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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 16 octobre 2013, n° 10-11053

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Tempur France (SAS)

Défendeur :

Spatial (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes Fromantin, Dahan, Lesenechal, Benaiem

T. com. Bobigny, 6 avr. 2010

6 avril 2010

La société Tempur France, qui a pour activité la vente, la location, l'exportation et l'importation de produits de literie et d'ameublement, a mis en place un système de revente reposant sur l'adhésion à l'une des quatre "Chartes Revendeurs Tempur" prévoyant l'octroi d'avantages en contrepartie du respect de certaines obligations.

La société Spatial, qui exploite quatre magasins sous l'enseigne Maison de la Literie, dont l'activité est l'achat, la vente, la location d'articles d'ameublement, s'approvisionne auprès de la société Tempur depuis 1999.

Par courrier du 19 juin 2008 la société Tempur a demandé à M. Michaël Haziza, gérant de la société Spatial, de mettre ses magasins en conformité avec les exigences de la Charte Revendeur sous peine de réduire les remises sur factures à partir du 1er juillet 2008 ;

Le 15 juillet 2008, la société Tempur a suspendu l'octroi de remises à la société Spatial.

Par courrier du 7 janvier 2009, la société Tempur a décidé de mettre un terme aux relations commerciales qu'elle entretenait avec la société Spatial, à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la présentation du courrier recommandé avec avis de réception.

Par courrier en date du 16 janvier 2009, la société Spatial a contesté la décision prise par la société Tempur, invoqué l'existence d'un réseau de distribution sélective qualitatif et demandé un préavis de 18 mois.

Par courrier du 5 février 2009 la société Tempur a confirmé la rupture et le préavis de deux mois et a mentionné la baisse d'activité et de chiffre d'affaires des cinq magasins gérés par M. Haziza (société Spatial et Dosrama).

Par jugement du 6 avril 2010, le Tribunal de commerce de Bobigny a :

- constaté le caractère abusif de l'exclusion de la société Spatial du réseau Tempur de la société Tempur France ;

- condamné la société Tempur France à verser à la société Spatial la somme de 52 500 € à titre de dommages et intérêts ;

- débouté la société Spatial de ses autres demandes ;

- donné acte à la société Spatial de ce qu'elle renonce en l'état à sa demande de réintégration au réseau de revendeurs Tempur ;

- dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire ;

- condamné la société Tempur France à payer à la société Spatial la somme de 5 000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la société Tempur au paiement des dépens.

La société Tempur France a interjeté appel le 25 mai 2010.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 9 août 2012, par lesquelles la société Tempur France demande :

Aux visas de l'article 1er du Règlement de la Commission européenne n° 2790-1999, des articles 1147 et 1184 du Code civil, de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

A titre principal :

- de constater que les sociétés Tempur et Spatial n'étaient pas liées par un contrat de distribution sélective,

- de constater que les sociétés Tempur et Spatial étaient liées par un contrat d'agrégation,

- de constater que la société Spatial a manqué à ses obligations au titre dudit contrat d'agrégation,

- de constater que la rupture des relations commerciales entre les sociétés Tempur et Spatial est justifiée par les fautes commises par cette dernière,

En conséquence,

- d'infirmer le jugement,

- de débouter la société Spatial, de l'intégralité de ses demandes,

A titre subsidiaire :

- de constater que la société Spatial a bénéficié d'un préavis de rupture écrit et d'un délai suffisant ou égard aux dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

En conséquence,

- de débouter la société Spatial de l'intégralité de ses demandes,

En tout état de cause :

- de constater que le préjudice allégué par la société Tempur n'est en aucun cas démontré,

En conséquence,

- de débouter la société Spatial de l'intégralité de ses demandes,

- de condamner la société Spatial, à verser à la société Tempur la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- de condamner la société Spatial aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 5 avril 2013, par lesquelles la société Spatial demande :

Au visa des articles 1134, 1147 et 1382 du Code civil et de l'article L. 442-6 du Code de commerce,

A titre principal,

- de confirmer le jugement en ce qu'il a constaté le caractère abusif de l'exclusion de la société Spatial du réseau de revendeurs Tempur de la société Tempur France,

- d'infirmer le jugement pour le surplus,

En conséquence,

- de juger comme fautive et abusive la suppression par la société Tempur France des remises accordées à la société Spatial

- de fixer la durée du préavis dont aurait dû bénéficier la société Spatial à 18 mois à compter du 7 janvier 2009,

- de condamner la société Tempur France à verser à la société Spatial, à titre de dommages intérêts :

* 62 964 € au titre du préjudice financier subi du fait de la suppression des remises,

* 155 053,08 € au titre du préjudice financier subi du fait de la résiliation des relations commerciales,

* 50 000 € au titre de la perte d'image de marque subie,

- Débouter l'appelante de ses demandes,

En tout état de cause,

- de confirmer la condamnation de la société Tempur France à la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais supportés en première instance,

- de condamner la société Tempur France à la somme de 15 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais supportés en cause d'appel,

- de condamner la société Tempur France aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Cela étant exposé, LA COUR

Sur la qualification du contrat de distribution :

La société Tempur France expose qu'elle a mis en place, pour optimiser la distribution de ses produits en France, un système de revente libre ; que la société Spatial n'est pas liée à elle par un contrat de distribution sélective, mais par un contrat d'agrégation ; que dans un réseau de distribution sélective le fournisseur ou le distributeur ne peuvent approvisionner un opérateur extérieur à ce réseau ; qu'en revanche dans le cadre d'un réseau agréé, le fournisseur peut approvisionner un distributeur extérieur au réseau, qui ne bénéficiera pas des avantages accordés aux distributeurs agréés ;

Considérant que la société Spatial soutient que la société Tempur France a mis en place un système de distribution exclusive qualitatif, seuls les revendeurs répondant à la Charte pouvant revendre des produits Tempur ; que la suppression sans motif des remises qui lui étaient consenties est constitutive d'une exclusion du réseau de distribution de la société Tempur ;

Considérant que la distribution sélective est un système de distribution consistant, de la part du producteur, à n'agréer que des distributeurs répondant à certaines conditions, ces distributeurs bénéficiant de l'exclusivité de la vente des produits du fournisseur ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que la société Tempur n'agréait ses revendeurs que s'ils remplissaient les conditions posées par l'une de ses "Chartes Revendeurs"; que cependant l'existence d'un réseau de distribution sélective implique que soit démontré que les revendeurs agréés étaient les seuls à pouvoir vendre des produits Tempur ;

Considérant que ni les "Chartes Revendeurs", ni les conditions générales de vente, ni le constat d'huissier produit par la société Spatial, comportant des captures d'écran du site Internet de la société Tempur, qui fait apparaître la liste des revendeurs Tempur en France, ne démontrent que seuls les revendeurs agréés par la société Tempur pouvaient vendre ses produits ;

Considérant que le fait que les deux magasins parisiens de la société Spatial soient déréférencés de la liste des revendeurs Tempur dès le 10 février 2009 est insuffisant à rapporter la preuve de l'existence d'un réseau de distribution sélective dès lors que les deux autres magasins de la société Spatial étaient toujours mentionnés sur cette liste à cette date ;

Considérant que le refus de livrer les commandes passées les 11 et 12 mars 2009 par un des magasins de la société Spatial s'inscrit dans un contexte de rupture conflictuelle et n'est pas plus probant dès lors que la société Tempur établit par la production de deux bons de commande et de livraison des 21 et 23 septembre 2009 qu'elle fournissait toujours certains magasins de la société Spatial après la rupture du contrat d'agrégation ;

Considérant que les sociétés Tempur et Spatial n'étaient pas liées par un contrat de distribution sélective mais par un contrat d'agrégation ;

Sur la suppression des remises commerciales :

Considérant que la société Spatial sollicite, en réparation de la suppression de son droit à remises à compter du 15 juillet 2008, la somme de 62 964 € au titre de la perte de chance de réaliser sur la période du 1er juillet au 31 décembre 2008 une marge équivalente à celle du premier semestre ;

Considérant que la société Tempur France expose qu'elle a mis un terme aux remises découlant du contrat d'agrégation en raison des manquements de la société Spatial à ses obligations prévues par la Charte Revendeur ; que la société Spatial a commercialisé des produits Tempur dans des conditions attentatoires à l'image de la marque ;

Considérant que les pièces produites par la société Tempur pour justifier les manquements reprochés aux obligations découlant de la Charte Revendeurs sont insuffisantes, puisqu'il s'agit de courriers, d'un courriel et d'un compte rendu qui émanent de ses propres services et qui ne sont corroborés par aucun élément extérieur ;

Considérant que le fait d'exposer et de vendre un modèle de matelas qui n'est plus commercialisé depuis un an et demi ne peut être retenu comme constituant une inexécution de ses obligations par la société Spatial, rien n'établissant que le revendeur n'était pas autorisé à procéder à cette vente, dont le fournisseur n'a d'ailleurs eu connaissance qu'en février 2009, soit après la rupture ; que la société Tempur France sera condamnée à indemniser le préjudice résultant pour la société Spatial de la perte des remises commerciales prévues par la Charte Revendeurs Tempur ;

Considérant que la société Spatial produit une attestation de son expert-comptable d'où il résulte que la marge commerciale réalisée avec les produits Tempur était de 109 587 € pour l'année 2007 et de 63 418 € pour le premier semestre 2008 ; qu'il en résulte une différence de 46 169 € ; que la perte de chance subie par la société Spatial de réaliser sur la période du 1er juillet au 31 décembre 2008 une marge équivalente à celle du premier semestre 2008 sera fixée à la somme de 25 000 € ;

Sur la rupture du contrat d'agrégation :

Considérant que la société Spatial soutient que la société Tempur France a résilié sans motif et de façon abusive leurs relations commerciales ;

Considérant que le courrier du 7 janvier 2009 par lequel la société Tempur France a fait connaître sa décision de rompre les relations commerciales avec la société Spatial n'est pas motivé ; que cependant ce courrier fait suite au courrier en date du 19 juin 2008 par lequel la société Tempur a reproché à la société Spatial de ne pas respecter les conditions de la Charte Revendeur 2008 ;

Considérant que le tableau, établi d'ailleurs par la société Tempur France elle-même, ne permet pas de démontrer que le chiffre d'affaires des magasins de la société Spatial était en constante diminution, d'autant que la suppression des remises à compter du mois juillet 2008 est à l'origine de la diminution des ventes faites par la société Spatial durant le dernier semestre 2008 ;

Considérant que l'existence d'une relation commerciale établie entre les deux sociétés depuis 9 ans n'est pas contestée ; que la société Spatial n'était pas dans une situation de dépendance économique à l'égard de la société Tempur, puisqu'elle commercialisait des produits d'autres fournisseurs ; que si la société Tempur échoue à rapporter la preuve des manquements qu'elle reproche à la société Spatial, il n'est pas démontré qu'elle ait agi de mauvaise foi ;

Considérant que la société Tempur, qui ne justifie pas de l'inexécution de ses obligations contractuelles par la société Spatial devait respecter un délai de préavis suffisant compte tenu de la durée de la relation commerciale ; que le tribunal a exactement fixé ce délai de prévenance à neuf mois ; que le délai de préavis de deux mois fixé par la société Tempur France est donc insuffisant ; qu'en conséquence la rupture présente un caractère brutal au sens des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;

Sur le préjudice résultant de la rupture :

Considérant que la société Tempur France expose que la société Spatial ne justifie pas de son préjudice et qu'en tout état de cause il convient de prendre en compte le chiffre d'affaires réalisé par cette société avant la rupture et de retenir sa marge nette ;

Considérant que la société Spatial sollicite, en réparation du préjudice résultant de la résiliation des relations commerciales à compter du 7 mars 2009, une somme de 155 053,08 €, calculée sur une marge brute de 42 % appliquée à un chiffre d'affaires moyen sur les exercices 2006 à 2008, en tenant compte d'un préavis de 18 mois ;

Considérant que le chiffre d'affaires de la société Spatial avec la société Tempur n'était que de 3 % en 2008, que la société Spatial a continué à s'approvisionner et à vendre des produits Tempur après la rupture des relations commerciales, que le préjudice résultant de la perte des remises à compter du 15 juillet 2008 a déjà été indemnisé ; qu'en conséquence, le préjudice résultant pour la société Spatial du non-respect d'un délai de préavis raisonnable, sera indemnisé par la somme de 50 000 € ;

Considérant que la société Spatial qui ne démontre pas l'existence d'un préjudice d'image et qui a continué à s'approvisionner en produits Tempur après la rupture sera déboutée de sa demande indemnitaire à ce titre ;

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Spatial l'intégralité des frais et honoraires exposés par elle et non compris dans les dépens. La somme fixée de ce chef par le premier juge sera confirmée et il lui sera alloué en cause d'appel, la somme complémentaire de 5 000 € ;

Les mêmes considérations ne conduisent pas à faire droit à la demande du même chef de la société Tempur ;

Par ces motifs : Confirme le jugement sauf en ses dispositions ayant condamné la société Tempur France à verser à la société Spatial la somme de 52 500 € à titre de dommages et intérêts ; Et statuant à nouveau : Constate que les sociétés Tempur France et Spatial n'étaient pas liées par un contrat de distribution sélective, mais par un contrat d'agrégation ; Fixe la durée du préavis dont aurait dû bénéficier la société Spatial à 9 mois ; Condamne la société Tempur France à verser à la société Spatial les sommes de : * 25 000 € au titre de la perte de chance subie par la société Spatial du fait de la suppression des remises ; * 50 000 € au titre du préjudice résultant de la rupture abusive des relations commerciales ; * 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties de leurs autres demandes ; Condamne la société Tempur France aux dépens et dit qu'ils seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

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