Livv
Décisions

Cass. com., 24 septembre 2013, n° 12-23.353

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Giraudeau (ès qual.), Jambons du Cotentin (SARL), Lerebours

Défendeur :

Eurauchan (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Rapporteur :

Mme Mouillard

Avocat général :

M. Mollard

Avocats :

Me Foussard, SCP Piwnica, Molinié

T. com. Roubaix-Tourcoing, du 25 mars 20…

25 mars 2010

LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. Giraudeau, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Les Jambons du Cotentin, que sur le pourvoi provoqué relevé par M. Lerebours : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Les Jambons du Cotentin fabriquait des produits de charcuterie traditionnelle et de terroir ; qu'ayant été mise en redressement judiciaire en 1998, elle bénéficiait d'un plan d'apurement du passif d'une durée de dix ans et fournissait ses produits à la société Eurauchan, avec laquelle elle avait conclu plusieurs accords de coopération commerciale fixant le tarif de services spécifiques que cette dernière lui rendait ; que le 5 décembre 2006, les parties ont conclu un protocole précisant notamment que la société Les Jambons du Cotentin reconnaissait devoir à la société Eurauchan, au titre de ces accords, une somme de 332 500 euros, qu'elle s'engageait à payer en trois ans, cependant que la société Eurauchan annulait les sommes facturées à ce titre pour les années 2004, 2005 et 2006, pour un montant global de 510 722 euros HT donnant lieu à l'émission d'un avoir au profit de la société Les Jambons du Cotentin, qui devait demeurer séquestré jusqu'à ce que cette dernière procède à une augmentation de capital d'au moins 300 000 euros, à laquelle son gérant et actionnaire majoritaire, M. Lerebours, devait souscrire pour 170 000 euros ; qu'une augmentation de capital étant intervenue le 18 septembre 2007, la société Eurauchan a refusé de débloquer l'avoir ; que la société Les Jambons du Cotentin a été mise en liquidation judiciaire le 13 novembre 2007, M. Giraudeau étant désigné liquidateur ; que la société Eurauchan a déclaré une créance de 319 205 euros ; que, reprochant à la société Eurauchan une fausse coopération commerciale, subsidiairement l'inexécution du protocole, ainsi que la rupture partielle brutale, et abusive, de la relation commerciale, M. Giraudeau, ès qualités, et M. Lerebours, à titre personnel, l'ont fait assigner en répétition de l'indu, subsidiairement en paiement de l'avoir, et en paiement de dommages-intérêts ;

Sur le cinquième moyen du pourvoi principal : - Attendu que M. Giraudeau, ès qualités, fait grief à l'arrêt du rejet de sa demande de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale, alors, selon le moyen : 1°) que, pour écarter une rupture brutale partielle des relations commerciales, les juges du fond ont considéré que la lettre du 24 juin 2005 portait notification d'un préavis de six mois ; que toutefois, à aucun moment, dans ses conclusions d'appel, la société Eurauchan ne s'est prévalue du fait que la lettre en cause valait préavis ; que fondé sur un moyen relevé d'office, l'arrêt attaqué doit être censuré pour violation de l'article 16 du Code de procédure civile ; 2°) que si, comme le soutenait la société Eurauchan, la lettre du 24 juin 2005 faisait état de l'évolution du marché, elle n'annonçait en aucune façon à la société Les Jambons du Cotentin, aux termes d'énoncés clairs et précis, que les relations commerciales seraient pour partie remises en cause ; qu'en décidant en l'état qu'il y avait eu rupture avec préavis suffisant, les juges du fond ont violé l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;

Mais attendu que l'arrêt retient qu'en adressant le 24 juin 2005 à la société Les Jambons du Cotentin une lettre par laquelle elle l'informait que les perspectives d'évolution du marché ne permettaient de lui garantir, au-delà la fin de l'année, ni sa part de marché, ni son chiffre d'affaires avec elle, et l'invitait en conséquence à réorienter son activité vers un échelon local, la société Eurauchan lui a notifié un préavis d'une durée de six mois, suffisant compte tenu de l'ancienneté de la relation commerciale ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel, qui n'a fait qu'analyser les faits de la cause comme le lui permet l'article 7 du Code de procédure civile, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le quatrième moyen du pourvoi principal : - Attendu que M. Giraudeau, ès qualités, fait grief à l'arrêt de décider, après avoir constaté que la société Eurauchan était débitrice à l'égard de la liquidation judiciaire de la société Les Jambons du Cotentin de la somme de 244 620,45 euros, que cette somme viendrait en compensation de la créance déclarée par la société Eurauchan au passif de la société, alors, selon le moyen : 1°) que la compensation en cas de procédure collective, à raison de la connexité des dettes, suppose que ces dettes procèdent d'un même contrat ou puissent être rattachées à un ensemble contractuel unique ; qu'en l'espèce, il faisait valoir que la dette de la société Les Jambons du Cotentin procédait des accords de coopération commerciale, cependant que la dette de la société Eurauchan, souscrite dans le cadre de l'accord du 5 décembre 2006, avait pour cause la décision de la société Les Jambons du Cotentin d'augmenter son capital en tenant pour nuls les accords de coopération ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ce point, avant de retenir que les dettes procédaient du même contrat, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 1289 du Code civil, les articles L. 621-24 (devenu L. 622-7) et L. 641-3 du Code de commerce, ensemble au regard des règles régissant la compensation en cas de dettes connexes ; 2°) que la compensation pour connexité suppose en tout état de cause que les dettes aient le même fondement ; qu'en s'abstenant de rechercher au cas d'espèce, comme ils y étaient invités, si la dette de la société Les Jambons du Cotentin, procédant des accords de coopération commerciale, et la dette souscrite par la société Eurauchan, à raison de l'augmentation du capital de la société Les Jambons du Cotentin, avec annulation corrélative de sommes dues dans le cadre des opérations commerciales, avaient le même fondement, et pouvaient donner lieu à compensation pour connexité, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 1289 du Code civil, les articles L. 621-24 (devenu L. 622-7) et L. 641-3 du Code de commerce, ensemble au regard des règles régissant la compensation en cas de dettes connexes ;

Mais attendu qu'après avoir constaté que les conditions auxquelles le protocole subordonnait la libération de l'avoir séquestré étaient réunies, l'arrêt alloue à M. Giraudeau, ès qualités, une somme de 244 620,45 euros à ce titre puis, procédant à la recherche visée par la seconde branche, retient, justifiant par là-même sa décision, que cette créance résulte d'un aménagement de l'exécution des accords de coopération commerciale et qu'elle procède donc du contrat qui est également à l'origine de la créance régulièrement déclarée par la société Eurauchan au passif de la liquidation judiciaire de la société Les Jambons du Cotentin, s'agissant d'un solde de factures de coopération commerciale ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal : - Vu l'article L. 442-6, III, alinéa 2, du Code de commerce ; - Attendu que pour rejeter la demande de remboursement des sommes versées au titre de la coopération commerciale formée par M. Giraudeau, ès qualités, l'arrêt retient que ce dernier ne rapporte pas la preuve, comme il en a l'obligation conformément à l'article 9 du Code de procédure civile, du caractère fictif des prestations facturées ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il appartenait à la société Eurauchan de justifier des faits ayant produit l'extinction de ses obligations, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche : - Vu l'article L. 442-6, I, 1°, du Code de commerce ; - Attendu que pour rejeter la demande de remboursement des sommes versées au titre de la coopération commerciale formée par M. Giraudeau, ès qualités, l'arrêt se borne à retenir que les factures établies par la société Eurauchan décrivent les prestations concernées avec toute la précision nécessaire, sous la rubrique "prestations centrales" ; qu'il en déduit que ces prestations ne sont pas dépourvues de contrepartie réelle et qu'elles sont distinctes des simples opérations d'achat et de revente ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, à partir des seuls intitulés des factures, sans vérifier concrètement si les prestations avaient été effectuées et si elles étaient distinctes des opérations d'achat et de revente incombant au distributeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Et sur le moyen unique du pourvoi provoqué : - Attendu que la cassation, sur les premier et deuxième moyens, de l'arrêt en ce qu'il statue sur la coopération commerciale, entraîne l'annulation, par voie de conséquence, de ses dispositions rejetant les demandes de M. Lerebours, qui en sont la suite ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de remboursement formées par M. Giraudeau, ès qualités, au titre de la coopération commerciale et les demandes de dommages-intérêts de M. Lerebours, l'arrêt rendu le 19 juin 2012, entre les parties, par la Cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris.