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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch. civ., 23 septembre 2013, n° 12-01231

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Thoron (Epoux), Etablissements Thoron (EURL)

Défendeur :

SPBI (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme O'yl

Conseillers :

Mme Rouger, M. Bancal

Avocats :

SCP Le Barazer & d'Amiens, SCP Boyreau, Mes Reye, Misserey

T. com. La Rochelle, du 19 sept. 2008

19 septembre 2008

Exposé du litige :

Par contrat du 17.3.1997, la SA Marina Europe, ayant son siège zone artisanale du Port des minimes à La Rochelle (Charente maritime) est devenue concessionnaire de la société de construction de bateaux SA Bénéteau, pour la partie nord du département de la Charente maritime allant de la frontière du département de la Vendée jusqu'à la ville de Rochefort.

Par lettre du 25 novembre 2000, le dirigeant de la société Marina informait le concédant de son désir d'apporter au contrat la modification suivante : "abandon du territoire de l'île de Ré au profit de M. Gilles Mourat société Océan Nautique basée à Saint-Martin en Ré".

Le 15 mars 2001, la SA Chantiers Bénéteau (anciennement SA Bénéteau), signait avec la société Océan Nautique de Saint-Martin en Ré un contrat de concession portant sur la zone territoriale de l'île de Ré du département de la Charente-Maritime.

Par acte sous seing privé du 17 février 2004, l'EURL Etablissements Thoron ayant alors son siège à Parthenay (79 200), qui exerçait une activité de commerce automobile, dont le gérant est Jean-Pierre Thoron, a acquis le fonds de commerce de vente de bateaux et matériel nautique de la SA Marina Europe au prix de 20 580 € s'appliquant à concurrence de 10 100 € aux éléments incorporels et de 10 480 € aux éléments corporels. Parmi les éléments incorporels figurait "le contrat de concession de la société Bénéteau SA".

À compter du même jour, l'EURL Etablissements Thoron a transféré son siège social zone artisanale des minimes à la Rochelle.

Par avenant au contrat de concession, daté des 30 avril 2004 et 3 mai 2004, l'EURL Etablissements Thoron devenait concessionnaire de la société Chantiers Bénéteau.

Par lettre du 16 septembre 2005, la société Chantiers Bénéteau informait l'EURL Etablissements Thoron de sa volonté de mettre fin au contrat de distribution avec un préavis contractuel de quatre mois.

Par lettre du 18 octobre 2005, la Caisse Régionale de Crédit Mutuel Charente-Maritime Deux-Sèvres, avisait l'EURL Etablissements Thoron de ce qu'elle mettait fin immédiatement à ses concours bancaires en se référant notamment à la dénonciation du contrat de concession par le groupe Bénéteau.

Par lettre du 27 octobre 2005, la société Chantiers Bénéteau avisait son cocontractant de ce que deux chèques d'un montant total de 166 992,98 € étant revenus impayés, le non-respect du contrat de distribution entraînait sa résiliation moyennant un préavis de 30 jours.

Par lettre du 19 décembre 2005 la société des Chantiers Bénéteau confirmait à l'EURL Etablissements Thoron la résiliation du contrat de concession.

Le 21.4.2006, invoquant une rupture abusive du contrat de concession, un abus de position dominante et une méconnaissance de l'exclusivité au profit de la société Océan Nautique installée à Saint-Martin en Ré, l'EURL Etablissements Thoron et les époux Thoron ont fait assigner la société Chantiers Bénéteau devant le Tribunal de commerce de la Rochelle afin d'obtenir sa condamnation à leur payer des dommages et intérêts.

Par jugement du 6 juin 2006, le Tribunal de commerce de la Rochelle prononçait le redressement judiciaire de l'EURL Etablissements Thoron, procédure qui fit ensuite l'objet d'un plan de continuation arrêté par jugement du 29 janvier 2008.

Par jugement du 19 septembre 2008 le Tribunal de commerce de la Rochelle a :

- déclaré mal fondées les demandes de l'EURL Etablissements Thoron, de Jean-Pierre Thoron et Jocelyne Leveille épouse Thoron et les a rejetées en totalité,

- admis la créance de la SA Chantiers Bénéteau au passif du redressement judiciaire de l'EURL Etablissements Thoron pour la somme de 160 347,80 €,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné solidairement l'EURL Etablissements Thoron, Jean-Pierre Thoron et Jocelyne Leveille épouse Thoron à payer à la SA Chantiers Bénéteau 4 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.

L'EURL Etablissements Thoron, Jean-Pierre Thoron et Jocelyne Leveille épouse Thoron ont interjeté appel le 9 octobre 2008.

Par arrêt du 11 janvier 2011 la Cour de Poitiers, a confirmé ce jugement, sauf à préciser que les dispositions prononcées au profit de la SA Chantiers Bénéteau bénéficient à la SAS SPBI venant à ses droits, et, y ajoutant, a condamné solidairement l'EURL Etablissements Thoron, Jean-Pierre Thoron et Jocelyne Leveille épouse Thoron à payer à cette dernière société, 4 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens d'appel.

Sur pourvoi interjeté par l'EURL Etablissements Thoron, Jean-Pierre Thoron et Jocelyne Leveille épouse Thoron, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, a, par arrêt du 21 février 2012, rendu au visa de l'article L. 330-3 du Code de commerce concernant l'information précontractuelle, cassé et annulé l'arrêt rendu le 11 janvier 2011 par la Cour d'appel de Poitiers, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société établissements Thoron et de Monsieur et Madame Thoron, et sur ce point, renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Bordeaux.

La Cour indique :

"Que pour rejeter l'ensemble des demandes de la société Thoron et de M. et Mme Thoron, l'arrêt retient que l'obligation d'information précontractuelle, édictée par l'article L. 330-3 du Code de commerce, s'impose au concédant avant la conclusion du contrat de concession et non lors d'une cession d'un contrat en cours entre concédants prédécesseur et successeur" ;

mais la Cour suprême précise cependant :

"Qu'en statuant ainsi, alors que la société Chantiers Bénéteau avait agréé la société Thoron en qualité de nouveau concessionnaire et qu'une telle modification du contrat initial imposait que le concédant fournisse à son nouveau cocontractant les informations lui permettant de s'engager en connaissance de cause à exécuter le contrat de concession, la cour d'appel a violé le texte susvisé" ;

Par déclaration du 21.2.2012 l'EURL Etablissements Thoron, Jean-Pierre Thoron et Jocelyne Leveille épouse Thoron ont saisi la cour de siège.

Par dernières conclusions avec bordereau de pièces communiquées déposées et signifiées le 22.5.2012, l'EURL Etablissements Thoron, Jean-Pierre Thoron et Jocelyne Leveille épouse Thoron demandent à la cour :

- d'infirmer le jugement entrepris,

statuant à nouveau,

* de dire que la société Bénéteau a engagé sa responsabilité :

- en omettant de se soumettre à l'obligation d'information précontractuelle cachant ainsi, sciemment, l'existence d'un concessionnaire sur le territoire contractuel,

- de dire et juger qu'il s'agit d'un dol par réticence leur ayant causé un dommage qu'il convient de réparer,

- en fixant abusivement les taux et conditions des remises affectant les prix de vente,

- en abusant de la situation de dépendance économique dans laquelle elle tenait la société Thoron,

- en rompant abusivement le contrat de concession,

* de condamner en conséquence la société SPBI venant aux droits de la société Chantiers Bénéteau à payer :

1°) à l'EURL Etablissements Thoron :

- 2 357 997,32 €, tous chefs de préjudices confondus,

- 15 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

2°) à Monsieur et Madame Thoron ensemble :

- 357 972 € en réparation du préjudice financier

- 7 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

3°) à Jean-Pierre Thoron 50 000 € au titre de son préjudice moral,

4°) à Jocelyne Leveille épouse Thoron 50 000 € au titre de son préjudice moral,

* d'ordonner la publication du jugement à intervenir aux frais de la société SPBI venant aux droits de la société Chantiers Bénéteau, dans la limite de 3 000 € hors taxes par publication, dans 8 revues ou journaux dont elle précise le nom.

Par dernières conclusions avec bordereau de pièces communiquées déposées et signifiées le 29.4.2013 la SAS SPBI venant aux droits de la société Chantiers Bénéteau demande à la cour de :

- confirmer le jugement,

- débouter l'EURL Etablissements Thoron Jean-Pierre Thoron et Jocelyne Leveille épouse Thoron de toutes leurs demandes,

- les condamner solidairement à lui payer 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16.6.2013.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la responsabilité du concédant :

En l'espèce, le contrat de concession conclu le 17 mars 1997 entre la SA Bénéteau et la société Marina (qui vendit ultérieurement son fonds de commerce à l'EURL Etablissements Thoron) concernait la vente de voiliers et bateaux à moteur sur la zone constituée par le département de la Charente-Maritime : à partir de la frontière du département de la Vendée jusqu'à la ville de Rochefort (article 5), le concédant s'engageant pendant la durée du contrat à ne vendre aucun produit contractuel dans cette zone à d'autres acheteurs que des groupements d'achat, loueurs de bateaux ou entreprises de formation (bateau école notamment), clientèle qu'il se réservait (article XI).

Le contrat était conclu pour une durée indéterminée, chacune des parties pouvant y mettre fin moyennant un préavis de quatre mois (article XIII).

Cependant, il était stipulé que Bénéteau pourra résilier à tout moment ce contrat si, dans les 30 jours d'une notification invoquant un manquement contractuel du concessionnaire aux articles II, 4 et 5, IV, VI, IX et XIV, celui-ci ne se conforme pas à ses obligations en mettant fin au manquement, la résiliation intervenant alors de plein droit (article XVI).

Après avoir acquis le fonds de commerce de Marina, l'EURL Etablissements Thoron est devenue concessionnaire de la société anonyme Chantiers Bénéteau en vertu d'un document d'une page, daté des 30 avril 2004 et 3 mai 2004, intitulé "contrat de concession conclu le 17 mars 1997 entre Bénéteau SA et Marina avenant du 30 avril 2004", ne comportant qu'une seule clause ainsi rédigée :

"Il est convenu des modifications suivantes au contrat susvisé :

A l'article XIV (Intuitu personae)

Les dispositions du § 1 sont annulées et remplacées par les suivantes :

"1 - Le présent contrat est conclu intuitu personae en considération de la personnalité de Monsieur Jean-Pierre Thoron, occupant les fonctions de gérant du concessionnaire. Si cette personne n'exerçait plus les mêmes fonctions dans la société ou si elle perdait le contrôle qu'elle y exerce actuellement, le présent contrat pourrait être résilié de plein droit par Bénéteau de la manière prévue à l'article XVI ci-dessous".

Toutes les autres dispositions contractuelles demeurent inchangées et gardent toutes leurs forces et leurs effets".

Les appelants reprochent au concédant :

- un défaut d'information précontractuelle,

- un abus de dépendance économique,

- une résiliation abusive du contrat de concession.

1°) Le défaut d'information précontractuelle :

L'article L. 330-3 du Code de commerce énonce :

"Toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permettent de s'engager en connaissance de cause.

"Ce document, dont le contenu est fixé par décret, précise notamment, l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités.

Le document prévu au premier alinéa ainsi que le projet de contrat sont communiqués vingt jours minimum avant la signature du contrat (...)."

En application de l'article R. 330-1 du Code de commerce, le document d'information précontractuelle contient notamment des informations :

- concernant l'entreprise du concédant,

- concernant la présentation du réseau d'exploitants comportant :

* la liste des entreprises qui en font partie avec indication pour chacune d'elles du mode d'exploitation convenu,

* l'adresse des entreprises établies en France avec lesquelles la personne qui propose le contrat est liée par des contrats de même nature que celui dont la conclusion est envisagée,

* le nombre d'entreprises qui, étant liées au réseau par des contrats de même nature que celui dont la conclusion est envisagée, ont cessé de faire partie du réseau au cours de l'année précédant celle de la délivrance du document,

* s'il y a lieu, la présence, dans la zone d'activité de l'implantation prévue par le contrat proposé, de tout établissement dans lequel sont offerts, avec l'accord express de la personne qui propose le contrat, les produits ou services faisant l'objet de celui-ci,

- la nature et le montant des dépenses d'investissement spécifiques à l'enseigne ou à la marque que la personne destinataire du projet de contrat engage avant de commencer l'exploitation.

Et la modification du contrat initial résultant de l'agrément d'un nouveau concessionnaire impose que le concédant fournisse à son nouveau contractant les informations lui permettant de s'engager en connaissance de cause en application de l'article L. 330-3 du Code de commerce.

En l'espèce, il n'est pas contesté par le concédant qu'il n'a fourni à son nouveau concessionnaire aucun document d'information précontractuelle établi conformément aux dispositions des articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce.

Alors que ces dispositions sont d'ordre public, qu'elles visent à permettre à la personne qui s'engage d'obtenir "des informations sincères, qui lui permettent de s'engager en connaissance de cause" (article L. 330-1 alinéa 1er du Code de commerce), il n'appartenait pas au concédant de s'en exonérer au motif que "le réseau Bénéteau est connu de tous et nul n'est besoin d'un document d'information précontractuelle pour le connaître", que "les objectifs ou les quotas sont individualisés et déterminés par point de vente" ou encore qu'"il n'y a aucun concessionnaire "fantôme" sur l'île de Ré (page 7 des conclusions de l'intimée).

Le concédant a donc été fautif en ne fournissant pas à son nouveau concessionnaire l'ensemble des renseignements exigés par la loi, notamment ceux afférents au réseau Bénéteau dans le département de Charente-Maritime puisqu'un autre contrat de concession y avait été signé en 2001 concernant exclusivement l'île de Ré.

La zone d'exclusivité du concessionnaire constituant un élément déterminant du contrat de concession, l'absence d'information donnée au futur concessionnaire relativement au contrat de concession de 2001 concernant l'île de Ré constitue également une réticence dolosive.

2°) L'abus de dépendance économique :

En vertu de l'article IV du contrat de concession le concessionnaire s'engageait à réaliser des quota minima, renégociés à partir de la 3e année contractuelle sans pouvoir toutefois être inférieurs en pourcentage dans la zone de concession à la part du marché national détenue par Bénéteau.

L'article V concernait les remises susceptibles de revenir au concessionnaire.

Les appelants reprochent au concédant d'avoir fixé abusivement les taux et les conditions des remises affectant les prix de vente, en exigeant du concessionnaire un volume de ventes particulièrement élevé, voire "irréaliste", le privant de la possibilité de percevoir des remises de fin d'année, conditionnées par l'atteinte de ces objectifs, ce qui diminuait d'autant ses revenus et d'avoir ainsi abusé de la situation de dépendance économique dans laquelle elle tenait la société Thoron.

Aucun grief ne peut être articulé par l'EURL Etablissements Thoron à l'encontre de la SA Chantiers Bénéteau concernant la fixation des objectifs de l'exercice 2003 2004, convenus en 2003 avec son prédécesseur Marina Europe.

Comme l'indique à juste titre le concédant, les quotas 2004-2005 fixant pour l'exercice un objectif de 2 329 832 €, approuvés par le concessionnaire le 28.10.2004, avant qu'il ne se rétracte le lendemain par courrier, étaient inférieurs aux montants prévisionnels des ventes fixées par l'EURL Etablissements Thoron elle-même lorsqu'elle a décidé d'acquérir le fonds de commerce et de devenir concessionnaire Bénéteau.

En effet, il résulte des pièces produites par l'EURL Etablissements Thoron :

- que son expert-comptable a établi un premier prévisionnel transmis à la SA Chantiers Bénéteau par courrier électronique du 19.09.2003 incluant, pour le poste "achats Bénéteau", un volume de 3 600 000 € pour 2004 et de 3 780 000 € pour 2005 (pièce n° 73) ;

- que le même expert-comptable a établi le 4.10.2003 un second prévisionnel incluant, pour le même poste, les volumes de 1 905 475 € pour 2004 et 2 381 844 € pour 2005 (pièce n° 72).

Ainsi, l'EURL Etablissements Thoron ne prouve, ni que les objectifs signés conjointement pour l'exercice 2004/2005 lui auraient "imposés" par la SA Chantiers Bénéteau, ni que ces derniers auraient été démesurés ou irréalistes, puisqu'ils étaient légèrement inférieurs au second prévisionnel établi par son expert-comptable.

Au surplus, si les appelants estiment que Bénéteau, représentant dans son secteur 80 % du marché français, lui imposait en termes d'objectifs des obligations constituant un déséquilibre significatif des droits et obligations des parties, le concessionnaire, assisté d'un professionnel du chiffre pour établir ses documents prévisionnels, est un commerçant expérimenté, rompu à la pratique des affaires, qui n'hésite pas à mettre en avant son expérience précédente de concessionnaire automobile.

Alors qu'il a approuvé les quotas proposés par le concédant en apportant sa signature sur le document contractuel établi à cette fin le 28.10.2004, il ne peut arguer d'une déloyauté de son cocontractant, étant lui-même revenu sur l'accord donné la veille, en adressant le 29.10.2004 une lettre de refus des quotas.

En conséquence, il n'établit nullement l'attitude fautive du concédant pour "abus de dépendance économique", étant précisé qu'il est de la nature du contrat de concession de déterminer des objectifs de vente et de fixer les modalités des remises.

3°) La résiliation abusive du contrat de concession :

Le contrat de concession a pris effet au 3 mai 2004 et fit l'objet d'une première lettre de résiliation du 16 septembre 2005, par laquelle la société Chantiers Bénéteau informait l'EURL Etablissements Thoron de sa volonté de mettre fin au contrat de distribution avec un préavis contractuel de quatre mois, puis d'une seconde lettre du 27 octobre 2005, reçue le 31.10.2005, par laquelle la société Chantiers Bénéteau avisait son cocontractant de ce que deux chèques d'un montant total de 166 992,98 € étant revenus impayés, le non-respect du contrat de distribution entraînait sa résiliation de plein droit moyennant un préavis de 30 jours, soit en l'espèce au 30.11.2005.

Le contrat de concession a donc eu une durée de 18 mois.

La première résiliation du contrat de concession notifiée le 16.09.2005 par la SA Chantiers Bénéteau à l'EURL Etablissements Thoron avec un préavis de 4 mois n'a pas eu d'incidence en raison de la seconde résiliation de plein droit notifiée par la SA Chantiers Bénéteau le 27.10.2005, qui a nécessairement mis fin au délai de préavis alors en cours, quelle qu'en fût la durée légalement admissible.

Cette seconde résiliation fut motivée par le rejet, le 6.10.2005, de deux chèques émis par l'EURL Etablissements Thoron à l'ordre de la SA Chantier Bénéteau, en raison des difficultés financières de l'EURL Etablissements Thoron qui avait dépassé son autorisation bancaire de débit, et non parce le Crédit Agricole avait dénoncé ses concours, puisque cette dénonciation n'est intervenue que postérieurement, le 18.10.2005.

Au 30.11.2005, l'EURL Etablissements Thoron n'avait pas réglé le montant des deux chèques précédemment rejetés, puisque, par lettre postérieure du 19.12.2005, la SA Chantiers Bénéteau l'a mise en demeure de régler la somme concernée.

En conséquence, le grief relatif au délai de préavis insuffisant ayant assorti la première résiliation du contrat de concession est inopérant dès lors qu'il est dépourvu de lien de causalité directe avec les conséquences de la rupture du contrat de concession ayant pris effet le 30 novembre 2005, étant rappelé au surplus que le contrat de concession à durée indéterminée est résiliable à tout moment, sans indemnité, sauf abus de droit.

Par ailleurs, ainsi que le fait exactement valoir la SAS SPBI (conclusions page 26), le délai contractuel de préavis de 30 jours applicable à la résiliation de plein droit pour inexécution contractuelle du concessionnaire n'est pas soumis à la prohibition de la rupture brutale d'une relation commerciale établie, édictée par le 5° de l'article L. 442 6 § I du Code de commerce, dès lors que ce texte stipule que cette prohibition "ne (fait) pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations".

Ainsi, il n'est pas établi que le délai de préavis de quatre mois pour une résiliation sans motif, ou de un mois pour une résiliation de plein droit, est en l'espèce un délai excessivement bref rompant l'équilibre des relations contractuelles et que le concédant a rompu abusivement les relations contractuelles.

Sur la réparation :

1°) Indemnisation :

a) Dommages et intérêts réclamés par l'EURL Etablissements Thoron :

L'EURL Etablissements Thoron réclame la condamnation du concédant à lui payer la somme de 2 357 997, 32 € "tous chefs de préjudice confondus".

Elle fait état des préjudices suivants :

- passif de sa procédure de redressement judiciaire 550 000 €

- valeur des investissements effectués 341 926,97 €

- frais de publicité 57 165,35 €

- valeur nette comptable des logiciels devenus inutiles du fait de la perte de la concession 7 962 €

- remises de fin d'année sur le chiffre d'affaires directement réalisé avec le loueur Rivage situé sur son territoire contractuel, dont elle estime avoir été privée 71 471 €

- pertes sur le carnet de commandes 167 691 €

- coût de la dénonciation anticipée de la location de places de ports 18 964 €

- coût des licenciements 63 237 €

- indemnité dite de préavis de 400 000 € à 500 000 €

- acomptes à rembourser par Bénéteau 29 580 €

- préjudice moral résultant du comportement de Bénéteau qualifié de déloyal et de cynique 600 000 €

En l'espèce, alors que la seule faute établie à l'égard du concédant concerne un défaut d'information précontractuelle, le concessionnaire ne peut prétendre être indemnisé que du préjudice résultant directement de cette faute, qui s'analyse comme étant la perte de la chance de contracter en toute connaissance de cause des éléments d'information légalement exigés, et donc, de refuser éventuellement de contracter ou de contracter à d'autres conditions.

Compte tenu de la durée du contrat de concession, soit 18 mois, du montant des investissements réalisés, de l'activité du concessionnaire pendant la durée du contrat, mais également des risques afférents à toute opération commerciale, l'indemnisation de cette perte de chance doit intervenir à hauteur de la somme de 100 000 €.

Et le concessionnaire ne démontre nullement l'existence d'un préjudice moral subi par lui, qui justifierait l'allocation de dommages et intérêts.

b) Dommages et intérêts réclamés par les époux Thoron :

Les époux Thoron réclament l'indemnisation d'un préjudice qu'ils qualifient de spécifique et distinct du préjudice social, qui correspondrait aux sommes suivantes:

- perte des fonds propres investis, constatée en 2004 et 2005 : 240 972 €

- engagements de caution : 117 000 €

- préjudice moral subi par chacun d'entre eux : 50 000 €

Alors que l'attitude fautive du concédant est caractérisée par le défaut d'information contractuelle du concessionnaire, que le préjudice invoqué par les époux Thoron ne résulte pas directement de cette faute, que leur décision d'investir au profit de l'EURL dont Jean Pierre Thoron était le gérant comportait nécessairement un risque, qu'au surplus ils ne produisent aucun acte de cautionnement et ne démontrent pas l'existence du préjudice moral qu'ils invoquent, ils doivent être déboutés de leurs demandes de dommages et intérêts.

2°) Publication :

Les circonstances de la cause ne justifient nullement de faire droit à la demande de publication du présent arrêt.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens :

L'équité ne commande nullement d'allouer à la SAS SPBI et aux époux Thoron la moindre somme au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par contre, l'équité commande d'allouer à l'EURL Etablissements Thoron une indemnité de 7 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Compte tenu des circonstances de la cause, il convient de faire masse des dépens de première instance et d'appel et de dire que la SAS. SPBI en supportera les 2/3, l'EURL Etablissements Thoron en supportant 1/3.

Par ces motifs : LA COUR : Statuant publiquement, Contradictoirement, Sur renvoi après cassation partielle, Dans les limites de la saisine de la cour de renvoi, Confirme partiellement le jugement déféré, sauf à dire que la SAS SPBI vient aux droits de la SA Chantiers Bénéteau, en ce que les premiers juges ont : 1°) débouté les époux Thoron ensemble, Jean-Pierre Thoron et Jocelyne Leveille épouse Thoron séparément, de leurs demandes de dommages et intérêts, 2°) débouté l'EURL Etablissements Thoron, Jean-Pierre Thoron et Jocelyne Leveille épouse Thoron de leur demande de publication de la décision à intervenir, 3°) débouté les époux Thoron de leur demande d'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Le Reforme pour le surplus, Statuant à nouveau et Y Ajoutant, Condamne la SAS SPBI à payer à l'EURL Etablissements Thoron : 1°) 100 000 € à titre de dommages et intérêts, 2°) 7 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Fait masse des dépens de première instance et d'appel et dit que la SAS SPBI en supportera les 2/3, l'EURL Etablissements Thoron en supportera 1/3 et en ordonne la distraction en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.