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Décisions

Cass. com., 22 octobre 2013, n° 12-28.704

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Terrisson père et fils (SARL)

Défendeur :

John Deere (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Rapporteur :

Mme Mouillard

Avocats :

SCP Fabiani, Luc-Thaler, SCP Bénabent, Jéhannin

TGI Mende, ch. com., du 26 janv. 2010

26 janvier 2010

LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Terrisson père et fils que sur le pourvoi incident relevé par la société John Deere ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par une lettre du 24 janvier 2008, la société John Deere a notifié à la société Terrisson père et fils (la société Terrisson), qui exploite un fonds de commerce de vente et réparation de matériel agricole, la cessation de leurs relations commerciales pour le 31 octobre 2008 ; qu'estimant ce préavis trop court, la société Terrisson l'a fait assigner en paiement de dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en sa troisième branche : - Attendu que la société John Deere fait grief à l'arrêt de sa condamnation, alors, selon le moyen, qu'à défaut de cession du contrat de concession initial, une relation commerciale établie entre un concédant et un concessionnaire ne peut être considérée comme ayant été poursuivie au profit du repreneur du fonds de commerce du concessionnaire qu'à la condition qu'une cession de ce fonds ait été conclue entre l'ancien et le nouveau concessionnaire ; que le contrat de concession est alors transmis par voie d'accessoire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté qu'aucune cession du contrat de concession n'avait été conclue entre M. Terrisson et la société Terrisson : "qu'il n'est pas justifié, ni même allégué, que le contrat de concession de la marque John Deere auquel M. Hubert Terrisson était partie avant la création de la SARL Terrisson père et fils, a été transmis, par apport, don ou cession, à cette société lors de la conclusion du contrat de location-gérance" ; que la cour d'appel a également expressément constaté qu'aucune cession de fonds de commerce n'avait été conclue entre M. Terrisson et la société Terrisson et qu'au contraire, le contrat de concession initial conclu entre M. Terrisson et la société John Deere avait été résilié, et qu'un nouveau contrat de concession avait été conclu avec la société Terrisson, devenue locataire-gérant de son fonds de commerce à compter du mois d'avril 1995 ; que pour décider pourtant que les relations commerciales établies entre M. Terrisson et la société John Deere s'étaient poursuivies entre elle et la société Terrisson, la cour d'appel a retenu que le contrat de concession conclu entre les sociétés John Deere et Terrisson le 1er avril 1995 prévoyait une prise d'effet anticipée au 1er novembre 1995 (1994), ce qui vaudrait "reprise par [la société John Deere] des engagements précédemment pris à son égard par M. Hubert Terrisson et réciproquement" ; qu'en statuant ainsi, quand elle relevait elle-même que le contrat de concession n'avait pas été cédé à titre principal ou par voie d'accessoire à la société Terrisson, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce ;

Mais attendu que l'arrêt constate que la société Terrisson exploitait depuis le 1er avril 1995, dans le cadre d'un contrat de location-gérance, le fonds de commerce appartenant depuis 1963 à M. Hubert Terrisson, lequel était lui-même concessionnaire, à titre personnel, de la société John Deere en vertu d'un contrat de concession antérieur à 1965 ; qu'il relève que, selon les écritures des parties, le précédent contrat a été résilié d'un commun accord avant la création de la société et qu'un nouveau contrat a été conclu, le 1er avril 1995, avec la société Terrisson, locataire-gérante du fonds de commerce de M. Terrisson, alors en cours d'immatriculation ; qu'il retient qu'en fixant le début des effets du nouveau contrat de façon rétroactive au 1er novembre 1994, nonobstant l'inexistence juridique de la société à cette date, les parties ont repris les engagements précédemment souscrits par M. Terrisson, et à son profit ; que de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel a pu déduire que la relation initialement nouée par la société John Deere avec M. Terrisson personnellement s'était poursuivie avec la société Terrisson, locataire-gérante du fonds de commerce de ce dernier ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu que ce moyen, pris en ses deux premières branches, ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa seconde branche : - Vu l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce, ensemble l'article 1382 du Code civil ; - Attendu qu'après avoir retenu la responsabilité de la société John Deere pour n'avoir accordé à la société Terrisson qu'un préavis de dix mois, au lieu des vingt-quatre mois qu'il jugeait nécessaires, et évalué à 200 000 euros la perte de marge brute subie par la société Terrisson pendant les quatorze mois de préavis dont elle avait été privée, l'arrêt, pour limiter à 50 000 euros la somme devant revenir à cette société à ce titre, retient que, faute pour elle de produire ses éléments comptables après la rupture, afin de démontrer une diminution de son résultat en proportion, son préjudice doit être considéré comme consistant en une perte de chance de réaliser ce gain ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'en cas d'insuffisance du préavis, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée du préavis jugé nécessaire, la cour d'appel, qui disposait des éléments lui permettant d'évaluer le préjudice causé par le caractère brutal de la rupture, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal et du pourvoi incident : Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 mai 2012, entre les parties, par la Cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris.