Cass. com., 24 septembre 2013, n° 12-14.344
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Pierre Fabre dermo-cosmétique (SAS), Laboratoires Klorane (SAS), Laboratoires dermatologiques Ducray (SAS), Laboratoires dermatologiques Avène (SAS), René Furterer (SAS), Laboratoires dermatologiques Galénic (SAS), Pierre Fabre Médicament (SAS)
Défendeur :
Caribéenne de diététique et santé (SARL), Martinique alimentation diététique (SARL), Compagnie de diététique du marin (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
Mme Riffault-Silk
Avocat général :
M. Mollard
Avocats :
SCP Baraduc, Duhamel, Me Copper-Royer
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 17 janvier 2012) que les sociétés Caribéenne de diététique et santé (CDS), Martinique alimentation diététique (MAD) et Compagnie de diététique du marin (CDM), qui exploitent chacune une parapharmacie en Martinique, sont distributeurs agréés des produits cosmétiques fabriqués par les sociétés Pierre Fabre dermo-cosmétique (PFDC), Laboratoires Klorane, Laboratoires dermatologiques Ducray, Laboratoires dermatologiques Avene, René Furterer, Laboratoires dermatologiques Galenic et Pierre Fabre médicament composant le groupe Pierre Fabre dermo-cosmétique (les sociétés du groupe PFDC) ; qu'en décembre 2008, les sociétés du groupe PFDC ont retiré leur agrément aux sociétés CDS, MAD et CDM en invoquant le non-respect de leur obligation, inscrite à l'article 1.1 des conditions générales de distribution et de vente, de ne vendre les produits que sur le conseil d'un diplômé en pharmacie physiquement présent sur le lieu de vente ; que les trois sociétés ont assigné les sociétés du groupe PFDC aux fins de voir constater la nullité de la clause invoquée ainsi que le caractère abusif de la rupture des relations commerciales, et d'en voir ordonner la reprise, sous astreinte ;
Sur le premier moyen : - Attendu que les sociétés du groupe PFDC font grief à l'arrêt d'avoir accueilli ces demandes alors, selon le moyen : 1°) que le juge a l'obligation de faire application aux parties de la loi du contrat ; que l'article 1.1 des conditions générales de distribution et de vente de la société PFDC imposait aux distributeurs agréés la présence physique et permanente d'un diplômé en pharmacie dans leur point de vente pendant toute l'amplitude horaire d'ouverture ; que la société PFDC a retiré son agrément aux sociétés CDS, MAD et CDM pour violation de cette obligation ; qu'il résultait des procès-verbaux dressés par huissier au sein des trois parapharmacies Cypria center qu'il était déclaré que M. Cleoron, pharmacien, aurait été tout à la fois présent dans la parapharmacie détenue par la société CDM dont il était " salarié ", et " présent en permanence " dans la parapharmacie détenue par la société CDS dont il était " salarié ", bien qu'il se soit " absenté une demi-heure pour soigner une douleur " ; que la cour d'appel a justement considéré que l'article 1.1 des conditions générales imposait la présence effective et continue d'un pharmacien pendant les heures d'ouverture ; qu'en décidant néanmoins que l'infraction à l'article 1.1 n'était pas constituée à l'égard des sociétés CDS et CDM, sans expliquer, ainsi qu'il le lui était demandé, comment ces dernières, employant le même pharmacien salarié pour être présent en permanence dans deux parapharmacies différentes, pouvaient respecter l'obligation résultant de cet article, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ; 2°) qu'un fabricant est libre d'organiser la distribution de ses produits sous réserve que le mode de distribution mis en œuvre n'ait pas pour objet ou pour effet de porter atteinte à la concurrence ; qu'un fabricant peut notamment exiger de ses distributeurs la présence sur le lieu de vente d'une personne titulaire d'un diplôme de pharmacie, spécialement qualifiée pour prodiguer des conseils aux acheteurs, cette exigence revêtant un caractère objectif ; qu'en jugeant illicite la clause des conditions générales de distribution et de vente de la société PFDC et de ses filiales imposant la présence sur le lieu de vente d'un diplômé en pharmacie, sans établir que cette exigence ne reposerait pas sur un critère objectif et serait susceptible de restreindre le jeu de la concurrence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 420-1 du Code de commerce ; 3°) qu'une convention est prohibée si elle a pour objet ou peut avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ; qu'en jugeant que la clause imposant la présence sur le lieu de vente d'un diplômé en pharmacie faussait le jeu de la concurrence et était illicite car " les produits PFDC sont également vendus par la voie d'Internet, ce qui a été autorisé par décision du Conseil de la concurrence du 29 octobre 2008 ", quand les produits ne sont pas vendus par le biais d'Internet en raison du sursis à exécution frappant cette décision du Conseil de la concurrence, la cour d'appel s'est fondée sur un motif inopérant pour caractériser l'atteinte à la concurrence, et a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 § 1 TFUE ; 4°) qu'en jugeant que, dès lors que l'intervention d'un pharmacien lors de la vente par Internet ne serait " ni prévue ni sans doute envisageable ", l'exigence de la présence d'un diplômé en pharmacie pour les distributeurs pratiquant la vente classique serait de nature à fausser la concurrence, sans expliquer en quoi la possibilité de vendre les produits sur Internet interdirait le maintien de la clause exigeant la présence d'un diplômé en pharmacie sur le lieu de vente, la cour d'appel a privé derechef sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 § 1 TFUE ; 5°) que le juge ne peut statuer par un moyen relevé d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en se fondant sur la distorsion de concurrence qui résulterait de la possibilité de vendre les produits sur Internet sans l'intervention d'un pharmacien, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen qui n'avait pas été avancé par les sociétés CDS, MAD et CDM, la cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile ; 6°) que chaque partie doit prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ; que la société PFDC et ses filiales démontraient la licéité de la clause de qualification professionnelle en faisant notamment valoir que de nombreux autres laboratoires de produits dermo-cosmétiques exigeaient la présence d'un diplômé en pharmacie sur le lieu de vente ; que la cour d'appel a affirmé que, contredites sur ce point, les exposantes ne produisaient " aucun justificatif à cette affirmation " ; qu'en se déterminant ainsi, quand l'exigence, par des entreprises concurrentes, de cette qualification professionnelle résultait des pièces versées au débat et notamment des décisions du Conseil de la concurrence des 1er octobre 1996 et 8 mars 2007, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 9 du Code de procédure civile ; 7°) que pour juger illicite la clause exigeant la présence d'un diplômé en pharmacie sur le lieu de vente, la cour d'appel a, par motifs adoptés, affirmé que la décision du Conseil de la concurrence du 1er octobre 1996, ayant admis la licéité de cette clause, était contredite par une autre décision du même Conseil de la concurrence du 29 octobre 2008 ; qu'en statuant par de tels motifs, quand le Conseil de la concurrence dans sa décision du 29 octobre 2008 ne s'est prononcé que sur la licéité de l'interdiction faite par la société PFDC à ses distributeurs agréés de vendre par le biais d'Internet, mais n'est nullement revenu sur la licéité de la clause de qualification professionnelle, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de la décision du Conseil de la concurrence du 29 octobre 2008, violant ainsi les articles 4 du Code de procédure civile et 1134 du Code civil ;
Mais attendu que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), saisie d'une question préjudicielle, a dit pour droit, le 13 octobre 2011 (aff. C-439-09), qu'une clause contractuelle, dans le cadre d'un système de distribution sélective, exigeant que les ventes de produits cosmétiques et d'hygiène corporelle soient effectuées dans un espace physique en présence obligatoire d'un pharmacien diplômé, ayant pour conséquence l'interdiction de l'utilisation d'Internet pour ces ventes, constitue une restriction par objet au sens de l'article 101 § 1 TFUE si, à la suite d'un examen individuel et concret de la teneur et de l'objectif de cette clause contractuelle et du contexte juridique et économique dans lequel elle s'inscrit, il apparaît que, eu égard aux propriétés des produits en cause, cette clause n'est pas objectivement justifiée ; qu'après s'être référé à cette décision, l'arrêt relève que les produits dermo-cosmétiques n'entrent pas dans le monopole des pharmaciens, qu'il n'est pas établi que les produits du groupe PFDC nécessitent sur le plan de la santé des utilisateurs des conseils particuliers et que le conseil d'utilisation sollicité le cas échéant par le consommateur peut être dispensé par toute personne ayant bénéficié d'une formation adéquate, en dermatologie ou cosmétologie par exemple ; qu'il en déduit qu'en ce qu'elle exige la présence sur le lieu de vente d'un diplômé en pharmacie, la clause a un caractère disproportionné et qu'elle est illicite ; qu'il relève encore que si une restriction par objet peut bénéficier d'une exemption individuelle au sens de l'article 101 § 3 TFUE, c'est à la condition qu'une telle pratique restrictive de concurrence contribue à un progrès économique et soit indispensable à la réalisation de ce progrès, ce qui n'est pas prétendu ; qu'en l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, et dès lors que les sociétés du groupe PFDC se bornaient à réclamer le bénéfice de l'exemption individuelle prévue par l'article 101 § 3 TFUE et par l'article L. 420-4 du Code de commerce, la cour d'appel, qui a fait la recherche visée par la deuxième branche et qui n'avait pas à faire celle, inopérante, visée par la première branche, a, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les autres branches, légalement justifié sa décision ; que le moyen, qui n'est pas fondé en ses deux premières branches, ne peut être accueilli pour le surplus ;
Et sur le second moyen : - Attendu que les sociétés du groupe PFDC font grief à l'arrêt de les avoir condamnées solidairement à payer différentes sommes à titre de dommages-intérêts aux sociétés CDS, MAD et CDM, alors, selon le moyen, que les parties ne peuvent soumettre de nouvelles prétentions à la cour d'appel ; que ne tendent pas aux mêmes fins la demande de reprise des relations commerciales, qui vise à faire exécuter un contrat, et la demande de dommages et intérêts, ayant pour but l'indemnisation du préjudice qui serait né de l'absence de ventes pendant la période d'interruption des relations commerciales ; qu'en jugeant recevable, comme constituant la conséquence ou le complément des demandes soumises aux premiers juges, la demande de dommages et intérêts formée pour la première fois en cause d'appel par les sociétés CDS, MAD et CDM, la cour d'appel a violé l'article 564 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que la demande de réparation du préjudice résultant de l'arrêt des livraisons constitue le complément des demandes soumises aux premiers juges tendant à la constatation du caractère abusif de la rupture des relations commerciales ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.