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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 26 septembre 2013, n° 11-18608

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Geolia (SAS)

Défendeur :

Technosol (SAS), Forax (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Pomonti, Michel-Amsellem

Avocats :

Mes Regnier, Delgove, Teytaud, Germain

T. com. Evry, du 21 sept. 2011

21 septembre 2011

FAITS CONSTANTS ET PROCÉDURE

La société Technosol est une société spécialisée dans le domaine de l'ingénierie et des études techniques. La SAS Forax est, quant à elle, spécialisée dans le domaine des forages et des sondages.

Ces deux sociétés sont toutes deux capitalistiquement contrôlées par la société JF Ingénierie.

Fondées respectivement en 1972 et 1983, elles exercent une activité complémentaire puisque la société Technosol utilise les résultats des sondages réalisés par la société Forax pour rédiger ses rapports d'étude.

En août 2006, Monsieur Mazet, alors salarié de la société Technosol, a créé la société Geolia, implantée en Essonne. Monsieur Mazet a ensuite démissionné de la société Technosol le 13 novembre 2006, puis a été recruté en qualité de directeur général adjoint par la société Geolia, dont l'activité est similaire à celle des sociétés Technosol et Forax.

Par la suite, plusieurs collaborateurs, tant de la société Technosol que de la société Forax, ont quitté ces sociétés et ont rejoint la société Geolia quelques semaines plus tard :

- Madame Gautier, ingénieur chez la société Technosol, en a démissionné à effet du 10 novembre 2006 et a été recrutée en qualité d'ingénieur par la société Geolia.

- Monsieur Adam, conducteur de travaux chez la société Forax, en a démissionné à effet du 10 novembre 2006 et a été embauché en qualité de responsable de travaux par la société Geolia.

- Monsieur Berthou, ingénieur à la société Technosol, en a démissionné à effet du 8 décembre 2006 et a intégré la société Geolia le 2 avril 2007 en qualité d'ingénieur.

- Monsieur Marcie, directeur général des sociétés Technosol et Forax a été licencié pour faute lourde en novembre 2006 et a intégré la société Geolia en décembre 2006, société dont il deviendra actionnaire en février 2007.

Monsieur Marcie était lié par une clause de non-concurrence d'une durée de deux ans, limitée aux départements d'Ile-de-France, aux termes de laquelle il s'interdisait formellement "(...) à l'expiration du présent contrat, dans le cas d'une rupture par démission ou par licenciement pour faute grave caractérisée, de s'intéresser directement ou indirectement pour son compte ou pour celui d'un tiers, à une entreprise similaire, ou même susceptible de faire concurrence à notre entreprise".

Les sociétés Technosol et Forax, estimant que l'activité de la société Geolia, notamment grâce au recrutement de leurs anciens collaborateurs, s'était effectuée à leur détriment, ont saisi en octobre 2007 le Tribunal de grande instance d'Évry afin d'obtenir la condamnation solidaire de la société Geolia, de Mme Gautier et de Messieurs Adam, Berthou, Marcie et Mazet au paiement d'une somme de 1 391 250 € à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale.

Par une ordonnance rendue le 16 octobre 2008, le juge de la mise en état a déclaré le Tribunal de grande instance d'Évry incompétent pour connaître des demandes formées à l'encontre de la société Geolia au profit du Tribunal de commerce d'Evry et incompétent pour connaître des demandes dirigées contre Mme Gautier et Messieurs Adam, Berthou, Marcie et Mazet au profit du Conseil des prud'hommes de Longjumeau.

Suite à l'appel interjeté par les sociétés Technosol et Forax de cette ordonnance, la Cour d'appel de Paris a, par un arrêt en date du 2 juillet 2009, confirmé cette décision.

Ainsi, le litige mettant en cause les cinq salariés, a été renvoyé devant le Conseil des prud'hommes de Longjumeau et le litige mettant en cause la société Geolia a été renvoyé devant le Tribunal de commerce d'Évry

Par jugement en date du 21 septembre 2011, le Tribunal de commerce d'Évry a :

- condamné la société Geolia à payer :

* à la société Technosol la somme de 491 510 € au titre de son préjudice correspondant à la chute de son résultat d'exploitation au cours des années 2006 et 2007 comparé à celui réalisé en 2005,

* à la société Forax la somme de 369 626 € au titre de son préjudice correspondant à la chute de son résultat d'exploitation au cours des années 2006 et 2007 comparé à celui réalisé en 2005,

* aux sociétés Technosol et Forax la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et débouté pour le surplus,

- débouté les parties de leurs autres demandes.

Vu l'appel interjeté le 18 octobre 2011 par la société Geolia.

Vu les dernières conclusions signifiées le 30 mai 2013 par la société Geolia, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

- dire et juger la société Geolia recevable et bien fondée en son appel et ses conclusions,

- débouter les sociétés Technosol et Forax de leur appel incident,

En conséquence, y faisant droit :

- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce d'Évry le 21 septembre 2011, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de publication d'un extrait du jugement présenté par les sociétés Technosol et Forax,

Et statuant à nouveau :

- débouter les sociétés Technosol et Forax de leurs demandes et prétentions,

Subsidiairement :

- juger non fondées les demandes d'indemnisation des sociétés Technosol et Forax au titre de leurs pertes d'exploitation,

- juger irrecevable la demande d'indemnisation présentée aux noms des sociétés Technosol et Forax au titre des frais de recrutement et des frais de restructuration,

En toute hypothèse :

- condamner les sociétés Technosol et Forax à verser à la société Geolia une indemnité de 30 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Geolia soutient tout d'abord que le recrutement de salariés d'une entreprise concurrente afin de bénéficier de leur expérience, de leur savoir-faire et de leur notoriété n'est que l'application du principe constitutionnel de liberté du commerce et d'industrie.

Elle note ensuite que le refus des sociétés Technosol et Forax de communiquer les documents comptables susceptibles d'étayer leurs affirmations relatives à la désorganisation, aux pertes de clientèle ou financières, malgré une sommation délivrée le 22 mars 2012, et réitérée le 4 janvier 2013, caractérise un manque de loyauté de leur part.

Elle soutient, de plus, qu'aucun des salariés recrutés n'étaient "importants" ou "influents", contrairement à ce que prétendent les sociétés Technosol et Forax, car ils n'étaient soumis à aucune clause de non-concurrence.

Elle considère en outre que le départ des salariés recrutés par la société Geolia n'a pas pu être à l'origine d'une désorganisation des sociétés Technosol et Forax, ni a fortiori, de leur "paralysie", car d'autres salariés ont également démissionné entre 2006 et 2011.

Elle est en désaccord avec les allégations des sociétés Technosol et Forax, selon lesquelles le départ vers la société Geolia des salariés mis en cause se serait déroulé dans des conditions anormales ou qu'il aurait été précédé d'une réduction d'activité de leur part.

Par ailleurs, elle conteste avoir démarché les clients de la société Technosol et affirme que ceux-ci continuent à consulter non seulement la société Technosol, mais d'autres bureaux d'étude.

Elle estime que c'est de leur propre fait que les sociétés Technosol et Forax ont fait chuter leurs résultats d'exploitation et leurs marges en 2007 et leur reproche de tenter de lui en imputer la responsabilité.

Vu les dernières conclusions signifiées le 6 juin 2013 par les sociétés Technosol et Forax, par lesquelles il est demandé à la cour de :

S'agissant des fautes reprochées à Geolia

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce d'Évry en date du 21 septembre 2011 en ce qu'il a jugé que les faits rapportés caractérisent le débauchage déloyal par la société Geolia, que le détournement de clientèle par la société Geolia est établi, et que la désorganisation des sociétés Technosol et Forax est avérée.

En conséquence,

- constater que Geolia a commis des actes de concurrence déloyale.

S'agissant de l'évaluation du préjudice

A titre principal et statuant à nouveau :

- réformer ledit jugement quant au quantum du préjudice,

- condamner la société Geolia à payer aux sociétés Technosol et Forax les sommes réactualisées en cause d'appel et qui s'élèvent respectivement à 995 280 € et 535 920 € au titre de leur préjudice lié à la perte de marge brute consécutivement aux agissements déloyaux de Geolia.

A titre subsidiaire :

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce d'Évry en date du 21 septembre 2011 en ce qu'il a condamné la société Geolia à payer respectivement aux sociétés Technosol et Forax les sommes 491 510 € et 369 626 € au titre de leur préjudice correspondant à la chute de leur résultat d'exploitation au cours des années 2006 et 2007, comparé à celui réalisé en 2005,

En tout état de cause :

- réformer ledit jugement en ce qui concerne les demandes des sociétés Technosol et Forax relatives aux frais engagés pour le recrutement et la restructuration,

- condamner la société Geolia à payer aux sociétés Technosol et Forax la somme de 100 000 € au titre des frais de restructuration engagés,

- condamner la société Geolia à payer aux sociétés Technosol et Forax la somme de 56 250 € au titre des frais engagés pour le recrutement de nouveaux collaborateurs,

- condamner la société Geolia à verser aux sociétés Technosol et Forax la somme de 15 000 € chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

A titre liminaire, les sociétés Technosol et Forax soutiennent qu'il a fallu cinq sommations pour obtenir la communication de pièces capitales aux débats de la part de la société Geolia, tandis que celle-ci a adressé des sommations dépourvues de caractère sérieux, car les pièces sollicitées étaient, soit déjà communiquées, soit accessibles publiquement, soit inutile à son argumentation.

Elles caractérisent ensuite la déloyauté de la société Geolia par le débauchage de 4 salariés influents et à haute responsabilité en leur sein, qui a pris la forme d'un départ brutal, suivi d'une embauche simultanée au sein de cette société.

Elles soutiennent que la société Geolia a détourné certains de leurs clients en transférant à son profit les lignes téléphoniques des salariés débauchés, de sorte qu'elle a eu accès à une part essentielle des commandes réalisées avec ceux-ci.

Elles affirment également que la société Geolia a utilisé les fichiers clients en contact avec les salariés débauchés lui permettant de les démarcher et créant la confusion dans l'esprit des clients entre les différentes sociétés.

Elles considèrent par ailleurs qu'il est évident que la société Geolia disposait d'un carnet de commandes plein, dès sa création, et que son premier exercice social ne peut s'expliquer que par un détournement à leur détriment.

Elles font valoir que leur préjudice découle inéluctablement du débauchage massif et simultané entrepris par la société Geolia, des conditions dans lesquelles ce débauchage est intervenu, du piratage des fichiers et du détournement de clientèle effectués pour le compte de cette dernière.

Elles ajoutent que l'augmentation du chiffre d'affaires et des charges d'exploitation de la société Technosol n'est due qu'au fait qu'elle a racheté la société Etudesol et n'efface aucunement le préjudice qu'elles ont subi ainsi que la responsabilité de la société Geolia.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur les actes de concurrence déloyale reprochés à la société Geolia :

Les sociétés Technosol et Forax reprochent à la société Geolia un débauchage massif et sélectif par la société Geolia de ses salariés et le détournement par celle-ci de clients et d'informations privilégiées ayant entraîné leur désorganisation.

Il convient, à titre préliminaire, de rappeler que le principe est la liberté du commerce, seule la déloyauté dans l'exercice de la libre concurrence étant sanctionnée sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.

La simple embauche, dans des conditions régulières, d'anciens salariés d'une entreprise concurrente est licite, la déloyauté n'étant caractérisée que si le débauchage massif prend la forme d'un départ brutal, suivi d'une embauche simultanée auprès d'un concurrent.

En l'espèce, la société Geolia, qui exerce une activité concurrente de celle des sociétés Technosol et Forax, a embauché 4 anciens salariés des deux sociétés, tous ayant le statut de cadre, alors que la société Technosol comptait 12 cadres/ingénieurs et la société Forax en comptait 2.

Les démissions de ces quatre salariés, MM. Adam, Mazet et Berthou et Mme Gautier, sont intervenues en l'espace d'un mois et demi, entre le 29 septembre et le 6 novembre 2006, soit quelques semaines après la création de la société Geolia, en août 2006. En outre, ils ont quitté définitivement leur emploi au sein des sociétés intimées presque en même temps, soit le 10 novembre 2006 pour Mme Gautier et M. Adam, le 13 novembre 2006 pour M. Berthou et le 24 novembre 2006 pour M. Mazet. Le fait que les contrats de travail de Mme Gautier et M. Adam ne prévoient pas des conditions d'embauche anormalement favorables n'est pas de nature à modifier l'appréciation des conditions de leur départ, la participation au démarrage d'une nouvelle société pouvant être une motivation suffisante.

Si les salariés concernés ont effectué un préavis, il n'a été que d'environ 6 semaines pour Mme Gautier, 4 semaines pour M. Berthou et M. Adam et moins de 3 semaines pour M. Mazet. De surcroît, c'est M. Marcie, qui est devenu en février 2007 actionnaire et principal animateur de la société Geolia, qui, en sa qualité de directeur général de la société Technosol, en charge des deux sociétés intimées, a autorisé le départ précipité de ces salariés. C'est également lui qui leur a octroyé de manière discrétionnaire une prime conséquente (5 000 € pour Mme Gautier, MM. Berthou et Adam et 10 000 € pour M. Mazet) au moment de leur départ. Si des primes ont pu être versées les années précédentes, il est surprenant qu'elles le soient précisément au moment de la démission des salariés.

Il s'agit donc de la démission brutale et quasi-concomitante de quatre salariés pour aller travailler chez le même employeur et la société Geolia ne justifie pas de l'important "turn-over" au sein des sociétés Technosol et Forax qui, selon elle, expliquerait ce départ massif et soudain. Elle ne saurait soutenir que ces départs simultanés ne peuvent caractériser un débauchage déloyal au motif qu'il s'agirait de démissions volontaires, alors que le fait pour des salariés de donner leur démission, sans avoir auparavant émis la moindre réserve sur leurs conditions de travail, pour être embauchés quelques jours ou quelques semaines plus tard par la société Geolia, constitue bien, de la part de celle-ci, qui ne pouvait ignorer la position antérieure de ces salariés, une manœuvre constitutive de concurrence déloyale.

En effet, M. Adam a été embauché par la société Geolia en qualité de responsable de travaux, M. Mazet en qualité de directeur général adjoint, Mme Gautier et M. Berthou en qualité d'ingénieurs.

Ces salariés avaient d'ailleurs été recrutés antérieurement, pour le compte des sociétés intimées, par M. Marcie.

Le départ de ces salariés est intervenu dans le seul intérêt de la société Geolia, qui a ainsi pu constituer en un temps très bref, au moins une partie de son équipe dirigeante et de ses ingénieurs, tout en récupérant leur savoir-faire. Ces salariés démissionnaires étaient parmi les plus qualifiés et expérimentés des sociétés Technosol et Forax, ce qui résulte de l'examen de leur niveau de rémunération et de leur ancienneté au sein de ces sociétés. Il y a lieu d'observer que la société Geolia a également, un peu plus tard en 2007, pu récupérer M. Antoine, également ingénieur de la société Technosol.

S'agissant du grief de détournement par la société Geolia de clients et d'informations privilégiées, il convient de rappeler qu'il ne peut être reproché à un ancien salarié d'exploiter l'expérience acquise auprès de son ancien employeur même si, à l'inverse, une entreprise ne peut pas débaucher un salarié pour exploiter les informations qu'il détient et ainsi démarcher la clientèle d'une autre entreprise sans effort.

Les sociétés Technosol et Forax produisent une liste, attestée par leur expert-comptable, des clients perdus au profit de la société Geolia et qui étaient gérés par les salariés débauchés, à savoir les sociétés AFTRP, Altarea Habitation, Arc Promotion 2, Bouwfonds Marignan, Monne Decroix, Nexity Appolonia, Nexity Seeri, Sadev 94 et Veritas.

En outre, le 20 octobre 2006, M. Marcie a autorisé la cession de 3 lignes téléphoniques professionnelles SFR à la société Geolia, récemment créée. Il s'agissait des lignes des téléphones portables de MM. Adam, Berthou et Mazet, dont il venait par ailleurs d'accepter la démission. Ce transfert de ligne a eu pour conséquence que les clients des sociétés Technosol et Forax continuaient à appeler des lignes qui étaient devenues celles de la société Geolia, ce qui était de nature à créer la confusion dans leur esprit, en leur laissant croire qu'il existait un lien entre la société Geolia et les sociétés intimées.

La société Geolia ne saurait se prévaloir de ce qu'elle aurait spontanément mis fin à ce transfert alors qu'elle reconnaît dans ses écritures qu'elle l'a fait "dès que M. Mazet a été informé que l'opération avait provoqué la mise à pied de M. Marcie".

Les sociétés Technosol et Forax démontrent également le détournement par la société Geolia des fichiers clients puisque cette dernière est intervenue, dès le mois de décembre 2006, auprès de clients déjà démarchés pour leur compte par les salariés démissionnaires, utilisant même des grilles de prix et des modes de présentation propres aux intimées.

Elles établissent également que les clients ont opéré une confusion entre les sociétés Technosol et Forax et la société Geolia. Ainsi, la société Alpha Control a adressé le 18 décembre 2006 une télécopie à la société Technosol alors qu'elle était destinée à la société Geolia. Certains clients ont même imaginé une collusion entre les trois sociétés pour maintenir les prix à un certain niveau, compte tenu de la proximité des prix offerts.

Il n'est nullement établi, comme le soutient la société Geolia, que cette confusion aurait été entretenue par les sociétés Technosol et Forax, elles-mêmes.

Les débauchages opérés par la société Geolia, ayant porté sur une partie de l'équipe dirigeante et des ingénieurs des sociétés intimées, ne pouvaient que désorganiser les sociétés Technosol et Forax, qui ont été obligées de pourvoir rapidement ces postes. Cette désorganisation a incontestablement été accentuée par la réduction des préavis accordée par M. Marcie aux salariés démissionnaires, permettant leur embauche plus rapide par la société Geolia, mais laissant les intimées sans personne pour les remplacer, quasiment du jour au lendemain.

La société Geolia ne peut tirer argument du développement du groupe JF Ingénieries, dont font partie les sociétés Technosol et Forax, pour contester leur désorganisation suite à ses agissements, alors qu'il n'y a pas de lien entre le rachat par le groupe d'entreprises du même secteur d'activité que les sociétés Technosol et Forax, et leur difficulté de fonctionnement. Par contre, la société Geolia a pu, du fait de ses agissements déloyaux, disposer dès son démarrage d'un carnet de commandes conséquent, réalisant d'emblée un chiffre d'affaires important (2 837 822 € au 31 décembre 2007 et 3 843 849 € au 31 décembre 2008).

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Geolia a commis des actes de concurrence déloyale au détriment des sociétés Technosol et Forax et qu'il lui appartient d'indemniser le préjudice qui en résulte pour elles.

Sur les préjudices des sociétés Technosol et Forax :

S'il est exact que M. Marcie, lorsqu'il a accepté les démissions des salariés des sociétés Technosol et Forax, leur a fait interdiction d'effectuer des devis le temps de leur préavis, cela ne peut permettre d'affirmer, comme le font les sociétés intimées qu'il l'aurait fait à dessein, dans le but de faire perdre des commandes aux sociétés intimées au bénéfice de la société Geolia. La comparaison entre les devis effectués par les salariés débauchés avant leur départ des sociétés Technosol et Forax et l'absence de devis pendant la période de leur préavis ne peut servir de base au calcul du préjudice des sociétés intimées.

Il résulte par contre des tableaux des commandes enregistrées par elles que la comparaison entre les chiffres des 6 premiers mois de l'année 2006 et ceux des mois de septembre à décembre de la même année, ainsi que ceux des 6 premiers mois de l'année 2007, démontre que la période postérieure aux débauchages litigieux s'est inscrite dans une tendance de baisse significative des dites commandes (commandes pour les 6 premiers mois de 2006 pour un total de 3 998 992 € passant pour les mêmes mois de 2007 à 2 626 698 €).

Par ailleurs, le résultat d'exploitation des sociétés Technosol et Forax s'est dégradé. C'est ainsi que le résultat d'exploitation qui était, pour la société Technosol, de 239 275 € au 31 décembre 2005, n'était plus que de 77 307 € au 31 décembre 2006 et de -90 267 € au 31 décembre 2007. De même, pour la société Forax, le résultat d'exploitation qui était de 309 346 €au 31 décembre 2005, n'était plus que de 198 950 € au 31 décembre 2006 et de 50 116 € au 31 décembre 2007.

La société Geolia ne peut se prévaloir de ce que le chiffre d'affaires de la société Technosol aurait augmenté entre l'année 2006 et l'année 2007, alors que cette augmentation ne résulte que du rachat par cette dernière de la société Etudosol, à l'époque en redressement judiciaire, autorisé le 8 janvier 2007. S'il y a eu une augmentation des charges d'exploitation de la société Technosol, c'est également en lien avec ce rachat.

Il convient d'évaluer, comme l'a fait le tribunal, le préjudice subi par chacune des sociétés Technosol et Forax au montant de la chute de son résultat d'exploitation au cours des années 2006 et 2007, par rapport à celui réalisé en 2005, soit :

- pour la société Technosol : une perte de 161 968 € en 2006 et de 329 542 € en 2007, soit un total de 491 510 €

- pour la société Forax : une perte de 110 396 € en 2006 et de 259 230 € en 2007, soit un total de 369 626 €.

Les montants supérieurs réclamés par les sociétés Technosol et Forax sur la base de 24 mois de perte des marges brutes mensuelles cumulées des deux sociétés ne correspondent pas à la réalité des pertes réalisées. Ils doivent être écartés.

Les frais de recrutement de nouveaux collaborateurs, selon factures libellées au nom de la société JEI et non à celui des intimées, ne peuvent être imputés à la société Geolia. Quant à la demande au titre de frais de restructuration des sociétés intimées, elle n'est ni explicitée, ni documentée et doit être également rejetée.

Le jugement dont appel doit donc être confirmé en toutes ses dispositions et les parties déboutées de toutes leurs demandes plus amples ou contraires.

L'équité commande d'allouer à chacune des intimées une indemnité de 10 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Déboute les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires, Condamne la société Geolia à payer à chacune des sociétés Technosol et Forax la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Geolia aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.