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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 26 septembre 2013, n° 2012-08948

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Roland Vlaemynck Tisseur (SA), Mewa (SARL), Ajjis (Selarl), Miquel (ès qual.)

Défendeur :

Autorité de la Concurrence, Ministre de l'Economie, des Finances et du Commerce

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Remenieras

Conseillers :

Mmes Beaudonnet, Leroy

Avocats :

SCP Fisselier & Associés, Mes Fortuit, Teytaud, Lesur

ADLC, du 6 avr. 2012

6 avril 2012

La société Roland Vlaemynck Tisseur (RVT) a, par lettre enregistrée le 30 mars 2009 sous le n° 09-0054 F, saisi l'Autorité de la concurrence (l'Autorité ou l'ADLC) de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fabrication et de la commercialisation de serviettes industrielles réutilisables.

RVT, qui a son siège social à Steenwerck (59), a été créée en 1963. Elle a lancé en 1974 une activité de fabrication et de location-entretien de serviettes industrielles réutilisables. RVT commercialisait ces produits auprès de ses filiales Euronet en France et LN Service en Belgique qui assuraient l'activité de location-entretien, ou directement auprès d'autres clients en France et en Europe dont, notamment, la société New Wash, loueur établi en Italie.

En mai 1995, afin de faire face à des difficultés économiques, RVT a conservé son activité de fabrication de serviettes industrielles réutilisables, mais a cédé ses filiales Euronet et LN Service au GIE Elis, lui-même non fabricant. Le 30 juin 1995, RVT a signé avec le GIE Elis, agissant en son nom et pour le compte d'Euronet et LN Service, un contrat de fourniture exclusive desdits produits pour une durée de dix ans, assorti d'une clause de non-concurrence par laquelle RVT s'interdisait toute reprise d'une activité de location-entretien.

En 2003, la société italienne New Wash (ci-après "New Wash"), client important de RVT depuis 2000, a rompu le contrat de fourniture de serviettes industrielles en Italie qui la liait à RVT.

En 2004, le contrat de fourniture exclusive conclu entre RVT et le GIE Elis a été reconduit, pour une durée de quatre ans, devant expirer le 28 février 2009, mais sans clause de non-concurrence.

Selon RVT, les sociétés Euronet et LN Service ont, en janvier et février 2006, interrompu leurs commandes auprès d'elle et la société Euronet, alors devenue Mewa Euronet, en a temporairement repris le cours en mars 2006 avant de l'interrompre définitivement en décembre 2006.

Fin février 2006, le groupe allemand Mewa, spécialisé dans les services pour la gestion des textiles industriels et qui exerce notamment les activités de fabrication, commercialisation et location-entretien de serviettes industrielles réutilisables, a acheté au GIE Elis la société Euronet qui a été dissoute quelques mois plus tard par une opération de fusion-absorption avec la filiale française du groupe Mewa, la société Mewa SARL, dont le siège social est à Avermes (03) et qui exerce l'activité de location-entretien de serviettes industrielles réutilisables.

A partir de l'année 2006, la société RVT a progressivement mis fin à son activité de fabrication de serviettes industrielles réutilisables, se recentrant, pour l'essentiel, sur une activité de production d'articles de loisirs de plein air et, accessoirement, sur une activité de production de serviettes industrielles jetables.

Depuis cette époque, des contentieux opposent la société RVT aux sociétés GIE Elis, LN Service et Mewa, RVT invoquant pour sa part une inexécution et une rupture fautive du contrat de fourniture qui la liait au GIE et en dernier lieu à la société Mewa et son élimination du marché.

C'est dans ces circonstances que, s'estimant victime de pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par Mewa, pratiques qui auraient conduit à son élimination du marché de la fabrication et de la commercialisation de serviettes industrielles réutilisables, la société RVT a saisi l'ADLC ;

RVT a par la suite complété cette saisine par une demande de mesures conservatoires qui a été rejetée par décision de l'Autorité du 30 novembre 2010.

A l'issue de l'instruction au fond, une proposition de non-lieu a été adressée aux parties le 21juillet 2011, précisant qu'elles disposaient d'un délai de deux mois pour faire part de leurs observations en vertu de l'article L. 463-2 du Code de commerce.

Le 20 septembre2011, RVT a notifié ses observations à l'Autorité et communiqué des pièces.

Le 23 septembre 2011, l'Autorité a adressé aux parties une convocation à la séance du Collège, séance qui s'est tenue le 1er décembre suivant.

Par une décision n° 12-D-11 du 6 avril 2012 (la Décision), l'Autorité a décidé :

Article 1er : Le dossier enregistré sous le numéro 09-0054 F est renvoyé à l'instruction en ce qui concerne les pratiques de clauses d'exclusivité dénoncées.

Article 2 : Pour le reste du dossier, sur la base des informations dont l'Autorité de la concurrence dispose, il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.

Par jugement du 2 avril 2013, le Tribunal de commerce de Dunkerque a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société RVT.

LA COUR

Vu le recours en annulation ou réformation déposé le 15 mai 2012 au greffe de la cour par la société RVT et les mémoires déposés par cette société le 11 juin 2012 et en réplique le 21 mars 2013, demandant à la cour :

- à titre principal, de réformer la Décision et dire que les pratiques dénoncées constituent une entente, un abus de position dominante et en toute hypothèse un abus de dépendance économique tels que visés par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et les articles 101 et 102 du TFUE ; qu'elles caractérisent par leur ampleur du fait de l'élimination d'un concurrent, par leur caractère planifié sur une durée étendue de 2003 à 2007, par la multiplicité des procédés répréhensibles utilisés, une atteinte d'une particulière gravité aux principes d'une concurrence libre et sereine, â la fluidité du marché et à la nécessité de préserver la diversité des acteurs sur le marché pertinent, et de statuer en conséquence sur les sanctions à prononcer ;

- à titre subsidiaire, de réformer la Décision et d'ordonner la poursuite de l'instruction en raison de son insuffisance liée à l'absence de définition du marché pertinent ;

Vu les conclusions d'intervention volontaire de la Selarl Ajjis, prise en la personne de Maître Labis, administrateur judiciaire et de Maître Dominique Miquel, mandataire judiciaire de la société RVT, désignés par le jugement du Tribunal de commerce de Dunkerque du 2 avril 2013 ouvrant une procédure de redressement judiciaire à l'égard de cette société, déposées le 28 mai 2013 au soutien de l'ensemble des demandes et moyens de la société RVT ;

Vu la déclaration en jonction à l'instance déposée le 14 juin 2012 par la société Mewa SARL au soutien de la Décision et son mémoire déposé le 21 mars 2013 tendant à la confirmation de la Décision et à la condamnation de RVT au paiement d'une somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les observations de l'Autorité de la concurrence déposées le 31 janvier 2013 au greffe de la cour ;

Vu le courrier du ministre chargé de l'Economie en date du 17 janvier 2013 par lequel il indique qu'il n'entend pas user de la faculté de présenter des observations écrites et orales ;

Vu les observations écrites du Ministère public, mises à la disposition des parties ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 30 mai 2013, les conseils des parties, le conseil de la requérante ayant été mis en mesure de répliquer et ayant eu la parole en dernier, ainsi que le représentant de l'Autorité de la concurrence et le Ministère public ;

SUR CE :

Considérant qu'à titre liminaire sur la procédure, il est constaté que, bien que ne sollicitant pas l'annulation de la Décision mais seulement sa réformation sur le fond, la société RVT expose que le principe du contradictoire a été violé au cours de la phase d'instruction car la proposition de non-lieu a été préparée depuis la décision de l'Autorité du 30 novembre 2010 sur les mesures conservatoires sans que ses observations ne soient sollicitées ni prises en considération ;

Mais considérant qu'ainsi que le rappelle la Décision, RVT a été auditionnée à plusieurs reprises lors de la procédure de mesures conservatoires ; qu'elle a, au cours de l'instruction au fond, eu accès au dossier, a pu y verser tous les éléments qu'elle estimait nécessaires et formuler ses observations écrites sur la proposition de non-lieu ; que RVT a effectivement, après la notification de la proposition de non-lieu le 21 juillet 2011, notifié ses observations et communiqué des pièces le 20 septembre 2011 avant de recevoir le 23 septembre 2011 une convocation à la séance du collège de l'Autorité prévue le 1er décembre 2011 ; qu'elle ne conteste pas avoir été entendue lors de la séance du collège ; que l'Autorité avait, lorsqu'elle s'est prononcée sur les faits dénoncés par RVT, connaissance de toutes les observations et pièces de cette société ; que la Décision a exactement écarté les arguments de RVT relatifs à la violation du contradictoire ; que sous couvert d'une violation du contradictoire, la requérante conteste en réalité la proposition du rapporteur tendant au prononcé d'un non-lieu ;

Considérant sur le fond, qu'à titre principal, la requérante prie la cour de réformer la Décision en ce qu'elle n'a pas délimité le marché pertinent avant de procéder à l'examen des pratiques d'entente et d'abus de position dominante dénoncées et de dire que le marché pertinent est celui de la serviette tissée, puis de constater l'existence d'une entente entre les sociétés des groupes Elis et Mewa et d'abus de position dominante du groupe Mewa, et enfin, l'existence d'abus de dépendance économique ; qu'à titre subsidiaire, la requérante entend faire constater L'absence de définition suffisante par la Décision du marché pertinent et voir ordonner la poursuite de l'instruction ;

Sur la définition du marché pertinent

Considérant que la société RVT, qui a saisi l'Autorité de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fabrication et de la commercialisation de serviettes industrielles réutilisables, soutient que la Décision semble avoir procédé à la définition d'un marché pertinent constitué des serviettes industrielles, et non de l'essuyage industriel comme le retenait l'instruction, et reproche à la Décision d'avoir considéré pouvoir statuer sur le grief d'abus de position dominante à partir de la seule analyse de l'abus sans avoir préalablement défini le marché pertinent ; qu'elle ajoute que ce marché doit être défini comme étant celui de la serviette tissée ;

Mais considérant qu'il convient de rappeler, d'une part, que la Décision ne fait pas état d'un marché de l'essuyage industriel, mais retient que les pratiques dénoncées concernent le secteur des serviettes industrielles, d'autre part, que la Décision, ainsi qu'elle le rappelle elle-même (n° 79) a estimé superflu de définir précisément le marché en cause en constatant que les pratiques reprochées ne pouvaient être tenues pour contraires au droit de la concurrence, et ce quel que soit la définition donnée au marché et la position occupée par l'entreprise mise en cause ;

Considérant que cette méthode, retenue par la Décision, est critiquée par la requérante qui relève exactement que la définition du marché de produits ou services et du marché géographique en cause constitue en général le point de départ de l'examen à conduire pour qualifier un comportement donné d'infraction aux règles de la concurrence ;

Considérant, cependant, que cette méthode n'est pas intangible ;

Qu'en effet, le juge de l'Union rappelle de façon constante que l'obligation d'opérer une délimitation de marché dans une décision adoptée en application de l'article 101 du traité ne s'impose à la Commission que lorsque, sans une telle délimitation, il n'est pas possible de déterminer si l'accord, la décision d'association d'entreprises ou la pratique concertée en cause est susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres et a pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun ; qu'il est de même, admis en droit interne, que lorsque des pratiques sont examinées au titre de la prohibition des ententes, il n'est pas nécessaire de définir le marché avec précision dès lors que le secteur a été suffisamment identifié pour permettre de qualifier les pratiques observées et de les imputer aux opérateurs qui les ont mis en place ;

Qu'il est néanmoins exact que "la délimitation du marché ne joue pas le même rôle selon qu'il s'agit d'appliquer l'article 101 du traité ou l'article 102 du traité " ; que la Cour de justice rappelle que dans "le cadre de l'application de l'article 102 du traité, la définition adéquate du marché en cause est une condition nécessaire et préalable au jugement porté sur un comportement prétendument anticoncurrentiel, puisque, avant d'établir l'existence d'un abus de position dominante, il faut établir l'existence d'une position dominante sur un marché donné, ce qui suppose que ce marché ait été préalablement délimité" ;

Considérant que cette jurisprudence se borne ainsi à affirmer qu'il n'est pas possible de sanctionner un abus de position dominante sans avoir préalablement prouvé que l'entreprise sanctionnée détient effectivement une position dominante ; que la détention d'une telle puissance économique ne se conçoit que sur un marché donné ; que, partant, il n'est pas sérieusement contestable qu'afin de réprimer un abus de position dominante, la délimitation du marché en cause est un préalable obligatoire ;

Qu'elle n'exclut cependant pas que l'incrimination d'abus de position dominante soit écartée au regard de la simple constatation qu'en toute hypothèse, quelle que soit la définition donnée au marché, le ou les comportements d'une entreprise en position dominante ne pourraient pas être qualifiés d'abus ;

Qu'il en résulte que la Décision ne peut être critiquée en son principe en ce que, par une économie de moyens, elle s'est bornée à retenir que les pratiques dénoncées concernaient le secteur des serviettes industrielles et a estimé superflu de procéder à une analyse plus précise du marché au motif que les comportements dénoncés ne pouvaient, quels que soient le marché en cause et la position, dominante ou non, de l'entreprise Mewa sur le marché, être considérées comme abusives ;

Considérant, dès lors, que, sans qu'il y ait lieu à réformation ou à renvoi à l'instruction du seul chef de la méthode d'analyse adoptée par la Décision, il convient d'examiner les critiques formulées par la requérante des analyses de la Décision relatives aux pratiques dénoncées ;

Sur la dénonciation par RVT d'une "action concertée et entente entre les sociétés des groupes Elis et Mewa"

Considérant que RVT dénonçait de ce chef devant l'Autorité :

- le fait qu'aux mois de janvier et février 2006, soit avant même le rachat d'Euronet par Mewa, le GIE Elis aurait brutalement interrompu les commandes de serviettes industrielles auprès de RVT, commandes qui auraient été reprises par la suite avant de s'arrêter totalement en décembre 2006, ces faits ne pouvant, selon elle, résulter que d'une entente anticoncurrentielle mise en œuvre par le GIE Elis et Mewa ;

- des contacts entre Mewa et le GIE Elis mettant en évidence leur volonté concertée de ne pas révéler une opération de concentration qui allait entraîner l'élimination de RVT du marché ;

- des contacts entre Mewa et le GIE Elis lors de la cession d'Euronet intervenus alors même que le GIE Elis avait pris l'engagement devant le Conseil de la concurrence de s'abstenir de contacter ses concurrents ;

Considérant que, sur ces deux derniers points, la requérante indique prendre acte des précisions apportées par l'Autorité ; qu'en effet, d'une part, la Décision (n° 62) relève exactement que, contrairement à. ce que soutenait RVT, Mewa n'avait pas méconnu une obligation de notifier l'opération de concentration par laquelle elle a pris le contrôle d'Euronet le 28 février 2006 avant de l'absorber le 29 décembre 2006 dès lors qu'une telle notification n'était pas nécessaire au regard des seuils de contrôle alors en vigueur ; qu'en effet, d'autre part, la Décision (n° 67) observe à juste titre que les engagements dont il est fait état datent de 2007 alors que les pratiques dénoncées auraient été mises en œuvre en 2006 ;

Considérant, sur le premier point, que la requérante invoque une entente entre les sociétés des groupes GIE Elis et Mewa, entente qui serait caractérisée par des suspens ions concertées de commande successivement opérées par le GIE Elis en janvier et février 2006, soit durant les deux mois précédant la cession de la société Euronet par le GIE Elis à Mewa, puis par la société Mewa qui aurait, en décembre 2006, définitivement cessé d'adresser des commandes à RVT ; qu'elle soutient que cette entente visait à permettre au groupe Mewa de reprendre à son compte la fourniture à Euronet des serviettes industrielles jusqu'alors fournies par RVT et ainsi à l'éliminer du marché ;

Mais considérant que, si après décembre 2006, Mewa a cessé d'adresser toute commande à la société RVT et s'est approvisionnée auprès d'une société du même groupe qu'elle, la requérante ne verse aux débats aucun élément de nature à accréditer son allégation selon laquelle un accord de volontés serait intervenu entre le GIE Elis et la société Mewa pour exclure la société RVT du secteur de la fabrication et de la commercialisation des serviettes industrielles réutilisables ; que, contrairement à ce qui est soutenu, l'existence d'un tel accord ne saurait résulter du seul fait que le GIE Elis a cessé d'adresser des commandes à RVT en janvier et février 2006 avant la vente d'Euronet à Mewa et que Mewa a, début 2007, définitivement cessé d'adresser des commandes à RVT ;

Qu'il résulte de ce qui précède que la Décision doit être approuvée et le recours rejeté s'agissant des faits d'entente allégués ;

Sur les abus de position dominante du groupe Mewa invoqués par la société RTV

Considérant qu'après avoir souligné la position dominante de la société Mewa sur le marché de la fabrication et de la commercialisation de serviettes industrielles, la requérante soutient que cette société a exploité de façon abusive cette position ;

Que la société RVT invoque les comportements suivants à titre d'abus :

- (a) "la planification à long terme d'une stratégie d'élimination du marché pertinent de RVT", Mewa l'ayant progressivement de 2003 à 2007 privé de ses clients en procédant en Italie puis en France à des opérations de concentrations successives ; qu'ainsi, en 2003, la société italienne New Wash, cliente de RVT depuis 2000, aurait brutalement annulé le contrat d'approvisionnement en serviettes industrielles la liant à RVT pour se fournir auprès du groupe Mewa, éliminant RVT du marché en Italie, puis Mewa aurait en 2006 pris le contrôle de New Wash ; qu'en outre, en 2006 du fait de l'interruption brutale des commandes des sociétés Euronet pour la France et l'Allemagne et LN Service pour la Belgique et de leur rachat par le groupe Mewa qui a substitué une société de son groupe à RVT pour fournir à ces deux sociétés des serviettes industrielles, RVT a été éliminée des marchés en France, en Allemagne et en Belgique ; qu'enfin et par ailleurs, en 2007, la société allemande Mewa Textil Service AG&Co a rompu brutalement la relation commerciale qui la liait à RVT pour la fourniture de rouleaux essuie-mains et ce en raison de l'action en justice entreprise par RVT à l'encontre de Mewa France ;

- (b) "le contrat de fourniture de serviettes industrielles réutilisables : l'arrêt brutal des commandes par le GIE Elis et la sociétés Mewa SARL (anciennement Euronet) et Mewa Servibel (anciennement LN Service) sans motif légitime" ; qu'il est soutenu qu'en violation de la clause d'exclusivité, en vigueur jusqu'au 28 février 2009, prévoyant que le GIE Elis et les sociétés Euronet et LN Service étaient tenus de se fournir en serviettes industrielles exclusivement auprès de RVT, les sociétés Mewa se sont approvisionnées auprès de la société allemande Mewa Mechanische Weberel et que la cessation brutale des relations commerciales avec la société RVT sans motif légitime par les sociétés du groupe Elis caractérise l'abus de position dominante ;

- (c) "la substitution frauduleuse et le démarchage brutal opérés par Mewa auprès des clients d'Euronet " ; qu'il est soutenu que les clients de la société Euronet qui avaient conclu avec celle-ci des contrats de location de serviettes industrielles ont été systématiquement et frauduleusement démarchés par la société Mewa aux fins de les contraindre à signer avec elle un nouveau contrat de location se substituant au contrat en cours ;

- (d) "les pratiques commerciales de la société Mewa attentatoires à la libre concurrence", ces pratiques concernant les clauses des contrats que Mewa fait signer à ses clients ;

- (e) "les manœuvres dilatoires tendant à entretenir RVT dans une croyance fallacieuse que le contrat pouvait se poursuivre" ; que sont incriminés à ce titre, d'une part, la reprise partielle et éphémère des commandes de la société Euronet (Mewa) à compter de mars 2006 après leur interruption en janvier et février 2006 (GIE Elis), reprise pouvant laisser espérer à RVT un rattrapage des quantités habituelles, mais en réalité destinée à laisser à Mewa le temps de s'organiser, d'autre part, la proposition par Mewa en novembre 2006 d'un nouveau contrat dont les dispositions léonines révèlent un abus de position dominante ;

Qu'enfin, la société RVT critique Je raisonnement de la Décision sur le refus d'achat abusif et le caractère abusif de la rupture des relations commerciales ;

Considérant, sur ce, qu'il convient au préalable d'observer que la cour est saisie d'un recours contre la Décision rendue par l'Autorité le 6 avril 2012 ; que sont donc inopérants les développements de la requérante en ce qu'ils critiquent la motivation de la proposition de non-lieu des services d'instruction, motivation au demeurant non reprise par la Décision sur plusieurs points ;

Considérant, par ailleurs, que la requérante incrimine, en invoquant des intitulés de griefs différents, divers comportements de la société Mewa dont il convient de vérifier s'ils pourraient être tenus pour des pratiques abusives s'ils étaient mis en œuvre par une entreprise en position dominante ;

Considérant, sur (a) la planification d'une stratégie d'élimination invoquée, qu'ainsi que le relève la Décision (n° 101 et 102), certaines prétendues pratiques d'élimination à long terme du marché européen dont fait état la requérante se sont déroulées en Italie s'agissant de la société New Wash en 2003, et en Belgique s'agissant de la société LN Service en 2006 ; qu'il sera ajouté qu'aucun élément n'accrédite la thèse de la requérante selon laquelle l'interruption par la société italienne New Wash d'un contrat d'approvisionnement auprès de RVT en 2003, sans qu'il soit soutenu qu'un contentieux s'en serait suivi, et La prise de contrôle en 2006 de New Wash par le groupe Mewa participeraient, non pas d'un simple changement de fournisseur par cette société et d'une opération postérieure de concentration, mais d'une "stratégie" d'élimination de RVT ; que, s'agissant de la société LN Service, il convient de se référer aux développements ci-après relatifs à la société Euronet montrant l'absence de caractère anticoncurrentiel de la rupture invoquée ; qu'enfin et par ailleurs, il n'est pas établi que l'annulation par une filiale allemande du groupe Mewa (la société Mewa Textil Service AG & Co) d'une commande adressée à RVT le 2 mai 2007 de 3 456 rouleaux essuie-mains s'insère dans une "stratégie" d'élimination, et ce d'autant moins que la société allemande mentionne expressément que cette annulation fait suite au contentieux opposant RVT et Mewa France et n'exclut pas une future collaboration ;

Considérant, sur (b) le contrat de fourniture de serviettes industrielles réutilisables signé avec le GIE Elis dont Euronet était membre, contrat aux termes duquel RVT était le fournisseur exclusif d'Euronet pour l'ensemble de ses besoins, qu'il est soutenu qu'en rompant ce contrat brutalement, avant son terme fixé au 28 février 2009 dans le but d'éliminer RVT du marché (soit une interruption de commandes durant les deux mois précédant la cession d'Euronet en février 2006, puis, après une reprise des commandes jusqu'en décembre 2006, une interruption définitive une fois Euronet absorbée par Mewa, une filiale du groupe Mewa se substituant à RVT pour fournir à Euronet devenue Mewa France les serviettes industrielles réutilisables nécessaires à l'exercice de son activité de location-entretien de ces produits), la société Mewa a commis un abus de position dominante contraignant RVT à cesser d'utiliser ses nouveaux métiers à tisser, à lancer un plan social et conduisant finalement à l'éliminer ;

Considérant que c'est à juste titre que la Décision examine les faits dénoncés au regard des dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 TFUE comme susceptibles de constituer soit une pratique abusive de refus d'achat, soit une pratique abusive de rupture des relations commerciales ;

Considérant, sur le refus d'achat auquel pourrait être assimilée la rupture du contrat d'approvisionnement exclusif par Mewa, que la Décision retient, sans être contredite, que cette pratique ne pourrait constituer un abus de position dominante que s'il était démontré que les services de location de serviettes industrielles proposés par Mewa pouvaient être qualifiés d'infrastructure essentielle en ce que, notamment ils constitueraient des canaux de distribution de serviettes réutilisables incontournables et impossibles à répliquer pour RVT ; que la Décision, contestée sur ce point, retient qu'une telle qualification est exclue puisqu'avant de la céder au GIE Elis, RVT avait fondé la société Euronet, spécialisée dans la location de serviettes industrielles "si bien qu'il n'est pas possible d'affirmer qu'une telle activité ne pourrait être reproduite dans des conditions raisonnables par les concurrents de l'entreprise qui la gère."

Considérant que la requérante conteste ce dernier point en faisant valoir que "l'existence d'alternatives satisfaisantes doit être appréciée en prenant en compte des conditions économiques raisonnables de la reproduction des infrastructures ainsi qu'un délai approprié pour le concurrent" ; qu'elle expose qu'après son éviction du marché de la serviette industrielle, elle n'avait plus la capacité financière qui lui aurait permis de reproduire une usine de traitement (lavage) permettant de fournir des services de location de serviettes industrielles, ce dont il résulterait que l'infrastructure n'était pas, par elle, reproductible dans des conditions raisonnables ;

Mais considérant que la société RVT ne justifie pas du fait que l'accès aux services de location de serviettes industrielles réutilisables proposés par Mewa lui serait indispensable pour exercer son activité de fabrication et de commercialisation de ces produits ; qu'il n'est pas démontré que ces services constitueraient un canal de distribution incontournable et qu'ils auraient été impossibles à répliquer dans des conditions économiques raisonnables ;

Considérant, sur la qualification d'abus au sens des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 TFUE de la rupture par Mewa du contrat d'approvisionnement exclusif, que la Décision retient (n° 85 à 97), d'une part que la cessation de l'approvisionnement de Mewa auprès de RVT n'était pas en elle-même fautive alors que Mewa, elle-même fabricante de serviettes industrielles réutilisables et offrant par ailleurs des services de location de ces produits, pouvait ne plus souhaiter s'approvisionner auprès de RVT pour des raisons de coûts et de considérations liées à la rationalisation de son mode d'approvisionnement dans le cadre d'une intégration verticale, d'autre part, que le fait que cette rupture d'une relation commerciale exclusive soit intervenue deux ans avant le terme contractuel, s'il peut justifier un contentieux commercial, ne pourrait relever du droit de la concurrence que si la rupture brutale de la relation commerciale avait un objet ou des effets anticoncurrentiels actuels ou potentiels ; que, selon la Décision, tel n'est pas, en l'espèce, le cas dès lors que la poursuite du contrat jusqu'à son terme n'aurait fait que retarder la sortie de RVT de l'activité de fabrication de serviettes, sans influence significative sur le fonctionnement du secteur concerné ; qu'en effet, RVT, qui n'était plus liée par une clause de non-concurrence depuis 2004, n'avait entrepris aucune démarche pour se repositionner sur l'offre de services de location alors même qu'elle savait proche la fin du contrat litigieux et en avait la possibilité ;

Considérant que la requérante reproche à l'Autorité, d'une part, de "valider une décision d'intégration verticale" et, d'autre part, d'avoir mal apprécié les conséquences de la sortie du marché à laquelle elle a été contrainte car ce faisant, Mewa a obtenu l'élimination de son dernier concurrent qui, en outre, se voyant infliger une perte de marge de 1,6 millions euros du fait de la rupture inattendue et brutale du contrat, ne disposait pas des moyens d'investir dans une activité nouvelle ;

Mais considérant, d'une part, qu'il ne peut être soutenu que la Décision aurait validé une opération d'intégration verticale ; qu'ainsi qu'il a été dit, l'opération de concentration entre Mewa et Euronet n'était pas contrôlable au sens des articles L. 430-1 et suivants du Code de commerce alors en vigueur ;

Considérant, d'autre part, que le préjudice invoqué par la requérante relève de la compétence du juge de la réparation ; que l'argumentation de la requérante n'est pas de nature à contredire les conclusions de la Décision relatives à l'absence d'impact sur le fonctionnement de la concurrence dans le secteur d'activité concerné de la brutalité de la rupture par Mewa du contrat d'approvisionnement ;

Considérant, s'agissant des autres comportements invoqués comme abusifs, que (c) "la substitution frauduleuse et le démarchage brutal opérés par Mewa auprès des clients d'Euronet", ne sont, à les supposer établis, pas dissociables de la rupture brutale du contrat d'approvisionnement soumise au juge de droit commun ; qu'il en est de même des (e) "manœuvres dilatoires tendant à entretenir RVT dans une croyance fallacieuse que le contrat pouvait se poursuivre" ; qu'enfin, s'agissant des comportements dénoncés sous le titre de (d) "pratiques commerciales de la société Mewa attentatoires à la libre concurrence", la requérante rappelle elle-même que ces pratiques, qui concernent les clauses des contrats que la société Mewa fait signer à ses clients, ont fait l'objet par la Décision d'un renvoi à l'instruction ;

Sur l'abus invoqué d'une dépendance économique de RVT à l'égard de Mewa

Considérant que RVT fait grief à la Décision (n° 71 à 77) d'avoir exclu un abus de dépendance économique dont se serait rendue coupable Mewa du fait de la rupture du contrat d'approvisionnement exclusif ; que la requérante soutient que, contrairement à ce que retient la Décision, ce n'est pas son chiffre d'affaires global qui doit être pris en considération, mais celui de l'activité concernée et qu'il doit être tenu compte des conséquences de la rupture sur cette activité (licenciements et mises au rebut de machines, sans espoir de retrouver une clientèle de substitution dans un délai raisonnable, Mewa en monopole étant le seul acheteur capable de commander les volumes précédemment confiés à la société RVT) ; qu'elle ajoute que la concentration de ses ventes de serviettes industrielles réutilisables auprès d'Euronet ne résulte pas de choix stratégiques de sa part ;

Mais considérant que, contrairement à ce que soutient RVT, c'est à bon droit que la Décision, afin d'apprécier l'éventuel état de dépendance économique dans lequel se serait trouvée RVT à l'égard de Mewa, repreneur de son ancienne filiale Euronet, a pris en compte l'importance de ce distributeur dans son chiffre d'affaires global et non dans celui réalisé avec les produits en cause ; que RVT reconnaît elle-même qu'à l'époque de la rupture litigieuse, la part de son chiffre d'affaires résultant des ventes de serviettes réutilisables, par rapport à son chiffre d'affaires global, était sinon marginale, à tout le moins faible ; qu'il ne peut par conséquent être soutenu que RVT se trouvait en situation de dépendance économique à l'égard de Mewa ; que les critiques de la requérantes ne peuvent qu'être écartées car non fondées s'agissant de l'état de dépendance économique qu'elle invoque et par conséquent inopérantes pour le surplus ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il y ait lieu de renvoyer le dossier à l'instruction, le recours formé par la société RVT doit être rejeté ;

Considérant que l'équité ne conduit pas à faire application en l'espèce des dispositions de L'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Reçoit les interventions volontaires de la Selarl Ajjis, prise en la personne de Me Labis, ès qualités d'administrateur judiciaire et de Maître Dominique Miquel, ès qualités de mandataire judiciaire de la société Roland Vlaemynck Tisseur (RVT) ; Reçoit l'intervention de la sociéjé Mewa SARL ; Rejette le recours formé par la société Roland Vlaemynck Tisseur contre la décision n° 12-D-11 de l'Autorité de la concurrence du 6 avril 2012 ; Déboute Les parties pour le surplus ; Condamne la société Roland Vlaemynck Tisseur aux dépens ; Vu l'article R. 470-2 du Code de commerce, dit que sur les diligences du greffe de la Cour d'appel de Paris, le présent arrêt sera notifié, par lettre recommandée avec accusé de réception, à la Commission européenne, à l'Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l'Economie.