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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 25 octobre 2013, n° 13-02338

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Kermanac'h, Que du Bonheur (SARL)

Défendeur :

Chehoma Atelier d'Ambiances (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aimar

Conseillers :

Mmes Nerot, Renard

Avocats :

Mes Hoffman, Joulali, Kosso-Vanlathem

TGI Paris, 3e ch. 1re sect., du 17 janv.…

17 janvier 2013

Madame Anne Kermanac'h se présente comme une créatrice de mode dans le domaine de la maroquinerie dont les œuvres sont commercialisées sous la marque "An+Ka" par la société Que du Bonheur qu'elle a fondée en 2004 et dont elle est la gérante.

Elle revendique la création, en 2005, d'un sac dénommé "Voyage" (décliné dans un format inférieur sous la dénomination "Trip") présenté dans un Salon professionnel en mars 2005 puis commercialisé depuis sa collection automne-hiver 2005 en précisant qu'il l'a fait découvrir et a fondé sa notoriété.

Ayant constaté, au début du mois d'août 2011, qu'était commercialisé un sac reprenant, selon elles, à l'identique, les caractéristiques de cette création puis, lors d'un Salon professionnel qui se tenait en septembre 2011, qu'il était commercialisé par la société Chehoma Atelier d'Ambiances sous la dénomination "Patricia", elles leur ont adressé une mise en demeure d'en cesser la commercialisation et de leur fournir tous renseignements utiles sur ce sac référencé "Patricia", ont reçu de celle-ci une réponse le 3 octobre 2011 qu'elles considèrent comme un aveu de leur reproduction illicite puis l'ont assignée, par acte du 20 octobre 2011 , en contrefaçon de droits d'auteur et en concurrence déloyale et parasitaire.

Par jugement contradictoire rendu le 17 janvier 2013, le Tribunal de grande instance de Paris a, en substance, dit que les sacs revendiqués, dénués d'originalité, n'étaient pas protégeables par les Livres I et III du Code de la propriété intellectuelle, déclaré en conséquence, les requérantes irrecevables en leur action en contrefaçon, débouté la société Que du Bonheur de sa demande au titre de la concurrence déloyale en condamnant in solidum les requérantes à verser à la société Chehoma Atelier d'Ambiances la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.

Par dernières conclusions signifiées le 30 juillet 2013, Madame Anne Kermanac'h et la société à responsabilité limitée Que du Bonheur, appelantes, demandent pour l'essentiel à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et :

- en considérant que les deux sacs en cause bénéficient de la protection du droit d'auteur, que l'intimée a commis des actes de contrefaçon de droits d'auteur à leurs préjudices respectifs ainsi que des actes de concurrence déloyale et parasitaire au préjudice de la société Que du Bonheur, de prononcer sous astreinte les mesures de confiscation et de rappel d'usage et de condamner l'intimée à verser :

* à Madame Kermanac'h la somme de 100 000 euros sauf à parfaire en réparation des préjudices d'avilissement de ses créations, d'image et moral subis,

* à la société Que du Bonheur la somme de 288 120 euros sauf à parfaire venant réparer le préjudice résultant des conséquences négatives des actes de contrefaçon ainsi que celle de 50 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire subis,

- subsidiairement, de considérer que la société Chehoma Atelier d'Ambiances a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire, que la société appelante a subi un dommage certain du fait de ses agissements déloyaux et de la condamner à lui payer la somme de 50 000 euros à ce titre,

- en tout état de cause, d'ordonner la publication, sur internet et sous astreinte, de la décision à intervenir en condamnant l'intimée à leur verser la somme de 10 000 euros au titre de leurs frais non répétibles ainsi qu'aux entiers dépens.

Par dernières conclusions signifiées le 2 août 2013, la société anonyme de droit belge Chehoma Atelier d'Ambiances prie pour l'essentiel la cour, au visa des articles L. 111-1 et suivants, L. 331-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle , 2.1 et 5.3 du Règlement CE n° 44-2001 ainsi que des articles 1354, 1382 et 1383 du Code civil, de confirmer en toutes ses dispositions le jugement, de déclarer les appelantes mal fondées en toutes leurs prétentions et, en particulier :

- sur la contrefaçon, de confirmer le jugement en ce qu'il a dénié toute originalité aux modèles de sac revendiqués ou, subsidiairement, si la cour venait à considérer qu'ils sont protégeables, d'écarter des débats les pièces n° 8, 15 et 16 obtenues de façon déloyale et de dire que n'est pas rapportée la preuve des actes de contrefaçon incriminés, ou, très subsidiairement, si la cour retenait des actes de contrefaçon, de dire que les appelantes n'ont souffert d'aucun des préjudices qu'elles déclarent avoir subis,

- sur la concurrence déloyale, de confirmer le jugement en ce qu'il a fait prévaloir le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ou, subsidiairement, si l'éligibilité des sacs revendiqués à la protection par le droit d'auteur était retenue, de constater son absence de comportement anti-concurrentiel et de dire que n'est pas rapportée la preuve des actes dénoncés, ou, très subsidiairement, si la cour retenait un lien de concurrence, de considérer que les faits fautifs allégués ne sont pas distincts de ceux allégués au titre de la contrefaçon,

- en tout état de cause, de condamner in solidum les appelantes à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

SUR CE,

Sur la protection par le droit d'auteur des sacs dénommés "Voyage" et "Trip" :

Considérant qu'il convient, à titre liminaire, de préciser qu'en dépit de la présentation que fait l'intimée de l'origine du litige (page 3/29 de ses dernières conclusions) et de sa formulation dubitative sur la titularité des droits de Madame Kermanac'h sur le sac "Voyage" en évoquant une "prétendue création", elle ne débat pas de l'irrecevabilité des demanderesses à agir en contrefaçon à son encontre et ne conclut, dans son dispositif, qu'au mal fondé de l'action, si bien que doivent être considérés comme sans objet les développements que consacrent les appelantes à cette question pour voir juger que la société Que du Bonheur, distributeur exclusif de ce sac, est cessionnaire des droits patrimoniaux qui y sont attachés, tandis que Madame Kermanac'h a conservé les droits moraux qui y sont également attachés ;

Considérant que les appelantes poursuivent l'infirmation du jugement qui a dénié toute originalité au sac revendiqué en considérant que les demanderesses à l'action ne précisaient pas la combinaison de caractéristiques revendiquées et que celles qui figuraient dans sa lettre de mise en demeure à la société Chehoma, même combinées, étaient banales et ne traduisaient pas l'empreinte personnelle de Madame Kermanac'h ;

Que, soulignant la nécessité d'une appréciation globale de l'originalité desdits sacs et le fait que leur forme et les éléments qui les composent ne sont pas dictés par leur fonction, ceci en réponse à l'argumentation adverse, et rappelant, par ailleurs, tant l'accueil favorable que leur a réservé la presse spécialisée que la perception positive qu'en a eu la société intimée au point de les reproduire à l'identique, elles présentent comme suit les caractéristiques au fondement de l'originalité du sac "Voyage" (décliné, précisent-elle en plus petite taille sous la référence "Trip") :

- un sac construit sur une base de quatre carrés de taille égale positionnés de façon à pouvoir former une boule une fois ramenés bord à bord,

- un sac d'un important volume qui peut être façonné en trapèze lorsqu'il est ouvert, alors qu'il s'apparente davantage à une boule une fois fermé par une attache constituée par une simple pièce de cuir reliant deux côtés,

- des anses pour porté-épaule repliées sur elles-mêmes au niveau du contrefort, aboutissant à une dualité de forme sur une seule anse,

- quatre coins de renfort en cuir pour rappeler la genèse du sac,

- des plis plats sur les bords supérieurs du sac,

- des poches intérieures sur toute la largeur présentes sur deux côtés opposés,

- une fermeture constituée d'un lien en cuir attachée par un bouton de col,

- un passepoil intérieur au niveau des coutures ;

Considérant, ceci rappelé, qu'il n'est pas contestable que ce sac "Voyage" s'inspire de certaines caractéristiques qui, prises isolément, se retrouvent dans des sacs couramment commercialisés, ainsi que tend à le démontrer la société Chehoma (en pièces 2 à 13 et 28) ;

Qu'en effet, des coins de renfort en cuir étaient présents dans des modèles de sacs Alsako en 2003, Marni et Renouard en 2007, Le Monde des Marques en 2004, qu'en outre, des anses pour porté-épaule en cuir repliées au niveau du contrefort et surpiquées étaient présentes dans un modèle "coccinelle" en 2007, Lamm Sarre en 2003, Anaik Descamps en 2004, que, par ailleurs, des plis plats l'étaient dans des modèles Marni en 2007, Lollipops en 2001, La Maison du Kelsch en 2003, que, de plus, une double surpiqûre figurait au rang des caractéristiques des modèles Scarleta en 2002 et Hexagonal en 2003 ou encore que la forme en boule était commune à d'autres sacs, tels le modèle Marni en 2007 ou Mamet Raphaël en 1997 ;

Que force est toutefois de considérer que la société Chehoma ne produit aucun modèle de sac adoptant déjà (en 2005 ou même en février 2008 puisque l'intimée se prévaut d'une évolution du modèle et d'une possible identification du modèle revendiqué seulement à cette date) l'ensemble des éléments caractéristiques du sac référencé "Voyage" dans la combinaison revendiquée ;

Que l'intimée ne peut valablement, non plus, opposer comme elle le fait aux appelantes le fait que les caractéristiques dont s'agit ne font que répondre à des besoins fonctionnels, ces dernières objectant justement que la fonction du sac référencé "Voyage" est d'être grand et pratique pour voyager et qu'elle n'explique ni sa structure, ni sa forme ni les détails qui le composent ;

Qu'il y a lieu de considérer que ce sac référencé "Voyage" - tout comme le sac "Trip" qui n'en est qu'une déclinaison de taille plus modeste - se distingue par la combinaison de ses caractéristiques particulières ; que l'ordonnancement des formes géométriques choisies et leur caractère modulable, alliés à la valorisation des éléments d'attache et de protection ainsi qu'à l'accentuation délibérée des composantes intérieures traduisent, dans l'agencement singulier qui est le leur, un parti-pris esthétique porteur de l'empreinte personnelle de son auteur ;

Qu'il suit que ce sac référencé "Voyage", tout comme sa déclinaison référencée "Trip" sont éligibles à la protection instaurée par les Livres I et III du Code de la propriété intellectuelle et que le jugement qui leur a dénié toute originalité doit être infirmé de ce chef ;

Sur la contrefaçon :

Considérant que les appelantes soutiennent que les deux formats du sac référencé "Patricia" commercialisés par la société Chehoma constituent 'incontestablement' des copies serviles des sacs référencés "Voyage" et "Trip" ;

Qu'elles opposent à cette dernière un aveu extrajudiciaire tenant à sa lettre en réponse du 3 octobre 2011 et à l'envoi subséquent d'un courriel à ses clients du 17 novembre 2011 ; qu'elles ajoutent que prétendre qu'il ne s'agit pas d'agissements intentionnels n'exonère aucunement l'intimée de sa responsabilité mais témoigne d'une négligence fautive ; qu'enfin et en réplique aux moyens adverses tendant à contester les éléments de preuve produits (contestation dont la finalité serait, selon elles, "d'asphyxier le débat" en raison d'une faible argumentation sur le fond) elles en soulignent la vanité, rappellent que la preuve est libre en la matière et que rien ne les obligeait à faire pratiquer une saisie-contrefaçon ;

Sur la preuve des actes incriminés :

Considérant que pour affirmer que les appelantes ne démontrent nullement les faits de contrefaçon qui lui sont reprochés, la société Chehoma procède à une analyse circonstanciée de chacun des éléments de preuve qui lui sont opposés, demandant plus précisément que soient écartés des débats trois d'entre eux, à savoir : un bon de commande (pièce 8 des appelantes) et deux constats sur internet (en pièces 15 et 16) obtenus de manière, à son sens, déloyale ;

Considérant que l'intimée soutient, d'abord, que son courriel du 3 octobre 2011 ne peut s'analyser en une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître un quelconque acte de contrefaçon mais plutôt en l'évocation d'un souvenir lointain et incertain concernant un sac dont il n'est pas dit qu'il s'agit du sac "Voyage" ; que l'email adressé à ses clients le 17 novembre suivant ne fait que rapporter les propos du conseil de Madame Kermanac'h ;

Mais considérant que la teneur de ces courriels est la suivante :

(le 3 octobre 2011 - pièce 10) :

"Cher Maître,

J'accuse bonne réception de votre courrier du 15.09.2011, adressé à Monsieur Fache qui ne fait plus partie de la société.

Sans rentrer dans les détails, je tiens tout d'abord à vous assurer que l'intention n'est en aucune manière de plagier quiconque. Il se fait que nous reproduisons très régulièrement des articles chinés afin de les insérer dans notre collection.

C'est d'ailleurs le cas pour ce sac qui à ma souvenance a été acheté sur un marché et envoyé en Asie pour être reproduit dans le cadre de notre collection "bâche vintage" à base d'anciennes bâches de camion.

Notre société n'est pas active dans la maroquinerie mais bien dans la décoration d'intérieur et d'extérieur.

Je vous reviendrai au plus vite sur ce dossier. (...)"

(le 17 novembre 2011 - pièce 13)

Subject : 32261 - Sacs de voyage "Patricia" - articles retirés de notre collection

"Cher client,

Nous vous informons que les sacs référencés 5941110L - 5941110S - 5941120L et 5941120S ont été retirés de notre collection.

En effet, nous venons d'apprendre que ces sacs sont des copies asiatiques du sac "Voyage" créé par Mrs Kermanac'h, designer française, qui nous ont demandé de cesser immédiatement leur commercialisation.

Nous restons à votre entière disposition pour tout renseignement complémentaire à ce sujet. (...)"

Que si les rédacteurs de ces courriels - dont le pouvoir de représenter la société Chehoma ne fait pas l'objet de contestation - ne reconnaissent pas expressément, dans leur formulation, que la société a commis des actes de contrefaçon, il n'en demeure pas moins que le premier courriel est une réponse à une lettre recommandée d'avocat, de sept pages, qui avait pour objet l''utilisation illicite des créations de Madame Anne Kermanac'h/Mise en demeure' dans laquelle le sac "Voyage", photographies à l'appui, était parfaitement identifié ; qu'à juste titre les appelantes soutiennent que, par cette réponse, l'intimée reconnaissait avoir été en possession du sac "Voyage", l'avoir envoyé en Asie pour reproduction et l'avoir insérée dans l'une de ses collections ; que le délai de réponse observé exclut qu'il puisse s'agir de l'évocation hasardeuse d'un vague souvenir de même que les mesures prises, aux termes du courriel adressé aux clients, excluent qu'il ne s'agisse que d'une simple transmission d'information ; qu'il peut, enfin, être relevé que ce dernier courriel vise expressément le sac dénommé "Patricia" et ses divers référencements ;

Que les appelantes sont, par conséquent, fondées à se prévaloir de ces deux documents dans le cadre du présent litige ;

Considérant que la société Chehoma conteste, en deuxième lieu, la force probante de la facture "Tout à loisir" du 2 août 2011, selon elle lacunaire puisqu'elle ne mentionne qu'"un sac", et l'attestation de Madame Meliana Layati du 14 mars 2012, présentée par les appelantes comme un acquéreur (pièces 6 et 6 bis des appelantes); qu'elle argue de la circonstance que ce témoignage ne respecte pas les prescriptions de l'article 202 du Code de procédure civile, que sa rédactrice porte une appréciation juridique en mentionnant qu'il s'agit d'une "copie" et qu'elle se borne à dire qu'elle a vu mais non point qu'elle a acheté le sac incriminé ;

Qu'il convient de considérer que si ces critiques se révèlent pour partie pertinentes du fait de leur imprécision quant à l'objet de l'achat tel qu'invoqué et quant à la personne qui y a procédé, il n'en demeure pas moins que les appelantes ne les produisent que pour exposer de quelle façon leur attention a été attirée par les faits qu'elles dénoncent ; qu'elles n'ont pas une influence déterminante sur la démonstration des faits dans leur argumentation ;

Considérant qu'en troisième lieu, la contestation de l'intimée porte sur l'exemplaire original du "prétendu sac contrefaisant" (pièce 32 des appelantes) présenté comme correspondant à la facture de l'entreprise "Tout à Loisir" ;

Qu'étant relevé que l'intimée ne prétend pas, pour autant, que ce sac ne proviendrait pas de sa collection mais se place sur le seul terrain de la preuve, il y a lieu de considérer que cette critique appelle les mêmes observations ;

Considérant que la société Chehoma conteste, en quatrième lieu, la force probante de l'attestation de Madame Vanina Leonzi déclarant avoir identifié la reproduction du sac "Voyage" au Salon Maison & Objet de Villepinte (pièces 7 et 7bis) pour les mêmes motifs que précédemment ;

Que s'il est exact que cette attestation ne répond pas au formalisme exigé par l'article 202 du Code de procédure civile, il n'en reste pas moins que la société Chehoma n'affirme nullement qu'elle n'a pas exposé le sac argué de contrefaçon dans ce Salon, sur son stand, dans le Hall 1, comme l'affirme le témoin, et que cette dernière peut être considérée comme un observateur pertinent puisqu'elle se déclare gérante et acheteuse d'une SARL ayant commercialisé, durant plusieurs saisons, entre 2006 et 2007, le sac "Voyage" de la marque "An+Ka" ; qu'elle a pu, dans ce document envisagé comme une simple preuve, employer le terme "copie" dans son sens courant sans prétendre à une qualification juridique ;

Considérant qu'en cinquième lieu et pour demander que soit écartée des débats la pièce n° 8 consistant en une facture proforma portant sur la commande de 20 sacs passée par la société OSF le 13 septembre 2011 sur le stand du Salon de Villepinte sus-évoqué, l'intimée reproche aux appelantes d'avoir usé d'un stratagème en toute déloyauté en se dispensant de faire procéder à des opérations de saisie-contrefaçon qui auraient pu, d'ailleurs, se dérouler sur tout le territoire national ;

Qu'il échet de considérer que si n'est pas déterminante l'argumentation des appelantes portant sur le défaut de temps pour mettre en œuvre une saisie-contrefaçon et son caractère coûteux, il n'en reste pas moins qu'aucun texte ne les obligeait à y avoir recours, que le grief de déloyauté dans l'obtention d'une preuve n'est pas circonstancié et qu'ici aussi, la société Chehoma ne remet pas en question la validité de cette facture proforma ni la matérialité des faits de commercialisation, en 20 exemplaires, de sacs vieille bâche (armée) & cuir "Patricia" sous les références 5941110L et 5941120L au prix de 1 640 euros, lors de la tenue de ce Salon professionnel ; que, par ailleurs, la photographie dont fait état l'intimée tout en précisant que "ce bon de commande n'est accompagné d'aucune représentation du sac litigieux" (page 16/30 de ses écritures) n'est pas versée aux débats ;

Qu'il n'y a donc pas lieu d'écarter des débats la pièce n° 8 produite par les appelantes ;

Considérant que la société Chehoma soutient, en sixième lieu, que la planche comparative produite en pièce 26 par ses adversaires ne permet pas de rapporter la preuve de la contrefaçon puisque, non datée, elle est constituée de parties de sacs et qu'il n'est pas démontré que les sacs photographiés correspondent aux sacs opposés ;

Mais considérant que, ce faisant, la société Chehoma ne soutient ni, a fortiori, ne démontre que ce montage photographique simplement destiné à visualiser la reprise, dans le sac référencé "Patricia", de la même combinaison de caractéristiques que celles revendiquées par les appelantes et qui aurait très bien pu être inséré dans le corps de leurs conclusions, représente des sacs étrangers aux sacs référencés "Voyage" et "Patricia" ;

Qu'elle échoue, par conséquent, en sa contestation ;

Considérant que l'intimée demande, enfin, que soient écartés des débats les constats sur internet effectués le 25 mai 2012 (pièces 15 et 16 des appelantes) du fait qu'ils ont été effectués non point par un huissier mais par le serveur de constatation sécurisé Netconstat proposé par une société éponyme ayant des liens avec l'ancien conseil des appelantes et que ces constats ont été effectués par leurs conseils successifs ; qu'un conseil ne saurait, selon elle, être autorisé à "fabriquer" des éléments de preuve sans violer les principes les plus élémentaires en matière d'administration et de loyauté de la preuve ; qu'en tout état de cause, ajoute-t-elle, les deux sites visités concernent des sociétés tierces dont elle n'a pas à répondre ;

Mais considérant que les appelantes répliquent justement que l'identité de l'utilisateur importe peu dès lors que le constat est effectué par un serveur sécurisé et distant ;

Que, par ailleurs, l'intimée laisse sans réponse l'objection des appelantes selon lesquelles les huissiers n'ont pas le monopole des constats sur internet et, qu'en outre, celle-ci s'en tient à une contestation purement formelle sans démontrer, pour autant, que n'ont pas été respectés les pré-requis exigés en la matière (description de la configuration technique du terminal, adresse IP, purge des données, désactivation de la connexion au serveur proxy ou encore synchronisation sur une source de temps fiable), alors qu'ils figurent bien en page 3 de chacun des rapports de constatations techniques produits ; qu'enfin, à aucun moment la société intimée ne soutient que le sac "Patricia" référencé 5041120L, certes offert à la vente sur le site de sociétés tierces, diffère du sac qu'il lui est reproché d'avoir fait fabriquer et commercialisé ;

Qu'il n'y a donc pas lieu, non plus, d'écarter ces deux pièces des débats ;

Sur les actes de contrefaçon :

Considérant qu'alors que les appelantes reprochent à la société Chehoma, d'avoir repris, dans la même combinaison, la totalité des caractéristiques du sac "Voyage" (et de sa déclinaison référencée "Trip") afin de produire un sac identique référencé "Patricia", la société Chehoma n'y apporte aucun élément de contradiction au terme de la contestation relative à l'originalité du modèle revendiqué et des éléments de preuve fournis dont il vient d'être question ;

Que cette reprise non autorisée ressortant effectivement des pièces versées aux débats et l'absence de volonté de "plagier", comme il est proclamé, étant inopérante dans le cadre de la présente action civile, il convient, dans ces conditions, de déclarer Madame Kermanac'h et la société Que du Bonheur, respectivement titulaires du droit moral et des droits patrimoniaux sur le sac "Voyage" et la sac "Trip", bien fondées en leur action en contrefaçon ;

Que le jugement sera, par suite, infirmé de ce chef ;

Sur l'action en "concurrence déloyale et parasitaire" :

Considérant qu'à titre principal, les appelantes se prévalent de faits distincts de la contrefaçon manifestant la volonté de la société Chehoma de se placer dans le sillage de la société Que du Bonheur, laquelle incrimine, à ce titre, le choix de reproduire le modèle phare de la collection An+Ka, outre la création d'un effet de gamme de nature à générer un risque de confusion ainsi que la dévalorisation du sac "Voyage", le détournement de ses investissements et la perte de son image aux yeux des consommateurs ;

Considérant, ceci rappelé, que l'originalité du sac dénommé "Voyage" (et sa déclinaison référencée "Trip") ayant été reconnue, la société Que du Bonheur bénéficie d'un droit privatif sur une œuvre - dont le caractère de "modèle-phare" est insuffisamment attesté par quelques articles de presse élogieux - et ne peut obtenir, sur le fondement de la concurrence déloyale, la sanction de faits qui ne sont pas distincts de ceux qui étaient incriminés au titre de l'action en contrefaçon ;

Que la dévalorisation du produit dont fait état la société appelante est une conséquence inhérente à l'acte de contrefaçon, qu'elle est de nature à l'aggraver mais ne constitue pas un fait distinct; qu'en outre, est banale la pratique consistant à offrir au consommateur des articles permettant de transporter des objets de forme identique mais de contenances différentes afin de les adapter à leurs besoins, de sorte que ne peut être retenu le grief tiré de ce que l'appelante présente comme la création d'un effet de gamme ;

Que la société Chehoma oppose vainement à la société appelante l'objet de son activité qui porte sur la décoration et non sur la commercialisation de produits de maroquinerie ainsi que la destination de "fourre-tout/porte-bûches" du sac référencé "Patricia" dès lors que l'exercice de l'action pour parasitisme ou concurrence parasitaire n'est pas subordonnée à une absence de situation de concurrence entre les parties ;

Que c'est, en revanche, avec pertinence qu'elle se prévaut de l'absence de démonstration d'investissements précisément dédiés aux sacs revendiqués qui auraient généré la valeur économique qu'il lui est reproché d'avoir pillée ; que la simple démonstration de l'embauche d'une attachée de presse par une société qui commercialise l'ensemble des créations de Madame Kermanac'h et entend ainsi assurer la promotion de ses collections, et non point uniquement celle des sacs référencés "Voyage" et "Trip", n'est, à cet égard, pas suffisante ;

Qu'il en résulte que la société Que du Bonheur sera déboutée de sa demande au titre du parasitisme et que la disposition du jugement portant sur le rejet de la demande en concurrence déloyale doit, par motifs substitués, être confirmée ;

Considérant, enfin, qu'il n'y a pas lieu de se prononcer sur les demandes présentées au même titre mais de manière subsidiaire dans l'hypothèse où l'action en contrefaçon aurait été rejetée puisque tel n'est pas le cas ;

Sur les mesures réparatrices :

Considérant que les appelantes sollicitent l'allocation de la somme de 288 100 euros et celle de 100 000 euros venant réparer, respectivement, le préjudice patrimonial subi par la société Que du Bonheur et la préjudice moral subi par Madame Anne Kermanac'h résultant des actes de contrefaçon retenus ;

Que, précisant que la société Chehoma s'est refusée à fournir le nom de l'entreprise asiatique à laquelle elle a confié la fabrication du sac litigieux ainsi que des éléments comptables relatifs à sa commercialisation et jugeant inexploitable le document produit en pièce 14 du fait de son imprécision, elles évaluent à 4 000 le nombre des sacs fabriqués et à 3 600 celui des sacs vendus en fixant un prix moyen de vente à la somme de 63,50 euros ; qu'elles estiment cohérent le chiffre d'affaires de 288 600 euros (sic) auquel elles parviennent pour la vente de cet accessoire puisqu'il correspond à 0,88 % du chiffre d'affaires global de la société Chehoma ;

Que Madame Kermanac'h caractérise son préjudice personnel en faisant état de l'avilissement de ses œuvres par ce 'sac à bûches' ainsi que de son préjudice d'image puisque le sac revendiqué est étroitement lié à sa personne, qu'il est à l'origine de sa réputation et qu'elle a eu connaissance de la contrefaçon par le biais de ses clientes ;

Considérant, ceci rappelé, qu'il y a lieu de relever que les appelantes n'ont pas jugé opportun de faire procéder à des opérations de saisie-contrefaçon de nature à permettre de chiffrer la masse contrefaisante ; que leurs évaluations procèdent de prémisses à tout le moins sommaires et non sérieusement étayées (tels : "les statistiques montrent que tous les fabricants chinois imposent des quantités minima entre 500 et 1 000 pièces pour les entreprises de taille importante" ou que la société Chehoma a "nécessairement commandé la fabrication d'un minimum de 2 000 pièces par saison") ;

Qu'en application des dispositions de l'article L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle (qui reprend les termes-mêmes de l'article 13 de la directive (CE) 2004-48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle), doivent être prises en considération les conséquences économiques négatives subies par le titulaire de droits, ce qui conduit à inclure dans la réparation le gain manqué (à savoir les bénéfices perdus), l'atteinte au monopole du fait de la banalisation et de la dépréciation de l'œuvre et, si la demande en est faite, les bénéfices réalisés par le contrefacteur - lesquels se distinguent du chiffre d'affaires réalisé ;

Qu'en contemplation des termes de la demande ainsi que du document comptable certifié par le commissaire aux comptes de la société Chehoma le 08 mars 2012 dont rien ne permet de suspecter l'authenticité ou la fiabilité (pièce 14 de l'intimée), il convient de retenir que jusqu'à la date de cette attestation et dans l'Etat où le dommage a été subi (la France), a été vendu un total de 231 sacs dans les quatre références du modèle "Patricia", générant un chiffre d'affaires global, hors TVA, de 14 034,63 euros et qu'eu égard aux composantes des conséquences économiques négatives rappelées, le préjudice patrimonial subi par la société Que du Bonheur doit être fixé à la somme de 15 000 euros ;

Que, s'agissant du préjudice moral invoqué par Madame Kermanac'h, celle-ci peut valablement prétendre que l'offre à la vente de sacs contrefaisants ayant vocation à contenir des bûches est de nature à porter atteinte à la perception que la clientèle peut avoir d'une créatrice distinguée par divers organes de la presse spécialisée et que la sape des éléments de sa personnalité à même d'attirer et de fidéliser une clientèle depuis 2004 lui a causé un préjudice moral ; qu'en réparation, il lui sera alloué la somme de 5 000 euros ;

Qu'il échet d'ajouter à ces réparations par équivalent les mesures de nature à faire cesser ou à prévenir la réitération des actes de contrefaçon (interdiction, rappel, confiscation) selon les modalités qui seront précisées au dispositif ;

Que ces mesures réparant à suffisance le préjudice subi, il n'y a pas lieu d'accueillir la demande de publication ;

Sur les demandes accessoires :

Considérant que l'équité conduit à réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Madame Kermanac'h et la société Que du Bonheur sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à leur allouer la somme de 6 000 euros à ce titre ;

Que le jugement sera également infirmé en sa disposition relative aux dépens ; que la société Chehoma, qui succombe et doit être déboutée de ses prétentions accessoires, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ;

Par ces motifs : Infirme le jugement entrepris hormis en ce qu'il a débouté la société à responsabilité limitée Que du Bonheur de sa demande au titre de la concurrence déloyale et, statuant à nouveau ; Rejette la demande de la société de droit belge Chehoma Atelier d'Ambiances SA tendant à voir écarter des débats les pièces adverses numérotées 8, 15 et 16 ; Dit qu'en faisant fabriquer et en commercialisant un sac dénommé "Patricia" référencé 5941110L - 5941110S - 5941120L et 5941120S, reproduisant dans la même combinaison les caractéristiques au fondement de l'originalité du sac référencé "Voyage" (et sa déclinaison référencée "Trip"), la société Chehoma Atelier d'Ambiances a porté atteinte aux droits patrimoniaux de la société à responsabilité Que du Bonheur et au droit moral de son auteur, Madame Anne Kermanac'h ; Fait, en conséquence, interdiction à la société Chehoma Atelier d'Ambiances de fabriquer, d'importer, de commercialiser, d'exporter ou d'offrir à la vente le modèle de sac référencé "Patricia" dans ses collections, quel qu'en soit le format, ou tout modèle qui reproduirait la combinaison des caractéristiques revendiquées des sacs "Voyage" et "Trip" ; Ordonne le rappel dans les circuits commerciaux des modèles "Patricia" contrefaisants, ce sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée huit jours après la signification du présent arrêt, chaque article fabriqué et/ou commercialisé constituant une infraction distincte ; Ordonne la confiscation de tout modèle du sac "Patricia" contrefaisant pour remise à la société Que du Bonheur aux fins de destruction ; Condamne la société Chehoma Atelier d'Ambiances SA à verser à Madame Anne Kermanac'h la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral subi résultant des actes de contrefaçon et à la société Que du Bonheur SARL la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice patrimonial en résultant ; Déboute la société Que du Bonheur de sa demande au titre du parasitisme ; Rejette le surplus des prétentions des parties ; Condamne la société de droit belge Chehoma Atelier d'Ambiances à verser aux appelantes la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance et d'appel avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.