Cass. com., 24 septembre 2013, n° 12-22.413
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Synergie (SA)
Défendeur :
Norton travail temporaire (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
Mme Le Bras
Avocats :
SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Blanc, Rousseau
LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 mai 2012), que la société Synergie, reprochant à la société Norton travail temporaire (la société Norton) d'avoir commis des faits constitutifs de concurrence déloyale en détournant à son profit, avec le concours actif de deux de ses anciennes salariées qu'elle avait débauchées, un nombre important d'intérimaires et de clients, a demandé que cette société soit condamnée à réparer le préjudice ainsi causé ;
Attendu que la société Synergie fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'ensemble de ses demandes, alors, selon le moyen : 1°) que commet un acte de concurrence déloyale une entreprise de travail temporaire qui, s'installant dans la même commune qu'un concurrent direct, débauche la quasi-totalité de son personnel et procède avec le concours de ces derniers à un détournement systématique des clients de ce concurrent et des travailleurs intérimaires qui lui étaient durablement liés ; qu'en l'espèce, la société Synergie faisait valoir, offres de preuve à l'appui, que 85 % de son personnel (2 salariées sur 2,6 salariés permanents) avait démissionné au même moment (en février 2005) pour rejoindre presque immédiatement une société concurrente (Norton) implantée, au même moment en février 2005, dans la même commune ; que la société Synergie faisait encore valoir, et offrait de le prouver, que ces deux salariées avaient systématiquement démarché les plus importants clients de leur ancien employeur (représentant 75 % du chiffre d'affaires) avec qui elles étaient en contact, et détourné un nombre très important d'intérimaires qui travaillaient régulièrement depuis plusieurs années avec la société Synergie et qui avaient soudainement mis un terme à cette collaboration ; qu'en affirmant que le départ des deux salariés permanentes de l'entreprise, de plusieurs clients et travailleurs intérimaires de la société Synergie pour la société Norton au cours de l'année 2005 ne pouvait suffire à caractériser des actes de concurrence déloyale, faute pour la société Synergie de prouver des actes de "démarchage systématique, de dénigrement ou de parasitisme", lorsque la concomitance d'actes ayant pour effet de désorganiser un concurrent déjà implanté dans la même localité pouvait à elle seule établir des actes déloyaux de désorganisation, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 2°) qu'à tout le moins, une entreprise commet des actes de concurrence déloyale lorsqu'elle contacte elle-même des travailleurs intérimaires liés à un concurrent direct ; qu'en l'espèce, il résultait des attestations de Mmes Beaudelin, Saint-Yves et Crimet que des travailleurs intérimaires avaient été contactés "par Mme Baduel responsable de la société Norton" pour aller travailler chez des clients de cette dernière ; que l'exposante produisait également des extraits du site Internet des pages jaunes dont il résultait que les coordonnées de ces personnes ne pouvaient être trouvées sur Internet ; qu'en affirmant qu'elles ne pouvaient suffire à caractériser des agissements déloyaux de la société Norton, sans expliquer en quoi ces attestations, corroborées par les extraits du site Pages Jaunes, ne faisaient pas apparaître que des travailleurs n'avaient pu être démarchés qu'en raison de l'arrivée de l'ancienne responsable de la société Synergie au sein de la société Norton, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 3°) que le détournement systématique de travailleurs intérimaires d'un concurrent direct implanté dans la même localité peut caractériser des actes de concurrence déloyale, quand bien même ces intérimaires n'auraient pas été débauchés en cours de mission ; qu'en affirmant que seul le débauchage d'intérimaire "en cours de mission" pouvait caractériser des actes de concurrence déloyale, lorsque le départ massif d'intérimaires dans une même période de temps pouvait caractériser des agissements de concurrence déloyale, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 4°) que les juges du fond ne peuvent écarter une attestation du seul fait qu'elle émane d'un salarié d'une des parties au litige ; qu'en l'espèce, Mmes Fillette, Hubault et Loiseau, salariées de la société Synergie, attestaient que le départ des clients de la société Synergie et leur captation par la société Norton étaient exactement contemporains du départ de Mmes Baduel et Fauquet, lesquelles les avaient démarchées pour le compte de leur nouvel employeur ; que ces salariés confirmaient également que les intérimaires de la société Synergie étaient appelés par la société Norton pour aller travailler chez ces mêmes entreprises au sein desquelles ils étaient déjà antérieurement affectés ; qu'en affirmant péremptoirement que toutes les attestations de salariés de la société Synergie devaient être écartées du débat en raison de la "situation de dépendance" existant entre ces salariés et cette dernière société, sans pourtant caractériser la moindre circonstance objective de nature à jeter le doute sur la pertinence de ces témoignages, qui corroboraient l'existence d'actes positifs de détournement des clients et des intérimaires qui travaillaient chez eux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 5°) que le recours systématique à la quasi-totalité des anciens salariés d'un concurrent, dans une période de temps immédiatement consécutive à leur démission, peut caractériser des agissements de concurrence déloyale, que ces salariés soient liés ou non par une obligation de non-concurrence ; qu'en affirmant que la nullité des clauses de non-concurrence assortissant leur contrat de travail avait été établie par des "décisions de justice devenues définitives", lorsque les agissements de concurrence déloyale pouvaient être caractérisés indépendamment de la validité de l'obligation de non-concurrence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 6°) que la concurrence déloyale résultant d'actes de détournement ne suppose pas nécessairement la preuve de la reproduction de données ni d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle ; qu'en affirmant que la société Synergie ne pouvait imputer à la société Norton des actes de parasitisme, faute de prouver la reproduction de données ou d'informations et l'existence d'un risque de confusion, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir énoncé que l'action en concurrence déloyale reposant sur une faute, son succès suppose rapportée la preuve par celui qui s'en prétend victime de l'accomplissement d'actes positifs et caractérisés, l'arrêt retient que la circonstance que plusieurs clients de la société Synergie aient rejoint la société Norton, comme celle d'avoir des intérimaires ou des clients en commun, ne sauraient à elles seules démontrer l'existence de manœuvres de la part de cette dernière ; qu'il retient encore qu'il appartient à tout opérateur de recruter tout salarié utile à son entreprise, fût-ce au sein d'une structure concurrente, le salarié ne pouvant se voir reprocher d'exploiter les compétences qu'il y a acquises et toute entreprise pouvant profiter du savoir et du savoir-faire ainsi acquis dans une autre entreprise ; qu'il retient enfin que les attestations des propres salariés de la société Synergie doivent être écartées en raison de leur situation de dépendance envers celle-ci et que les autres attestations produites n'établissent pas la réalité des actes déloyaux de démarchage systématique, de dénigrement ou de parasitisme allégués ; qu'en l'état de ces énonciations, constatations et appréciations et dès lors que la simple concomitance d'actes ayant pour effet de désorganiser un concurrent ne peut suffire à établir l'existence d'actes déloyaux de désorganisation, la cour d'appel, qui a souverainement apprécié la valeur probante des attestations produites, a pu retenir, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les troisième et cinquième branches, que la preuve des actes de concurrence déloyale imputés à la société Norton n'était pas rapportée ;
Et attendu, en second lieu, qu'ayant retenu qu'en l'absence d'un savoir-faire particulier et propre à la société Synergie, cette dernière ne saurait imputer à la société Norton un éventuel parasitisme dès lors que celui-ci supposerait la reproduction de données ou d'informations résultant d'un travail intellectuel et d'un investissement propre et qu'un risque de confusion puisse en résulter dans l'esprit de la clientèle, la cour d'appel, répondant aux conclusions de la société Synergie fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en ses troisième et cinquième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.