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Décisions

Cass. com., 24 septembre 2013, n° 12-19.640

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

PH7 (SARL)

Défendeur :

Loyalty développement (SARL), Loyalty expert (SAS), G concept (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Rapporteur :

M. Pietton

Avocat général :

M. Mollard

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Bénabent, Jéhannin

Lyon, 1re ch. A, du 29 mars 2012

29 mars 2012

LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société PH7 que sur le pourvoi incident relevé par les sociétés Loyalty développement, Loyalty expert et G concept ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 29 mars 2012), que la société PH7 qui détenait 51 % des actions composant le capital de la société Loyalty expert (la société) a cédé 28,5 % de sa participation à la société G concept, contrôlée par M. Chollet, déjà détentrice de 49 % du capital de cette société, 7,5 % étant cédés à un tiers, M. Ducros ; que les sociétés Loyalty développement et G concept (les cessionnaires), actionnaires de la société, et cette dernière ont fait assigner la société PH7 en paiement de dommages-intérêts, lui reprochant d'avoir commis une réticence dolosive lors de la cession des actions en lui dissimulant la conduite de négociations avec une société concurrente de la société Loyalty expert et d'avoir commis des actes de concurrence déloyale ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société PH7 fait grief à l'arrêt de la condamner à payer aux cessionnaires une certaine somme sur le fondement du dol, alors, selon le moyen : 1°) qu'ainsi que le faisait valoir la société PH7 dans ses écritures d'appel, il était stipulé à l'article 12.2.1 de l'acte de cession à MM. Chollet et Ducros des parts détenues par la société PH7 dans la société Loyalty expert, que " les parties seront libres d'exercer leurs activités, y compris de manière concurrente, pour autant que cette concurrence soit loyale et sous réserve que le cédant, comme le cessionnaire, s'interdisent de s'intéresser aux clients et prestations visés en annexe " ; qu'il en résultait que, sous réserve de l'interdiction de travailler avec la clientèle de la société Loyalty expert, la société PH7 était parfaitement libre d'exercer une activité concurrente de celle de cette société ; qu'en jugeant néanmoins que la société PH7 avait commis un dol en s'abstenant d'informer les cessionnaires, préalablement à la conclusion de la cession des parts, qu'elle avait entamé des négociations en vue d'un rapprochement avec la société américaine B&I, sans avoir égard à la clause du contrat de cession établissant que les cessionnaires avaient contracté en ayant conscience que la société PH7 était en droit de concurrencer la société Loyalty expert, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1116 et 1134 du Code civil ; 2°) qu'il incombe à la partie qui se prétend victime d'un dol de rapporter la preuve de l'existence et du caractère déterminant de celui-ci ; qu'en l'espèce, la société PH7 faisait valoir que l'absence de divulgation, préalablement à la cession, des négociations qu'elle menait avec la société américaine B&I avait été sans incidence sur la validité de la cession dans la mesure où l'activité de la société B&I, qui développait un programme de fidélisation FSR destiné exclusivement aux industriels, n'était pas concurrente de celle de la société Loyalty expert qui ne travaillait qu'avec des distributeurs ; que pour retenir l'existence d'un dol, la cour d'appel énonce que même si les sociétés B&I et Loyalty expert exerçaient des spécialités différentes, " le service rendu est en lui-même identique et il n'est nullement établi que les particularités de la clientèle respective soient à ce point marquées que le marché de la fidélisation s'en trouverait sectorisé de manière étanche et irréversible ; rien ne permet de penser que chacune des entreprises se voyait fermer le secteur adjacent de marché sur lequel intervenait l'autre " et en conclut " qu'à défaut de cette preuve, la "position unique", le " potentiel de développement " et la "forte croissance" de la société Loyalty expert pouvaient se trouver affectés par l'arrivée de l'association FSR-CHD " ; qu'en statuant de la sorte, par des motifs hypothétiques, impropres à établir que le consentement des cessionnaires, sur lesquels pesait la charge de la preuve, avait été vicié par l'absence de connaissance des négociations intervenues entre les sociétés PH7 et B&I préalablement à la cession litigieuse, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du Code civil, ensemble l'article 1315 du même Code ;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant retenu une réticence dolosive de la société PH7 pour avoir dissimulé aux cessionnaires des négociations qu'elle avait entamées avec un partenaire, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer la recherche sollicitée sur la portée de la clause prévue à l'article 12.2.1 de l'acte de cession dès lors qu'aucune activité concurrente après la conclusion de la cession, régie par cette clause, n'était reprochée à la société PH7, a légalement justifié sa décision ;

Et attendu, d'autre part, que l'arrêt retient que la position unique de la société, son potentiel de développement et sa forte croissance pouvaient se trouver affectés par l'arrivée de l'association entre les sociétés PH7 et B&I et que compte tenu de l'extrême importance de ces trois circonstances sur la décision d'achat et pour la fixation du prix en fonction des perspectives du profit attendu au regard des critères reconnus comme pertinents par les parties, il est évident, connaissant les négociations en cours, que le cessionnaire n'aurait pas contracté ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel, qui a ainsi caractérisé, sans se fonder sur un motif hypothétique, la réticence dolosive de l'un des contractants et son caractère déterminant, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le second moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société PH7 fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande indemnitaire au titre d'actes de concurrence déloyale commis par la société Loyalty expert, alors, selon le moyen : 1°) qu'il était stipulé à l'article 12.2.1 du protocole de cession des parts de la société Loyalty expert qu'" à compter de la réitération du présent protocole, les parties seront libres d'exercer leurs activités, y compris de manière concurrente, pour autant que cette concurrence soit loyale et sous réserve des dispositions suivantes : (...) le cessionnaire, tant pour lui-même que pour la société s'interdit de s'intéresser directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, personnellement ou par personne physique ou morale interposée, pour son propre compte ou pour le compte de qui que ce soit, aux clients et prestations visés en annexe " ; que la société PH7 faisait valoir que la société Loyalty expert avait méconnu cet engagement en contractant avec la centrale d'achats Distriboissons, client mentionné dans l'annexe au contrat de cession, à la suite de la résiliation à compter du 31 décembre 2009 de la convention liant la société PH7 à la société Distriboissons, laquelle avait ensuite lancé un appel d'offres afin de trouver un prestataire unique pour elle-même et ses adhérents ; qu'en relevant, pour rejeter la demande indemnitaire de la société PH7, que la société Loyalty expert n'avait pas démarché la société Distriboissons, mais simplement répondu à l'appel d'offres de cette dernière qui souhaitait " globaliser les prestations " auparavant attribuées pour certaines à la société PH7, pour d'autres à la société Loyalty expert, la cour d'appel a méconnu les termes de l'article 12.2.1 du protocole de cession qui faisait la loi des parties, violant ainsi l'article 1134 du Code civil ; 2°) que l'arrêt attaqué a reconnu qu'était parfaitement licite, au regard du droit de la concurrence, la clause litigieuse au terme de laquelle la société Loyalty expert s'interdisait de s'intéresser directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, aux clients visés dans un document annexé au contrat de cession, parmi lesquels figurait la centrale d'achats Distriboissons ; que par l'effet de cette clause, la société Loyalty expert avait souscrit une obligation de ne pas faire, consistant à ne pas s'intéresser à ce client, et a fortiori de contracter avec lui, pendant une durée limitée de trois années ; qu'en écartant le jeu de cette clause, au motif que les adhérents de la centrale d'achats Distriboissons, dont certains traitaient auparavant soit avec la société PH7, soit avec la société Loyalty expert, avaient décidé de lancer une procédure d'appel d'offres afin de " globaliser les prestations " et de confier celles-ci à une société unique, circonstance qui ne pouvait justifier que la société Loyalty expert réponde à une procédure d'appel d'offres émanant de la centrale d'achats, avec laquelle elle s'était interdit de contracter, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;

Mais attendu que c'est par une interprétation souveraine du sens et de la portée de la clause interdisant au cessionnaire et à la société de s'intéresser aux clients visés dans l'annexe de l'acte de cession, comme prohibant le démarchage de ces derniers tout en permettant de répondre à un appel d'offre, que la cour d'appel a statué comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le moyen unique du pourvoi incident : - Attendu que les cessionnaires font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de dommages-intérêts au titre de la survalorisation du prix de cession résultant de la réticence dolosive de la société PH7, alors, selon le moyen : 1°) que la victime d'une réticence dolosive peut choisir de ne pas solliciter la nullité du contrat mais uniquement l'allocation de dommages-intérêts en réparation du préjudice que lui a causé le dol ; que cette réparation, qui doit permettre de replacer la victime dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si la dissimulation n'avait pas été commise, peut prendre la forme d'une restitution de l'excès de prix que cette dernière a été conduite à payer ; qu'en l'espèce, les cessionnaires, victimes d'une réticence dolosive, sollicitaient le versement de dommages-intérêts compensant la " survalorisation " du prix qu'elles avaient payé dans l'ignorance des négociations dissimulées par la société PH7 ; que pour caractériser l'existence d'un dol, la cour d'appel a retenu que les négociations litigieuses pouvaient affecter des éléments qui avaient une extrême importance pour la décision d'achat et la fixation du prix, et en a déduit " qu'il est évident que connaissant les négociations en cours, le cessionnaire n'aurait pas contracté ", ce qui impliquait a fortiori qu'il n'aurait pas contracté au même prix ; qu'il en découlait nécessairement que, pour pouvoir être replacées dans la situation dans laquelle elles se seraient trouvées si la dissimulation n'avait pas été commise, les cessionnaires devaient obtenir une restitution de l'excès de prix qu'elles avaient été conduites à verser dans l'ignorance du fait dissimulé ; qu'en retenant toutefois que " le dol ne peut justifier une réfaction du prix ", la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles 1116 et 1382 du Code civil ; 2°) que la réparation du préjudice subi par la victime d'une réticence dolosive doit permettre de replacer cette dernière dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si la dissimulation n'avait pas été commise ; que pour réparer le préjudice de l'acheteur victime d'un dol, il convient donc d'apprécier le prix que ce dernier aurait consenti à payer s'il avait connu les faits dissimulés, et non les pertes que ces faits lui ont causées ; qu'en retenant toutefois, pour rejeter la demande de réparation des exposantes au titre de la " survalorisation " du prix de cession, que " la manœuvre consistant à masquer les négociations n'a (...) eu en définitive aucune incidence sur la valeur des parts cédées ", la cour d'appel a statué par des motifs impropres à exclure une telle indemnisation et a ainsi violé les articles 1116 et 1382 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu que le dommage allégué, qui procédait de la dissimulation des pourparlers en cours avec un tiers au moment de la négociation de la cession, était inexistant dès lors qu'il n'était pas démontré que le prix était excessif au moment où les parties en sont convenues, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, et abstraction faite de ceux surabondants, critiqués par le moyen, pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : Rejette les pourvois principal et incident.