CA Nancy, 2e ch. com., 2 octobre 2013, n° 12-01543
NANCY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ecce Omo (SARL)
Défendeur :
Kenzo (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Malherbe
Conseillers :
Mme Thomas, M. Bruneau
Avocats :
Mes Ferry-Bouillon, Carnel, Henriot-Bellargent
FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES :
La société Kenzo distribue ses produits par l'intermédiaire de distributeurs exclusifs. A Nancy la boutique Ecce Omo détenait cette exclusivité depuis 2002.
Les difficultés rencontrées par la SARL Ecce Omo pour écouler ses stocks ont conduit cette société à cesser ses relations commerciales avec Kenzo selon un protocole transactionnel du 2 août 2010.
La société Kenzo estime que la SARL Ecce Omo n'a pas respecté ses engagements contractuels et a demandé réparation de son préjudice devant le Tribunal de commerce de Nancy.
Par jugement en date du 21 mai 2012 ce tribunal a considéré que la SARL Ecce Omo avait manqué à son engagement de cesser la vente des produits Kenzo dans le délai défini, à son obligation de discrétion et de retenue et n'avait pas respecté ses obligations de ne pas faire. Il a condamné Ecce Omo à verser à Kenzo la somme de 18 000 euros à titre de dommages et intérêts outre 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Ecce Omo a interjeté appel de ce jugement.
Elle fait valoir au soutien de son recours que :
- les conclusions de Kenzo, qui ne précisent pas la forme de la personne morale, sa dénomination, son siège social et l'organe qui la représente, sont irrecevables,
- aux termes du protocole d'accord du 2 août 2010 la société Ecce Omo s'engageait à ne plus vendre de produit Kenzo après le 30 novembre 2010 ; cette disposition a été respectée et seuls trois articles de la marque repérés le 2 décembre 2010 à sa devanture sont insuffisants pour caractériser une faute contractuelle,
- le comportement de la société Ecce Omo ne révèle aucun manquement à son obligation de discrétion et de retenue,
- les opérations de liquidation n'étaient pas interdites et se sont déroulées selon les règles ; elles ne portaient pas préjudice à la marque Kenzo,
- l'affichette "Kenzo c'est fini" ne présente aucun caractère préjudiciable,
- l'enseigne "Adieu" n'était pas davantage critiquable.
Pour la société Ecce Omo la société Kenzo n'a subi aucun préjudice. Elle conclut au débouté des demandes présentées par Kenzo et à la condamnation de cette société à lui payer 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SA Kenzo rappelle les relations liant les parties depuis 2002, Ecce Omo bénéficiant d'une exclusivité de la vente au détail pour la vente des articles Kenzo dans le secteur du Grand Nancy.
Pour mettre fin aux relations entre les parties un protocole transactionnel a été signé le 2 août 2010.
Pour les motifs exposés dans les conclusions de l'intimée, la société Kenzo estime que Ecce Omo a manqué gravement à ses obligations énoncées dans le protocole transactionnel.
Ainsi la société Kenzo soutient que Ecce Omo a violé les interdictions suivantes du protocole :
- cesser d'utiliser tout signe ou indication laissant croire qu'elle conserve encore un lien avec Kenzo à compter du 4 août 2010,
- s'abstenir de tout dénigrement de la marque Kenzo et de tout comportement ne répondant pas aux exigences de discrétion et de retenue et susceptible de porter atteinte aux intérêts de Kenzo,
- cesser définitivement toute commercialisation des articles Kenzo après le 30 novembre 2010 et n'écouler ces articles entre le 4 août et le 30 novembre 2010 que dans le cadre de la tolérance accordée.
La société Kenzo demande ainsi à la cour de :
- écarter des débats l'ensemble des pièces invoquées par Ecce Omo au soutien de ses prétentions et numérotées 1 à 22, à défaut d'avoir été communiqué simultanément avec la notification de ses conclusions d'appel,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- y ajoutant :
- condamner la société Ecce Omo à payer à la société Kenzo la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- dire et juger la société Ecce Omo mal fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions,
- l'en débouter intégralement.
MOTIFS DE LA DECISION :
1) Sur les irrégularités de procédure :
Attendu que Kenzo demande à la cour d'écarter des débats des pièces non communiquées simultanément avec les conclusions d'appel ;
Attendu que si l'article 906 du Code de procédure civile prévoit la communication simultanée des pièces et des conclusions, il convient de constater que le Code de procédure civile ne prévoit aucune sanction au non-respect de cette règle ;
Que dans la présente affaire les pièces communiquées par Ecce Omo avaient été produites en première instance et n'étaient pas inconnues de Kenzo ;
Qu'il n'y a donc pas lieu d'écarter les pièces de Ecce Omo numérotées 1 à 22 ;
Attendu que Ecce Omo soutient pour sa part que les conclusions de Kenzo ne mentionnent ni la forme de la société, ni son siège social ni l'organe qui le représente ;
Que ces indications ont été fournies par Kenzo en cours de procédure ;
Attendu qu'ainsi cette exception de procédure soulevée par Ecce Omo doit être rejetée ;
2) Sur les manquements de la société Ecce Omo :
Attendu que pour sceller la rupture de leurs relations commerciales la société Ecce Omo exploitant une boutique à l'enseigne Kenzo et cette dernière société ont signé le 2 août 2010 un protocole transactionnel ;
Qu'aux termes de cet accord les parties sont convenues de mettre fin par anticipation au contrat de concession commerciale du 27 novembre 2007 à la date du 2 août 2010 ; de plus Ecce Omo s'engageait à faire cesser toute commercialisation d'articles Kenzo après le 4 août 2010 "et à faire disparaître de son magasin tout signe ou indication de nature à laisser penser qu'elle conserve encore un lien avec Kenzo dès le 4 août 2010" ;
Que cependant l'accord permettait à la société Ecce Omo d'écouler le stock en sa possession jusqu'au 30 novembre 2010 dernier délai dans son magasin, étant précisé que l'acceptation de Kenzo était une simple tolérance qui ne remettait en cause ni la date de prise d'effet de la résiliation anticipée du contrat ni l'obligation de faire disparaître tous signes ou indications de nature à laisser penser que ce magasin conservait un lien avec la société Kenzo ;
Attendu que l'article 4 du protocole précisait qu'Ecce Omo s'interdisait de tenir auprès d'un tiers des propos constitutifs d'un dénigrement de la marque Kenzo (...) et s'engageait à faire preuve de discrétion et de retenue vis-à-vis des tiers au sujet du contrat et des relations ayant existé entre elles, de façon à ne pas porter atteinte aux intérêts de Kenzo ;
Attendu que malgré ces dispositions très précises, la société Kenzo a fait constater par huissier le 2 décembre 2010 que des chaussures et une ceinture de marque Kenzo étaient proposées en vitrine à la vente ; que cette infraction au protocole n'est pas contestée par la société Ecce Omo ;
Attendu que de plus la société Ecce Omo reconnaît avoir fait placarder postérieurement au 2 août 2010 sur sa devanture une grande affiche annonçant une "liquidation totale Kenzo" accompagnée de la mention "Kenzo c'est fini" ; qu'ainsi la société Ecce Omo a non seulement méconnu son obligation de faire disparaître "tous signes ou indications de nature à laisser penser que la boutique conserve un lien avec la société Kenzo" mais encore a procédé à une opération de liquidation au caractère tapageur en laissant croire que la marque Kenzo était appelée à disparaître ; que de façon certaine la société Ecce Omo a manqué à son obligation de discrétion et de retenue à l'égard des tiers ;
Attendu que la société Ecce Omo fait valoir à juste titre qu'à partir du 4 août 2010 elle était libre de vendre des marchandises d'autres marques ; que l'opération de liquidation totale du magasin pour fermeture définitive n'est pas de nature à nuire aux intérêts de la marque Kenzo ;
3) Sur le préjudice de la SA Kenzo :
Attendu que l'ordonnance de référé rendue le 10 décembre 2010 a prescrit des mesures - en application des articles 872 et 873 du Code de procédure civile - permettant de prévenir un dommage imminent ou de faire cesser un trouble manifestement illicite ;
Qu'elle n'a pas réparé le préjudice subi par la société Kenzo à la suite des manquements commis par Ecce Omo à ses obligations ;
Attendu que le montant des dommages et intérêts réparant le préjudice subi par la SA Kenzo doit être réduit à la somme de 8 000 euros ;
4) Sur l'article 700 du Code de procédure civile :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile en faveur de l'une ou l'autre des parties à hauteur d'appel ;
Attendu que les dispositions du jugement sur ce même fondement doivent être maintenues ;
Attendu que les dépens de la présente procédure seront laissés à la charge de la SARL Ecce Omo qui succombe partiellement ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant par arrêt Contradictoire en dernier ressort prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile, Dit recevables les conclusions de la SA Kenzo du 31 juillet 2012 ; Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Nancy du 21 mai 2013 sauf sur le montant des dommages et intérêts alloués à la SA Kenzo ; Statuant à nouveau sur ce point : Condamne la SARL Ecce Omo à verser à la SA Kenzo la somme de huit mille euros (8 000 ) à titre de dommages et intérêts ; Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ; Dit n'y avoir lieu application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Laisse les dépens à la charge de la SARL Ecce Omo avec distraction au profit de Maître Carnel.