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Décisions

CA Rennes, 9e ch. prud'homale, 30 octobre 2013, n° 13-04715

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Brehin

Défendeur :

Louveo (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schamber

Conseillers :

M. Pedron, Mme Le Quellec

Avocats :

Mes Perreau, Brugues-Reix

Cons. prud'h. Quimper, du 28 févr. 2012

28 février 2012

FAITS ET PROCEDURE

La société Louveo, filiale de la société Arval, est une société spécialisée dans la location de véhicules d'occasion auprès d'une clientèle de professionnels. La direction commerciale de la société Louveo est organisée en un réseau primaire qui fonctionne avec des concessions et en un réseau secondaire s'articulant autour d'apporteurs d'affaires qui sont des intermédiaires dans la relation de la société avec les garages et/ou loueurs qui sont les prescripteurs.

Selon contrat daté du 1er septembre et 4 octobre 2010, l'auto-entreprise Auto Location Conseils représentée par M. Yvon Brehin concluait avec la SAS Louveo une convention d'apporteur d'affaires avec effet au 1er septembre 2010, pour une durée d'un an reconductible par tacite reconduction, la mission de M. Brehin étant le développement et la prospection auprès de prescripteurs et le suivi de ce réseau de prescripteurs en faisant le lien entre les prescripteurs et la société Louveo, les modalités de rémunération étant prévues au contrat.

Les 14 juin et 12 juillet 2011, une nouvelle convention d'apporteur d'affaires était signée entre Auto Location Conseil représentée par M. Bréhin et la société Louveo précisant en son objet que "l'apporteur accepte cette représentation en tant qu'agent commercial indépendant au sens des dispositions de l'article L. 134-1 et suivants du Code de commerce, sans aucun lien de subordination envers la société Louveo qui n'est pas son employeur et n'en assurera pas les obligations", prévoyant les modalités de versement des commissions pour l'année 2011 et mentionnant le versement d'un acompte mensuel de 1 500 euro à valoir sur commissions et la prise en charge des frais de déplacement et de missions à hauteur maximale de 800 euro sur présentation de justificatifs.

Par requête enregistrée le 28 février 2012, M. Brehin a saisi le Conseil de prud'hommes de Quimper d'une demande tendant à la requalification du contrat d'apporteur d'affaires en contrat de travail et au paiement de diverses sommes ainsi que la remise de documents sociaux. Le bureau de conciliation a ordonné la délivrance à M. Brehin des contrats de travail et des derniers bulletins de salaires de Mme Evrad, Messieurs Lancelin et Chirouze, sous astreinte, afin de mettre en état le dossier de M. Brehin, compte tenu de l'impossibilité par ce dernier d'obtenir ces documents. Devant le bureau de jugement M. Brehin a sollicité de voir juger qu'il est salarié de la société Louveo, de voir condamner la société à lui verser des sommes à titre de rappel de salaires et congés payés, prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts et griefs de la société et la condamner à lui payer diverses sommes au titre de la rupture du contrat de travail et pour travail dissimulé . La société Louveo a soulevé une exception d'incompétence au profit du Tribunal de commerce d'Annecy et a sollicité le débouté des demandes.

Par jugement du 23 mai 2013, le Conseil de prud'hommes de Quimper a dit qu'il n'existe pas de contrat de travail entre M. Yvon Brehin et la SAS Louveo et s'est déclaré incompétent pour connaître du litige au profit du Tribunal de commerce d'Annecy.

Pour se déterminer ainsi le conseil a constaté l'exécution d'un contrat d'agent commercial tel que défini par le Code du commerce, a retenu qu'il existe une prestation de travail et une rémunération, que les directives données par la société et les comptes rendus de M. Brehin sont conformes au statut d'agent commercial, et que la société Louveo a cessé de verser les avances sur commissions au motif qu'il existait un excédent de versement, ce qui ne constitue pas la sanction d'un défaut d'atteinte des objectifs, que le lien de subordination n'est donc pas caractérisé dans les faits.

Le jugement a été notifié à M. Brehin le 25 mai 2013, lequel a formé un contredit le 3 juin 2013.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par son contredit auquel s'est référé et qu'a développé son conseil à l'audience M. Brehin demande à la cour, après avoir constaté l'existence d'un contrat de travail, de dire que le Conseil de prud'hommes de Quimper est compétent pour statuer sur les demandes présentées.

M. Brehin fait valoir en substance que si l' article L. 8221-6-1 du Code du travail prévoit une présomption de statut de travailleur indépendant pour celui dont les conditions de travail sont définies exclusivement par lui-même ou par le contrat dans ses relations avec son donneur d'ordre, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une présomption simple, que le contrat du 1er septembre 2010 ne peut s'analyser en une convention d'apporteur d'affaires ou contrat d'entremise au regard de la mission définie dans le contrat, que s'agissant du second contrat, le statut d'agent commercial ne peut être retenu au vu de ses missions et à défaut pour lui de pouvoir négocier et conclure des contrats au nom et pour le compte du mandant, que les relations entre lui-même et la société Louveo ne peuvent s'analyser que comme des relations de salariat, que l'existence d'une relation de travail est une situation de fait qui ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donné à leur convention, que la société a mis en place une stratégie destinée à détourner la législation du travail.

Pour voir retenir l'existence d'un contrat de travail, il indique que le contrat de travail est la convention par laquelle une personne physique s'engage à mettre son activité à la disposition d'une autre sous la subordination de laquelle elle se place moyennant une rémunération, qu'il n'est pas contestable qu'il fournit une prestation de travail, qu'il n'est pas contestable que cette prestation de travail fait l'objet d'une rémunération visée au contrat, que le lien de subordination caractérisé par le pouvoir de l'employeur de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné est établi, qu'à ce titre il expose que les ordres et directives sont contenues dans les contrats, que le travail est fourni grâce aux moyens mis à sa disposition (toolbox, messagerie, véhicule dont la location est prise en charge pour les 5/7ème du loyer) que le travail s'effectue au sein d'un service organisé dirigé par le directeur commercial et comprenant plusieurs personnes placées dans la même situation que la sienne, que la société donne des ordres et des directives puisqu'elle fixe des objectifs et précise les moyens à mettre en œuvre pour aboutir aux objectifs, que la société l'a convoqué à des réunions de travail à des séminaires, ou pour rendre compte à son supérieur, que la société impose une obligation de non concurrence et effectue le décompte des commissions dues, qu'enfin elle dispose des moyens de sanctionner les salariés en indiquant qu'elle ne maintiendra pas le paiement d'avances sur commissions sans un minimum de résultat et que faute de respecter l'objectif la poursuite du contrat sera remise en cause, qu'il n'agit pas en autonomie mais en tant que relais, que tous ces éléments permettent de retenir l'existence d'un lien de subordination.

Par ses conclusions auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseiller lors des débats, la SAS Louveo demande à la cour de se déclarer incompétente pour connaître du litige, de renvoyer M. Brehin à mieux se pourvoir devant le Tribunal de commerce d'Annecy et de le débouter de toutes ses demandes, outre de le condamner au paiement de la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle soutient en substance que la juridiction prud'homale n'est pas compétente en application de l'article L. 1411-1 du Code du travail pour statuer sur une convention d'apporteur d'affaires, que M. Brehin a été amené à prospecter et à présenter des prescripteurs en qualité d'apporteur d'affaires, ayant le statut officiel de travailleur non salarié, a librement consenti à la signature de conventions d'apporteur d'affaires qui sont régies par la loi des parties au contrat, et accepté le mandat de représenter la société auprès du réseau de prescripteurs en tant qu'agent commercial indépendant. Elle fait valoir que les conditions de fait dans lesquelles il a exercé son activité d'apporteur d'affaires confirment l'absence de tout contrat de travail, invoquant que M. Brehin n'a jamais été salarié de la société, aucun contrat de travail n'ayant été établi, aucune rémunération fixe n'ayant été perçue pour ses services et n'ayant jamais été placé sous la subordination de la société Louveo. A ce titre, elle expose que M. Brehin a bénéficié d'une liberté totale dans le choix des contractants, n'a jamais reçu d'instructions concernant l'organisation de sa prospection, les horaires à respecter, les itinéraires à suivre, qu'il confond la subordination à un employeur et la communication d'instructions telle qu'elle découle des obligations du mandant, invoquant qu'il existe un devoir réciproque d'information qui impose au mandant la mise à disposition d'une documentation, de standards de l'entreprise en vue de leur diffusion et au mandataire de faire remonter toute information utile à la bonne exécution du contrat, que dans ce cadre il a été convié à participer à des formations, séminaires dédiés aux seuls apporteurs d'affaires, qu'il bénéficiait d'une totale indépendance dans la gestion de son emploi du temps, n'avait aucune contrainte journalière et horaire, qu'il bénéficiait d'une totale indépendance dans l'exécution de sa mission, que la société ne l'a jamais sanctionné mais lui a rappelé que son droit à commission nait lorsqu'il conclut des contrats prescripteurs et qu'elle ne pouvait maintenir des avances sur commissions en l'absence de toute justification de souscription auprès des prescripteurs, que ce n'est pas constitutif d'une sanction mais l'application des dispositions prévues par la convention, que M. Brehin n'a donc jamais été placé dans un rapport de subordination à l'égard de la société Louveo.

MOTIFS DE LA DECISION

Il est constant que le 1er septembre 2010, M. Yvon Brehin en qualité de représentant de l'auto-entreprise Auto Location Conseils, établissement actif au répertoire Sirene à compter du 1er septembre 2010, a souscrit une convention d'apporteur d'affaires avec la société Louveo et que le 14 juin 2011, il a de nouveau souscrit une convention d'apporteur d'affaires, en tant qu'agent commercial indépendant au sens des dispositions de l'article L. 134-1 du Code du commerce.

Ainsi, en présence d'un contrat d'agent commercial, il incombe à M. Brehin qui demande la requalification de son contrat en contrat de travail d'établir la preuve d'un contrat de travail.

A ce titre, l'existence d'une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à la convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle et le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Il est établi que M. Brehin a fourni une prestation de travail pour le compte de la société Louveo, qui a fait l'objet d'une rémunération.

Il résulte des productions de M. Brehin que ce dernier est soumis à des ordres et directives émanant de la société Louveo. En effet, il apparaît que la société Louveo a fait paraitre sur son site internet une mention selon laquelle M. Yvon Brehin est présenté comme son "responsable régional Bretagne" ainsi qu'il résulte du procès-verbal de constat établi par Maitre Guenardeau le 30 décembre 2011 et 2 janvier 2012 et que dans la bible de l'apporteur d'affaire éditée par la société Louveo, l'apporteur d'affaires est présenté comme un animateur de réseau. Pendant le cours du contrat la société Louveo a donné des instructions précises à M. Brehin ainsi qu'il résulte de la feuille de route du 4e trimestre 2011, établie le 26 septembre 2011 faisant mention de ce que M. Brehin a la fonction de "représentant Louveo secteur Bretagne", lui fixant des objectifs chiffrés "total secteur YB: 20", en détaillant sa mission "YB doit développer les ventes Louveo sur le secteur Bretagne à travers 4 approches distinctes: Groupe Arval, Réseau Proximité, Réseau Pilote et approche directe (...) YB doit être le relais terrain entre l'usine Louveo et son réseau terrain", et en donnant des instructions précises "pour animer le Groupe Arval il est impératif de mettre en place quelques règles d'animation incontournables: 2 visites mensuelles par agence (...) invitation déjeuners d'affaires". Le 20 décembre 2011, la direction commerciale a mis en place un ultime objectif quantitatif indiquant qu'il "devra être strictement respecté pour pouvoir envisager une poursuite du partenariat" et il était rappelé que la priorité restait l'animation de l'agence Arval Rennes, que M. Brehin "doit assurer une présence régulière auprès des ingénieurs commerciaux (...)" ; Il apparaît de plus que la société Louveo a fait suivre à M. Brehin des séminaires de découverte de la société en octobre 2010, mais aussi en décembre 2011, s'agissant alors d'une réunion stratégie, M. Brehin étant destinataire d'un message de M. Dor mentionnant "vous aurez tous une présentation à faire en fonction des éléments que je vais vous faire passer (...) cette réunion se déroulera dans nos locaux le 13 décembre prochain (...). Merci de bloquer cette journée dans vos agendas". Il convient de relever que M. Brehin dispose d'une messagerie professionnelle au sein de l'entreprise, par la voie de laquelle les instructions sont passées.

Il est établi par les productions de M. Brehin que ce dernier est soumis à une obligation de rendre compte ainsi qu'il résulte notamment du contrat signé le 14 juin 2011, qui précise que "l'apporteur s'engage à satisfaire à l'ensemble des obligations en termes de reporting commercial sur le standard des documents préalablement établis par Louveo", outre également du message adressé par M. Dor notamment à M. Brehin daté du 21 juillet 2011 mentionnant "tous les vendredi, je vous demanderai de m'envoyer votre synthèse d'activité: je vais vous construire un modèle" ainsi que du message du 10 février 2012 envoyé par M. Dor à destination notamment à M. Brebin indiquant "je ne suis pas satisfait de la tournure des points hebdo du lundi. En effet j'en ressors avec très peu d'infos productives. Je vais donc mettre en place une autre organisation toujours sur le lundi mais beaucoup plus efficace. Je vais mettre en place un reporting de suivi d'activité qui va être explicite et individuel (...)".

Il est établi que la société dispose des moyens de sanction ainsi qu'il résulte des objectifs pour les mois de janvier février 2012 concernant M. Brehin, faisant mention de ce que les objectifs 2011 n'ayant pas été respectés, la direction commerciale met en place un ultime objectif qui "devra être strictement respecté pour pouvoir envisager une poursuite du partenariat" et en cas de non-réalisation des objectifs "les avances sur commissions s'arrêteront", outre des attestations de Messieurs Dussaucy et Lazaro, placés dans la même situation que M. Brehin, qui établissent pour chacun l'existence d'un entretien individuel avec M. Dor à l'issue de la réunion du 13 décembre 2011, au cours duquel pour M. Lazaro lui a été confirmé que si l'objectif pour 2012 n'était pas atteint, il y aurait suspension des commissions et dénonciation du contrat, éléments qui manifestent un pouvoir de sanction de la part de la société.

Il apparaît que le travail de M. Brehin s'effectue au sein d'un service organisé, dirigé par M. Dor directeur commercial et comprenant plusieurs personnes placées dans la même situation que M. Brehin, ainsi qu'il résulte des messages électroniques adressés par M. Dor à l'équipe ainsi constituée.

La circonstance que M. Brehin dispose d'une autonomie relative dans son emploi du temps n'est pas suffisante pour retenir qu'il dispose d'une totale autonomie dans l'exécution de sa mission et l'organisation de son travail.

En présence d'un service organisé d'agents commerciaux dont faisait partie M. Behin soumis à un contrôle permanent et rigoureux de leur activité ne se réduisant pas à une simple coordination, l'existence d'un lien de subordination de M. Brehin à l'égard de la société Louveo est parfaitement établie.

En conséquence et contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges dont le jugement sera infirmé, il convient de décider que M. Brehin est lié à la société Louveo par un contrat de travail et que la juridiction prud'homale est compétente pour connaître du litige.

Il n'apparaît pas être de bonne justice de faire usage de la faculté d'évocation conférée à la cour d'appel par l'article 89 du Code de procédure civile, lorsqu'elle est saisie d'un jugement statuant sur la compétence.

La société Louveo succombant au contredit sera tenue aux entiers dépens et déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe, Infirme le jugement déféré ; Et statuant à nouveau, Dit que M. Yvon Brehin est lié à la société Louveo par un contrat de travail, Rejette l'exception d'incompétence des juridictions prud'homales soulevée par la société Louveo, Dit n'y avoir lieu d'évoquer le fond de l'affaire, Renvoie l'affaire devant le Conseil de prud'hommes de Quimper, Deboute la société Louveo de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Louveo aux dépens de la procédure de contredit.