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Décisions

CA Agen, 1re ch. com., 28 octobre 2013, n° 11-01932

AGEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Roland Chateau (SAS)

Défendeur :

VOA Verrerie d'Albi (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Muller

Conseillers :

Mmes Auber, Blum

Avocats :

Mes Llamas, Bouchard-Stech, Vimont, Culoz

T. com. Albi, du 22 oct. 2004

22 octobre 2004

FAITS ET PROCÉDURE :

M. Roland Chateau exerçait son activité professionnelle dans le secteur de l'emballage de produits viticoles.

La coopérative ouvrière VOA Verrerie d'Albi (VOA), transformée depuis en société anonyme, avait pour activité la fabrication et commercialisation de bouteilles de vins.

Le 1er avril 1984, la société Verrerie Ouvrière d'Albi signait avec M. Roland Chateau un "contrat d'agent commercial sur la région Bourgogne Beaujolais" afin de la représenter auprès des négociants et caves coopératives de Bourgogne en vue de la commercialisation de ses produits, notamment des bouteilles en verre.

M. Roland Chateau, suivant statuts du 12 juillet 1986, constituait une société anonyme dénommée Roland Chateau SA, à laquelle il apportait, avec l'accord de la VOA, le contrat d'agent commercial.

Reprochant à Roland Chateau SA de s'être livrée, sans avoir sollicité son autorisation, auprès de ses propres clients, à une activité de négoce de bouteilles de vins, en s'approvisionnant tant auprès d'elle que d'industriels concurrents, et estimant avoir échoué dans ses tentatives amiables pour obtenir de Roland Chateau SA l'exécution stricte du contrat les liant, par lettre recommandée avec accusé de réception du 2 mai 2002, la VOA notifiait à son agent la résiliation de son contrat, puis avisait par courrier du 6 mai 2002 ses clients de la rupture intervenue.

Estimant que son co-contractant avait agi avec déloyauté, et désorganisé son réseau commercial, la VOA déposait le 10 septembre 2002, au visa de l'article 145 du Code de procédure civile, une requête aux afin de se voir communiquer sous astreinte la copie des grands livres clients et fournisseurs, ainsi que les balances auxiliaires pour les années 1992 à 2002, demande à laquelle il était fait droit par ordonnance du 10 septembre 2002.

Sur assignation du 3 octobre 2002, Roland Chateau SA faisait attraire d'heure à heure devant le juge des référés la VOA aux fins de rétractation de l'ordonnance rendue sur requête qui, par ordonnance du 22 octobre 2002, mettait à néant la précédente requête, tout en ordonnant une expertise confiée à M. Gastou aux fins d'identifier dans la comptabilité, quant à la vente de bouteille, la clientèle des négociants et des caves coopératives, et d'établir le chiffre d'affaires réalisé quant à son activité de négoce dans le secteur géographique de la Bourgogne.

Sur appel de Roland Chateau du 30 octobre 2002, la Cour d'appel de Toulouse, par arrêt du 26 juin 2003, infirmait l'ordonnance déférée et rétractait l'ordonnance du 10 septembre 2002.

Par acte du 11 mars 2003, Roland Chateau SA assignait la VOA devant le Tribunal de commerce d'Albi aux fins au principal de voir reconnaître que le contrat d'agent commercial du 1er avril 1984 avait fait l'objet d'une novation pour se transformer en "contrat de distributeur revendeur" sans clause d'exclusivité et faire constater que la VOA avait rompu de façon brutale le contrat qu'elle qualifiait "d'intérêt commun" sous le motif d'une clause d'exclusivité devenue caduque, et lui réclamait l'indemnisation du préjudice supporté à ce titre.

Par jugement du 22 octobre 2004, le Tribunal de commerce d'Albi déboutait Roland Chateau SA de ses demandes, et la VOA des siennes reconventionnelles et les renvoyait devant le Tribunal de commerce de Dijon pour connaître de l'action en contrefaçon engagée par la VOA.

Roland Chateau SA devenue Roland Chateau SAS relevait appel.

Par arrêt du 9 février 2006, la Cour d'appel de Toulouse a dit que :

- les parties étaient restées liées par un contrat d'agent commercial qui ne portait que sur la clientèle de négociants et de caves coopératives pour les départements visés au contrat,

- l'inexécution de Roland Chateau SA de son obligation d'exclusivité était liée à l'inexécution par VOA de son obligation d'approvisionnement et, avant dire droit, a ordonné une expertise quant aux préjudices allégués du fait de la rupture du contrat.

Par arrêt du 25 septembre 2007, la Cour de cassation a cassé en toutes ses dispositions l'arrêt aux motifs :

- d'une part, au visa de l'article 4 du Code de procédure civile:

Attendu qu'après avoir qualifié les relations contractuelles entre les parties de contrat d'agence commerciale, l'arrêt a décidé que l'initiative de la rupture incombe au mandant qui est débiteur de l'indemnité de rupture, dès lors que la rupture n'est pas imputable à une faute grave de l'agent commercial et ordonne avant dire droit sur les préjudices allégués une expertise afin de rechercher le préjudice résultant pour la société Roland Chateau de la rupture du contrat au sens de l'article L. 134-12 du Code de commerce,

Attendu en statuant ainsi, alors que la société Roland Château n'avait pas demandé l'indemnité de cessation de contrat prévue par le statut des agents commerciaux mais la réparation du préjudice causé par la brusque rupture sans préavis des relations contractuelles, ainsi que la réparation du préjudice résultant des relations contractuelles, ainsi que la réparation du préjudice résultant d'actes de concurrence déloyale, la cour d'appel a violé le texte sus visé,

- d'autre part au visa de l'article L. 134-12 du Code commerce :

Attendu que l'arrêt retient que la société VOA a failli durablement à son obligation d'approvisionnement et que cette inexécution a justifié celle de la société Roland Chateau à son obligation d'exclusivité ; qu'il décide qu'il sera jugé d'une rupture aux torts de la société VOA et qu'il sera institué une mesure d'expertise sur les conséquences de la rupture et les actes de concurrence déloyale réciproquement invoqués, à l'exception des actes connexes à la contrefaçon pour lesquels il sera sursis à statuer en l'attente de l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Dijon,

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans se prononcer sur le moyen de la société VOA tiré de l'existence d'actes distincts de concurrence déloyale, se réservant seulement la faculté d'évoquer ce moyen à l'occasion de l'examen de la réalité de la gravité des manquements de la société Roland Chateau à son obligation de ne pas concurrencer déloyalement son mandant était nécessairement préalable à l'appréciation de l'existence d'une faute grave de l'agent commercial privatrice des indemnités de brusque rupture et de préavis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

La Cour d'appel de Toulouse, saisie sur renvoi par la SAS Roland Chateau, selon arrêt du 2 février 2010, a, au principal :

- dit que l'inexécution par la société Roland Chateau de ses obligations de loyauté et d'exclusivité a été causée exclusivement par l'inexécution par la SA VOA Verrerie d'Albi de ses propres obligations d'approvisionnement et de loyauté,

- jugé que la rupture de ce contrat a été brutale, sans préavis et de la responsabilité fautive et exclusive de la SA VOA Verrerie d'Albi,

- l'a condamnée à la somme de :

175 558,93 euros à titre de dommages et intérêts en compensation de la rupture du contrat d'agent commercial ;

283 552 euros à titre de dommages et intérêts complémentaires comprenant l'absence de préavis, le réemploi, l'abus et la privation de prestations annexes ;

150 000 euros à titre de dommages et intérêts pour réparer la perte de chance de réaliser des affaires du fait de la carence en approvisionnement de la SA Roland Chateau.

Par arrêt du 4 octobre 2011, la Cour de cassation cassait en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 2 février 2010 par la Cour d'appel de Toulouse au motif, au visa des articles 775, 911 et 914 du Code de procédure civile, que :

Attendu que pour rejeter la demande de la société VOA, réitérée devant la cour d'appel, tendant à voir déclarer irrecevable l'appel exercé par la société Roland Chateau, l'arrêt retient que cet appel a déjà été déclaré recevable par une ordonnance antérieure du magistrat chargé de la mise en état, non frappée de recours,

Attendu, qu'en refusant ainsi de statuer sur la fin de non-recevoir dont elle était saisie, alors que l'ordonnance du magistrat chargé de la mise en état qui, n'ayant pas statué sur un incident mettant fin à l'instance n'avait pas, au principal, l'autorité de la chose jugée et ne pouvait faire l'objet d'un déféré, la cour a violé les textes susvisés.

Par acte du 8 novembre 2011, la SAS Roland Chateau a saisi la Cour d'appel d'Agen.

Sur incident de la SA VOA Verrerie d'Albi, le conseiller chargé de la mise en état, par ordonnance du 10 avril 2013, la déboutait de sa demande en caducité et irrecevabilité de l'appel.

Par conclusions déposées le 17 juin 2013 auxquelles il convient de se référer pour de plus amples développements, la VOA Verrerie d'Albi demande au principal de :

- Au visa de l'article 911 ancien et 122 du Code de procédure civile, dire que la SAS Roland Chateau n'a aucune qualité, ni aucun intérêt pour poursuivre l'appel qu'elle a irrégulièrement intenté.

En réponse, la SAS Roland Chateau par conclusions déposées le 18 juin 2013 conclut au principal à la recevabilité de son appel.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 juillet 2013.

Sur ce, LA COUR :

Sur la recevabilité de l'appel :

La SA VOA relève que le Tribunal de commerce d'Albi a été saisi par acte du 11 mars 2003 par la SA Roland Chateau et non la SAS Roland Chateau, or, c'est la SAS Roland Chateau, personne morale distincte, qui a relevé appel du jugement rendu le 19 novembre 2004.

En réponse, la SAS Roland Chateau soutient qu'elle a bien intérêt et qualité à agir, se référant à ce titre, à la convention d'apport partiel d'actif du 28 mai 2004, qui l'aurait subrogée dans tous les droits et actions attachées aux créances de la SA Roland Chateau, avec substitution dans les litiges et actions judiciaires tant en demande qu'en défense.

A cet égard, il convient de rappeler que, s'agissant d'une opération d'apport partiel d'actif, seule la convention d'apport partiel d'actif du 28 mai 2004, publiée le 8 août suivant, détermine la nature et l'étendue des biens transmis, ledit apport étant placé sous le régime des scissions, qui a eu pour effet de transférer l'universalité, tant actif que passif, des seuls éléments apportés ; il a été ainsi transmis à la SAS Roland Chateau avec effet au 1er janvier 2004 :

Au titre des éléments d'actif :

1) Eléments incorporels :

- la branche activité de négoce de fournitures pour le vin, exploitée par la société SA Roland Chateau comprenant :

- la clientèle et l'achalandage y attachés,

- les droits aux baux.

2) Immobilisations corporelles.

3) Immobilisations financières.

4) Actif circulant.

Il est par ailleurs précisé en troisième partie de l'acte, au paragraphe -Charges et conditions :

3) elle (la SAS Roland Chateau) sera subrogée purement et simplement dans tous les droits, actions hypothèques, privilèges et inscriptions qui peuvent être attachés aux créances de la société apporteuse,

Mais aussi :

7) elle sera substituée à la société apporteuse dans les litiges et dans les actions judiciaires, tant en demande qu'en défense, devant toutes les juridictions dans la mesure où ils concernent les biens et droits apportés, sans aucun recours de quelque nature que ce soit vis-à-vis de la société apporteuse.

Ainsi, il résulte de l'acte que seuls étaient transmis les droits et actions liés à "la branche activité de négoce de fournitures pour le vin, exploitée par la société SA Roland Château", or l'activité de négoce s'entend au visa de l'article L. 110-1 du Code de commerce de l'ensemble des opérations d'un commerçant, alors qu'aux termes de l'article L. 134-1 alinéa 1er du Code de commerce l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et éventuellement, de conduire des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale.

Il convient d'observer que si la première activité relève du droit commercial, la seconde relève du droit civil.

A cet égard, l'agent commercial est un mandataire, chargé de négocier au nom et pour le compte de son seul mandant. De sorte que le terme de "négocier" pris dans le sens de la définition de l'agent commercial, s'entend non pas d'une activité de "négoce" au sens commercial de l'achat et de la revente, mais d'une mission de négociation pour le seul compte d'autrui.

Aussi, lorsque la SA Roland Chateau a transmis son activité de négoce, en l'absence de toute autre précision de l'acte d'apport partiel d'actifs susvisé, elle n'a transmis que la seule activité commerciale de la branche cédée et non le contrat d'agent commercial, régi par les règles civiles.

Au surplus, cette absence de précision concernant l'activité civile s'explique d'autant plus que, comme le reconnaît la société SAS Roland Chateau dans ses écritures, à la date effective du transfert, ledit contrat d'agent commercial de la SA Roland Chateau avait été résilié suivant lettre recommandée avec accusé de réception du 2 mai 2002, et n'existait donc plus dans le patrimoine de la société apporteuse (droit incorporel).

Enfin, la convention d'apport partiel d'actif, par la faiblesse de sa rédaction, formulée en clauses générales, si, elle a bien subrogé la SAS Roland Chateau dans les droits et actions quant aux créances de la société apporteuse, ou dans les litiges quant aux biens et droits apportés, ne comporte aucune mention quant à la procédure en cours, qui ne figure pas plus à l'inventaire des biens apportés.

Dans ses conditions, les clauses convenues ne peuvent se rapporter qu'à l'activité commerciale de négoce de vin, à l'exclusion de toute autre activité, comme celle d'agence commerciale.

En conséquence, à défaut pour la SA Roland Chateau d'avoir transmis à la SAS Roland Chateau les droits liés à l'action en cours, cette dernière, qui a relevé appel du jugement du 22 octobre 2004, dépourvue d'intérêt et de droit à agir, ne saurait être déclarée recevable en son appel.

Succombant, la SAS Roland Chateau est condamnée à la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens des procédures d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort, Déclare irrecevable l'appel interjeté par la SAS Roland Chateau, Condamne la SAS Roland Chateau à payer à la SA VOA Verrerie d'Albi la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SAS Roland Chateau aux entiers dépens des appels et autorise Me Vimont à recouvrer les siens conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.