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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 17 octobre 2013, n° 13-01549

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

JPD Distribution (SARL)

Défendeur :

Fabryka Mebli Spin Roman Lazny I Jerzy Lazny SP

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Parenty

Conseillers :

Mme Delattre, M. Brunel

Avocats :

Mes Laforce, Peczynski, Carlier, Mailliet Wozniak

T. com. Roubaix-Tourcoing, du 23 juin 20…

23 juin 2011

Vu le jugement contradictoire du 23 juin 2011 du Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing ayant rejeté l'exception d'incompétence, dit que la société JPD ne bénéficie pas d'un contrat d'agent commercial, rejeté l'application des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, confirmé la résiliation du contrat du 1er avril 2005 au 5 septembre 2009 préavis effectué, condamné la société Fabryka Mebli Spin Roman à payer à la société JPD Distribution la somme de 3 540,60 euro au titre de commissions dues pour la période de préavis, débouté la société JPD et la société Fabryka Mebli Spin Roman du surplus, condamné la société JPD à payer à la société Fabryka Mebli Spin Roman 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu l'appel interjeté le 11 juillet 2011 par la SARL JPD Distribution ;

Vu les conclusions déposées le 26 mars 2012 pour la société Fabryka Mebli Spin Roman Lazny et les conclusions de reprise d'instance suite à la dissolution de la SCP Carlier Régnier ;

Vu les conclusions déposées le 30 juillet 2012 pour la SARL JPD Distribution ;

Vu l'ordonnance de clôture du 27 juin 2013 ;

La société JPD Distribution a interjeté appel aux fins d'infirmation du jugement en ce qu'il a dit qu'elle ne bénéficiait pas d'un contrat d'agent commercial ; elle demande à la cour de dire que la relation entre les parties était constitutive d'un contrat d'agent commercial soumis aux articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, de dire abusive la résiliation du contrat la liant avec la société Fabryka Mebli Spin Roman, de la condamner à lui payer 113 506,70 euro correspondant à deux ans de commissions mensuelles moyennes à titre d'indemnité de rupture, avec intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 10.06.09, 14 188,34 euro au titre de l'indemnité compensatrice du préavis non respecté de trois mois avec les mêmes intérêts et 5 000 euro sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile ;

L'intimée sollicite la confirmation du jugement sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts ; elle demande à la cour de dire que le contrat qui la lie à la société JPD Distribution ne relève pas de la qualification du contrat d'agent commercial et que la résiliation intervenue est à ses torts exclusifs ; à titre subsidiaire, elle demande à la cour de juger que la société JPD a commis une faute grave à son égard, exclusive de tout versement d'indemnité compensatoire ; à titre reconventionnel, elle demande 50 000 euro de dommages et intérêts au titre des préjudices subis du fait des agissements de la société JPD Distribution, et 5 000 euro sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile.

JPD Distribution est agent commercial dans le secteur des meubles sur le territoire national et représente souvent les intérêts de producteurs étrangers, et notamment polonais, auprès de revendeurs français.

Elle a conclu un contrat de représentation en avril 2005 avec la société Fabryka Mebli Spin Roman Lazny, qu'elle qualifie de contrat d'agent commercial. Le 4 juin 2009, la société Fabryka Mebli Spin Roman, visant simplement le non-respect des objectifs de vente fixés à l'article 5 du contrat et le comportement de JPD Distribution contraire à ses intérêts, l'a rompu ; le 10 juin 2009, JPD Distribution l'a informée que le délai de préavis prendrait fin au 4 septembre 2009 et qu'elle devrait lui verser à cette date l'indemnité de rupture due à l'agent commercial mais la société Fabryka Mebli Spin Roman a refusé de réceptionner ce courrier recommandé.

La société JPD Distribution affirme que la société polonaise a commencé à démarcher concomitamment ses clients les informant de la rupture et qu'elle reste redevable de deux mois de commissions de juillet et août 2009 ; suite à une mise en demeure restée infructueuse, JPD Distribution a décidé de saisir le tribunal de commerce.

La discussion porte sur la qualification du contrat ; la société JPD Distribution estime que le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing pour forger son opinion s'est appuyé sur des éléments non pertinents, retenant que le mandataire n'a pas signé, ce qui n'emporte aucune conséquence puisqu'il cherche à s'en prévaloir contre son signataire, que le contrat est intitulé contrat de représentation, intitulé qui n'a pas de conséquence sur la nature juridique de la relation, que l'agent n'était pas dénommé commercial, qu'il n'y a pas de référence à un mandat express de négociation, alors que la lecture du contrat et son exécution effective démontre que JPD Distribution représentait son mandant auquel il facturait des commissions, dues sur tous les ordres pris, preuve d'un mandat express de négociation pour le compte du mandant, l'absence de référence formelle à l'article L. 134-1 ne constituant pas un critère de non-application du statut, comme l'inscription ou non au registre des agents commerciaux. Elle critique l'interprétation du tribunal qui l'a décrite comme un distributeur qui n'est qu'un revendeur, alors qu'elle-même n'achetait rien et ne vendait rien et de surcroît était réglée par des commissions et l'affirmation selon laquelle elle disposerait de filiales, comme la société Meublinter qui n'est autre qu'une société d'interprétariat et de traduction, la preuve n'étant pas rapportée de factures que cette société aurait émises.

Sur ce point, l'intimée lui réplique que l'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée des parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions dans lesquelles l'activité a été effectivement exercée, que l'agent commercial est un mandataire qui n'a pas de clientèle propre.

Elle affirme que la société JPD Distribution a créé un véritable réseau de distribution à l'échelle Européenne, qu'elle a confié l'intégralité de l'exécution des contrats conclus avec les fabricants polonais aux société STS Trading, Poldan et Meublinter, que la notion de distribution/fourniture exclusive des meubles polonais sur le marché français est au cœur de l'économie du contrat litigieux, que la société JPD Distribution était bien le vendeur, même si les recettes étaient déposées sur un compte ouvert à son nom à la demande de JPD Distribution et si les demandes de SAV étaient adressées directement au fabricant polonais, que les factures de commissions en témoignent qui visent expressément l'exonération de la TVA, ce qui n'aurait pas figuré si JPD Distribution avait été agent commercial conformément à l'article L. 441-3 [SIC] du Code de commerce ; elle ajoute que la société JPD Distribution ne justifie pas de son immatriculation au registre spécial des agents commerciaux, qu'elle avait et a continué à avoir une clientèle propre. Elle en conclut que la relation entre les parties relève d'un contrat "sui generis" empruntant ses éléments au contrat de commissionnaire, puisque JPD Distribution agissait en son nom propre, pour le compte des clients français et des fabricants polonais et au contrat de fourniture compte tenu de ce qu'elle-même a concédé à JPD Distribution la distribution de ses produits en France et qu'elle avait donc toute liberté de résilier.

Sur la loi applicable, la société Fabryka Mebli Spin Roman fait remarquer que la fourniture du produit est la prestation caractéristique du contrat de distribution exclusive, que c'est donc la loi polonaise qui est applicable pour trancher les litiges nés de l'exécution du contrat de distribution, laquelle permet la résiliation du contrat pour non-exécution des obligations qui y sont stipulées.

Elle fait valoir qu'en tous cas elle est fondée à plaider la faute grave de la société JPD Distribution qui a commis des actes de concurrence déloyale en copiant son modèle de divan "Fantazja", tentant de déposer un modèle qui a cependant été annulé en raison de l'existence du sien, raison pour laquelle elle demande 50 000 euro de dommages et intérêts, qui n'a pas respecté ses objectifs commerciaux qui étaient de 100 000 euro par mois faute de prospection puisque la société JPD Distribution représentait les intérêts de nombreux fabricants polonais en France, qui a manqué à son obligation de loyauté et d'information en lui cachant que d'importants clients avaient cessé de commercialiser ses meubles, qui a violé l'obligation qui était la sienne en vertu de l'article 5 du contrat d'assurer le suivi des recettes, ne relançant jamais les clients de sorte qu'elle a dû elle-même mandater une société de recouvrement de créances. Elle ajoute que la durée du préavis est de trois mois et que les commissions ne sont dues que pour toute commande passée à la date du préavis, soit le 4 juin 2009.

A titre subsidiaire, elle fait valoir que le préjudice de la société JPD Distribution est nul et que le calcul des deux ans de commissions ne s'impose pas.

Sur ses fautes prétendues, la société JPD Distribution réplique que lors de l'exécution du contrat, la société Fabryka Mebli Spin Roman ne lui a adressé aucun reproche, que les objectifs précisés dans le contrat n'ont jamais été pris en compte puisque jamais atteints pendant les années de vie du contrat, que les faits de concurrence déloyale ne sont étayés que par deux courriers postérieurs à la résiliation, à une période où l'interdiction de copier les modèles n'existait plus, que faute de date précise sur les fait prétendus, elle les conteste comme les négligences administratives et financières, le fait de recourir ponctuellement à une agence de recouvrement ne démontrant pas sa faute.

Elle réclame deux ans de commissions en ce qui concerne le calcul de son indemnité et les commissions correspondant aux trois mois de préavis non respectés. Elle s'oppose à l'argumentation de son adversaire sur l'application de la loi polonaise.

Sur ce

Sur la qualification du contrat

L'agent commercial est un mandataire indépendant chargé de manière permanente de négocier et éventuellement de conclure des contrats de vente, achat, etc pour le compte de commerçants. C'est à celui qui se prétend agent commercial d'en rapporter la preuve, l'application de ce statut dépendant non de la volonté des parties ni de la dénomination donnée mais des circonstances dans lesquelles l'activité était exercée. La clientèle, bien que développée par l'agent, ne lui appartient pas et reste la propriété du mandant.

L'analyse du contrat liant JPD à la société FM Spin doit être faite, tant le mode opératoire est le même, à l'aune des contrats écrits passés avec les autres entreprises polonaises, lesquelles se battent sur le même terrain. Or les contrats écrits, dont celui-ci, définissent sans contestation possible le rôle de JPD comme le mandataire de la société polonaise qui agit au nom de cette dernière en lui permettant de vendre ses meubles sur le marché français ; il n'est pas question dans ce contrat que JPD agisse en son propre nom, et la société Fabryka Mebli Spin Roman ne fait pas la preuve d'une clientèle propre ; les initiatives demeuraient de la compétence de l'entreprise polonaise, laquelle établissait les factures à son nom et encaissait l'argent sur un compte ouvert à son nom, mais surtout dans le paragraphe "résiliation", il était clairement indiqué qu'en cas de rupture sans faute de l'agent, celui-ci pourrait prétendre à l'indemnité légale et à l'indemnité compensatrice. De même les modalités de résiliation de l'article 5 sont une référence pure et simple aux modalités de l'article L. 134-11 du Code de commerce relatif au contrat d'agent commercial. Tout ceci converge à l'interprétation du contrat comme un contrat d'agent commercial qui a provoqué durant un peu plus de quatre années le paiement de factures de commissions émises par la société JPD et payées.

Les arguments avancés par les intimés sont faibles puisque l'existence même de la société Meublinter, relais en Pologne, ne change pas le statut de la société française, que la non-figuration de la TVA est sans incidence sur la qualification de la relation, que l'inscription ou non au registre des agents commerciaux n'est pas une condition d'application du statut, que le dossier n'établit pas que son rôle aurait été limité au rôle de simple fournisseur devant exécuter des commandes prises auprès de clients de JPD.

La résiliation a été invoquée pour non-respect d'objectifs qui sans être réalisés pendant toute la durée du contrat avaient été pour le moins supportés et pour changement de politique de vente consistant à satisfaire d'autres entités, alors que le contrat comportait la mention selon laquelle l'agent "travaille avec d'autres usines de meubles".

Le tribunal a relevé que le contrat n'était pas signé du mandataire mais comme le fait remarquer la société JPD Distribution, cela n'a pas de conséquence puisqu'il invoque ce contrat à l'encontre de son signataire, lequel n'en nie pas l'existence mais revendique qu'il s'agit d'un contrat de représentation, car c'est son intitulé, lequel ne lie pas le juge, tout en admettant qu'il n'existe pas d'impératif formel pour créer le lien contractuel d'agent commercial. Il ne pouvait donc pas se rattacher, comme il l'a fait, sans se contredire aux impératifs de forme, comme l'allusion au mandat express de négociation, à la référence à l'article L. 134-1, à l'inscription au registre des agents commerciaux, ou au nom même d'agent commercial. Il faut et il suffit que la société JPD Distribution n'ait pas de clientèle propre, agisse pour le compte et au nom d'un autre commerçant, ce qui ressort suffisamment de l'espèce.

Il s'agit donc bien d'un contrat d'agent commercial.

Ainsi, la société polonaise était contrainte de respecter le délai de préavis et le paiement de l'indemnité compensatrice.

Sur la faute grave de JPD plaidée par les appelants

Le motif de la résiliation avancé par les appelants dans la lettre de rupture du 30 mai 2009, reçue le 4 juin 2009, était lié à la non-atteinte du CA et à un changement de politique de vente ; il a été répondu plus haut sur l'inanité de ces arguments. De surcroît aucun reproche n'a été formulé avant cette résiliation.

Au-delà, la société polonaise reproche à JPD Distribution d'avoir commis des actes de concurrence déloyale mais elle est incapable de rapporter la preuve que ces actes auraient été commis avant le mois de septembre 2009, durant la vie du contrat et le préavis, puisque tous les documents qu'elle verse à l'appui de ses dires sont postérieurs ; il ne peut en être tenu compte pour caractériser une faute de l'agent JPD Distribution.

Puis la société Fabryka Mebli Spin Roman reproche à son interlocutrice de n'avoir pas respecté son obligation de suivi des recettes ; la société JPD ne nie pas l'existence d'une obligation de suivi mais le dossier ne démontre pas que si retards de paiement de la part des revendeurs français il y a eu, ces retards, lesquels au demeurant ne sont étayés que par des documents polonais non traduits, auraient été provoqués par une négligence de la société JPD Distribution, qui n'avait pas pour rôle de recouvrir ces paiements ni de garantir à son mandant l'exécution des contrats conclus pour lui. Les paiements étant le préalable indispensable au versement des commissions à l'agent, il n'était certes pas de son intérêt qu'ils soient effectués avec retard. La démonstration de la faute alléguée qui appartient à l'intimée qui s'en prévaut n'est pas faite.

Les intimés plaident également un manquement à l'obligation de loyauté sans en apporter aucun preuve ; il s'en suit qu'aucune faute n'est démontrée à l'encontre de JPD Distribution.

Le jugement sera réformé en ce qu'il a cru devoir priver l'appelante des indemnités liées à la rupture du contrat.

Sur le montant des commissions dues

Le contrat a pris fin à l'issue du délai de préavis, soit le 4 septembre 2009 ; le tribunal est entré à juste titre en voie de condamnation pour les mois de juillet et août 2009 et a fait droit à la demande de la société JPD Distribution à ce titre ; par contre, la demande de la société JPD Distribution n'est pas étayée pour le surplus et le démarchage des clients non prouvé ; en conséquence sur ce point, la cour confirme le jugement.

Sur le montant de l'indemnité

En ce qui concerne l'indemnité compensatrice, JPD l'évalue à une somme correspondant à deux ans de commissions mensuelles moyennes, calculée à partir des deux dernières années, le montant total des commissions versées étant de 104 517 euro ; la cour considère, en référence à une jurisprudence constante, qui prend en considération les éléments de rémunération de l'agent pendant le contrat, le montant des commissions perçues et l'évaluation de la part de marché qu'il pouvait espérer de la poursuite du contrat, comme légitime, au regard de la durée de la relation, le versement d'une somme de 104 000 euro, assortie par application de l'article 1153-1 du Code civil des intérêts légaux à compter de la présente décision.

La faute grave de la société JPD n'ayant pas été démontrée, l'intimée doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts et de sa demande sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile. Succombant, la société Fabryka Mebli Spin Roman sera condamnée à payer à la société JPD 3 000 euro sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe, Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné l'intimée à payer les commissions impayées et confirmé la résiliation au 5 septembre 2009 ; Déclare que le contrat liant les parties est un contrat d'agent commercial, rompu à l'initiative de la société Fabryka Mebli Spin Roman ; Condamne par application des articles L. 134-11 et L. 134-12 du Code de commerce la société Fabryka Mebli Spin Roman à payer à la société JPD Distribution la somme de : - 104 000 euro au titre de l'indemnité de rupture ; - dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision par application de l'article 1153-1 du Code civil ; Déboute l'intimée de l'ensemble de ses demandes ; Déboute l'appelante du surplus ; Condamne la société Fabryka Mebli Spin Roman à payer à la société JPD Distribution la somme de 3 000 euro sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens qui pourront être recouvrés directement conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.