CA Basse-Terre, 2e ch. civ., 28 octobre 2013, n° 12-00867
BASSE-TERRE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Jos de Verteuil & W Boyd (SARL)
Défendeur :
Esso Antilles Guyane (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gaillard
Conseillers :
Mme Gaudin, M. Roger
Avocats :
Mes Martin-Zenoni, Hugon, Werter
Vu le jugement rendu le 20 avril 2012 par le Tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre,
Vu la déclaration d'appel du 10 mai 2012,
Vu les conclusions de l'appelant déposées le 1er août 2013,
Vu les conclusions de l'intimé du 24 septembre 2013,
Vu l'ordonnance de clôture du 30 avril 2013,
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Attendu que la société Jos de Verteuil et W Boyd a saisi le Tribunal de mixte de commerce de Pointe-à-Pitre d'une demande à l'encontre de la société Esso en paiement de la somme de 810 672,46 euros à titre d'indemnité de rupture après 20 années de leurs relations commerciales, correspondant à trois années de commissions versées par Esso ;
Qu'à l'appui de cette demande, elle fait valoir que le contrat du 4 janvier 1988 lui a conféré la qualité d'agent commercial soumis aux dispositions de l'article L. 134-1 du Code de commerce ;
Attendu que le jugement entrepris a rejeté les demandes de la société Jos de Verteuil et W Boyd après avoir retenu que celle-ci n'a pas la qualité d'agent commercial et que la société Esso a mis fin au contrat d'agent distributeur dans le respect strict des termes du contrat entre les parties ;
Attendu que la société Jos de Verteuil et W Boyd conclut à l'infirmation de ce jugement et demande à la cour de :
- dire que les relations contractuelles de DVB avec Esso nouées en 1950 et réitérées par le contrat d'agent commercial conclu le 4 janvier 1988 se placent dans le champ des dispositions de l'article L. 134-1 et suivants du Code de commerce,
- en conséquence, condamner la société Esso au paiement de la somme de 810 672,46 euros à titre d'indemnité compensatrice pour rupture du contrat conclu le 4 janvier 1988 majoré des intérêts de droit à compter de l'assignation avec capitalisation en application des articles 1153 et 1154 du Code civil,
- à titre subsidiaire, disposer de la faculté qui lui est offerte de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle et, en conséquence, lui soumettre la question suivante :
"le droit communautaire et tout particulièrement la directive 86-653 du 18 décembre 1986 doit-il être entendu au sens que :
- la qualité d'agent commercial au sens de la directive 86-653 du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants doit être refusée à une personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant,
- le mot négociation à l'article 3 du paragraphe 2 de ladite directive doit-il s'entendre comme la faculté de modifier les prix conditions et tarifs déterminés par le commettant ou comme la mission de conduire les pourparlers avec les clients"
Surseoir à statuer dans l'attente de la réponse ;
Attendu que la société Esso conclut à la confirmation de ce jugement au motif que l'interprétation du contrat telle qu'elle est présentée par l'appelante est erronée au motif que le distributeur ne disposait d'aucune indépendance et n'avait aucun pouvoir de négociation et n'effectuait aucune activité de démarchage ;
SUR CE
Sur la nature du contrat entre les parties
Attendu qu'aux termes de l'article L. 134-1 du Code de commerce "l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale. Ne relèvent pas des dispositions du présent chapitre, les agents dont la mission de représentation s'exerce dans le cadre d'activités économiques qui font l'objet, en ce qui concerne cette mission, de dispositions législatives particulières" ;
Qu'il résulte de ce texte que la profession d'agent commercial, de nature civile, est un contrat de mandat excluant la réalisation d'actes de commerce passés directement par l'agent ;
Attendu que des pièces versées aux débats, il apparaît que dans la continuité de relations commerciales suivies depuis l'année 1950, suivant acte sous seing privé en date du 4 janvier 1988, la société Esso Antilles Guyane encore dénommée Essant a signé avec la société Jos de Verteuil et W Boyd "DVB" un contrat "d'agent distributeur de bouteilles de gaz" aux termes duquel elle s'est engagée "à distribuer, en qualité de mandataire d'ordre et pour le compte de la société Esso, en exclusivité, du GPL en bouteilles et en vrac sur le territoire de la Guadeloupe", de développer les ventes, conformément à la politique et à la stratégie établie par de la société Esso, en contrepartie de quoi, cette société s'est engagée à donner à l'agent les moyens en matériel, à assurer son renouvellement et son entretien ainsi que la publicité, en rapport avec cette politique ;
Attendu que selon son extrait Kbis, la société Jos de Verteuil et W Boyd est une société commerciale dont l'objet est l'achat, l'importation, la vente d'essence, de pétrole, d'huiles minérales, de toute nature, de leur dérivés et succédanés, l'établissement d'entrepôt pour ces marchandises, la création, l'installation et l'exploitation de stations-services pour l'entretien de véhicules automobiles, la vente de tout mobilier et matériel de bureau, la représentation et le négoce de tous articles français et étrangers, et plus généralement toutes opérations de quelque nature qu'elles soient juridiques économiques et financières, civiles et commerciales, se rattachant à l'objet sus-indiqué ou à tous autres objets similaires ou connexes de nature à favoriser directement ou indirectement le but poursuivi par la société son extension ou son développement ;
Que la société Jos de Verteuil et W Boyd ne justifie pas d'une inscription sur le registre des agents commerciaux tenu au tribunal de commerce dont sont tenus les agents commerciaux en application de l'article 4 du décret n° 58-1345 du 23 décembre 1958 ; que cette inscription est un élément permettant à l'agent commercial de faire la preuve de son activité ;
Qu'aux termes du contrat liant les parties en son article IV, les prestations de l'agent comprendront notamment l'approvisionnement des stations-service du réseau Esso, des revendeurs les consommateurs de gros et de détail, la facturation et l'encaissement pour le compte de la société Esso des charges et des montants de consignation la gestion, l'animation et le développement du réseau des revendeurs conformément à la politique commerciale de la société Esso, l'établissement et la signature de contrats avec les revendeurs pour le compte de la société Esso, la mise en place du matériel de publicité fourni par de la société Esso ;
Que contrairement à ce que soutient la société Jos de Verteuil et W Boyd, celle-ci en vertu du contrat en cause, n'a pas la possibilité de négocier des prix dans le cadre de contrats avec des clients de la société Esso, mais seulement aux conditions imposées par la société Esso ;
Que si elle était en charge d'une activité de développement de l'usage de bouteilles dans l'ensemble de la clientèle domestique et professionnelle, soit une tâche sur les cinq prévues, cette activité dont la preuve du développement n'est pas rapportée apparaît accessoire à l'objet du contrat qui consiste principalement à approvisionner les stations-services du réseau mis en place par la société Esso et ne suffit pas à caractériser une activité de négociation de contrats au sens de l'article L. 134-1 du Code de commerce ;
Qu'aux termes de l'article VI du contrat, le distributeur est tenu de vendre aux prix et conditions générales fixées par la société Esso ;
Que les relevés de commissions de distribution, produites aux débats, telles qu'elles reflètent les activités du distributeur ont été facturées conformément aux stipulations contractuelles de distribution ;
Attendu que rien n'impose au juge de solliciter l'avis de la Cour de justice de l'Union européenne dès lors que la directive a été transposée en droit interne précisément à l'article L. 134-1 du Code de commerce ;
Qu'il n'est pas allégué et encore moins établi que la transposition et la jurisprudence française ne sont pas conformes à ladite directive ;
Qu'en conséquence, la question posée n'est ni sérieuse ni nécessaire à la solution du litige et sera écartée et la demande de sursis à statuer, rejetée ;
Attendu qu'il s'ensuit que la société Jos de Verteuil et W Boyd n'établit pas, au regard de ces éléments, qu'elle a exercé sous couvert du contrat de distribution, une activité d'agent commercial ;
Attendu que c'est par des motifs pertinents, que la cour adopte, que le premier juge a retenu qu'en l'espèce, la société Jos de Verteuil et W Boyd ne disposait pas de l'indépendance attachée au statut d'agent commercial puisqu'elle n'avait pas le pouvoir de négociation et que toutes ses missions étaient placées sous l'égide de la politique et de la stratégie unilatéralement définies par la société Esso ;
Sur la rupture du contrat de distribution
Attendu que le contrat conclu pour une durée déterminée et renouvelable ensuite par tacite reconduction conserve son caractère de contrat à durée déterminée de sorte que, sauf abus, son refus de renouvellement n'ouvre pas droit à indemnité ;
Qu'il est stipulé que le contrat en date du 4 janvier 1988 est conclu pour une période de cinq années renouvelable par tacite reconduction par période de deux ans ;
Que l'article 16 dispose que le contrat peut être résilié par anticipation à la fin de chaque année contractuelle avec un préavis de trois mois ; qu'en cas de résiliation anticipée avant l'expiration de la première période de cinq ans, la société Esso devra payer une indemnité forfaitaire égale à la moyenne des trois dernières années de commission HT plus les frais de promotion HT multipliée par le nombre d'années restant à courir jusqu'à la durée normale d'échéance ;
Attendu que par lettre en date du 4 juin 2008, la société Esso a indiqué, dans le cadre de la réorganisation interne de son activité, qu'elle souhaitait mettre fin à son activité de distribution de bouteilles de gaz, à compter du 1er janvier 2009, et a invité la société distributeur à former une offre de reprise de l'activité ;
Que les parties n'ont pas produit l'offre de reprise de la société Jos de Verteuil et W Boyd déclinée et il n'est pas allégué et encore moins établi que le refus de cette offre est abusif ;
Qu'il n'est pas discuté que la reprise a été faite au profit de la société Rubis Antilles pour une somme de 95 000 euros ;
Attendu qu'il résulte des éléments produits aux débats que la rupture notifiée 5 mois et demi avant le terme du contrat renouvelé suivie d'une offre de reprise n'a pas été abusive ;
Qu'il convient de confirmer le jugement entrepris qui retient que la responsabilité contractuelle de la société Esso n'est pas engagée dès lors que la rupture est intervenue dans le respect strict des termes du contrat entre les parties ;
Attendu qu'il n'y a lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile en première instance ;
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions Condamne la société Jos de Verteuil et W Boyd à verser à la société Esso Antilles Guyane la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Jos de Verteuil et W Boyd aux dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.