CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 25 septembre 2013, n° 11-17337
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Le Boulbouech
Défendeur :
Cash Converters Europe (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Luc, Nicoletis
Avocats :
Mes Grappotte-Benetreau, Ben Soussen, Vignes, de Balmann
M. Pascal Le Boulbouech, s'est rapproché de la société Cash Converters Europe en vue d'ouvrir un magasin sous l'enseigne Cash Converters.
Le 23 avril 2008, un document d'informations précontractuel (DIP) lui a été remis par la société Cash Converters Europe.
Le 14 août 2008, un contrat de franchise a été signé pour une durée de 9 ans, prévoyant le versement d'une avance de 18 239 sur le droit d'entrée, fixé à la somme de 30 500 , le solde devant être versé au jour de la signature du bail commercial, qui devait nécessairement intervenir dans un délai de 12 mois à compter de la signature du contrat de franchise, soit avant le 15 août 2009.
M. Le Boulbouech a effectué des recherches à Nantes, puis à La Roche-sur-Yon, mais n'a pu régulariser un bail commercial avant le 15 août 2009.
Par courrier avec accusé de réception du 15 juillet 2009, M. Le Boulbouech a mis en demeure la société Cash Converters Europe de lui apporter son assistance dans la recherche d'un local commercial.
Par courrier avec accusé de réception en date du 17 août 2009, l'avocat de M. Le Boulbouech a demandé le remboursement de la somme de 18 239 versée à titre d'avance sur le droit d'entrée.
Par acte du 18 décembre 2009, M. Le Boulbouech a assigné la société Cash Converters Europe devant le Tribunal de commerce de Paris en résolution du contrat de franchise, restitution de l'avance versée sur le droit d'entrée et paiement de dommages-intérêts.
Par jugement du 13 juillet 2011, le tribunal de commerce a :
- prononcé la résiliation du contrat de franchise du 14 août 2008 aux torts de M. Le Boulbouech ;
- condamné M. Le Boulbouech à verser à la société Cash Converters Europe la somme de 18 239 , au titre du solde du droit d'entrée ;
- débouté les parties de leurs autres demandes ;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement avec constitution par la société Cash Converters Europe, à hauteur du montant des condamnations, d'une garantie chez une banque établie en France, en vue de couvrir l'exigibilité et le remboursement éventuel des condamnations prononcées, outre les intérêts pouvant avoir couru sur ces sommes ;
- condamné M. Le Boulbouech à verser à la société Cash Converters Europe la somme de 2 500 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Le 21 septembre 2011, M. Le Boulbouech a interjeté appel du jugement.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 juin 2013.
Vu les dernières conclusions, signifiées le 17 juin 2013, par lesquelles de M. Le Boulbouech demande :
Au visa des articles 1134, 1147, 1156 à 1164, 1183 et 1184 du Code civil,
A titre principal :
- que le jugement soit infirmé en toutes ses dispositions ;
- que soit prononcée la résolution du contrat de franchise du 14 août 2008 aux torts exclusifs de la société Cash Converters Europe ;
- que la société Cash Converters Europe soit condamnée à lui restituer la somme de 18 239 augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date des versements ;
A titre subsidiaire :
- que soit constatée la caducité du contrat de franchise du 14 août 2008 ;
- que la société Cash Converters Europe soit condamnée à lui restituer la somme de 18 239 , augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date des versements ;
A titre très subsidiaire :
- qu'il soit constaté que la société Cash Converters Europe a engagé sa responsabilité contractuelle à son encontre en méconnaissant ses obligations contractuelles et notamment de son obligation d'assistance ;
- que la société Cash Converters Europe soit condamnée à lui verser la somme de 18 239 de dommages et intérêts pour le préjudice subi ;
- que la société Cash Converters Europe soit condamnée à verser la somme de 13 300 à titre de dommages et intérêts complémentaires ;
En tout état de cause :
- que la société Cash Converters Europe soit déboutée de toutes ses demandes ;
- que la société Cash Converters Europe soit condamnée à verser une somme de 5 000 à titre de dommages et intérêts ;
- que la société Cash Converters Europe soit condamnée à lui payer la somme de 5 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions, signifiées le 30 mai 2013, par lesquelles la société Cash Converters Europe demande :
A titre principal,
- que le jugement soit confirmé,
A titre subsidiaire,
- qu'il soit jugé qu'elle est fondée à retenir la somme de 10 000 au titre de la formation dispensée à M. Le Boulbouech et de ses peines et soins,
En tout état de cause,
- que M. Le Boulbouech soit condamné au paiement de la somme de 5 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, en cause d'appel,
- que M. Le Boulbouech soit condamné aux dépens, dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Cela étant exposé, LA COUR :
Sur la demande de résolution du contrat de franchise :
Considérant que M. Le Boulbouech soutient que le paragraphe 6 de l'article 8 du contrat de franchise, qui est ainsi rédigé : "Indépendance du Franchisé (...) Le présent contrat est conclu sous condition résolutoire d'obtention du bail commercial par le franchisé pour l'exploitation du Magasin. En conséquence, en cas de défaut d'obtention du bail, le contrat sera résilié de plein droit, en application des dispositions de l'article 11-1 ci-après.", soumet explicitement le contrat de franchise à une condition résolutoire et contient une ambivalence en prévoyant la résiliation du contrat, alors que la condition résolutoire entraîne sa résolution ; que dès lors qu'il existe une contradiction entre des stipulations contractuelles, articles 8 et 11 du contrat de franchise, ou une incertitude sur le sens d'une clause, il convient de se référer aux dispositions des articles 1156 et suivants du Code civil et en particulier aux articles 1156, 1157 et 1162 dudit Code ; qu'en l'espèce, la commune intention des parties était que le contrat de franchise soit conclu sous la condition résolutoire que le franchisé trouve un local commercial dans le délai imparti ;
Considérant que M. Le Boulbouech soutient également que le contrat de franchise a été rédigé de mauvaise foi, l'ambiguïté dénoncée ayant été instaurée pour permettre au franchiseur de faire échec à la clause résolutoire ; qu'enfin l'appelant souligne que l'article 7 du contrat de franchise stipule que le solde du droit d'entrée n'est exigible que lors de la signature du bail commercial, que cette clause a pour effet de subordonner l'exécution du contrat à la conclusion d'un bail commercial et conforte l'interprétation selon laquelle le contrat doit être résolu en l'absence de bail ;
Considérant que la société Cash Converters Europe réplique que M. Le Boulbouech dénature les termes du contrat en alléguant que l'obtention d'un local commercial constituait une obligation substantielle du contrat de franchise et que, faute d'avoir trouvé un local, il serait autorisé à tenir le contrat pour résolu, à charge pour le franchiseur de restituer la somme de 18 239 perçue à titre d'acompte sur le droit d'entrée ; que la cause première d'un contrat de franchise réside dans la transmission d'un savoir-faire, qui est la contrepartie du droit d'entrée et que M. Le Boulbouech a suivi un stage de formation et une formation initiale au cours de laquelle il s'est vu transmettre le savoir-faire du franchiseur ;
Considérant que la société Cash Converters Europe fait valoir qu'elle n'a pas à se substituer au franchisé dans la recherche d'un local ; que l'application des dispositions de l'article 1162 du Code civil, qui ne s'imposent pas au juge, suppose l'existence d'un doute et qu'en l'espèce le contrat de franchise ne laisse subsister aucun doute puisqu'il prévoit, en son article 7, qu'en l'absence de signature d'un bail dans le délai imparti le contrat est résilié ; que M. Le Boulbouech n'est pas fondé à se prévaloir de sa propre turpitude, et à prétendre à une restitution du droit d'entrée alors même qu'il est à l'origine de l'absence d'exploitation du savoir-faire transmis ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1183 du Code civil "La condition résolutoire est celle qui, lorsqu'elle s'accomplit, opère la révocation de l'obligation, et qui remet les choses au même état que si l'obligation n'avait pas existé. Elle ne suspend point l'exécution de l'obligation ; elle oblige seulement le créancier à restituer ce qu'il a reçu, dans le cas où l'événement prévu par la condition arrive." ; qu'il résulte de ce texte que la réalisation de la condition entraîne la disparition de l'obligation et fait disparaître rétroactivement les droits du créancier ;
Considérant que l'alinéa 6 de l'article 8 du contrat de franchise prévoit à la fois que le contrat est conclu "sous condition résolutoire de l'obtention du bail commercial par le franchisé" et que "en cas de défaut d'obtention du bail, le contrat sera résilié de plein droit en application des dispositions de l'article 11-1", lequel stipule que "La résiliation interviendra de plein droit, sans mise en demeure, par simple lettre recommandée avec demande d'avis de réception prise à l'initiative du franchiseur", "en cas de non-obtention du bail par le franchisé" ;
Considérant que la rédaction de l'alinéa 6 de l'article 8 du contrat de franchise est juridiquement incorrecte puisque l'obtention d'un bail commercial ne saurait constituer une condition résolutoire, seule la non-obtention du bail, hypothèse visée par l'article 11-1 précité, pouvant provoquer l'anéantissement du contrat ; qu'ainsi, soit l'article 8 comporte une faute de frappe en mentionnant "l'obtention du bail" au lieu de "la non-obtention du bail" et la condition prévue est bien une condition résolutoire, soit il n'existe pas de faute de frappe et la condition d'obtention du bail est une condition suspensive ; qu'il apparaît néanmoins de la rédaction de l'alinéa en cause que les parties ont entendu soumettre le contrat de franchise à une condition tenant à l'obtention du bail commercial ;
Considérant que la rédaction de la première phrase de l'alinéa 6 de l'article 8 du contrat de franchise est ambigüe et en contradiction avec la seconde phrase de ce même alinéa, ainsi qu'avec les dispositions de l'article 11 dudit contrat ; que les deux phrases de l'alinéa 6 précité sont inconciliables entre elles ; qu'en effet la non réalisation d'une condition suspensive, comme la réalisation d'une condition résolutoire, entraîne la disparition de l'obligation, qui est réputée n'avoir jamais existé ; que la première phrase de l'alinéa 6 de l'article 8 stipule que le "contrat est conclu sous condition résolutoire", mais le contrat de franchise contient, notamment dans ses articles 7, 8 et 11 des stipulations incompatibles avec le caractère conditionnel de l'obligation ;
Considérant que le contrat de franchise est pour l'essentiel un contrat d'adhésion rédigé par le franchiseur ; que la société Cash Converters Europe, qui est un professionnel de la franchise, a rédigé le contrat contenant la clause ambigüe ; que dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui l'a rédigée et en faveur de celui qui n'a fait qu'y souscrire ; qu'en conséquence la convention sera interprétée contre la société Cash Converters Europe et en faveur de M. Le Boulbouech ;
Considérant qu'il en résulte que la commune intention des parties a été de prévoir une obligation conditionnelle et de soumettre la conclusion du contrat de franchise à l'obtention par M. Le Boulbouech d'un bail commercial dans le délai de 12 mois ; que faute d'obtention d'un bail commercial dans ce délai imparti, l'obligation est censée n'avoir jamais existé et l'absence d'obtention du bail commercial ne peut être sanctionnée par la résiliation du contrat de franchise à l'initiative du franchiseur ; qu'il convient en conséquence de prononcer la résolution du contrat de franchise conclu le 14 août 2008 ;
Sur les demandes relatives au droit d'entrée :
Considérant que M. Le Boulbouech, qui a versé la somme de 18 239 à titre d'avance sur le droit d'entrée, sollicite le remboursement de cette somme en invoquant l'effet rétroactif de la résolution du contrat de franchise ; que la société Cash Converters Europe s'oppose à cette demande en invoquant les dispositions de l'article 7 du contrat de franchise et forme une demande reconventionnelle en paiement du solde du droit d'entrée à hauteur de 18 239 ;
Considérant que selon l'article 7 du contrat de franchise la somme de 30 500 versée à titre de droit d'entrée, en trois fois, lors de la signature du contrat, le jour de l'entrée en formation et le jour de la signature du bail commercial, "restera acquise au franchiseur quel que soit le sort du présent contrat" ; que cependant, le contrat de franchise étant résolu faute de conclusion d'un bail commercial pour exercer l'activité, les stipulations du contrat rétroactivement anéanti ne peuvent plus trouver à s'appliquer et la société Cash Converters Europe ne peut exiger le solde du droit d'entrée prévu au contrat de franchise ;
Considérant que M. Le Boulbouech peut réclamer la restitution de la somme de 18 239 versée en exécution de ce contrat résolu ; qu'il est cependant établi que M. Le Boulbouech a effectué un stage de confirmation durant deux jours qui a été financé par le franchiseur pour un coût chiffré à 1 000 par ce dernier (article 4-1 du contrat de franchise), ainsi que d'une formation initiale d'une durée de quatre semaines au cours de laquelle le savoir-faire de la société Cash Converters Europe lui a été transmis ; que bien qu'il ne peut l'exploiter dans l'immédiat, ce savoir-faire lui reste acquis, cette formation peut être évaluée à la somme de 9 000 ; qu'en conséquence, la société Cash Converters Europe sera condamnée à restituer à M. Le Boulbouech la somme de 8 239 (18 239 - 10 000 ) ;
Sur la responsabilité contractuelle de la société Cash Converters Europe :
Considérant que M. Le Boulbouech soutient que la société Cash Converters Europe a engagé sa responsabilité contractuelle en ne respectant pas l'obligation, prévue à l'article 3.1.1 du DIP, de lui apporter son assistance dans la recherche d'un local et dans la constitution de son dossier financier ; que la société Cash Converters Europe expose qu'un franchiseur ne saurait se substituer au franchisé dans la recherche d'un local et d'un financement et que tenue d'une obligation de moyens, elle a apporté l'aide et l'assistance convenue à M. Le Boulbouech ;
Considérant que le DIP prévoit dans son article 3.3.1 "Assistance à l'installation" : "D'une manière générale, le franchiseur se tiendra à la disposition du franchisé pour répondre à toute question ayant un rapport direct ou indirect avec le concept Cash Converters. Si le franchisé le souhaite, le franchiseur l'assistera dans :
- le montage de son dossier financier et sa présentation auprès des banques partenaires,
- la recherche de son local,
- la préparation de concert avec lui du plan de lancement et d'animation de son magasin au niveau local."
Considérant que M. Le Boulbouech ne produit aucune pièce justifiant des recherches qu'il a entreprises pour trouver un local commercial ; qu'il produit un courriel daté du 13 mai 2009 dans lequel le franchiseur lui propose d'ouvrir un Cash City à Nantes plutôt qu'un magasin standard en indiquant "(...) nous souhaitons avoir de tes nouvelles et savoir si tu souhaitais que l'on commence une recherche de locaux sur Nantes" ; que M. Le Boulbouech a refusé cette proposition par courriel daté du 20 mai 2009 ; qu'il n'est pas contesté que la société Cash Converters Europe a également proposé à M. Le Boulbouech un magasin standard à La Roche-sur-Yon, et que l'opération n'a pas abouti pour des raisons financières, aucun prêt n'ayant été accordé à M. Le Boulbouech ;
Considérant qu'il apparaît que la société Cash Converters Europe, tenue d'une obligation de moyens, a apporté à son franchisé l'assistance contractuellement prévue ; qu'aucune faute n'est établie à l'encontre de la société Cash Converters Europe ; qu'en conséquence, M. Le Boulbouech sera débouté de sa demande de paiement de dommages-intérêts pour le préjudice financier à hauteur de 18 239 ;
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive :
Considérant que M. Le Boulbouech, qui ne démontre pas que la société Cash Converters Europe ait abusé de son droit de se défendre en justice, sera débouté de sa demande à ce titre ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Considérant que l'équité ne commande pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; que les demandes à ce titre seront rejetées ;
Par ces motifs : Infirme le jugement ; Et statuant à nouveau : Prononce la résolution du contrat de franchise du 14 août 2008 conclu entre M. Pascal Le Boulbouech et la société Cash Converters Europe ; Fixe le coût de la formation dispensée par la société Cash Converters Europe à M. Pascal Le Boulbouech à la somme de 10 000 ; Condamne la société Cash Converters Europe à verser à M. Pascal Le Boulbouech la somme de 8 239 , augmentée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt à titre de remboursement du droit d'entrée ; Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ni en première instance, ni en appel ; Déboute les parties de leurs autres demandes ; Condamne la société Cash Converters Europe aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.