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Décisions

ADLC, 26 août 2013, n° 13-DCC-115

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à la prise de contrôle exclusif de certaines activités laitières et fromagères de Terra Lacta par le groupe Bongrain

ADLC n° 13-DCC-115

26 août 2013

L'Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 26 juillet 2013, relatif à la prise de contrôle exclusif de certaines activités laitières et fromagères de Terra Lacta par le groupe Bongrain, formalisée par un protocole d'accord en date du 28 juin 2013 ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ; Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l'opération

1. Bongrain SA est la société de tête du groupe Bongrain. Initialement centrée sur la production fromagère, l'activité du groupe Bongrain s'étend aujourd'hui également à la production et à la commercialisation d'autres produits laitiers, tels que le beurre, la crème et les produits dérivés du lait (poudres de lactosérum, poudres de lait écrémé...). Bongrain SA est contrôlée exclusivement par la société Soparind qui détient 60,21 % de son capital (1), Soparind étant elle-même contrôlée exclusivement par la famille Bongrain.

2. Terra Lacta est une société coopérative agricole dont les actionnaires sont des producteurs de lait de vache et de lait de chèvre. Elle regroupe plus de 2 000 associés-coopérateurs répartis sur le bassin laitier de la coopérative. Terra Lacta est notamment active dans le domaine de la collecte de lait, ainsi que dans celui de la production et distribution de produits laitiers.

3. Aux termes du protocole d'accord du 28 juin 2013, Terra Lacta transférera à des filiales du groupe Bongrain certaines de ses activités dans le cadre de deux opérations concomitantes.

4. Le protocole précité prévoit qu'à l'occasion d'une première opération Bongrain SA prendra indirectement une participation à hauteur de 51 % du capital et des droits de Fromageries Lescure, société constituée préalablement par la coopérative Terra Lacta. Selon le protocole, cette dernière transférera à Fromageries Lescure l'ensemble des activités qu'elle exploite sur les sites de Saint-Michel en L'Herm, de Saint-Loup et de Caussade, relatives à la transformation et au conditionnement de lait de vache et de chèvre en fromages et en caillé de chèvre. Terra Lacta transférera également à Fromagerie Lescure les participations minoritaires qu'elle détient au sein des sociétés Poitou Chèvre et Lacteos Caprinos.

5. Au regard de ses statuts, il apparaît que la société Fromageries Lescure sera dotée d'un conseil d'administration composé de cinq administrateurs dont trois seront nommés par le groupe Bongrain et deux par Terra Lacta. L'ensemble des décisions du conseil d'administration sera prise à la majorité simple à l'exception des décisions dites "importantes" qui seront adoptées à l'unanimité. Eu égard à la nature des décisions qualifiées d'"importantes", le droit de veto dont bénéficiera Terra Lacta n'excèdera pas ce qui est normalement consenti à des actionnaires minoritaires afin de protéger leurs intérêts financiers. A l'issue de l'opération, le groupe Bongrain exercera donc un contrôle exclusif sur la société Fromageries Lescure.

6. Le protocole du 28 juin prévoit également qu'à l'occasion d'une seconde opération Terra Lacta transférera à la société Compagnie Laitière Européenne (ci-après "CLE"), contrôlée indirectement et exclusivement par Bongrain SA, l'ensemble des activités qu'elle exploite sur les sites de Claix, de Surgères, de Champdeniers et de Saint-Saviol, relative à la production et la commercialisation de beurre, de lait de vache UHT, de crème UHT, d'ingrédients laitiers en poudre et de fromages au lait de vache. Terra Lacta transférera également à CLE les participations minoritaires qu'elle détient au sein des sociétés Philolao et Bonilait Protéines.

7. Ces deux opérations, organisées au sein d'un seul et unique protocole d'accord, sont interdépendantes et concomitantes et feront donc l'objet d'un examen unique.

8. En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de certains actifs de Terra Lacta par le groupe Bongrain, ces derniers constituant une activité se traduisant par une présence sur un marché et à laquelle un chiffre d'affaires peut être rattaché sans ambiguïté, l'opération notifiée constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce

9. Les entreprises concernées ont réalisé ensemble un chiffre d'affaires hors taxes consolidé sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euros au dernier exercice clos (Soparind Bongrain : (...) d'euros au 31 décembre 2012 ; actifs cédés : (...) d'euros pour le même exercice). Chacune de ces entreprises a réalisé, en France, un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros (Soparind Bongrain : (...) d'euros au 31 décembre 2012 ; actifs cédés : (...) d'euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au point I de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

10. Dans le secteur du lait, la pratique décisionnelle opère de manière constante une distinction entre (i) les marchés amont de la collecte de lait et (ii) les marchés aval de la commercialisation du lait de consommation et d'autres produits dérivés du lait.

11. En l'espèce l'opération emporte des chevauchements d'activités sur les marchés aval de la production et commercialisation de produits dérivés du lait.

A. LES MARCHÉS AVAL DE LA TRANSFORMATION ET DE LA COMMERCIALISATION DE PRODUITS LAITIERS

1. LES MARCHÉS DE PRODUITS

12. A l'occasion de sa décision COMP-M.5046 - Friesland Foods/Campina, la Commission européenne (2) a distingué, au sein du marché de la fabrication et de la commercialisation des produits laitiers, dix principaux segments de marché distincts : (i) les produits laitiers de base (lait, yaourt, crème), (ii) le fromage, (iii) le beurre, (iv) les yaourts à valeur ajoutée et le fromage blanc, (v) les boissons lactées aromatisées, (vi) les desserts lactés frais, (vii) la crème, (viii) les blanchisseurs liquides de café, (ix) les émulsions sèches en bombe et (x) le lactose. Elle a envisagé des sous-segmentations au sein de chacun de ces marchés. La pratique décisionnelle nationale a pour sa part envisagé l'existence de marchés distincts des poudres de laits et des produits alimentaires intermédiaires laitiers (3).

13. Au cas d'espèce, les activités des parties se chevauchent sur les marchés du fromage, de la crème, du beurre, des poudres de laits et des produits alimentaires intermédiaires laitiers.

a) Distinction par type de produit

(i) Les fromages

14. La pratique décisionnelle nationale a retenu en première approche une segmentation suivant la nomenclature produit de l'INSEE, qui comporte sept familles : les fromages frais, les fromages fondus, les pâtes persillées, les fromages de chèvre, les pâtes molles, les pâtes pressées cuites et les pâtes pressées non cuites (4). La pratique décisionnelle communautaire (5) a envisagé une segmentation plus fine pour quelques fromages très spécifiques, comme la mozzarella. La pratique nationale a elle-même distingué un marché du roquefort (6).

15. En l'espèce, les parties sont simultanément présentes sur le marché des fromages à pâtes molles ainsi que sur le marché des fromages de chèvre.

Les fromages à pâte molle :

16. Les fromages à pâte molle sont des fromages qui ne subissent, au moment de leur fabrication, ni chauffage ni pressage. Ils nécessitent un égouttage naturel et un affinage avec développement d'une moisissure de surface. Ce processus de fabrication permet d'obtenir une pâte onctueuse, voire coulante à pleine maturité. Le camembert, le brie, le coulommiers, le munster, le maroilles appartiennent à cette famille.

17. Les autorités de concurrence nationale (7) et européenne (8) ont envisagé de segmenter ce marché par type de fromage, en faisant notamment la distinction entre le brie, le camembert et le coulommiers, en raison du caractère peu évident de la substituabilité de l'offre et de la demande entre ceux-ci (9). De plus, une segmentation du marché en distinguant les fromages bénéficiant d'une AOP ou AOC peut s'envisager.

18. La partie notifiante confirme la pertinence de cette segmentation en observant toutefois qu'il existe une certaine pression concurrentielle s'exerçant entre le camembert, le coulommiers et le brie.

19. En tout état de cause, la question de la délimitation précise de ce marché peut être laissée ouverte, en l'absence de tout problème concurrentiel.

20. Au cas d'espèce, les activités des parties se recoupent sur les marchés du camembert et du coulommiers (10).

Les fromages de chèvres :

21. Il existe une multitude de fromages de chèvre, de textures et de goûts différents : chèvres frais, crottins, palets, briques, bûches, bûchettes, pyramides, bouchons, chèvres-boîtes etc.

22. Ces fromages peuvent être fabriqués à partir de lait de chèvre cru ou pasteurisé.

23. Selon la partie notifiante, les fabricants de fromages de chèvre sont en mesure de fabriquer n'importe quel fromage de chèvre. A titre d'exemple, la partie notifiante relève qu'à la différence des fromages de vache pour lesquels la terminologie "fromage frais" est utilisée pour désigner du fromage blanc (faisselle), un chèvre frais est en réalité une bûche non encore affinée.

24. En l'espèce, la question d'une délimitation plus précise des fromages de chèvre peut être laissée ouverte en l'absence de problème concurrentiel.

(ii) La crème laitière

25. Les autorités de concurrence française (11) et européenne (12) ont envisagé de distinguer la crème laitière fraîche de la crème laitière longue conservation ("crème UHT"). La Commission européenne (13) a par ailleurs considéré que la crème en bombe constitue un marché distinct compte tenu des spécificités de production de ce type de produit laitier.

26. A l'occasion de sa décision n° 13-DCC-97 (14) l'Autorité de la concurrence a pour sa part relevé, tout en laissant la question ouverte, qu'au sein des crèmes laitières fraîches, la crème fraîche biologique et la crème fraîche conventionnelle peuvent constituer deux marchés distincts.

27. La partie notifiante considère qu'une distinction entre le marché de la crème fraîche et celui de la crème longue conservation n'est pas totalement fondée en l'espèce. Elle observe en effet qu'il existe une certaine substituabilité entre ces deux types de crème aussi bien du côté de l'offre que du côté de la demande. Selon l'analyse du groupe Bongrain la pertinence d'une telle segmentation dépend du canal de distribution. Ainsi, si une distinction peut-être opérée entre la crème fraîche et la crème longue conservation à destination de la restauration hors foyer (ci-après "RHF") et l'industrie agro-alimentaire (ci-après "IAA"), cette distinction n'aurait pas lieu d'être dans le secteur du commerce de détail à dominante alimentaire.

28. En l'absence de problème concurrentiel, la question de la délimitation exacte des marchés de la crème laitière peut toutefois être laissée ouverte.

29. En l'espèce, les parties sont simultanément actives sur le marché de la crème laitière longue conservation produite à base de lait non biologique.

(iii) Le beurre

30. Les autorités de concurrence nationale (15) et européenne (16) opèrent une segmentation selon le mode de conditionnement du beurre en distinguant le beurre en vrac destiné à l'industrie agro-alimentaire (ci-après "IAA") et le beurre en paquets destinés à la GMS.

31. Il n'y a pas lieu de remettre en cause ces délimitations à l'occasion de la présente opération. Au cas d'espèce, les parties sont toutes deux actives sur les marchés du beurre en vrac et du beurre en paquet.

(iv) Les poudres de lait et laits concentrés

32. Parmi les différents marchés des dérivés du lait, la pratique décisionnelle nationale (17) et européenne (18) ont distingué un marché des poudres de lait. Les poudres de lait sont des produits industriels obtenus par le séchage du lait. Leur teneur en matière grasse varie de 1,5 % à 26 % de matière grasse. Ce secteur comprend le lait écrémé en poudre et le lait entier en poudre. La Commission a envisagé l'inclusion du lait concentré dans ce marché des poudres de lait au motif qu'il s'agit du même produit et que seul le niveau de déshydratation du lait varie, paramètre aisément modifiable par les industriels, la question a cependant été laissée ouverte (19).

33. La partie notifiante considère pour sa part que les poudres de lait écrémé et les poudres de lait entier constituent deux marchés distincts. Elle observe également que les poudres de babeurre doivent être distinguées des autres poudres de lait, en dépit de leurs utilisations très similaires, en raison notamment de leur mode de fabrication spécifique, la poudre de babeurre étant dérivée de la fabrication du beurre.

34. La question de la délimitation précise de ces marchés peut toutefois être laissée ouverte, l'opération n'emportant pas de problème concurrentiel quelles que soient les hypothèses retenues. En l'espèce, le groupe Bongrain ainsi que les actifs cédés par Terra Lacta produisent des poudres de lait écrémé, de lait entier et de babeurre.

(v) Les produits alimentaires intermédiaires laitiers

35. Au sein des marchés des produits dérivés du lait, la pratique décisionnelle de l'Autorité (20) a envisagé l'existence d'un marché des produits alimentaires intermédiaires élaborés (ci-après "PAIE") c'est-à-dire des ingrédients laitiers (notamment des matières grasses, caséines et caséinates, protéines sériques issues du lactosérum) destinés à l'industrie agro-alimentaire pour être intégrés dans divers produits laitiers (yaourts, fromages), produits salés (plats cuisinés, sauces), ou produits sucrés (pâtisseries, crèmes glacées). Trois types de produits constituent principalement le marché des PAIE : les poudres "blanches", les produits "bruns" et le "creamcheese".

36. Les autorités de concurrence nationales (21) ont envisagé l'existence d'un segment de marché spécifique au lactosérum, également dénommé "petit lait". Le lactosérum est un sous-produit de la fabrication de fromage qui ne contient plus ou extrêmement peu de matière grasse ni de caséine mais seulement les composés solubles du lait.

37. La partie notifiante considère pour sa part que les caséines et les caséinates appartiennent également à un marché distinct, eu égard notamment au fait qu'elles constituent des co-produits du beurre et de la crème et présentent des propriétés émulsifiantes et texturantes spécifiques.

38. En l'absence de problème concurrentiel lié à la présente opération, la question de la délimitation précise de ce marché peut cependant être laissée ouverte.

39. En l'espèce les parties produisent toutes deux du lactoserum ainsi que des caséines et les caséinates.

b) Distinction en fonction du canal de distribution

40. S'agissant des produits alimentaires, la pratique décisionnelle nationale (22) a envisagé une segmentation selon le canal de distribution, en distinguant les produits destinés aux grandes et moyennes surfaces (ci-après "GMS"), les produits destinés à la restauration hors foyer (ci-après "RHF") et enfin les produits vendus à l'industrie agro-alimentaire (ci-après "IAA"). Cette distinction se justifie notamment par l'existence de besoins différents selon le type d'acheteur (notamment en termes de volumes, de conditionnement, de diversité de gamme etc.)

41. Au cas d'espèce, les parties sont simultanément présentes sur le canal de la distribution en GMS et RHF et plus marginalement sur celui de l'IAA.

c) Pour les produits destinés aux GMS, distinction selon le positionnement commercial des produits

42. Sur les marchés de la commercialisation de leurs produits en GMS, les parties à l'opération sont présentes sous leurs propres marques (ci-après "MDF"), et fabriquent également des produits destinés à être commercialisés sous marques de distributeur (ci-après "MDD").

43. Conformément à la pratique décisionnelle relative à d'autres marchés de produits alimentaires (23), il convient de s'interroger sur la pertinence d'une segmentation du marché de la vente des produits laitiers précités (crème, fromages et beurre) aux GMS selon le positionnement commercial des produits et d'apprécier si le fournisseur détenant une position importante sur l'un de ces segments serait en mesure d'exercer un pouvoir de marché vis-à-vis des distributeurs ou si ce pouvoir de marché serait confronté à la concurrence des fournisseurs présents sur les autres segments.

44. A titre liminaire, il convient d'indiquer que la pratique décisionnelle dans le secteur des produits laitiers (24) a considéré qu'il n'y avait pas lieu de distinguer les MDD des MPP et MHD, dans la mesure où les différences de qualité et de prix restaient limitées tant au stade de la vente au détail que de la vente en gros. Au cas d'espèce, l'instruction n'a pas identifié d'éléments de nature à remettre en cause cette position. L'analyse sera donc menée sur un segment unique comprenant aussi bien les produits laitiers vendus sous MDD que sous MPP et sous MHD.

45. Comme l'a déjà observé l'Autorité de la concurrence (25), dans le secteur des produits laitiers comme pour de nombreux autres produits, les modalités d'approvisionnement du circuit GMS diffèrent entre les MDD et les MDF. En effet, les MDD font l'objet d'un cahier des charges défini par l'acheteur (la GMS), qui détaille les caractéristiques attendues du produit. Le fournisseur n'intervient donc qu'en application du cahier des charges et n'a, contrairement aux fournisseurs de MDF, aucun rôle dans la définition des stratégies commerciales de ces marques (décisions de lancement de nouveaux produits, politique de communication, etc.). Par ailleurs, à la différence des MDF, l'identité de l'opérateur qui approvisionne les produits laitiers frais vendus sous MDD reste inconnue du consommateur final. De plus, les produits vendus sous MDD font très généralement l'objet d'appels d'offres alors que les produits vendus sous MDF font l'objet d'un contrat de référencement dans le cadre de négociations de gré à gré où la marque et les efforts promotionnels jouent un rôle important.

46. Cependant, le pouvoir de marché détenu par un fournisseur donné dépend également de facteurs autres que l'organisation par les GMS de leur approvisionnement. En premier lieu, si l'analyse de l'opération concerne exclusivement le marché amont de l'approvisionnement des GMS, le pouvoir de marché que peuvent éventuellement exercer sur ce marché les producteurs de MDF et de MDD est contingent du comportement des consommateurs sur les marchés aval mettant en relation les GMS avec les clients, et donc de la substituabilité, du point de vue des consommateurs, entre les différents produits. Les négociations entre les GMS et leurs fournisseurs prennent donc place dans un contexte concurrentiel différent selon le degré de différenciation des produits en termes de goût, de qualité, de prix ou d'emballage et selon la notoriété des marques de fabricants. Un fort taux de pénétration des MDD sur un segment peut confirmer le fait qu'elles exercent une pression concurrentielle significative sur les MDF.

47. En second lieu, du côté de l'offre, le fait que les mêmes fabricants fournissent les GMS à la fois en produits sous MDD et en produits à leur marque peut constituer un indice de l'appartenance des deux types de produits au même marché.

48. Toutefois, s'agissant des fromages, la pratique nationale (26) a relevé que les taux de pénétration des produits vendus sous MDD d'une part, et la notoriété des marques de fabricants d'autre part, variaient fortement d'une famille de fromages à une autre, avec certaines marques considérées comme incontournables.

49. Au cas d'espèce, sur les marchés des fromages à pâte molle vendus en GMS, les MDD représentent en volume un peu moins de 50 % des ventes de pâte molle en général, 60 % des ventes de coulommiers et un peu plus de 70 % des ventes de brie (27). Sur le marché du chèvre à destination de la grande distribution alimentaire, les MDD représentent en volume un peu plus de 50 % des ventes. Les parties disposes par ailleurs de marques de chèvre notoires telles que "Chavroux" et "Bougon".

50. Sur les autres marchés de produits laitiers concernés par l'opération, les taux de pénétration des produits vendus sous MDD sont également variables selon les produits : entre 50 et 60 % pour la crème fraîche, de l'ordre de 60 % pour le beurre en paquets.

51. L'analyse sera donc menée sur les différents segments envisagés par la pratique décisionnelle tout en tenant compte des indices de substituabilité exposés ci-avant. En tout état de cause, la question de la segmentation selon le positionnement commercial de chacun des produits laitiers concernés par l'opération peut rester ouverte, dans la mesure où quelle que soit l'hypothèse envisagée, l'analyse concurrentielle demeure inchangée.

d) Pour certains produits destinés aux GMS, distinction en fonction du mode de distribution

52. S'agissant notamment des marchés du fromage, la pratique décisionnelle nationale (28) a envisagé, à plusieurs reprises, de segmenter les marchés selon le mode de distribution. En effet, en France, les fromages sont commercialisés par la grande distribution soit en libre-service, soit à la coupe. Cette distinction implique, en amont, des conditionnements différents, les produits vendus en libre-service étant préemballés.

53. La partie notifiante conteste le bien-fondé d'une telle segmentation au cas d'espèce. Elle observe que les principaux groupes industriels proposent des produits laitiers destinés à être commercialisés à la fois à la coupe et en libre-service. Elle note par ailleurs que 61 % (29) des GMS ne disposent plus de rayon de fromage à la coupe et, dans la plupart des cas, les ont remplacé par des rayons "frais emballés", lesquels ne présentent pas de réelle différence avec les fromages vendus en libre-service.

54. En l'absence de problème concurrentiel, la question de la pertinence d'une segmentation des marchés de produits laitiers selon le mode de distribution peut être laissée ouverte.

2. LES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

55. Dans le domaine alimentaire, les autorités de concurrence considèrent généralement que la concurrence s'exerce au niveau national (30). Les préférences, les goûts et les habitudes des consommateurs, les différences de prix, les variations de parts de marché des opérateurs dans les différents pays, et la forte présence de marques nationales justifient cette délimitation.

56. Ainsi, les marchés géographiques de la crème laitière (31) ont été reconnus comme étant de dimension nationale par les autorités de concurrence française et communautaire. Sur les marchés des fromages, la Commission européenne a relevé que ces marchés avaient un "caractère fortement national en raison de l'existence de demandes et d'offres présentant des spécificités nationales très marquées, qui peuvent conduire à définir différents marchés de produits par pays" (32). L'Autorité (33) a également confirmé la dimension nationale des marchés des fromages, même si elle n'a pas exclu que la concurrence puisse, pour certains produits spécifiques, s'exercer sur une zone géographique plus large. S'agissant du beurre, la délimitation géographique envisagée par les autorités de concurrence (34) est nationale, voire européenne lorsque le beurre est destiné à certains canaux de distribution comme la l'IAA ou la RHF.

57. Enfin, s'agissant des poudres de lait et des produits alimentaires intermédiaires laitiers, la pratique décisionnelle nationale (35) a envisagé des marchés de dimension européenne où mondiale, tout en laissant la question ouverte.

III. Analyse concurrentielle

58. Les parties à l'opération sont simultanément présentes sur les marchés du fromage, du beurre, des poudres de lait et des PAIE, marchés qui seront analysés au titre des effets horizontaux (A).

59. L'opération permet par ailleurs au Groupe Bongrain de renforcer sa présence sur certains marchés de produits laitiers, marchés sur lesquels il acquiert plusieurs marques bénéficiant d'une certaine notoriété (comme la marque "Bougon"). La concentration notifiée sera donc également analysée au titre des effets congloméraux (B).

A. ANALYSE DES EFFETS HORIZONTAUX

1. SUR LES MARCHÉS DU FROMAGE

60. Bongrain et les actifs cédés par Terra Lacta produisent des fromages à pâte molle ainsi que des fromages de chèvre à destination des GMS de la RHF et des IAA.

a) Sur les marchés à destination de la GMS

61. Les parties produisent toutes deux du camembert et du coulommiers (36) vendus sous MDF et sous MDD principalement en libre-service. Elles produisent également des fromages de chèvre vendus à la fois sous MDF et MDD. Leurs parts de marché respectives (37) et cumulées sont présentées dans le tableau suivant :

Ventes à destination de la GMS (parts de marché en valeur) (38)

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(i) Les fromages au lait de vache à pâtes molles

Analyse des parts de marché :

62. Au regard des données fournies, il apparaît qu'à l'issue de l'opération, la position du groupe Bongrain sur le marché global des pâtes molles sous MDD et sous MDF, sera proche de [30-40] % pour le fromage en libre-service. L'incrément de part de marché est toutefois relativement faible (inférieur à [0-5] %), les actifs cédés par Terra Lacta étant peu présents sur le segment des pâtes molles.

63. Si l'on considère des marchés plus étroits définis par type de fromage, la nouvelle entité détiendra une position supérieure à [20-30] % sur les marchés du camembert et du coulommiers, l'incrément étant cependant particulièrement faible pour le camembert (inférieur à [0-5] % pour une part de marché totale de [20-30] %). Sur le marché du coulommiers en libre-service, la position du groupe Bongrain, une fois la concentration réalisée, est estimée à [50-60] % ([40-50] % pour Bongrain et [5-10] % pour la cible).

64. Si l'on opère une segmentation plus fine selon le positionnement commercial de chaque type de fromage, on constate que l'opération emporte principalement un chevauchement d'activité sur le segment des MDD. Il apparaît que les actifs cédés par Terra Lacta sont quasiment absents des marchés de la MDF avec des positions inférieures à [0-5] %. Sur le marché des coulommiers vendus sous MDD en libre-service, la position du groupe Bongrain à l'issue de l'opération sera de [40-50] % ([30-40] % pour Bongrain et [10-20] % pour la cible). Sur les autres marchés des fromages à pâte molle vendus sous MDD, la part de marché de la nouvelle entité demeurera inférieure à [20-30] %, les incréments de part de marché étant relativement modestes (inférieurs à [0-5] %).

65. Sur l'ensemble des marchés des fromages à pâte molle, Bongrain restera confronté à la concurrence de plusieurs groupes laitiers dont Lactalis, Laïta et Ermitage. Lactalis détient notamment une part de marché en valeur de [40-50] % sur le camembert vendu sous MDF (notamment avec sa marque "Président") et de [30-40] % sur le marché des coulommiers vendu sous MDF. La position du groupe Lactalis sur le marché des fromages à pâte molle vendus sous MDD est estimée quant à elle [20-30] % en volume (39).

Analyse des données d'appels d'offres :

66. La partie notifiante relève que le marché des fromages à pâte molle vendus sous MDD fonctionne par appels d'offres. Comme l'observe l'Autorité dans ses lignes directrices relatives au contrôle des concentrations, dans un tel environnement concurrentiel "un opérateur qui n'a pas été sélectionné lors d'une procédure mais qui demeure capable de présenter une candidature crédible continue d'exercer une pression concurrentielle sur le vainqueur. L'analyse du positionnement de chaque offreur doit donc tenir compte de cette dynamique, puisque l'opérateur perdant aujourd'hui est le concurrent de demain. Or les parts de marché des offreurs ne permettent pas de mesurer correctement cet aspect du fonctionnement concurrentiel : même si la part de marché d'un opérateur perdant à l'issue d'une procédure d'appel d'offres demeure modeste, celui-ci reste susceptible d'exercer une pression concurrentielle significative sur le titulaire du contrat lors de son renouvellement" (40). Selon la nature des procédures d'appel d'offres et des produits qui en font l'objet, l'analyse des parts de marché peut être utilement complétée par l'étude d'autres indicateurs tels que la fréquence de rencontre des parties ou l'identité de leurs plus proches concurrents à l'issue des procédures d'appel d'offres.

67. En l'espèce, le marché des fromages à pâte molle vendus sous MDD est régi par des accords bilatéraux conclus généralement pour une durée d'un an, sans engagement d'achat de la part du distributeur et susceptibles d'être remis en cause à tout moment. Compte-tenu de la volumétrie des marchés des camemberts et des coulommiers vendus sous MDD et de la forte concentration de la grande distribution en France, chaque appel d'offres sur ces marchés représente un enjeu important pour chaque fournisseur.

68. Selon les estimations de la partie notifiante une dizaine d'entreprises, dont les parties, participe à ce jour aux appels d'offres de fromages à pâte molle vendus sous MDD et chaque appel d'offres reçoit en moyenne cinq offres.

69. Dans le cadre de l'instruction, le groupe Bongrain a produit une liste recensant les appels d'offres passés depuis 2010 par des opérateurs de la grande distribution pour leur approvisionnement en fromages à pâte molle destinés à être vendu sous MDD et auxquels a participé Terra Lacta. Sur les cinquante appels d'offres figurant sur cette liste, les parties n'ont participé qu'à (...) appels d'offres simultanément (soit un taux de rencontre de [5-10] %).

70. La liste produite par la partie notifiante recense également vingt et un appels d'offres passés par des distributeurs pour leur approvisionnement en coulommiers MDD. Sur l'ensemble de ces appels d'offres, Bongrain et Terra Lacta ne se sont concurrencés que (...) fois (soit un taux de rencontre [5-10] %).

71. La partie notifiante relève en outre que lorsqu'elle perd un appel à candidature pour l'approvisionnement d'un distributeur en fromages à pâte molle MDD, le contrat est généralement remporté par les groupes Lactalis ou Ermitage. Ces derniers apparaissent dès lors comme étant les plus proches concurrents du groupe Bongrain, contrairement à Terra Lacta.

Le contrepouvoir de la demande :

72. S'agissant des marchés de la commercialisation de produits alimentaires à destination de la grande distribution, l'Autorité a souligné dans de précédentes décisions (41) que les GMS disposent d'un pouvoir de négociation important vis-à-vis de leurs fournisseurs, particulièrement en ce qui concerne leur approvisionnement en MDD. Celui-ci résulte à la fois de la concentration des groupes de grande distribution, de leur organisation en tant qu'acheteurs professionnels et de la remise en cause annuelle des contrats d'approvisionnement en produits MDD.

73. La partie notifiante confirme cette analyse et précise que l'expérience a montré qu'un distributeur peut décider de retirer de ses rayons une grande marque leader pour une période de six mois à un an, sans que cela n'affecte son activité. Ainsi Leclerc, qui représente aujourd'hui 17,9 % des ventes de fromages réalisées par les GMS aux consommateurs (42), a déréférencé Lactalis entre 2011 et 2012 et partiellement Bongrain au début de l'année 2013.

Conclusion sur les fromages au lait de vache à pâte molle :

74. A l'exception du coulommiers vendu sous MDD en libre-service, pour l'ensemble des segmentations envisagées, il apparaît que la position du groupe Bongrain demeurera modérée à l'issue de l'opération, notamment du fait d'un incrément de part de marché relativement faible et n'étant pas de nature à renforcer significativement la position du groupe Bongrain. Ce dernier restera par ailleurs soumis à la concurrence exercée par des groupes puissants et plus proches de son positionnement concurrentiel que ne l'est Terra Lacta. L'opération n'est donc pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur ces marchés par le biais d'effets horizontaux.

75. S'agissant du marché du coulommiers vendu sous MDD en libre-service, il apparait que si l'opération renforce significativement la position du groupe Bongrain, elle n'est toutefois pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets horizontaux. En effet, l'analyse des appels d'offres des GMS montre que Terra Lacta n'exerçait pas, avant l'opération, une concurrence significative sur le groupe Bongrain. De plus, la nouvelle entité continuera à subir la pression concurrentielle de Lactalis et d'Ermitage et se verra opposer le contre-pouvoir d'une demande particulièrement concentrée.

(ii) Les fromages au lait de chèvre

76. A la lecture des données fournies, il apparaît qu'à l'issue de l'opération, la position du groupe Bongrain sur le marché des fromages de chèvres vendus sous MDD et MDF, comme sur le segment des seules MDF, demeura inférieure à [20-30] %.

77. Sur le marché des fromages de chèvre sous MDD, la part de marché de la nouvelle entité est estimée à [30-40] % ([30-40] % pour le libre-service). Toutefois l'incrément de part de marché est relativement faible (estimé environ à [0-5] %), le groupe Bongrain étant marginalement présent sur ce segment.

78. Sur les différents marchés des fromages de chèvre, la nouvelle entité demeurera confrontée à la concurrence exercée par d'importants groupes laitiers tels que Lactalis ou Eurial. Ce dernier détient notamment une position estimée à [30-40] % sur le marché des chèvres sous MDF et [20-30] % sur le marché des chèvres sous MDD. L'analyse des appels d'offres passés par la GMS depuis 2010 pour son approvisionnement en MDD, semble d'ailleurs confirmer que la pression concurrentielle à laquelle faisait face Terra Lacta émanait jusqu'à présent principalement des groupes Lactalis et Eurial et non du groupe Bongrain.

79. Compte tenu de ce qui précède, l'opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés des fromages de chèvre à destination de la GMS par le biais d'effets horizontaux.

b) Sur les marchés à destination de la RHF et IAA

80. Les parties produisent toutes deux du camembert, du coulommiers et du brie ainsi que du fromage de chèvre à destination de la RHF et de l'IAA.

81. S'agissant des fromages à destination de l'IAA, la production des parties est relativement marginale, leurs positions cumulées étant inférieures à [0-5] % quel que soit le type de fromage de chèvre ou de vache.

82. S'agissant des fromages à destination de la RHF, les parts de marché cumulées de Bongrain et des actifs cédés par Terra Lacta sont présentées dans le tableau suivant :

Ventes à destination de la RHF (43)

<EMPLACEMENT TABLEAU>

83. A l'issue de l'opération, la part de marché détenue par le groupe Bongrain sur le segment de la RHF restera inférieure à [10-20] % quel que soit le type de fromage, l'incrément de part de marché étant par ailleurs relativement modéré (inférieur à [0-5] %).

84. Compte tenu de ce qui précède, l'opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés des fromages de chèvre et vache à destination de la RHF et IAA par le biais d'effets horizontaux.

2. SUR LES MARCHÉS DE LA CRÈME LAITIÈRE

a) Sur les marchés à destination de la GMS

85. Les parties produisent toutes deux de la crème UHT vendue sous MDF et sous MDD. Leurs parts de marché respectives et cumulées sont présentées dans le tableau suivant :

Ventes à destination de la GMS (parts de marché en valeur) (44)

<EMPLACEMENT TABLEAU>

86. Au regard des données fournies, il apparaît qu'à l'issue de l'opération, la position du groupe Bongrain sur le marché de la crème UHT vendue sous MDD et MDF, sera proche de [30-40] %. L'incrément de part de marché est toutefois modéré (estimé à [5-10] %).

87. Sur le segment de la crème UHT vendue sous MDF la position du groupe Bongrain demeurera relativement importante ([50-60] %), toutefois le chevauchement d'activités sur ce segment est quasi-inexistant, les actifs cédés par Terra Lacta y étant très peu présents ([0-5] % de part de marché seulement).

88. Enfin sur le marché de la crème UHT vendue sous MDD la position du groupe Bongrain demeurera modérée à l'issue de l'opération ([10-20] %).

89. Sur ces marchés de la crème UHT à destination de la GMS, la nouvelle entité demeurera confrontée à la concurrence exercée par plusieurs groupes laitiers. Parmi ceux-ci figure le groupe Lactalis dont la position en valeur est estimée à [30-40] % sur le marché des MDF et [20-30] % en volume (45) sur le marché global de la crème UHT MDD et MDF.

b) Sur les marchés à destination de la RHF et IAA

90. Les parties sont simultanément présentes sur les marchés de la crème laitière UHT à destination de la RHF et de l'IAA.

91. S'agissant du segment RHF, la part de marché du groupe Bongrain à l'issue de l'opération sera de [20-30] %, soit une position de [10-20] % initialement détenue par la partie notifiante à laquelle vient s'ajouter la part de marché des actifs cédés par Terra Lacta, évaluée à [5-10] %.

92. S'agissant de l'IAA, La partie notifiante n'a pas été en mesure de fournir de données relatives à la taille du marché. Toutefois les volumes produits par la cible ((...) tonnes) étant particulièrement faibles, l'opération n'est pas susceptible de renfoncer significativement la position du groupe Bongrain.

93. Compte tenu de ce qui précède, l'opération n'est pas nature à porter atteinte à la concurrence sur l'ensemble des marchés des crèmes laitières UHT par le biais d'effets horizontaux.

3. SUR LE MARCHÉ DU BEURRE

a) Sur les marchés du beurre en paquets à destination de la GMS

94. Les parties produisent toutes deux du beurre en paquet vendu sous MDF et sous MDD. Leurs parts de marché sont présentées dans le tableau suivant :

Ventes à destination de la GMS (parts de marché en valeur) (46)

95. Au vue des données fournies il apparaît qu'à l'issue de l'opération, la position du groupe Bongrain sur le marché du beurre en paquet, demeurera inférieure à [10-20] % quelle que soit la segmentation retenue. De plus l'incrément de part de marché est faible (inférieur à [0-5] %) et n'est pas de nature à renforcer significativement la position de la partie notifiante.

b) Sur les marchés du beurre en paquets à destination de la RHF

96. Sur le segment de la RHF, sur lequel se chevauchent les activités des parties, la part de marché en valeur du groupe Bongrain à l'issue de l'opération restera inférieure à [0-5] %.

c) Sur les marchés du beurre en vrac à destination de l'IAA

97. En ce qui concerne le beurre en vrac, la part de marché cumulée des parties est estimée à [5-10] % ([0-5] % pour Bongrain et [0-5] % pour Terra Lacta).

98. Compte tenu de ce qui précède, l'opération n'est pas nature à porter atteinte à la concurrence sur l'ensemble des marchés du beurre par le biais d'effets horizontaux.

4. SUR LES MARCHÉS DES POUDRES DE LAIT ET DES PAIE

99. Sur les marchés des poudres de lait et des PAIE, la part de marché du groupe Bongrain à l'issue de l'opération restera inférieure à [5-10] %, quelle que soit la segmentation retenue. La nouvelle entité restera par ailleurs confrontée à la concurrence de groupes important tels que Lactalis sur le marché des poudres et Friesland Campina sur celui des PAIE. L'opération n'est donc pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur ces marchés.

B. ANALYSE DES EFFETS CONGLOMÉRAUX

100. Une opération de concentration a des effets congloméraux lorsque la nouvelle entité étend ou renforce sa présence sur plusieurs marchés dont la connexité peut lui permettre d'accroître son pouvoir de marché (hors cas de marchés situés en amont ou en aval l'un de l'autre qui relèvent des effets verticaux). Si les concentrations conglomérales peuvent susciter des synergies pro-concurrentielles et des gains d'efficience, certaines peuvent néanmoins produire des effets restrictifs de concurrence lorsqu'elles permettent de lier techniquement ou commercialement les ventes de façon à verrouiller le marché en évinçant les concurrents.

101. La présente opération a pour principale conséquence d'élargir la gamme de produits laitiers offerts par le groupe Bongrain en renforçant notamment sa présence dans le fromage de chèvre, marché sur lequel il était jusqu'ici peu présent. Au sein des actifs cédés par Terra Lacta figure par ailleurs la marque "Bougon", qui viendra s'ajouter aux marques actuellement détenues par la partie notifiante et dont certaines bénéficient d'une notoriété significative ("Caprice des dieux" et "Elle et Vire" par exemple).

102. Au cas d'espèce, l'opération permet en particulier au groupe Bongrain d'étendre sa gamme de produits vendus auprès de la GMS. C'est donc sur ce canal de distribution qu'il convient d'analyser le risque d'effet congloméral emporter par l'opération.

103. Au regard du positionnement respectif des parties, des effets de gamme peuvent être envisagés, consistant en des ventes liées ou groupées entre les différents produits laitiers frais commercialisés par la nouvelle entité vis-à-vis de la GMS.

104. Toutefois, comme l'a déjà noté l'Autorité de la concurrence s'agissant des produits laitiers vendus en grandes surfaces alimentaires (47), la mise en œuvre de ventes liées ou groupées apparaît peu probable dans la mesure où la plupart des GMS ont des acheteurs spécialisés par rayon, voire par ligne de produits.

105. De plus, s'agissant de leur approvisionnement en MDD, il convient de rappeler que les GMS procèdent par appels d'offres distincts selon les familles ou sous-familles de produits et ce processus est lui-même distinct des négociations menées sur le référencement des MDF.

106. Enfin, il convient de noter que les principaux concurrents de la nouvelle entité disposent également de gamme étendue et de marques notoires. Le groupe Lactalis est ainsi présent sur l'ensemble des marchés des fromages (notamment avec ses marques "Président" et "Société") ainsi que sur les marchés du lait ("Lactel"), du beurre ("Président") et de la crème ("Bridel"). D'autres groupes disposent également de gamme importante, dont notamment Sodiaal ("Entremont", "Candia", "Yoplait") et Bel ("Babybel", "La Vache Qui Rit").

107. Pour l'ensemble de ces raisons, l'opération n'est pas nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d'effet congloméraux.

IV. Les restrictions accessoires

108. Le protocole d'accord du 28 juin 2013 prévoit d'une part, la conclusion de deux contrats de fourniture de lait, portant l'un sur le lait de vache, l'autre sur le lait de chèvre, et d'autre part, une obligation de non concurrence incombant au vendeur. Les parties estiment que ces restrictions sont accessoires à l'opération.

109. Il convient donc d'examiner si ces clauses constituent des restrictions directement liées et nécessaires à la réalisation de la concentration.

110. Au préalable, il convient de noter que la communication de la Commission européenne sur les restrictions accessoires précise que "les critères de lien direct et de nécessité sont objectifs par nature. Des restrictions ne sont pas directement liées et nécessaires à la réalisation d'une concentration simplement parce que les parties les considèrent comme telles" (48). Ainsi, "il ne suffit pas qu'un accord ait été conclu dans le même contexte ou au même moment que l'opération de concentration mais qu'elles se rapportent, d'un point de vue économique, à la transaction principale et visent à permettre une transition en douceur entre l'ancienne structure de l'entreprise et la nouvelle après l'achèvement de l'opération de concentration".

a) Les contrats de fourniture de lait de vache et de chèvre

111. La communication de la Commission relative aux restrictions directement liées et nécessaires à la réalisation des opérations de concentration relève que lorsque la cession d'une partie d'une entreprise entraine la rupture des relations traditionnelles d'achat et de livraison existant auparavant du fait de l'intégration des activités au sein de l'entité économique du vendeur, le maintien des liens existants ou l'établissement de liens similaires entre le vendeur et l'acquéreur peuvent être reconnus comme directement liés et nécessaires à la réalisation de l'opération, compte-tenu de la situation particulière résultant de la scission de l'entité économique du vendeur et du transfert partiel des actifs à l'acquéreur, afin d'assurer la continuité d'approvisionnement de l'une ou l'autre des parties en produits nécessaires aux activités conservées par le vendeur ou reprises par l'acquéreur (49).

112. En l'espèce, l'entité économique que constitue Terra Lacta sera scindée, après l'opération, entre d'une part, l'activité de collecte de lait conservée par Terra Lacta, et d'autre part, l'activité de transformation du lait en produits laitiers et fromagers transférée pour l'essentiel au groupe Bongrain. Deux contrats de fourniture de lait de vache et de lait de chèvre ont donc été annexés au protocole d'accord conclu le 28 juin 2013, [confidentiel]. Ces contrats seront conclus pour une durée de (...) ans renouvelable par tacite reconduction pour des périodes identiques.

113. Les parties soulignent que ces contrats ont notamment pour objet d'assurer la continuité de l'approvisionnement en lait des usines de transformation précédemment détenues par Terra Lacta et acquises par le groupe Bongrain. En effet, avant l'opération, le lait collecté par Terra Lacta était principalement destiné à sa propre consommation (50) et le maintien de cet approvisionnement auprès de Terra Lacta est d'autant plus nécessaire pour les produits bénéficiant d'une AOP/AOC, la grande majorité du lait collecté par Terra Lacta étant destinée à ces produits.

114. Toutefois, la communication de la Commission précise que "la durée des obligations d'achat et de livraison doit cependant être limitée à la période nécessaire pour remplacer la relation de dépendance par une position autonome sur le marché. Les obligations d'achat ou de livraison destinées à garantir les quantités fournies antérieurement peuvent par conséquent se justifier pour une période transitoire de cinq ans au maximum" (51).

115. Il convient de souligner que la conclusion de contrats d'approvisionnement de longue durée est fréquent sur les marchés du lait et se justifie par le besoin qu'ont les producteurs de lait de sécuriser leurs débouchés sur un marché en situation d'offre excédentaire. Cependant, au cas d'espèce, la durée des contrats d'approvisionnement, fixée à la demande de Terra Lacta, excède largement ce qui est communément admis. En effet, les contrats de fourniture de lait vache et de chèvre sont conclus en application des dispositions du Code rural qui imposent notamment que les contrats de vente aient une durée minimum de cinq ans (article R. 631-10 1° et 7° du Code rural et de la pêche maritime) et les parties relèvent qu'en pratique, les producteurs ont obtenu des contrats de l'ordre de (...) ans. Les contrats de fourniture de lait de vache et de lait de chèvre conclus entre Bongrain et Terra Lacta excèdent donc la norme de durée actuellement en vigueur sur le marché.

116. En outre, ces contrats ont principalement pour objet de sécuriser les débouchés de la production de lait des associés-coopérateurs de Terra Lacta, que la coopérative s'engage à collecter en totalité, de leur offrir une meilleure visibilité quant à la planification de la production et des investissements dans la perspective de la suppression des quotas laitiers en 2015. Ils n'apparaissent donc nécessaires pour assurer la continuité d'approvisionnement des actifs cibles et donc objectivement justifiés.

117. Au regard de ce qui précède, ces accords de fourniture de laits tels qu'ils ont été conclus, et notamment du fait de leur durée, ne constituent pas des restrictions directement liées et nécessaires à la réalisation de la présente opération.

a) L'obligation de non-concurrence à la charge du vendeur

118. A l'article 2.7 du protocole figure un "droit de priorité" [confidentiel]. Cette obligation incombant au vendeur restera valable [confidentiel] pour une durée de (...) ans, tacitement reconductible.

119. Les parties considèrent que ce droit constitue une restriction directement liée et nécessaire à la réalisation de l'opération afin de permettre aux différentes filiales de CLE de prendre possession de la valeur totale des actifs cédés (fonds de commerce, marques etc.), de fidéliser la clientèle, d'assimiler et d'exploiter le savoir-faire, notamment les recettes de fabrication, tout en bénéficiant d'une protection contre la concurrence de Terra Lacta.

120. [Confidentiel].

121. Si une clause de non concurrence peut apparaître comme étant nécessaire à l'acquéreur pour bénéficier d'une certaine protection contre la concurrence du vendeur, elles ne sont justifiées par l'objectif légitime de réalisation de la concentration que dans la mesure où leur durée, leur champ d'application territorial, leur portée matérielle et personnelle n'excède pas ce qui est raisonnablement nécessaire à cette fin.

122. En l'espèce, la durée de dix ans de cette clause de non concurrence semble excessive au regard de la réalisation des objectifs poursuivis par les parties (fidélisation de la clientèle, assimilation du savoir-faire etc.). En tout état de cause, cette durée excède ce qui est usuellement admis en matière de restriction accessoire portant sur des obligations de non concurrence. [Confidentiel].

123. Par conséquent, ce droit de priorité ne constitue pas une restriction directement liée et nécessaire à la réalisation de la présente opération.

DECIDE

Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 13-112 est autorisée.

Notes :

1 Le solde du capital de Bongrain SA, cotée sur Euronext, est principalement réparti dans le public.

2 Voir la décision de la Commission européenne n° COMP-M.5046 - Friesland Foods/Campina du 17 décembre 2008.

3 Voir notamment la décision n° 10-DCC-110 du 1er septembre 2010 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Entremont par le groupe Sodiaal.

4 Voir par exemple la décision n° 10-DCC-110 précitée et la décision n° 13-DCC-97 du 22 juillet 2013 relative à la prise de contrôle conjoint des sociétés Eurial SAS et Filae SAS par les groupes coopératifs Agrial et Eurial.

5 Voir la décision de la Commission COMP-M.4135 Lactalis/Galbani.

6 Voir la décision du Conseil de la Concurrence n° 04-D-13 du 8 avril 2004 relative à des pratiques mises en œuvre par la société des Caves et des Producteurs réunis de Roquefort dans le secteur des fromages à pâte persillée.

7 Voir la décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-110 précitée.

8 Voir la décision COMP-M.4761 du 18 octobre 2007 Bongrain/Sodiaal/JV, § 29.

9 Cf. décision communautaire n° 4761 précitée.

10 L'activité des actifs cibles est quasi inexistante sur le marché du Brie.

11 Voir les lettres du ministre C2007-61 du 28 juin 2007 aux conseils de la société GLAC, C2006-51 du 24 août 2006 aux conseils de la société Sodiaal et C2005-1 du 2 février 2005 au conseil de la société Cedilac.

12 Voir la décision COMP-M.5046 précitée.

13 Voir notamment la décision de la Commission européenne COMP-M5046 Friesland Foods/Caprina du 17 septembre 2008, § 1332-1338.

14 Voir la décision de l'Autorité de la concurrence n° 13-DCC-97 du 22 juillet 2013 relative à la prise de contrôle conjoint des sociétés Eurial SAS et Filae SAS par les groupes coopératifs Agrial et Eurial

15 Voir la décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-110 précitée.

16 Voir la décision M.5046 précitée.

17 Voir la décision de l'Autorité de la concurrence 10-DCC-110 précitée, ainsi que les lettres du ministre de l'Economie C2005-78 du 28 octobre 2005 relative à une concentration dans le secteur des fromages, C2007-61 du 28 juin 2007 relative à une concentration dans le secteur de la production et de la vente de produits laitiers et de jus de fruits et C2007-62 du 28 juin 2007 aux conseils de la société Fromageries Paul Dischamp, relative à un concentration dans le secteur des produits laitiers.

18 Voir la décision de la Commission COMP-M.6119 Arla/Hansa.

19 Voir la décision M.6119 précitée.

20 Voir décision 10-DCC-110 précitée.

21 Voir la lettre du ministre de l'Economie n° C2005-78 du 28 octobre 2005.

22 Lettre du ministre n° C 2005-78 et décision n° 10-DCC-110 précitées.

23 Voir par exemple les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 12-DCC-92 du 2 juillet 2012 concernant les vins tranquilles, n° 11-DCC-187 du 13 décembre 2011 concernant les spiritueux, ou encore n° 11-DCC-150 du 10 octobre 2011 concernant le cidre, n° 10-DCC-110 du 1er septembre 2010 concernant les fromages.

24 Voir notamment les décisions 13-DCC-97, 13-DCC-47, 10-DCC-110, C2005-78 et C2007-73 précitées

25 Voir notamment la décision n° 13-DCC-97 du 22 juillet 2013 relative à la prise de contrôle conjoint des sociétés Eurial SAS et Filae SAS par les groupes coopératifs Agrial et Eurial.

26 Voir les décisions n° 13-DCC-47et n° 13-DCC-97 précitées.

27 Source Nielsen panel distributeur 2012.

28 Lettres du ministre n° C 2005-78 et C 2006-102 précitées et décision n° 10-DCC-110 et n° 13-DCC-47 précitées.

29 Estimation des parties.

30 Voir les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 09-DCC-48 dans le secteur des produits Traiteur, n° 10-DCC-21 dans le secteur des légumes et champignons, n° 10-DCC-60 dans le secteur des crèmes glacées.

31 Voir la lettre C2007-61 précitée.

32 Décision n° COMP-M. 4761 précitée.

33 Décision de l'Autorité n° 10-DCC-110 précitée

34 Voir la lettre C2006-102 et les décisions 10-DCC-110 et COMP-M.5046 précitées.

35 Voir notamment la décision n° 10-DCC-110 précitée.

36 L'activité des actifs cibles est quasi inexistante sur le marché du Brie.

37 Il convient de noter que le groupe Bongrain exerce une partie de ses activités de production fromagère par l'intermédiaire la société CFR qu'il contrôle conjointement avec l'Union de Coopérative agricoles Sodiaal (Décision de la Commission européenne n° M.4761 du 18 octobre 2007 Bongrain/Sodiaal/JV). Dans le cadre de l'analyse concurrentielle les parts de marché de CFR ont toutefois été imputées en totalité au groupe Bongrain.

38 Source : Nielsen et estimations des parties.

39 Les parties n'ont pas été en mesure de communiquer des parts de marché en valeur pour leurs concurrents sur le segment des pâtes molles MDD.

40 Lignes directrices de l'Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations, § 401.

41 Voir les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-110 précitée et n° 13-DCC-23 du 28 février 2013 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe coopératif Agrial de plusieurs sociétés du groupe Bakkavör.

42 Source Nielsen 2013.

43 Source : estimations des parties.

44 Source : Nielsen et estimations des parties.

45 Les parties n'ont pas été en mesure de communiquer des parts de marché en valeur pour leurs concurrents sur le segment de la crème UHT MDD et MDF.

46 Source : Nielsen et estimations des parties.

47 Voir la décision n° 13-DCC-97 précitée.

48 Cf. point 11 de la communication 2005-C 56-03 du 5 mars 2005 relative aux restrictions directement liées et nécessaires à la réalisation des opérations de concentration.

49 Cf. point 32 de la communication précitée.

50 Seuls [20-30] % des volumes de lait de vache collectés et [0-5] % des volumes de lait de chèvre collectés sont vendus à des tiers.

51 Cf. point 33 de la communication précitée.