CA Bordeaux, 5e ch. civ., 26 septembre 2013, n° 12-4529
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Liot (SAS)
Défendeur :
Prépat'33 (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Miori
Conseillers :
Mme Sallaberry, M. Ors
Avocats :
Mes Combeaud, Janier-Javaudin, Chavillat, Delavallade
OBJET DU LITIGE ET PROCÉDURE
La société Liot est spécialisée dans la vente de produits d'œufs (ovoproduits) destinés essentiellement aux industries agro-alimentaires.
La société Prépat'33 a pour activité la fabrication de produits alimentaires et en particulier de pâtes qui utilisent dans leur composition de l'œuf entier concentré sucré que la société Liot commercialise sous le nom "œuf Mazarin".
La société Liot est le fournisseur habituel de la société Prépat'33.
Alors que précédemment le tarif pratiqué pour l'œuf Mazarin était de 1,50 le kilo pour 20 tonnes, pour la période de février 2012 à janvier 2013, un accord a été trouvé entre les deux sociétés pour la livraison de ce produit au prix de 1,75 /kg franco/20 tonnes. Le nouvel accord a été conclu le 13 janvier 2012.
Le 9 mars 2012, la société Liot a fait savoir par courriel à la société Prépat'33 qu'elle appliquerait désormais pour le contrat en cours un nouveau tarif porté à 2,40 /kg pour l'œuf Mazarin. Elle a indiqué que cette augmentation de prix était imposée par un cas de force majeure tenant à l'entrée en vigueur le 1er janvier 2012 de la directive 1999-74-CE qui impose aux élevages de mettre à la disposition des poules pondeuses un espace plus important, ce qui a pour conséquence de majorer considérablement le coût des œufs.
La société Prépat'33 a refusé la modification des conditions tarifaires conclues moins de deux mois auparavant et a demandé la livraison des produits selon les modalités convenues le 13 janvier 2012.
Les multiples contacts et échanges entre les parties n'ont pas permis d'aboutir à un accord.
Par acte d'huissier en date du 22 mai 2012, la société Prépat'33 a assigné la société Liot devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Bordeaux aux fins d'obtenir la condamnation de celle-ci, sous astreinte de 20 000 par infraction constatée, à livrer à la société Prépat'33, l'œuf Mazarin au prix convenu de 1,75 /kg par 20 tonnes, ainsi qu'à lui payer la somme de 3 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.
Par ordonnance en date du 10 juillet 2012, le juge des référés du Tribunal de commerce de Bordeaux a :
- Dit que la convention tarifaire conclue entre les parties doit être appliquée et ses tarifs respectés.
- Ordonné à la société Liot d'honorer les commandes d'œuf entier concentré sucré à 50 % dit Mazarin au prix convenu de 1,75 /kg par 20 tonnes passées par la société Prépat'33 et ce, sous astreinte de 400 par jour de retard sur la date de livraison convenue entre les parties, à compter du 15e jour suivant la signification de l'ordonnance, ladite astreinte limitée à un mois, passé lequel il sera de nouveau fait droit.
- S'est réservé le droit de liquider l'astreinte.
- Condamné la société Liot à payer à la société Prépat'33 la somme de 500 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamné la société Liot aux dépens.
Par déclaration en date du 10 juillet 2012 la société Liot a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions signifiées et déposées le 22 février 2013 elle demande à la cour de :
- La recevoir en son appel et le dire bien fondé,
En conséquence,
- Constater qu'il n'est justifié d'aucune urgence, ni de l'existence d'un trouble manifestement illicite.
- Constater l'existence d'une contestation réelle et sérieuse.
- Débouter la société Prépat'33 de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
- Condamner la société Prépat'33 à lui payer la somme de 3 000 sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la Selarl Patricia Matet-Combeaud, Avocat conformément aux dispositions de l'article 699 du même Code.
Dans ses dernières conclusions signifiées et déposées le 24 décembre 2012 la société Prépat'33 demande à la cour de :
- Confirmer la décision dont appel
Y ajoutant,
- Condamner reconventionnellement la société Liot à lui payer une provision de 50 000 à valoir sur l'indemnisation de son préjudice du fait, notamment, des nécessités de modification d'approvisionnement et d'emballage de ses produits.
- Condamner la société Liot à lui payer la somme de 5 000 sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 6 juin 2013.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'urgence et le trouble manifestement illicite
La société Liot soutient que le juge des référés ne pouvait faire droit à la demande de la société Prépat'33 fondée sur les articles 872 et 873 du Code de procédure civile, faute de caractériser l'urgence et l'existence d'un trouble manifestement illicite.
Il est constant que les conditions tarifaires convenues entre les parties le 13 janvier 2012 concernant les livraisons de l'œuf Mazarin à 1,75 /kg pour la période du 1er février 2012 au 30 janvier 2013 a été confirmée dans un document émanant de la société Liot daté du 13 mars 2012 portant la mention de garantie du prix jusqu'à la date indiquée sauf cas de force majeure.
Il résulte également des pièces produites que dans un document identique au précédent daté du 14 mars 2012 la société Liot a porté de façon unilatérale et sans concertation préalable le prix de l'œuf Mazarin au prix de 2,40 le kg, ce tarif étant applicable "à partir des livraisons du 10 mars 2012".
Ces circonstances démontrent amplement que la société Prépat'33 a été mise par son co-contractant devant le fait accompli, ceci caractérisant un trouble manifestement illicite constitué par la modification unilatérale de conditions tarifaires conclues 2 mois auparavant et confirmée dans un document du 13 mars 2012.
La société Liot refusant de livrer le produit au prix convenu a contraint la société Prépat'33 à recourir dans l'urgence à d'autres solutions. En effet, dans la mesure où l'augmentation imposée correspondant à 38 % du prix convenu, elle ne pouvait la répercuter à ses propres clients en particulier les groupes de distribution alimentaires avec lesquels les prix sont négociés par périodes au minimum bimestrielle.
Ainsi il est établi que les conditions de la saisine du juge des référés sur le fondement des textes précités est justifiée.
Sur l'application du contrat conclu le 13 janvier 2012
La société Liot soutient que la crise ayant affecté le marché de l'œuf au début de l'année 2012 constitue un cas de force majeure au sens de l'article 1148 du Code civil, qui justifie l'augmentation du tarif et le non-respect du contrat.
Cependant c'est à juste titre que la société Prépat'33 fait valoir que l'entrée en vigueur le 1er janvier 2012 de la directive 1999-74-CE ne saurait constituer un cas de force majeure, extérieur, imprévisible, irrésistible. Il est constant que la nouvelle réglementation était connue depuis sa publication en 1999, les éleveurs ayant donc eu plus de 10 ans pour se mettre en conformité. Il sera ajouté que les négociants professionnels de la filière des ovoproduits comme la société Liot ne pouvaient ignorer l'état des installations de production d'œufs, le risque de pénurie et de flambée du cours de l'œuf.
Il sera rappelé en outre que les deux sociétés ont renégocié à la hausse le tarif de l'œuf Mazarin de 1,50 le kg à 1,75 le kg le 13 janvier 2012 en raison de ces risques et alors que la directive précitée était déjà rentrée en application, cette augmentation correspondant à une majoration de prix de 17 %. Aucune autre convention n'a été établie depuis et aucun avenant n'a été signé par les deux sociétés.
C'est à tort que la société Liot tente de se prévaloir des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce relatif à l'abus de position dominante, car outre le fait que l'appréciation de ces éléments échappe à la compétence du juge des référés, il sera observé que la taille respective des deux sociétés en cause et le montant de leur chiffre d'affaire sont sans commune mesure, le rapport étant très largement en faveur de la société Liot.
De même la société Liot n'est pas fondée à invoquer l'application des dispositions de l'article L. 442-9 du Code de commerce relatif à la responsabilité de celui qui essaie de pratiquer, en situation de crise conjoncturelle des prix de première cession abusivement bas, puisque ceci ne peut concerner que les rapports entre les producteurs d'œuf et la société Liot s'agissant de "prix de première cession" alors qu'entre la société Liot et la société Prépat'33 il s'agit d'ovoproduit transformé. De plus l'appréciation de ces circonstances excède la compétence du juge des référés.
Ainsi c'est à juste titre que le premier juge a écarté la force majeure, indiqué qu'aucune contestation sérieuse ne s'opposait aux demandes de la société Prépat'33 et a dit que la société Liot devait appliquer le contrat conclu le 13 janvier 2012.
La résistance de la société Liot a rendu indispensable que l'injonction de livrer les produits dans les conditions contractuelles établies le 13 janvier 2012 soit assortie d'une astreinte.
La décision déférée sera confirmée dans toutes ses dispositions.
Sur la demande reconventionnelle de la société Prépat'33
La société Prépat'33 demande une provision de 50 000 à valoir sur la réparation du préjudice subi par les agissements de la société Liot à son encontre notamment, des nécessités de modification d'approvisionnement et d'emballage de ses produits.
La société Liot soutient que cette demande est irrecevable, en application des dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile, ayant été formée pour la première fois en cause d'appel et qu'elle est affectée d'une contestation sérieuse empêchant le juge des référés de statuer.
L'article 566 du Code de procédure civile dispose que : "Les parties peuvent expliciter les prétentions qui étaient virtuellement contenues dans leurs demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément".
Tel est bien le cas en l'espèce, la demande de provision est recevable.
En revanche s'agissant d'une éventuelle créance de dommages et intérêts résultant du préjudice subi par la société Prépat'33 du fait des agissements de la société Liot, l'appréciation de cette demande excède la compétence du juge des référés et relève de celle du juge du fond.
Il s'avère en effet que la société Prépat'33 ne produit devant le juge des référés aucune pièce de nature à établir l'existence et le montant du préjudice qu'elle prétend avoir subi, de sorte que l'allocation d'une provision à valoir sur ce préjudice n'est pas justifiée à ce stade de la procédure.
En conséquence il n'y a pas lieu à référé sur la demande reconventionnelle de la société Prépat'33.
Il sera fait application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société Prépat'33.
La société Liot qui succombe en son appel sera condamnée à en supporter les dépens.
Par ces motifs : LA COUR, - Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, Y ajoutant, - Déclare recevable la demande reconventionnelle de provision formée par la société Prépat'33, - Dit n'y avoir lieu à référé sur cette demande, - Déboute la société Liot de toutes ses demandes, - Condamne la société Liot à verser à la société Prépat'33 la somme de 2 500 sur le fondement de de l'article 700 du Code de procédure civile, - Condamne la société Liot à supporter les dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.