CA Paris, Pôle 2 ch. 2, 4 octobre 2013, n° 12-06040
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Montaigne Direct (SA)
Défendeur :
Macouda
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vidal
Conseillers :
Mmes Martini, Richard
Avocats :
Mes Couturier, Fernez, Blumberg-Mokri
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société Montaigne Direct anciennement Biotonic spécialisée dans la vente par correspondance de produits diététiques et cosmétiques a organisé une loterie publicitaire dans le cadre de laquelle Mme Macouda a reçu la lettre suivante le 6 décembre 2001 :
"Toutes nos félicitations Mme Léonie Macouda, après délibération de la Commission des Remises de prix et des Règlements, la Publication des Conclusions est officiellement autorisée. En vertu des pouvoirs qui me sont conférés, il est clairement et incontestablement établi que :
Dès réception de votre prochaine commande, le règlement de "100 000 francs par chèque bancaire" vous sera expédié sous pli scellé par porteur spécial. Envoi garanti sous contrôle d'huissier de justice assermenté.
Oui Mme Macouda,
C'est un engagement ferme et définitif !
Nous n'attendons que votre commande pour procéder à l'envoi Immédiat de votre Règlement."
Mme Macouda a procédé à une commande de 47,97 euros et par lettre du 4 février 2002 elle a réclamé la somme de 100 000 francs soit 15 244,90 euros qui lui a été refusée au motif que le terme "règlement" utilisé dans ce courrier se référait en réalité au règlement du jeu concours intitulé "100 000 francs par chèque bancaire".
Mme Macouda a assigné le 17 mai 2005 la société Montaigne Direct en paiement de cette somme devant le Tribunal de grande instance de Fort de France qui s'est déclaré incompétent le 23 mai 2006 au profit du Tribunal de grande instance de Paris.
Par jugement en date du 6 mars 2012 ce tribunal a condamné la société Montaigne Direct au paiement de la somme de 15 244,90 euros sur le fondement de l'article 1371 du Code civil aux motifs que la rédaction artificieuse de la lettre ne permettait pas de retenir l'existence d'un aléa de sorte que l'organisateur du jeu qui avait annoncé un gain devait le délivrer, outre la somme de 47,97 euros sur le fondement de l'article L. 121-36 du Code de la consommation en raison du caractère illicite de cette pratique imposant une contrepartie financière à la participation au jeu.
La société Montaigne Direct a interjeté appel de cette décision et dans ses conclusions signifiées le 27 juillet 2012 demande à la cour d'infirmer le jugement, de constater que le régime du quasi contrat est inapplicable, que le litige relève des dispositions des articles L. 121-36 et suivants du Code de la consommation, que les jeux publicitaires diffusés sont parfaitement licites, que l'engagement dont se prévaut Mme Macouda est nul pour absence de cause, qu'elle a mis en évidence l'existence d'un aléa, et de la condamner à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700.
Elle soutient pour l'essentiel que :
- le régime du quasi-contrat est inapplicable en raison de l'existence de textes spécifiques issus des articles L. 121-36 et suivants du Code de la consommation ;
- l'engagement unilatéral de la société sur lequel se fonde l'intimée est dépourvu de cause en l'absence d'intention libérale ou de reconnaissance d'une dette préexistante,
- l'engagement s'il est retenu par la cour est assorti d'un aléa que rappellent les documents publicitaires et Mme Macouda a été destinataire de documents lui permettant de recevoir le règlement d'un prochain jeu intitulé : "100 000 francs par chèque bancaire",
- la lecture attentive et intégrale des documents par un consommateur moyen ne permet pas de retenir une présentation trompeuse du jeu et les documents reçus indiquaient bien la gratuité du jeu,
- le comportement de Mme Macouda qui a attendu près de dix ans pour assigner la société devant la juridiction compétente permet de douter de sa bonne foi.
Dans ses conclusions signifiées le 26 septembre 2012 Mme Macouda bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle sollicite la confirmation du jugement et y ajoutant la condamnation de la société à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts outre 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et celle de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient pour l'essentiel que :
- les dispositions des articles L. 121-36 et suivants du Code de la consommation sanctionnent pénalement la publicité trompeuse alors que la présente procédure a pour but de faire réparer le préjudice subi sur le fondement quasi-contractuel de l'article 1371 du Code civil,
- depuis les arrêts de la chambre mixte de la cour de cassation du 6 septembre 2002 l'absence de mise en évidence de l'aléa contraint l'organisateur du jeu à réparer le dommage résultant de l'absence d'exécution du quasi-contrat :
- en l'espèce la rédaction catégorique du message, l'utilisation du terme "règlement" suivi du montant d'une somme d'argent de nature à induire en erreur sur le sens du mot règlement, le renvoi par un astérisque à la mention en termes minuscules : "règlement du jeu AS 110" sans autre explication, la mention de l'expédition du "règlement" sous pli scellé par porteur alors que de telles précautions ne se justifient pas pour l'envoi du simple règlement d'un jeu, sont de nature à susciter du consommateur la croyance légitime du gain,
- le comportement fautif de l'appelante doit être sanctionné sur le fondement de l'article 1382 du Code civil par l'octroi d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Considérant qu'en application des dispositions de l'article 1371 du Code civil sur lequel Mme Macouda fonde son action et s'agissant des loteries publicitaires, une société de vente par correspondance qui annonce un gain à une personne déterminée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer ;
que les dispositions des articles L. 121-36 et suivants du Code de la consommation définissant au chapitre des pratiques commerciales prohibées l'infraction de loterie prohibée ne font pas obstacle à l'application de ce texte ;
qu'il convient donc de rechercher si en l'espèce l'existence d'un aléa a été indiquée de manière aisément lisible pour le consommateur moyen tenu à une lecture complète et moyennement attentive des documents litigieux ;
Considérant que les documents personnalisés reçus par Mme Macouda contiennent des affirmations catégoriques telles que : "engagement ferme et définitif", "il est clairement et incontestablement établi que (...)" ; présentent un caractère officiel par la référence au contrôle d'un huissier et à une Commission des prix, multiplient les références attractives et que l'utilisation du terme "règlement" suivi d'une somme d'argent ainsi que du moyen de paiement peut laisser croire à l'existence d'un gain ;
que la société Montaigne Direct ne peut soutenir utilement que la lecture complète et moyennement attentive des documents envoyés à Mme Macouda permettait à celle-ci de se rendre compte qu'elle avait uniquement gagné le droit de participer à un tirage au sort et non celui de se faire remettre un chèque de 100 000 francs et que l'expression "le règlement de 100 000 francs par chèque bancaire" se rapportait à l'attribution du règlement d'un jeu du même nom et non au règlement d'une somme d'argent de ce montant ;
qu'en effet le renvoi à la mention en bas de page "règlement du jeu AS 110" écrite en caractères minuscules quasi-illisibles ne permet ni d'identifier le jeu ni d'expliquer l'existence d'un aléa et la société Montaigne Direct ne démontre pas avoir accompagné son envoi d'un quatrième feuillet non produit par Mme Macouda intitulé : "A Lire Attentivement : ces documents vous permettent de passer commande de l'un de nos produits afin de faire partie de nos listings clients. Vous recevrez de cette façon un ou plusieurs règlements de jeux auxquels vous pourrez participer gratuitement et sans obligation d'achat", l'exemplaire de ce feuillet versé aux débats n'étant ni daté ni nominatif ;
qu'il n'est pas davantage démontré par l'appelante que Mme Macouda aurait agi de mauvaise foi ;
que le jugement qui a retenu l'existence d'une promesse de gain et l'absence d'aléa pour condamner la société Montaigne Direct au paiement de la somme de 15 244,90 euros sera confirmé de ce chef ;
Considérant que le comportement fautif de la société Montaigne Direct a causé à Mme Macouda un préjudice certain qui sera valablement réparé en application des dispositions de l'article 1382 du Code civil et compte tenu des pièces versées aux débats par l'octroi de la somme de 150 euros à titre de dommages-intérêts ;
Vu l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'article 699 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs : Statuant publiquement, par décision contradictoire : - Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne le montant des dommages intérêts, - Condamne la société Montaigne Direct à payer à Mme Macouda la somme de 150 euros à titre de dommages-intérêts, Y ajoutant, - Condamne la société Montaigne Direct à payer à Mme Macouda la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et celle de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; - Condamne la société Montaigne Direct aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.