Livv
Décisions

CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 22 octobre 2013, n° 12-01633

CHAMBÉRY

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Industisol (SAS)

Défendeur :

Huurre Ibérica (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Billy

Conseillers :

M. Morel, Mme Caullireau-Forel

Avocats :

Mes Dormeval, Seaumaire, SCP Bollonjeon Arnaud Bollonjeon, SCP Boyer & Gorrias

T. com. Annecy, du 15 mai 2012

15 mai 2012

Depuis au moins juin 2007, la SAS Industisol avait pour fournisseur habituel de panneaux de tôle la SA Huure Ibérica.

Le 21 mai 2008, elle lui a passé une commande d'un montant de 25 793,11 euro, dont la livraison devait intervenir le 2 juin 2008.

Ce délai n'a pu être tenu, la venderesse ayant expédié une première partie de la commande le 3 juin 2008 et la société Industisol ayant dû elle-même affréter un camion pour le surlendemain, pour prendre possession du reste des panneaux.

La facture correspondant à cette commande, émise le 4 juin 2008, est restée impayée, la société Industisol entendant la compenser partiellement avec les frais qu'elle avait engagés.

Le 23 octobre 2008, la société Industisol a passé deux nouvelles commandes d'un montant global HT de 368 105,15 euro, pour les besoins d'un chantier Pomona sis à Carquefou.

Le 29 octobre 2008, la société Huure Ibérica a émis deux factures proforma, demandant paiement des panneaux avant leur mise en fabrication, alors qu'habituellement les factures étaient émises après la fabrication des panneaux et étaient payables à 60 jours.

Par courrier du 20 novembre 2008, elle a confirmé ces nouvelles conditions de paiement, qu'elle a justifiées par l'existence d'impayés sur des factures antérieures, et son refus de produire les panneaux commandés tant qu'ils ne seraient pas préalablement réglés.

La société Industisol s'est finalement adressée à un autre fournisseur la société Isocab, aux prix plus élevés.

Par jugement rendu le 15 mai 2012, le Tribunal de commerce d'Annecy a :

- au titre de la commande du 21 mai 2008 :

. condamné la société Industisol à payer à la société Huure Ibérica la somme de 25 793,11 euro outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 7 juin 2010,

. condamné la société Huure Ibérica à payer à la société Industisol la somme de 6 000 euro au titre de ses frais,

. ordonné la compensation de ces sommes,

- au titre des commandes du 23 octobre 2008, débouté la société Industisol de sa demande tendant au paiement par la société Huure Ibérica d'une somme de 58 240 euro à titre d'indemnités compensatrices,

- débouté la société Huure Ibérica de sa demande indemnitaire pour résistance abusive,

- en application de l'article 700 du Code de procédure civile, condamné :

. la société Industisol à payer à la société Huure Ibérica une indemnité de 2 000 euro

. la société Huure Ibérica à payer à la société Industisol une indemnité de 500 euro

- condamné les parties aux dépens, chacune pour moitié.

La société Industisol a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 25 juillet 2012.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 11 février 2013, elle demande à la cour :

- de confirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives à la commande de mai 2008, sauf à préciser que la somme de 6 000 euro produit des intérêts de retard au taux de 1,50 % par mois à compter du 19 mars 2010,

- de l'infirmer pour le surplus,

- au titre des commandes d'octobre 2008, de condamner la société Huure Ibérica à lui payer la somme de 58 240 euro avec intérêts de retard au taux de 1,50 % par mois à compter du 19 mars 2010, sauf à se déclarer incompétente pour connaître de cette demande,

- d'ordonner la compensation entre les créances et dettes respectives des parties,

- de condamner la société Huure Ibérica :

. aux entiers dépens distraits au profit de Maître Dormeval, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile

. à lui payer une indemnité globale de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Selon conclusions notifiées le 11 décembre 2012, la société Huure Ibérica demande à la cour :

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a fait droit à sa demande en paiement de la facture relative à la commande de mai 2008,

- de le réformer pour le surplus,

- de débouter la société Industisol de sa demande en paiement de 6 000 euro de dommages-intérêts au titre des difficultés d'exécution de la commande de mai 2008,

- de se déclarer incompétente pour statuer sur la demande en paiement de la somme de 58 240 euro présentée par la société Industisol, cette demande fondée sur l'article L. 442-6 du Code de commerce relevant d'une juridiction spécialisée ; à défaut, de déclarer cette demande irrecevable car fondée sur un moyen de droit nouveau, cet article n'ayant pas été invoqué devant les premiers juges,

- de condamner la société Industisol à lui payer 6 000 euro de dommages-intérêts pour résistance abusive et appel dilatoire,

- de condamner la société Industisol :

. aux entiers dépens avec pour ceux d'appel application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile au profit de la SCP Bollonjeon Arnaud Bollonjeon,

. à lui payer une indemnité globale de 4 000 euro au titre de ses frais irrépétibles.

SUR CE

Sur l'exécution du contrat de mai 2008

Il ressort clairement des pièces produites aux débats que :

- la livraison des panneaux objet de ce contrat était convenue au 2 juin 2008, délai d'autant plus impératif que le bon de commande comportait la mention de l'urgence à obtenir ces panneaux,

- ce délai de livraison n'a pu être tenu par la société Huure Ibérica : cf son courrier du 3 juin 2008 constituant la pièce 1 du dossier de la société Industisol, pour des raisons qui tiennent aux difficultés qu'elle rencontrait alors avec les entreprises de transport, difficultés qui, quelle que soit leur cause, ne sont pas opposables à la société Industisol et ne peuvent l'exonérer de ses obligations à son égard ; elle a donc engagé sa responsabilité contractuelle,

- la société Industisol a exposé des frais à hauteur de 6 000 euro, pour aller prendre possession d'une partie des panneaux qui auraient dû lui être livrés, le prix du contrat comprenant le coût de cette livraison ; elle justifie ainsi d'un préjudice financier dont elle est fondé à obtenir réparation par la société Huure Ibérica.

En conséquence, le jugement doit être confirmé en ses dispositions relatives au contrat de mai 2008, qu'il convient toutefois de libeller différemment, la compensation s'opérant entre les principaux des créances respectives des parties et seul le solde produisant intérêts moratoires.

Sur les commandes d'octobre 2008

Sur la compétence de la cour

Il est exact que l'article L. 442-6 du Code de commerce dispose que les litiges relatifs à son application sont attribués à des juridictions spécifiques désignées par l'article D. 442-3 du Code de commerce, parmi lesquelles ne figure ni le Tribunal de commerce d'Annecy, ni la cour de céans.

Mais, l'exception d'incompétence soulevée par la société Huure Ibérica est irrecevable dans la mesure où :

- d'une part, elle aurait dû en application de l'article 74 du Code de procédure civile la soulever en première instance, avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir,

- d'autre part, elle aurait dû conformément à l'article 75 du Code de procédure civile, indiquer devant quelle juridiction elle demandait que l'affaire soit renvoyée.

Sur la recevabilité de la demande de la société Industisol

Sa demande en paiement d'une somme de 58 240 euro n'est manifestement pas nouvelle puisqu'elle en a été déboutée par les premiers juges.

Et l'article 563 du Code de procédure civile autorise expressément les parties à invoquer des moyens nouveaux pour justifier de leurs prétentions en cause d'appel. En l'espèce, la société Industisol explicite le moyen développé devant les premiers juges, en précisant qu'elle le fonde sur les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, étant rappelé que dans son courrier du 19 mars 2010 à l'intimée, elle invoquait déjà les articles L. 441-6 et suivants du Code de commerce.

Sa demande est donc parfaitement recevable.

Sur le fond

A titre liminaire, la cour constate qu'en page 6 de ses conclusions, la société Huure Ibérica a développé une argumentation au fond.

Elle admet avoir à l'occasion des commandes du 23 octobre 2008, modifié les conditions de paiement habituellement consenties à la société Industisol, avec laquelle elle entretenait des relations contractuelles suivies.

S'il est exact qu'elle était libre de le faire, il convenait toutefois en vertu du principe selon lequel les contrats s'exécutent de bonne foi, c'est-à-dire loyalement, qu'elle en prévienne préalablement son co-contractant, cette modification étant substantielle puisque les conditions de vente constituaient, au sens de l'article L. 441-6 du Code de commerce, un des éléments du socle de leurs accords commerciaux.

L'absence de préavis ne pourrait être justifiée que par des circonstances particulières, tenant par exemple aux manquements de la société Industisol à ses propres obligations. Or, les impayés évoqués par la société Huure Ibérica dans son courrier du 20 novembre 2008 ne sont pas établis à l'exception de celui relatif à la facture correspondant au contrat de mai 2008, examiné ci-dessus. Ce seul impayé ne peut suffire à justifier la brusque modification des conditions habituelles de paiement dans la mesure où il est partiellement justifié et où compte tenu du contentieux noué entre les parties quant à l'exécution de ce contrat, aucun rappel et aucune mise en demeure n'avaient encore été adressés à la société Industisol, aux dates des 23 et 29 octobre 2008.

En conséquence, l'attitude de la société Huure Ibérica est bien constitutive d'une faute contractuelle engageant sa responsabilité.

Le préjudice de la société Industisol est certain dans son principe. Elle a été contrainte d'annuler les commandes et de s'adresser en urgence à un autre fournisseur, pratiquant pour les mêmes produits des prix au m2 supérieurs de l'ordre de 5 % à ceux de la société Huure Ibérica. La société Industisol n'explicite pas le détail de la somme qu'elle réclame à hauteur de 58 240 euro, ni dans ses conclusions, ni dans la facture qu'elle a émise le 31 octobre 2009. Elle produit en pièce 14 de son dossier, les factures éditées par la société Isocab, de novembre 2008 à mars 2009, au fur et à mesure de la livraison des panneaux sur le chantier Pomona de Carquefou pour un montant global HT d'au moins 537 700 euro ; mais, le nombre, la nature et la qualité de tous les panneaux facturés ne sont pas strictement identiques à ceux des panneaux commandés le 23 octobre 2008 à la société Huure Ibérica.

Eu égard aux éléments utiles dont elle dispose, la cour évalue le préjudice de la société Industisol à 19 000 euro.

Sur la demande indemnitaire de la société Huure Ibérica

Le sort réservé à chacune des demandes des parties suffit à établir que la société Industisol n'a pas abusivement résisté au paiement de la facture du 4 juin 2008 et n'a commis aucun abus de son droit à agir en justice.

Le jugement déféré doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté la société Huure Ibérica de cette demande.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté la société Huure Ibérica de sa demande indemnitaire pour résistance et procédure abusive, Statuant à nouveau et ajoutant, au titre du contrat de mai 2008, Condamne la SAS Industisol à payer à la SA Huure Ibérica la somme de 19 793,11 euro outre intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2010, au titre de la brusque rupture de la relation commerciale survenue en novembre 2008, Déclare irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par la société Huure Ibérica, Déclare recevable et fondée la demande présentée par la société Industisol, Condamne la SA Huure Ibérica à lui payer une indemnité de 19 000 euro outre intérêts au taux légal à compter de ce jour, Ordonne la compensation entre les condamnations prononcées, Dit que chaque partie conserve à sa charge les dépens qu'elle a exposés tant en première instance qu'en cause d'appel, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.