CA Amiens, ch. économique, 1 octobre 2013, n° 11-04111
AMIENS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Louis (ès qual.), ND Agency (SARL)
Défendeur :
Domont Mornet Gouvieux (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. de Mordant de Massiac
Conseillers :
Mme Bousquel, M. Bougon
Avocats :
Mes Guyot, Michel, Dumoulin, Lefebvre
Faits
La SARL ND Agency, créée en novembre 2004, dont la gérante était Madame Nadine Abbou, exploitait une activité de stylisme, de développement de collections, d'achat et de vente de marchandise textiles sur le territoire national et à l'international et a eu des relations commerciales pendant plusieurs années avec la SARL Dumont Mornet Gouvieux (DMG) qui est une entreprise d'ennoblissement textile par des impressions, teintures et préparations, la SARL DMG effectuant des travaux sur des tissus fournis par la SARL ND Agency ;
En 2009, la SARL ND Agency, faisant état de problèmes de qualité et d'impression, a formé des demandes d'avoir ;
Par courrier du 17 mars 2010 la SARL DMG a réclamé sans effet à la SARL ND Agency le règlement de la somme de 39 404,18 EUR due au titre de factures impayées et a indiqué à la SARL ND Agency qu'elle ne lui expédierait la marchandise confiée qu'après avoir reçu le règlement de ces factures ;
La SARL ND Agency a adressé à la SARL DMG deux traites de 10 152,84 EUR à échéance des 30 avril et 30 mai 2010 qui sont revenues impayées à leur échéance.
Procédures
C'est dans ce contexte que, par acte du 13 septembre 2010, la SARL ND Agency, estimant que sa co-contractante avait refusé délibérément d'exécuter son obligation de délivrance de la marchandise et n'avait pas respecté les usages commerciaux a fait assigner la SARL ND Agency à comparaître devant le Tribunal de commerce de Compiègne aux fins de l'entendre condamnée à lui régler la somme de 129 900 EUR HT à titre de dommages intérêts.
Devant le tribunal, la SARL DMG a demandé aux premiers juges de constater que l'appelante n'établissait pas d'usage commerciaux entre les parties ; que la rupture des relations commerciales ne pouvait être prononcée qu'aux torts de la requérante qui devait être déboutée de ses demandes; qu'en revanche, la SARL ND Agency lui devait des factures impayées à hauteur de la somme de 39 404,18 EUR qu'elle devait être condamnée à lui régler.
Par jugement rendu le 3 février 2011, le Tribunal de commerce de Marseille a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la SARL ND Agency et Maître Jean-Pierre Louis a été nommé en qualité de mandataire judiciaire ;
Par jugement rendu le 13 septembre 2011, le Tribunal de commerce de Compiègne a, notamment débouté la SARL ND Agency de sa demande de dommages-intérêts, fixé la créance de la SARL DMG au passif de la procédure collective de la SARL ND Agency à hauteur de la somme de 39 404,18 EUR au titre du solde des factures restant dues selon décompte arrêté au 17 mars 2010.
Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré que la requérante n'établissait pas de façon probante le non-respect de d'habitudes commerciales et se contentait d'invoquer la tolérance de la requise en ce qui concernait les délais de paiement dont la durée était variable sans établir que les relations commerciales entre les deux parties étaient régies par des usages commerciaux spécifiques ; que la SARL DMG avait déclaré sa créance dans les délais légaux au passif de la procédure collective de la SARL ND Agency et que cette créance n'avait pas été contestée par la requérante ni par le mandataire judiciaire.
La SARL ND Agency et Maître Jean-Pierre Louis ès qualité de mandataire judiciaire de la SARL ND Agency ont interjeté appel de cette décision par déclaration formée au secrétariat-greffe de la juridiction de céans le 18 octobre 2011.
Par jugement rendu le 6 décembre 2012, une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l'encontre de la SARL ND Agency et Monsieur Jean-Pierre Louis a été nommé en qualités de liquidateur judiciaire.
Demandes en appel
Maître Jean-Pierre Louis est intervenu, en appel, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL ND Agency et a déposé des écritures le 3 avril 2013 aux termes desquelles il reprend à son profit les conclusions déposées par la SARL ND Agency le 27 novembre 2012 ;
Dans ses écritures transmises au secrétariat greffe de la juridiction de céans le 27 novembre 2012, la SARL ND Agency demandait notamment à la cour d'infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions, de débouter la SARL DMG de ses demandes, de dire que les relations commerciales des deux sociétés étaient régies par des usages commerciaux, de dire que la SARL DMG avait rompu brutalement les relations commerciales établies entre les sociétés du fait de la rétention subite de marchandises et de la suppression des délais de paiement ; de dire que la SARL DMG n'avait pas exécuté son obligation de délivrance et avait violé le principe selon lequel nul ne peut se contredire aux dépens d'autrui. Elle demandait également à la cour de condamner la SARL DMG à lui payer :
1) la somme de 123 924,78 EUR au titre de la commande de maillots de bain non exécutée par la faute de la SARL DMG ;
2) la somme de 94 500 EUR au titre de la perte de chance de maintenir un chiffre d'affaire avec la société Eden Park ;
3) la somme de 10 000 EUR en raison de la mauvaise foi de l'intimée ;
Elle soutenait que la SARL DMG acceptait systématiquement le règlement des prestations après livraison des marchandises dans un délai moyen de 4,9 mois après la date de la facture ; que ces délais lui seraient nécessaires afin d'obtenir le règlement de ses propres clients avant de pouvoir payer ; qu'il s'agissait d'un usage constant ; que des problèmes d'impression sont survenus en 2009 ; que l'intimée n'a consenti que des avoirs d'un montant très faible et avait un devoir de loyauté ; que par son changement de politique commerciale, la SARL DMG a modifié unilatéralement et sans préavis les conditions habituelles de vente et rompu les rapports ; que le droit de rétention ne peut être invoqué de mauvaise foi ; l'appelante ajoutait que les factures dont l'intimée demandait le règlement correspondaient à des marchandises non livrées ou non conformes; que la rupture de la chaîne des livraisons avait bloqué la fabrication et qu'elle n'avait pas pu livrer à son client final, la société Eden Park qui ne la payait pas non plus ; qu'elle a donc perdu son client qui était l'un de ses clients principaux ainsi que la chance que ce dernier renouvelle ses marchés pour l'avenir et qu'elle a fait l'objet d'une procédure collective ; l'appelante ajoutait que sa demande de dommages-intérêts à l'encontre de l'intimée en raison de la brutalité de la rupture et du comportement malhonnête de l'intimée était l'accessoire et le complément de ses demandes initiales.
La SARL DMG, intimée, demande notamment à la cour dans ses dernières écritures, transmises au secrétariat-greffe de la juridiction de céans par RPVA le 26 octobre 2012, de confirmer la décision entreprise, de dire que la SARL ND Agency n'établit aucun usage commercial entre les parties portant sur l'octroi de délais de paiement et que la rupture des relations commerciales entre les parties ne saurait lui être imputable ; de déclarer l'appelante irrecevable en sa demande visant à demander la condamnation de l'intimée à lui régler des dommages-intérêts du fait de son comportement tiré de la rupture des relations, cette demande étant présentée pour la première fois en appel ;
Elle fait valoir que l'appelante ne démontre pas la constance et la répétition de l'usage dont elle fait état ; que les délais n'ont jamais été les mêmes ; que ses factures portaient mention qu'elles devaient être réglées à 30 jours ; que l'appelante ne saurait lui imposer des délais totalement aléatoires, abusifs et contraires aux dispositions légales et notamment aux dispositions de l'article L. 441-6 du Code de commerce ; qu'elle produit les bons de livraison des marchandises dont elle demande le règlement ; que les problèmes d'impression évoqués par l'appelante sont ponctuels, non représentatifs de l'ensemble de la production et ne sont pas démontrés ; que l'intimée a fait droit aux demandes de l'appelante sur ce point en consentant des remises ; qu'elle n'a jamais pris l'initiative de rompre les relations commerciales mais a légitimement réclamé le paiement de son dû et que c'est l'appelante qui a décidé de les rompre ; qu'elle-même n'avait donc pas à respecter de préavis ; qu'elle était en droit d'appliquer l'exception d'inexécution et qu'aux termes de l'article 2286 du Code civil elle pouvait se prévaloir d'un droit de rétention sur la chose en sa qualité de façonnier ; que la demande de dommages-intérêts de l'appelante n'est fondée ni dans son principe ni dans son quantum.
EN CET ÉTAT,
Sur la recevabilité de l'appel :
La SARL ND Agency et Maître Jean-Pierre Louis ès qualité de mandataire judiciaire de la SARL ND Agency ayant formé leur recours dans les délais et forme prévus par la loi, et la recevabilité de l'acte n'étant pas contestée, la cour recevra les intéressés en leur appel et Maître Jean-Pierre Louis en son intervention ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL ND Agency.
Sur le bien-fondé de l'appel :
C'est à celui qui invoque une prétention de l'établir,
L'appelante soutient que la SARL DMG acceptait systématiquement le règlement des prestations après livraison des marchandises dans un délai moyen de 4,9 mois après la date de la facture ; que ces délais lui seraient nécessaires afin d'obtenir le règlement de ses propres clients avant de pouvoir payer ; qu'il s'agissait d'un usage constant ;
L'appelante produit, pour en justifier, un document intitulé "inventaire" (pièce 11) émanant de ses propres services, sans justificatifs probants le corroborant, et un extrait de compte émanant de DMG (pièce 12) de novembre 2009 au 17 mars 2010, sur lesquels figurent des mentions manuscrites. Ces documents ne sauraient justifier, à eux seuls, qu'il existait une pratique constante dans les délais de règlements acceptée de manière non équivoque par l'intimée alors que l'intimée produit un extrait de compte DMG, dont elle souligne qu'il est "lettré" faisant état de deux factures remontant à décembre 2008 comportant l'intégralité des écritures jusqu'en juin 2010, avec les factures correspondantes tandis que l'appelante ne justifie pas avoir réglé les factures dont l'appelante demande le règlement.
Les factures produites par l'intimée font mention que le paiement doit s'effectuer par traite à 30 jours en fin de mois et, en toute hypothèse, les délais allégués par l'appelante sont contraires aux dispositions de l'article L. 441-6 et suivants du Code de commerce ;
L'intimée produit de son côté des bons de livraison correspondant à des factures émises entre novembre 2009 et janvier 2010.
Maître Louis, ès qualités de liquidateur de l'appelante, n'établit donc pas qu'il existait des usages commerciaux entre les parties en matière de règlement des factures.
D'autre part, l'appelante soutient que le travail effectué par l'intimée aurait été non conforme et aurait donc justifié le non-paiement des factures ; que des problèmes d'impression seraient survenus en 2009 ; que l'intimée n'a consenti que des avoirs d'un montant très faible et que le droit de rétention ne peut être invoqué de mauvaise foi ;
Elle produit pour en justifier des lettres émanant de ses propres services et il n'est pas contesté par l'intimée qu'elle a établi des avoirs au titre de travaux effectués entre décembre 2009 et mars 2010 ;
Cependant, les affirmations susvisées ne sont pas corroborées par des justificatifs suffisants de ce que les malfaçons invoquées n'auraient pas été compensées par les avoirs accordés, ni de ce qu'elles n'auraient pas, au moins en partie, été liés au support fourni comme le soutient l'intimée ;
L'appelante n'établit donc pas suffisamment la faute contractuelle qu'elle reproche à l'intimée dans l'exécution du contrat qui aurait pu justifier qu'elle oppose elle-même l'exception d'inexécution ; En toute hypothèse, elle a émis deux traites revenues impayées en paiement d'une partie des factures émises et reconnaît devoir le montant total des factures dont le règlement est demandé ;
L'exception d'inexécution peut être invoquée par une partie dans le cadre d'un contrat synallagmatique lorsque l'autre partie contractante n'exécute pas la sienne;
L'article 2286 du Code civil dispose que peut se prévaloir d'un droit de rétention sur la chose celui à qui la chose a été remise jusqu'au paiement de sa créance ;
Compte tenu de la somme lui restant due, l'intimée n'a donc pas commis de faute en exigeant le règlement de sa créance, alors qu'elle correspondait notamment à plusieurs factures émises plus de 30 jours avant sa demande et en retenant la marchandise correspondante, et il ne saurait être considéré pour ce motif qu'elle n'aurait pas exécuté ses obligations contractuelles de bonne foi ;
En conséquence, il n'y a pas lieu faire droit aux demandes de Maître Louis, ès qualités de liquidateur de l'appelante visant à dire de dire que la SARL DMG a rompu brutalement les relations commerciales établies puisque l'arrêt des relations commerciales trouve sa source dans l'inexécution par l'appelante de ses obligations de paiement; que l'intimée ne peut donc être considérée comme à l'origine de l'arrêt des relations commerciales et qu'il n'y avait pas lieu à préavis de sa part en vertu des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce.
Il n'y a pas, non plus, lieu de dire que l'intimée a manqué à son devoir de délivrance puisqu'elle était en droit de se prévaloir de son droit de rétention, ni qu'elle ait failli dans l'exécution de ses obligations contractuelles, l'appelante n'apportant pas suffisamment de preuves sur ce point.
Sur la demande de dommages-intérêts formulée par l'appelante :
Cette demande est recevable devant la cour en vertu des dispositions de l'article 566 du Code de procédure civile puisqu'elle est l'accessoire, le complément ou la conséquence des demandes et défenses soumises aux premiers juges ;
Cependant, comme il est explicité plus haut, l'appelante ne démontre pas que l'intimée aurait commis des fautes contractuelles à son égard, ni qu'elle porterait la responsabilité de l'arrêt de leurs relations contractuelles alors que c'est la SARL ND Agency qui a failli à son obligation de paiement ; elle ne démontre donc pas de faute de "comportement" de l'intimée.
L'appelante ne justifiant pas de faute de sa co-contractante sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts.
Sur la demande de l'intimée visant à voir fixer sa créance au passif de la procédure collective de la SARL ND Agency à hauteur de la somme de 39 404,18 EUR au titre du solde des factures restant dues selon décompte arrêté au 17 mars 2010
C'est à celui qui se prétend libéré d'une obligation d'apporter la preuve de cette libération ;
L'appelante reconnaît devoir la somme susvisée, même si les parties divergent en ce qui concerne la date d'émission des factures impayées dont le total aboutit à la somme de 39 404,18 EUR et ne justifie pas les avoir réglées.
L'appelante soutient qu'il s'agit de factures émises de novembre 2009 à mars 2010 et l'intimée de décembre 2008 à novembre 2009 ;
Comme il est dit plus haut, l'intimée produit un extrait de compte DMG pour en justifier, dont elle souligne qu'il est "lettré" faisant état de deux factures remontant à décembre 2008 comportant l'intégralité des écritures jusqu'en juin 2010, avec les factures correspondantes tandis que l'appelante produit un extrait de compte DMG plus partiel allant de novembre 2009 jusqu'au 17 mars 2010, mais ne justifie pas avoir réglé les factures dont l'appelante demande le règlement ;
L'intimée a déclaré sa créance.
Il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ses dispositions ayant fixé la créance de la SARL DMG au passif de la procédure collective de la SARL ND Agency à hauteur de la somme de 39 404,18 EUR au titre du solde des factures restant dues selon décompte arrêté au 17 mars 2010 et en toutes ses dispositions.
Maître Jean-Pierre Louis, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL ND Agency sera donc débouté de toutes ses demandes.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
La partie perdante devant, aux termes de l'article 696 du Code de procédure civile, être condamnée aux dépens, la cour condamnera Maître Jean-Pierre Louis, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL ND Agency, qui succombe, à supporter les dépens de la procédure d'appel qui seront employés en frais privilégiés de procédure collective.
Il n'y a pas lieu de faire application, en appel, des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile compte tenu du montant des sommes allouées à ce titre en première instance.
La SARL Dumont Mornet Gouvieux sera déboutée du surplus de ses demandes.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Dit recevable l'appel formé par la SARL ND Agency et Maître Jean-Pierre Louis ès qualités de mandataire judiciaire de la SARL ND Agency ; Reçoit Maître Jean-Pierre Louis, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL ND Agency, en son intervention ; Déclarant l'appel mal fondé, confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, et déboute Maître Jean-Pierre Louis, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL ND Agency, de toutes ses demandes. Condamne Maître Jean-Pierre Louis, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL ND Agency aux dépens de la procédure d'appel dont distraction au profit de la SCP Tetelin, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. Dit n'y avoir lieu, en appel, à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. Déboute la SARL Dumont Mornet Gouvieux du surplus de ses demandes.