l'un des critères énumérés à L. 464-2 du Code de commerce et ne saurait justifier une quelconque réduction du montant de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée par le Conseil de la concurrence ;

qu'il s'ensuit que la Décision sera réformée pour tenir compte de ce que le grief se rapportant au marché n° 38 n'est pas retenu ; que le montant de la sanction sera ramené à 3,8 millions d'euros ;

Sur la durée de la procédure à l'égard de la société Sefi-Intrafor et la sanction prononcée :

Considérant que la société Sefi-Intrafor expose en premier lieu que la durée excessive de la procédure l'a placée dans l'incapacité d'organiser sa défense, ce qui justifie selon elle, qu'elle soit dispensée de toute sanction pour les faits qui lui sont reprochés, ou à tout le moins qu'elle soit diminuée de moitié ;

Considérant qu'ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, la réparation du préjudice qui résulterait de la violation de l'obligation de se prononcer dans un délai raisonnable, imposée par l'article 6 de la CEDH implique, pour l'entreprise concernée, de justifier de l'existence d'une atteinte personnelle, effective et irrémédiable à son droit de se défendre, de telles circonstances devant s'apprécier in concreto ;

Considérant qu'il est constant en l'espèce que les faits reprochés se sont déroulés du 6 juillet au 5 décembre 1995 et que les griefs ont été notifiés à la société Sefi-Intrafor en octobre 2004 ;

Considérant que se prévalant du temps ainsi écoulé, soit 9 années, la société Sefi-Intrafor allègue la déperdition des preuves en soulignant n'avoir fait l'objet d'aucune mesure d'instruction pénale ou devant le Conseil de la concurrence, et n'avoir conservé aucune pièce, puisqu'elle n'avait pas remporté le marché en cause (n° 42) ;

Mais considérant, étant observé que ni la complexité du dossier ni les difficultés relatives aux procédures pénales ne peuvent être sérieusement discutées, que La société Sefi-Intrafor ne peut se limiter à des considérations générales et abstraites mais doit démontrer concrètement en quoi son droit de se défendre aurait été personnellement, effectivement et irrémédiablement compromis en raison de la durée prétendument déraisonnable de la procédure ;

Or, considérant que dans le cas présent, deux documents ont été saisis chez un concurrent de la société Sefi-Intrafor, soit une télécopie et une note, établissant qu'elle lui avait communiqué le montant de son offre relative au marché de l'échangeur A4-86 (n° 42), avant la date fixée pour le dépôt des offres (paragraphes 282 à 285 de la Décision) ;

qu'en se contentant de soutenir qu'elle n'a plus les documents liés à l'appel d'offres en cause, ou que les personnels qui travaillaient pour elle à l'époque des faits ne font plus partie de l'entreprise, sans préciser la nature ou la portée des renseignements qui auraient été utiles à sa défense, ni expliquer concrètement et précisément quels sont les documents qui ne sont plus en sa possession et en quoi ils lui auraient permis de contredire utilement les éléments tirés des pièces saisies ni quelles sont les personnes dont le témoignage aurait pu être utile à sa défense, la société Sefi-Intrafor ne rapporte pas la preuve qui lui incombe ;

Considérant que le moyen sera par voie de conséquence rejeté ;

Considérant qu'en second lieu, la société Sefi-Intrafor fait valoir que la sanction doit être diminuée en raison de l'ancienneté des faits d'une part, et du montant du chiffre d'affaires retenu par le Conseil de la concurrence d'autre part ;

Considérant qu'ainsi, elle allègue l'impact très négatif de la durée de la procédure sur la sanction qui a été prononcée par le Conseil de la concurrence, au motif que, alors que les faits se sont déroulés, en 1995, époque à laquelle elle démarrait son activité, l'exercice 2004 clos au 30 septembre 2004, retenu par le Conseil, faisait apparaître un chiffre d'affaires exceptionnel (56,143 millions d'euros) en raison de l'acquisition partielle du fonds de commerce de la société Intrafor", ainsi qu'il ressort de sa comparaison avec celui de l'exercice clos au 30 septembre 2005 (44,042 millions d'euros) ; qu'en outre, au moment où il a statué, en mars 2006, le Conseil de la concurrence avait l'obligation de retenir comme seul et unique base de calcul de la sanction le chiffre d'affaires du dernier exercice clos soit 44,042 millions d'euros au 30 septembre 2005, et non le chiffre d'affaires pour l'exercice du 1er octobre 2003 au 30 septembre 2004 ;

Considérant que l'article L. 464-2 du Code de commerce, dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits dispose que "le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos" ;

Considérant qu'il sera souligné à titre préliminaire qu'il ressort des termes de la Décision (paragraphe 860) que le Conseil a tenu compte de la participation de la société Sefi-Intrafor à l'entente portant sur l'échangeur A 14-A 86 (marché n° 42), sans mentionner le marché n° 30 ;

qu'en outre, afin de déterminer le montant de la sanction pécuniaire, le Conseil a exactement fait application des critères légaux de référence en vigueur à l'époque des faits pour lesquels la requérante a été sanctionnée, sa sanction étant proportionnée eu égard aux "éléments généraux et individuels" développés dans la Décision, tel qu'il ressort des paragraphes 860 et 861 de celle-ci ; que cependant, faute d'avoir eu connaissance du chiffre d'affaires clos au 30 septembre 2005, le Conseil a retenu celui de l'exercice clos au 30 septembre 2004 ;

Considérant que dans le cadre de la présente procédure, la société Sefi-Intrafor justifie avoir réalisé un chiffre d'affaires hors taxe de 44,042 millions d'euros au 30 septembre 2005, montant du dernier exercice clos à la date à laquelle à laquelle le Conseil s'est prononcé ;

qu'il convient dans ces conditions de ramener la sanction prononcée à la somme de 440 000 euros, étant rappelé ainsi qu'il a été dit plus haut, que l'ancienneté des faits et la durée de la procédure ne constituent pas un moyen de réduction de la sanction ;

Considérant qu'aucune considération d'équité ne justifie l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; que les demandes formées de ce chef seront rejetées ;

Par ces motifs : Réformant la décision du Conseil de la concurrence du 26 mars 2006 ; Dit que sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes : - à la société Razel, une sanction de 3 800 000 euros ; - à la société Sefi-Intrafor, une sanction de 440 000 euros, Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Dit que les dépens seront à la charge des sociétés Razel et Sefi-Intrafor.