Cass. com., 24 septembre 2013, n° 12-18.249
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Atexis France (SAS)
Défendeur :
Illas (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
M. Le Dauphin
Avocats :
SCP Delaporte, Briard, Trichet, SCP Monod, Colin
LA COUR : - Vu la connexité, joint le pourvoi n° 12-18.249 formé par la société Atexis France et le pourvoi n° 12-23.965 formé par la société Illas, et statuant tant sur le pourvoi principal de la société Atexis France que sur le pourvoi incident relevé par la société Illas ; - Attendu, selon les arrêts attaqués (16 février 2012 et 10 mai 2012), que faisant valoir qu'elle avait conclu, le 13 juillet 2007, avec la société Groupe Cisia Ingenierie, pour une période de douze mois, un "contrat d'apporteur d'affaires" ayant pris effet le 1er mai 2007, que ce contrat avait été tacitement reconduit pour une nouvelle période de douze mois en l'absence de résiliation conforme aux modalités précisées par la convention et que la société Groupe Cisia Ingenierie, mise en demeure d'exécuter le contrat postérieurement à son renouvellement, s'y était refusée, de sorte qu'elle était en droit de se prévaloir de la clause l'autorisant, en pareil cas, à le rompre avant son terme, la société Illas a fait assigner la société Groupe Cisia Ingenierie en paiement de diverses sommes ; qu'en cours d'instance, la société Atexis France (la société Atexis) est venue aux droits de la société Groupe Cisia Ingenierie ; qu'elle a sollicité la rectification d'une erreur matérielle affectant, selon elle, l'arrêt du 16 février 2012 ayant partiellement accueilli les demandes de la société Illas ; que l'arrêt du 10 mai 2012 a fait droit à cette demande ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident de la société Illas : - Attendu que la société Illas fait grief à l'arrêt du 16 février 2012 d'avoir rejeté sa demande tendant à la requalification du contrat litigieux en contrat d'agent commercial alors, selon le moyen : 1°) qu'aucune disposition du Code des marchés publics, du Code de commerce ou de tout autre texte législatif ou réglementaire n'interdit l'intervention, dans la conclusion d'un marché public, d'un agent commercial négociant pour le compte de l'entreprise privée dont la personne de droit public est le client ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de la société Illas, qu'elle est essentiellement intervenue sur des marchés publics, ce qui serait incompatible avec l'exercice d'une activité d'agent commercial, la cour d'appel a violé l'article L. 134-1 alinéa 1er du Code de commerce ; 2°) qu'en soulevant d'office le moyen tiré de ce que la notion d'agent commercial serait incompatible avec celle de marché public, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé le principe de la contradiction et méconnu l'article 16 alinéa 3 du Code de procédure civile ; 3°) que M. de La Fargue précisait dans l'attestation à laquelle s'est référée la cour d'appel que "tout devis commercial était formalisé par l'ingénieur commercial sur un document (...) qui était validé par le responsable méthode, le contrôle de gestion puis par le Directeur Général (...) qui reportait ensuite à Alten. Ce document permettait ensuite à l'ingénieur commercial de négocier avec son client tout en respectant le cadre minimum de la prestation validée par la DG. M. Barre était soumis aux mêmes règles" ; qu'en omettant de citer et d'analyser cette partie de l'attestation de l'intéressé et en n'en rapportant que l'autre partie, pour en déduire que la société Illas ne disposait pas de l'indépendance de proposition et de négociation indispensable à la reconnaissance du statut d'agent commercial, la cour d'appel a dénaturé par omission ladite attestation et ainsi méconnu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
Mais attendu qu'ayant retenu de l'analyse des éléments de preuve soumis à son appréciation, sans dénaturer l'attestation visée par la troisième branche, que la société Illas, qui n'avait jamais été habilitée "à contracter en direct" au nom et pour le compte de son cocontractant avec la clientèle publique et pas davantage avec les quelques clients privés dont elle pouvait se prévaloir, ne disposait pas de l'indépendance requise pour négocier des contrats, la cour d'appel en a exactement déduit, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les deux premières branches, qu'elle n'avait pas la qualité d'agent commercial ; que le moyen, pour partie non fondé, ne peut être accueilli pour le surplus ;
Sur le premier moyen du pourvoi de la société Atexis : - Attendu que la société Atexis fait grief au même arrêt d'avoir déclaré fondée la résiliation du contrat par la société Illas aux torts de la société Groupe Cisia Ingenierie et de l'avoir condamnée à lui payer une certaine somme représentant douze mois de commissions sur le secteur d'activité concerné alors, selon le moyen : 1°) que les principes de bonne foi et de cohérence et la règle de l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui s'opposent à ce que l'on puisse adopter, au détriment de son cocontractant, une attitude procédurale incompatible avec son comportement antérieur ; que, dans ses conclusions d'appel, la société Atexis déduisait de ces principes l'impossibilité pour la société Illas de faire constater, après avoir admis que le contrat n'avait pas été renouvelé à son échéance du 30 avril 2008 et cessé à cette date de l'exécuter, que celui-ci aurait été résilié en juillet 2008 ; qu'en se bornant à retenir que la société Illas était en droit d'obtenir en juillet 2008 la résiliation du contrat aux torts de son cocontractant, sans rechercher si le comportement de la société Illas n'était pas constitutif d'une atteinte aux principes de cohérence et de bonne foi et à l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; 2°) que la formalité de la lettre recommandée prévue pour la non-reconduction d'un contrat n'est requise, sauf stipulation contraire, que comme mode de preuve auquel il peut être suppléé par tout autre moyen ; que la société Atexis soutenait dans ses conclusions d'appel que la non-reconduction du contrat à son échéance était suffisamment établie par le mail de la société Groupe Cisia Ingénierie du 20 janvier 2008 informant la société Illas du non renouvellement du contrat et par l'attitude de cette dernière admettant cette dénonciation du contrat à son échéance du 30 avril 2008 et cessant, en conséquence, à cette date de l'exécuter ; qu'en se bornant, pour juger non valable la dénonciation du contrat à son échéance du 30 avril 2008, que la tacite reconduction du contrat devait être dénoncée par lettre recommandée avec accusé de réception, sans rechercher si cette formalité n'avait pas été stipulée à titre probatoire, et non pour la validité de l'acte, et si la société Illas n'avait pas précisément été informée, par le mail de la société Groupe Cisia Ingénierie du 20 janvier 2008 et dans le délai de prévenance de trois mois stipulé par les parties, de la non-reconduction du contrat à son échéance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1315 du Code civil ; 3°) que la société Atexis soutenait dans ses conclusions d'appel que le directeur général de la société Groupe Cisia Ingénierie, M. Christophe Bertin, était également celui de la société Cisia Ingénierie et qu'il était le signataire de la lettre recommandée du 17 janvier 2008 dénonçant la reconduction du contrat à son échéance du 30 avril 2008 et doublant le mail de la société Groupe Cisia Ingénierie du 20 janvier 2008 ; qu'en se bornant à retenir, pour juger non valable la dénonciation du contrat à son échéance du 30 avril 2008, que la lettre recommandée avec accusé de réception du 17 janvier 2008 émanait de la société Cisia Ingénierie, tiers au contrat, et non de la société Groupe Cisia Ingénierie, sans rechercher si l'utilisation par le directeur général de la société Groupe Cisia Ingénierie d'un papier à entête de la société Cisia Ingénierie pour dénoncer la reconduction du contrat ne procédait pas d'une simple erreur qui n'avait pu ni tromper la société Illas, ni créer de doute quant à l'identification de l'auteur de la dénonciation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1165 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, qu'après avoir constaté que la lettre de résiliation du 17 janvier 2008 émanait de la société Cisia Ingenierie, non partie au contrat litigieux, l'arrêt relève que la société Illas a, par courrier recommandé du 13 juin 2008, informé son cocontractant du caractère inopérant de la lettre du 17 janvier et l'a mis en demeure de reprendre sans délai l'exécution du contrat ; qu'il ajoute que la société Illas ayant réitéré sa demande le 28 juillet 2008, la société Groupe Cisia Ingenierie n'a répondu que le 18 août en rappelant seulement sa volonté de mettre fin au contrat ; qu'ayant ainsi écarté les allégations de cette dernière selon lesquelles la société Illas avait reconnu, sans équivoque, la cessation de leurs relations contractuelles à la date du 30 avril 2008, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Attendu, d'autre part, qu'après avoir relevé que la convention du 13 juillet 2007 stipulait qu'elle serait renouvelée par tacite reconduction à son terme, fixé au 30 avril 2008, sauf résiliation par l'une ou l'autre des parties notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception sous réserve d'un préavis de trois mois et retenu qu'il appartenait à la société Groupe Cisia Ingenierie de respecter les prescriptions contractuelles pour "dénoncer la tacite reconduction", l'arrêt constate que tel n'a pas été le cas ; qu'il en déduit que le contrat a été reconduit le 30 avril 2008 pour une durée de 12 mois ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'a fait qu'appliquer la loi du contrat, a légalement justifié sa décision ;
Et attendu, enfin, que la société Atexis ayant fait valoir que la notification du non renouvellement du contrat par la lettre recommandée envoyée par la société Cisia Ingenierie, bénéficiaire des services de la société Illas, était venue s'ajouter à la dénonciation du contrat par courriel de la société Groupe Cisia Ingenierie la cour d'appel n'avait pas à procéder à la recherche visée par la troisième branche, qui ne lui était pas demandée ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le deuxième moyen du pourvoi de la société Atexis : - Vu l'article 4 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour condamner la société Atexis à payer à la société Illas, la somme de 11 635,47 euros au titre des factures n° 40 à 49 se raportant à la période du 1er février au 30 avril 2008, l'arrêt du 16 février 2012 retient que ces factures ne sont pas contestées par la société Atexis ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que dans ses conclusions, la société Atexis, qui demandait le rejet de toutes les demandes de la société Illas, soutenait que celle-ci avait utilisé, pour ces factures, des éléments relatifs à l'année qui avait suivi la fin du contrat, qu'elle avait communiqués pour permettre le calcul de l'indemnité de résiliation, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal de la société Illas, pris en sa première branche : - Vu l'article 462 du Code de procédure civile ; - Attendu que si les erreurs ou omissions matérielles affectant une décision peuvent être réparées par le juge qui l'a rendue, celui-ci ne peut modifier les droits et obligations reconnus aux parties par cette décision ;
Attendu que pour accueillir la requête de la société Atexis en rectification de l'erreur matérielle affectant, selon elle, l'arrêt du 16 février 2012 et substituer dans le dispositif de cet arrêt la condamnation de la société Atexis au paiement de la somme de 247 461,28 euros à celle de 371 192 euros au titre des commissions dues à la société Illas sur le marché public DCMAA, l'arrêt du 10 mai 2012, après avoir rappelé que selon la convention des parties, cette dernière ne peut prétendre à commissionnement pour les commandes récurrentes relatives à ce marché, retient que c'est par erreur que la société Atexis a été condamnée au paiement de la somme de 371 192 euros, qui intègre le commissionnement de 2 % sur les commandes récurrentes ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il ne résulte pas des constatations de l'arrêt rectifié que les commandes objets de la demande de la société Illas étaient, pour partie, des commandes récurrentes, la cour d'appel a modifié les droits et obligations des parties et violé le texte susvisé ;
Et sur le troisième moyen du pourvoi de la société Atexis : - Vu l'article 1134 du Code civil ; - Attendu qu'après avoir relevé que le contrat d'apporteur d'affaires précise que les commissions ne seront dues, s'agissant du marché DCMAA, que pour les commandes non récurrentes et que, conformément à cette convention, le commissionnement reste également dû sur le montant des règlements (facturation/encaissement), l'arrêt du 16 février 2012 accueille la demande de la société Illas tendant à la condamnation de la société Atexis au paiement de la somme de 371 192 euros au titre de ce marché ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans constater que cette somme n'incluait pas des commissions réclamées au titre de commandes ayant le caractère de commandes récurrentes au sens du contrat litigieux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; - Vu l'article 627 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen du pourvoi n° X 12-23.965 : Rejette le pourvoi incident de la société Illas ; Sur le pourvoi principal de la même société : Casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt rectificatif du 10 mai 2012 ; Dit n'y avoir lieu à renvoi ; Rejette la requête en rectification d'erreur matérielle formée par la société Atexis France ; Et sur le pourvoi de cette société : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Atexis France à payer à la société Illas, la somme de 13 385,46 euros au titre des factures dues et celle de 371 192 euros au titre du marché DCMAA, l'arrêt rendu le 16 février 2012, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.