CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 23 octobre 2013, n° 11-19941
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
K Jacques (EURL), Etablissements Keklikian (SA)
Défendeur :
La Redoute (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Luc, Nicoletis
Avocats :
Mes Cheviller, Bouchard, Teytaud, Bertrand
L'EURL K Jacques a pour principale activité la création et la fabrication de chaussures, qu'elle fait fabriquer exclusivement à Saint-Tropez. Elle en assure la distribution par des revendeurs et par la société Etablissements Keklikian.
La société anonyme Etablissements Keklikian titulaire de la marque K Jacques propose à la vente les modèles créés par la société K Jacques dans ses trois établissements de Gassin et Saint-Tropez et sur le site Internet www.kjacques.fr.
La société K Jacques a créé des chaussures référencées Forban pour lequel elle a fait dresser par huissier un procès-verbal de constat le 29 mai 2009. Ces chaussures ont été commercialisées à compter du 29 juin 2009, notamment par la société Etablissements Keklikian.
La société K Jacques et la société Etablissements Keklikian ont constaté que le catalogue La Redoute Printemps-Eté 2010 proposait à la vente des chaussures reprenant les caractéristiques des spartiates Forban. Ces chaussures étaient également en vente sur le site Internet www.laredoute.fr. Il a été ainsi procédé à l'achat le 18 février 2010 d'une paire de chaussures sur ce site Internet afin de constater les actes de contrefaçon.
Autorisée par une ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Lille du 20 avril 2010, la société K Jacques a fait procéder à des opérations de saisie contrefaçon le 29 avril 2010 au sein du siège social de la société La Redoute. Les opérations de saisie-contrefaçon se sont déroulées en présence de Madame Guillouzouic, juriste au sein de la société La Redoute. Cette dernière a déclaré que la société La Redoute commercialisait les chaussures sous les références 707.2082 et 707.2880 par l'intermédiaire d'un catalogue ainsi que sur le site Internet de la société La Redoute ; elle a précisé qu'elles étaient fabriquées et fournies par la société indienne Ram Leather Apparels et qu'il s'en était vendu 4 510 paires au prix de 39,90 euros la paire.
La société K Jacques et la société Etablissements Keklikian, distributeur des créations K Jacques, ont fait assigner la société La Redoute devant le Tribunal de grande instance de Paris aux fins de la voir condamner pour des faits de contrefaçon et de concurrence déloyale commis à leur préjudice.
Par jugement prononcé le 18 octobre 2011, non assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de grande instance de Paris a :
- dit la société Etablissements Keklikian recevable à agir au titre de la concurrence déloyale ;
- déclaré la société K Jacques irrecevable à agir sur le fondement du droit d'auteur ;
- déclaré mal fondées les demandes de la société K Jacques et la société Etablissements Keklikian au titre de la concurrence déloyale ;
- les en a déboutées,
- débouté la société La Redoute de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- condamné in solidum la société K Jacques et la société Etablissements Keklikian à verser à la société La Redoute la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes.
La société K Jacques et la société Etablissements Keklikian ont interjeté appel de cette décision le 8 novembre 2011.
Par conclusions du 7 juin 2013, la société K Jacques et la société Etablissements Keklikian ont demandé à la cour d'écarter des débats la pièce n° 27 communiquée par la société La Redoute le jour de la clôture, qu'elles n'ont pu critiquer et argumenter.
Par conclusions signifiées le 8 juin 2012, la société K Jacques et la société Etablissements Keklikian demandent à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir opposée par la société La Redoute et dit la société Etablissements Keklikian recevable à agir au titre de la concurrence déloyale ;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a affirmé que la société K Jacques rapportait valablement la preuve de la titularité de ses droits d'auteur afférant au modèle Forban ;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande formée par la société La Redoute au titre de la procédure abusive ;
- infirmer le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 18 octobre 2011 en ce qu'il a déclaré la société K Jacques irrecevable à agir sur le fondement du droit d'auteur et débouté les sociétés K Jacques et Etablissements Keklikian de leurs demandes au titre de la contrefaçon et de la concurrence déloyale et parasitaire ;
Et statuant à nouveau,
- recevoir les sociétés K Jacques SARL et Etablissements Keklikian en toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
- rejeter la demande reconventionnelle de dommages et intérêts formée par la société La Redoute ;
En conséquence,
- dire que le modèle Forban de la société K Jacques SARL est un modèle original et donc digne de bénéficier de la protection des livres I et III du Code de la propriété intellectuelle ;
- dire que la société La Redoute s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon dudit modèle, au sens des dispositions des Livres I et III du Code de la propriété intellectuelle à l'encontre de la société K Jacques SARL ;
- dire que la société La Redoute s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre des sociétés K Jacques SARL et Etablissements Keklikian au sens de l'article 1382 du Code civil ;
- faire interdiction à la société La Redoute de poursuivre la fabrication, la mise en fabrication, la commercialisation, directe ou indirecte, des articles contrefaisants et ce, sous astreinte de 150 euros par infraction constatée par article ;
- condamner la société La Redoute à verser à la société K Jacques la somme de 175 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né de la contrefaçon de son modèle original ;
- condamner la société La Redoute à verser aux sociétés K Jacques SARL et Etablissements Keklikian la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice né des actes de concurrence déloyale ;
- ordonner l'insertion de la décision dans 5 revues ou journaux au choix des sociétés K Jacques et Etablissements Keklikian en format page entière aux frais de la société La Redoute et ce, dans les 10 jours suivant la signification du jugement à intervenir sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard ;
- ordonner l'insertion de la décision en première page du site Internet http://www.laredoute.fr/ de la société La Redoute pendant une durée d'un mois à compter de la signification de la décision, et ce, dans les 10 jours suivant la signification de la décision à intervenir sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard ;
- condamner la société La Redoute à verser aux sociétés K Jacques et Etablissements Keklikian la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société K Jacques et la société Etablissements Keklikian prétendent que la société Etablissements Keklikian est recevable à agir sur le fondement de la concurrence déloyale puisqu'elles démontrent que la société Etablissements Keklikian commercialise le modèle "Forban" sous la marque K Jacques.
Elles estiment démontrer par ailleurs que la société K Jacques est titulaire des droits d'auteur afférents au modèle "Forban", justifiant exploiter ce modèle sous son nom de façon non équivoque depuis 2009 et soutiennent que la société La Redoute ne peut justifier que des spartiates ayant les mêmes caractéristiques auraient été antérieurement produites et commercialisées. Elles estiment que la société La Redoute ne peut le contester en invoquant l'appartenance du modèle à un genre, ou l'existence d'antériorité propres à K Jacques ou autres.
Elles soutiennent en outre que la société La Redoute a commercialisé un modèle présentant des ressemblances très importantes avec le modèle "Forban" de la société K Jacques par la reprise quasi-identique de la combinaison des caractéristiques de son modèle, constituant ainsi une contrefaçon de ce dernier au sens du Code de la propriété intellectuelle et portant atteinte aux droits de la propriété intellectuelle de la société K Jacques. Elles exposent que la société K Jacques a calculé son préjudice en référence aux termes de l'art L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle, compte tenu de la masse contrefaisante et des bénéfices réalisés par la société La Redoute.
Elles font valoir enfin que la société intimée a commis des fautes distinctes des actes de contrefaçon constituant des actes de concurrence déloyale et parasitaire, qu'elle a créé un risque de confusion certain, contrairement à ce qu'a estimé le Tribunal, qu'elle a également économisé les frais de création et de promotion de ses collections, a utilisé sa renommée ; qu'elle leur a causé un préjudice du fait du galvaudage d'un de ses modèles originaux, de l'atteinte portée à son image de marque, du détournement de clientèle ainsi que des pertes de marge liées à l'offre en vente et à la vente de copies par la société intimée. Elles évaluent leur préjudice à 100 000 euros.
Elles indiquent que la demande reconventionnelle de la société La Redoute doit être rejetée, qu'elles ont agi "classiquement", sans intention de nuire ou avec légèreté, et rappellent que le stock de la société La Redoute n'a pas été saisi.
Par conclusions signifiées le 10 avril 2012, la société La redoute demande à la cour de :
- recevoir la société La Redoute dans l'ensemble de ses arguments, fins et moyens et déclarer ceux-ci bien fondés ;
A titre liminaire,
- constater que le modèle de spartiates litigieux a été créé en juin 2008 soit près d'un an avant le modèle Forban ;
en conséquence,
- infirmer le jugement frappé d'appel en ce qu'il a jugé que la société La Redoute ne rapporte pas la preuve de ce que des spartiates identiques ont été offertes à la vente avant la date de création des spartiates Forban ;
- débouter la société K Jacques de l'ensemble de son action et de ses demandes tant au titre de la contrefaçon de droit d'auteur qu'au titre de la concurrence déloyale ;
- confirmer le jugement frappé d'appel en ce qu'il a jugé que faute d'avoir explicité l'empreinte de l'auteur sur ces spartiates dénommées Forban et s'être contentée d'une simple description de la chaussure, la société K Jacques sera déclarée irrecevable à agir sur le fondement du droit d'auteur ;
- dire et juger que le modèle Forban qui n'est qu'une simple déclinaison de modèles antérieurs, dont il se distingue que par des détails qui ne peuvent traduire la personnalité de son auteur, ne constitue pas une création digne de l'élever au rang des œuvres de l'esprit ;
- débouter de plus fort la société K Jacques de son action et de ses demandes au titre de la contrefaçon de droit d'auteur ;
en tout état de cause,
- dire et juger que le modèle de spartiates litigieux commercialisé par lla société La Redoute ne constitue pas la reproduction illicite du modèle Forban de la société K Jacques ;
- débouter de plus fort, la société K Jacques de son action et de ses demandes au titre de la contrefaçon de droit d'auteur ;
- dire et juger que la société La Redoute n'a commis aucun acte fautif contraire aux usages locaux du commerce en achetant et revendant des exemplaires de la spartiate litigieuse ;
- confirmer le jugement frappé d'appel en ce qu'il a jugé que :
- la comparaison entre les deux chaussures montre que les chaussures vendues par la société La Redoute ne reprennent pas les caractéristiques des spartiates Forban ;
- de plus, les chaussures Forban de la société K Jacques sont commercialisées sous sa marque apposée sur la face visible de la semelle et à un prix sans aucun rapport avec celui des chaussures vendues par la société La Redoute également sous sa dénomination, que les circuits de distribution sont totalement différents comme le soulignent les sociétés demanderesses de sorte qu'aucune confusion ne peut naître entre les produits ;
- la société La Redoute rapporte suffisamment la preuve de ce que de nombreuses chaussures commercialisées à compter de 2008 et surtout en 2009 et 2010 s'inspiraient du style spartiate et étaient décorées de rivets de sorte que la société K Jacques et la société Etablissements Keklikian ne peuvent reprocher à leurs concurrents d'offrir à la vente ce type de chaussure qui fait partie de la mode saisonnière ou de piller leurs investissements créatifs ou professionnels.
en conséquence,
- débouter les appelantes, les sociétés K Jacques et Etablissements Keklikian de leur action et de leurs demandes en concurrence déloyale et en concurrence parasitaire ;
subsidiairement,
- dire et juger que la société La Redoute s'est livrée à une activité contrefaisante sans le savoir ou sans avoir de motifs raisonnables de le savoir ;
en conséquence,
- limiter à 20 232 euros le montant des dommages et intérêts qu'il convient d'accorder à la société K Jacques en réparation de l'atteinte portée à son droit privatif ainsi qu'en réparation de son préjudice commercial ;
en tout état de cause,
- débouter les appelantes des mesures de publication judiciaire sollicitées ;
reconventionnellement,
- constater que la société La Redoute a dû subir la vexation induite par la saisie qui a eu lieu dans ses locaux, la paralysie de ses ventes du modèle litigieux en début de saisie ainsi que les soucis d'un mauvais procès où on lui a réclamé plus de 295 000 euros de dommages et intérêts ;
- condamner in solidum les appelantes, à savoir la société K Jacques et Etablissements Keklikian à payer à la société La Redoute 70 000 euros de dommages et intérêts destinés à réparer le préjudice commercial et moral résultant des soucis du présent procès ;
- condamner la société K Jacques et Etablissements Keklikian à payer in solidum à la société La Redoute 15 000 euros additionnels au titre de l'article 700 du CPC pour la présente procédure d'appel.
La société La Redoute soutient et estime justifier que le modèle litigieux qu'elle commercialise a été créé antérieurement au modèle Forban et qu' ainsi, sa responsabilité ne peut pas être engagée tant au titre de la contrefaçon de droit d'auteur qu'au titre de la concurrence déloyale.
Elle fait valoir en outre que l'action engagée par la société K Jacques au titre du droit d'auteur est irrecevable en ce que cette dernière n'a pas établi en quoi la combinaison de caractéristiques composant son modèle de spartiates Forban révèlerait un effort de création originale sinon le "savoir technique du cordonnier", que ce modèle a été décliné à partir d'autres modèles soit antiques soit de la société K Jacques ou d'autres sociétés et ne constitue pas une création digne de bénéficier de la protection du droit d'auteur. Elle estime que trop d'éléments distinguent ces deux chaussures et que les éléments communs sont dans le domaine public.
Elle expose que la société K Jacques ne justifie pas les frais qu'elle dit avoir engagés pour créer, investir ou promouvoir un type de chaussures commercialisés depuis 1920, que la faute qui doit être justifiée pour engager la responsabilité pour concurrence déloyale, n'est pas rapportée,
A titre reconventionnel, elle expose que les deux appelantes ont tenté de faire pression sur elle (elle estime que la saisie a été réalisée, tout comme les demandes de publication dans le but de la paralyser et de l'empêcher de vendre, de faire pression sur elle), lui ont fait subir une procédure vexatoire, qu'elle n'a pu vendre son stock de tropéziennes, que son préjudice commercial est important et doit être évalué à 70 000 euros.
SUR CE :
Sur le rejet de la pièce 27 communiquée le 4 juin 2013 :
Considérant que les parties avaient été avisées de la date de clôture et de la date des plaidoiries par bulletin du 6 juin 2012, que la société La Redoute a communiqué selon bordereau du 4 juin une pièce n° 27 "arrêt de la Cour d'appel de Paris du 9 novembre 2012", que les appelantes en demandent le rejet, dès lorsqu'elles ne peuvent la critiquer et argumenter ;
Considérant toutefois qu'il appartient aux appelantes de préciser en quoi cette pièce nécessite une discussion, ce qu'elles ne font pas ; qu'il n'y a pas lieu à rejet ;
Sur l'irrecevabilité de l'action de la société Keklikian en concurrence déloyale :
Considérant que l'irrecevabilité à agir de cette société n'est pas soulevée par la société La Redoute à ce stade de la procédure ; qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce point ;
Sur la protection au titre du droit d'auteur :
Considérant que selon l'art L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporel et opposable à tous, comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, que selon l'art L. 111-2 du Code de la propriété intellectuelle, ce droit est conféré à l'auteur de toute œuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination ;
Considérant que seule la preuve du caractère original est exigée comme condition d'octroi de la protection du Livre I du Code de la propriété intellectuelle ;
Considérant que la condition d'antériorité est indifférente, que la société La Redoute ne rapporte d'ailleurs pas la preuve que le modèle litigieux a été créé avant la commercialisation par la société K Jacques de son modèle en juin 2009, qu'en effet, il apparaît que tout comme en première instance, le lien ne peut être fait entre le modèle portant la référence "6086" se trouvant sur l'attestation de son fournisseur indien et le modèle que la société K Jacques estime contrefaisant le modèle "Forban" et que la transaction intervenue le 30 juillet 2010 entre la société K Jacques et la société J2D Diffusion n'apporte pas de précision sur ce lien ;
Considérant que les appelantes décrivent les spartiates "Forban" ainsi : "une bride fine sur le devant au niveau de la naissance des orteils, une bride arrondie sur le coup du pied prenant naissance au niveau du début du talon et un bracelet large entourant la cheville, orné de rivets en forme de pyramide apposés de façon régulière horizontalement et verticalement. Ce bracelet large se rassemble et se ferme par une languette plus fine sur laquelle est apposée une boucle arrondie fixée par un rivet. Une bride centrale de la naissance du bracelet à l'entre doigt, percée de quatre fentes, a une largeur qui réduit avant de se terminer en pointe au niveau de l'entre doigt où elle est fixée après avoir été courbée. Des surpiqûres ton sur ton autour de chaque bride et du bracelet, une semelle de cuir naturel, asymétrique pied droit pied gauche avec une surpiqûre contrastante de couleur écrue sur tout le long de la semelle à 1 cm de l'extrémité de la semelle et un talon plat et carré/arrondi d'une hauteur de 6 mm composent ces chaussures.",
Considérant que les appelantes expliquent que ce modèle de chaussure porte l'empreinte de son créateur, qui a opéré un "mélange équilibré entre la composante traditionnelle de la spartiate, à savoir la semelle plate, l'entrecroisement des lanières et le cuir épais et robuste et une composante moderne permettant "de toucher un public jeune", que la société K Jacques a ainsi choisi "d'orner le bracelet de cheville d'une mosaïque de rivets en forme de pyramides, qui procure à l'ensemble un aspect clouté et un esprit rock totalement à l'opposé de celui de la spartiate qui rappelle plutôt un mode de vie naturel et simple", qu'elle a "transgressé la spartiate" ; que le modèle "Forban" est original en ce qu'il établit un contraste visuel entre "l'imposant bracelet de la cheville" et la "légèreté de la structure qui habille le pied" ; qu'il est le fruit d'une recherche artistique et d'un réel parti pris esthétique ; qu'elles ajoutent que la société La Redoute ne peut invoquer l'appartenance du modèle à un genre ou l'existence d'antériorités propres à la société K Jacques ou autres pour contester cette protection ;
Considérant que s'agissant d'une déclinaison d'un modèle de spartiate existant depuis des millénaires, avec semelle plate, absence de talon, lanières enserrant le pied et remontant sur la cheville qui a inspiré depuis les années 20 les fabricants tropéziens, qui a inspiré la société K Jacques elle-même dans ses modèles Caravelle, Pirate, Gina et Kenya, il faut que les choix de K Jacques pour la réalisation du modèle "Forban" procèdent d'un effort personnel de création et d'un souci de recherche esthétique et traduisent l'expression de sa personnalité ;
Considérant qu'il apparaît, selon les documents versés par les parties aux débats, que les tendances de la mode été 2008 étaient les suivantes : la présence de clous sur les chaussures, quel que soit le modèle en cause, derbys, sandales, baskets, ballerines ou sur les accessoires, notamment les sacs ainsi que la combinaison d'éléments satisfaisant le jeu des contrastes ; qu'un article "Spartiates Eté 2008 : mode d'emploi" du site madmoiZelle.com décrivait bien cette mode : "La cloutée : voilà la petite merveille de l'été ! Plus guerrière et rock'n'roll que sa cousine basique, la spartiate version armure-bijoux se porte en opposition à un look romantico-bobo, simple, féminin, fragile. (...)" ; que le modèle "Forban" qui reprend les éléments du modèle "Caravelle" créé en 1965 par la société K Jacques, c'est-à-dire les fines lanières enserrant le pied ainsi que le large bracelet généralement en cuir enserrant la cheville, en faisant l'ajout à ce dernier des rivets de forme pyramidale, ne fait que répondre aux tendances de la mode en cours depuis bientôt deux ans ; que par ce seul ajout pour obtenir le modèle "Forban", la société K Jacques ne fait pas la preuve de la démonstration d'un effort certain de combinaison d'éléments ou d'un souci de recherche esthétique qui traduise l'expression de sa personnalité ;
Considérant que le modèle "Forban" qui ne peut bénéficier de la protection au titre des droits d'auteur ne peut avoir fait l'objet de contrefaçon ; que les demandes formées à ce titre doivent être rejetées ;
Sur la concurrence déloyale et sur le parasitisme :
Considérant que les appelantes se plaignent de l'action concurrentielle de la société La Redoute et de son parasitisme,
Considérant que selon les appelantes, le consommateur risque de confondre les deux produits qui ont une "physionomie d'ensemble (...) très proche", d'autant plus que la société La Redoute collabore avec de grandes marques depuis plusieurs années et vend leurs produits ; qu'il apparaît cependant que les modèles présentent des différences réelles (existence ou non d'une bride fine sur le devant au niveau de la naissance des orteils, existence ou non d'un rattachement du bracelet clouté au talon) excluant toute allégation de reprise quasi-identique de la combinaison des caractéristiques du modèle "Forban" et qu'il s'agit de différences que le consommateur remarque par un examen sommaire ; que par ailleurs, l'écart de prix (370-350 euros et 39,90 euros) lié à la qualité des cuirs et de la façon outre la renommée d'un des produits, exclut également tout risque de confusion quel que soit le circuit de distribution utilisé, contrairement à ce que peuvent soutenir les appelantes ;
Considérant encore que les appelantes font état de ce que la société La Redoute a eu un comportement parasitaire, s'économisant tous les frais de création et de promotion, se plaçant dans leur sillage en tirant profit de leur renom et de leur réputation ; que toutefois, comme l'a justement remarqué le premier juge, de nombreux modèles de spartiates cloutées sont commercialisés depuis 2008, de sorte que la société La Redoute ne peut alors se voir reprocher en offrant à la vente ce type de chaussures qui répond à un phénomène de mode existant depuis deux ans, de piller les investissements créatifs ou promotionnels des deux appelantes ;
Considérant ainsi que la société La Redoute n'a pas commis de faute engageant sa responsabilité vis à vis des appelantes,
Considérant que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté les appelantes de toutes leurs demandes ;
Sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts formée par la société La Redoute :
Considérant que pour prospérer en sa demande, la société La Redoute doit justifier l'existence d'une faute des appelantes ; que toutefois en l'espèce, ces dernières ont agi en justice pour défendre les droits qu'elles estimaient être les leurs, utilisant les moyens procéduraux qui leur étaient offerts ; que le fait qu'elles aient succombé en leurs demandes ne peut traduire de leur part un comportement abusif, une attitude vexatoire ; que la demande de la société La Redoute n'est pas justifiée ; qu'elle sera rejetée ;
Par ces motifs : La Cour, Déboute les Sociétés K Jacques et Etablissements Keklikian de leurs demandes de rejet de la pièce n° 27 versée aux débats par la société La Redoute, Confirme le jugement déféré, Condamne les sociétés K Jacques et Etablissements Keklikian à payer à la société La Redoute la somme de 10 000 euros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles, Condamne les sociétés K Jacques et Etablissements Keklikian aux entiers dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'art 699 du Code de procédure civile.