Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 30 octobre 2013, n° 2012-12409

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Colas Rail (SA)

Défendeur :

Ministre de l'Economie, des Finances et du Commerce extérieur

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Coujard

Conseillers :

Mme Beaussier, M. Chalachin

Avocats :

Mes Teytaud, Donnedieu de Vabres Tranié

TGI Versailles, JLD, du 23 juin 2004

23 juin 2004

Vu l'ordonnance en date du 23 juin 2004 par laquelle Bernard A, juge de la liberté et de la détention près le Tribunal de grande instance de Versailles :

- a autorisé Jean B, directeur régional, chef de la Direction nationale des enquêtes de concurrence, de consommation et de répression des fraudes, habilité par l'arrêté du 22 janvier 1993, à procéder ou à faire procéder, dans les locaux des entreprises et syndicats d'entrepreneurs suivants, aux visites et aux saisies de tous documents nécessaires à la recherche de la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par les points 1, 2 et 4 de l'article L. 420-1 du Code de commerce et 81-1 du traité de Rome relevés dans le secteur de la construction et régénération des voies ferrées ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée :

- Seco-Rail, <adresse>,

- Seco-Rail <adresse>,

- Esaf, <adresse>

- SETVF, <adresse>,

- TSO, <adresse>,

- TSO Caténaires, <adresse>,

- Cegelec, Centre Est, <adresse>,

- Cegelec, Centre Est, Agence Dauphiné, <adresse>,

- Vossloh Infrastructure Services, <adresse>,

- Amec SPIE Rail (FR), <adresse>,

- Pichenot Bouillé, <adresse>,

- Pichenot Bouillé SA, <adresse>,

- lui a laissé le soin de désigner parmi les enquêteurs habilités par les arrêtés du 22 janvier 1993 et du 11 mars 1993 modifié, ceux placés sous son autorité pour effectuer les visites et saisies ;

- a constaté le concours à lui apporter de MM. Serge C, Gérard D et Jean E, tous trois habilités par l'arrêté du 22 janvier 1993, qui désigneraient parmi les enquêteurs habilités par les arrêtés des 22 janvier et 11 mars 1993 modifié, ceux respectivement placés sous leur autorité pour effectuer les visites et saisies autorisées dans les limites de leur compétence territoriale respective,

- a désigné pour assister aux opérations de visite et de saisie dans les lieux situés dans son ressort et le tenir informé de leur déroulement les officiers de police judiciaire suivants : Yan F, Stéphane G, Dominique H,

- a donné pour les autres lieux, commission rogatoire aux juges des libertés et de la détention des Tribunaux de grande instance de Lyon, Grenoble, Meaux, Aix-en-Provence, Bourg-en-Bresse, Pontoise et Paris, qui exerceraient le contrôle sur les opérations de visite et de saisie et désigneraient à cette fin le ou les officiers de police judiciaire territorialement compétents,

- a indiqué que les entreprises et le syndicat d'entrepreneurs pourraient, à compter de la date des visites et des saisies dans les locaux, consulter la requête et les documents susvisés au greffe de sa juridiction,

- a indiqué que les entreprises et le syndicat d'entrepreneurs visés par l'ordonnance pourraient se pourvoir en cassation dans un délai de cinq jours francs à compter de sa notification quel qu'en soit le mode, que les entreprises sises dans le ressort territorial de son tribunal pourraient le saisir en vue de faire trancher toute contestation relative au déroulement des opérations de visite et saisie, dans les deux mois à compter de la notification de l'ordonnance, en application de l'article L. 450-4 du Code de commerce,

- a dit que l'ordonnance serait caduque si les opérations de visite et de saisie n'étaient pas effectuées avant le 13 juillet 2004 ;

Vu l'arrêt rendu le 3 novembre 2005 par la Cour de cassation qui a rejeté les pourvois formés, notamment par la société Colas Rail, anciennement Seco Rail contre l'ordonnance susvisée,

Vu la décision n° 09-D-25 de l'Autorité de la concurrence relative à certaines pratiques d'entreprises spécialisées dans les travaux de voies ferrées,

Vu l'arrêt rendu le 29 juin 2010 par la Cour d'appel de Paris, qui a rejeté le recours de la société Colas Rail contre l'ordonnance aujourd'hui déférée du 29 juin 2010, renvoyant la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris autrement composée,

Vu l'arrêt rendu le 2 novembre 2011 par la Cour de cassation, cassant l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Paris,

Vu la déclaration de saisine de la Cour d'appel de Paris enregistrée le 29 juin 2012, par laquelle la société Colas Rail, anciennement Seco-Rail, a contesté devant cette cour l'ordonnance susvisée du 23 juin 2004, et d'un recours en annulation ou réformation de la décision n° 09-D-25 de l'Autorité de la concurrence en date du 29 juillet 2009,

Vu les ordonnances en date des 3 et 5 juillet 2012 par lesquelles Sylvie I, conseillère à la cour d'appel de Paris déléguée par le premier président près cette cour,

- a ordonné la disjonction du recours ci-dessus

- a dit que la procédure se poursuivrait sous les n° 2012-12073 pour l'examen de la décision de l'Autorité de la concurrence et sous le n° 2012-12409 pour l'examen du recours formé contre l'ordonnance susvisée du 23 juin 2004, objet du présent litige

- et a fixé une réunion de procédure.

Vu les dernières conclusions déposées le 30 avril 2013, et développées oralement à l'audience, par lesquelles la société Colas Rail demande, au visa de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, L. 450-4 du Code de commerce, de l'arrêt du 2 novembre 2011 de la Chambre commerciale de la Cour de cassation et de l'ordonnance susvisée du 3 juillet 2012 :

- l'annulation de l'ordonnance en date du 23 juin 2004,

- l'annulation de tous les actes prenant appui sur l'ordonnance déférée,

- la restitution de l'ensemble des documents saisis sur le fondement de cette ordonnance,

- l'interdiction à toute personne ou autorité autre que leur propriétaire d'en faire usage en original ou en copie,

- le paiement de la somme de 8 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions développées oralement à l'audience par lesquelles la société P B, au visa des articles 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, 5-IV de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008, de l'arrêt du 2 novembre 2011 et de la jurisprudence, demande voir :

- constater sa qualité à agir dans le cadre de la présente instance, sur arrêt de renvoi de la Cour de cassation

- annuler l'ordonnance susvisée du 23 juin 2004

- ordonner le remboursement des sommes versées au titre de la sanction pécuniaire, outre les intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et leur capitalisation, en vertu des dispositions de l'article 1154 du Code civil

- condamner le ministre de l'Economie au paiement de la somme de 6 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile

- prononcer l'exécution provisoire

Vu le mémoire enregistré au greffe le 26 juillet 2013, par lequel le ministre de l'Economie et des Finances demande voir :

- débouter la société Colas Rail

- déclarer régulière l'ordonnance du 23 juin 2004

Vu les conclusions du Ministère public

MOTIFS :

Sur la recevabilité du recours de la société Pichenot Bouillé

La société Pichenot Bouillé, visée par l'ordonnance déférée, n'a pas enregistré d'acte de saisine de la cour. Elle conclut cependant, au visa de l'article 615 du Code de procédure civile, à l'indivisibilité à son égard, du pourvoi interjeté par la société Colas Rail et à la recevabilité de son recours. Elle considère que le bénéfice de la cassation est étendu aux parties n'ayant pas formé de pourvoi, dès lors que les prétentions de ces dernières sont unies par un lien d'indivisibilité avec celles d'une partie au pourvoi, que dans cette hypothèse, l'extension est de droit.

Aux termes de l'article 615 susvisé, en cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties le pourvoi de l'une produit effet à l'égard des autres même si celles-ci ne sont pas jointes à l'instance de cassation.

La société Pichenot Bouillé ne démontre pas qu'en l'espèce, l'indivisibilité, au sens de l'article 615 susvisé, soit caractérisée par une impossibilité juridique d'exécution simultanée de deux décisions, tenant à leur contrariété irréductible.

Cependant, il résulte des dispositions de l'article 554 du Code de procédure civile que peuvent intervenir en cause d'appel, dès lors qu'elles y ont intérêt les personnes qui n'ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.

En conséquence, la société Pichenot Bouillé est recevable en son recours devant la présente cour de renvoi.

SUR L'INCONVENTIONNALITÉ DE L'ORDONNANCE N° 2008-1161 DU 13 NOVEMBRE 2008

La société Colas Rail expose :

- qu'en vertu de la jurisprudence Ravon, toutes les autorisations de visite domiciliaire antérieures à l'ordonnance du 13 novembre 2008 sont irrégulières car dépourvues d'un contrôle effectif en fait et en droit,

- que les dispositions transitoires rétroactives édictées par l'article 5 IV 2 de l'ordonnance du 13 novembre 2008 sont contraires à l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales en ce qu'elles n'instaurent qu'un recours tardif, alors qu'un arrêt de rejet du pourvoi contre cette ordonnance est déjà intervenu ainsi qu'une décision de condamnation au fond a été publiée,

- que, dès lors, aucun juge appelé à statuer sur ce recours ne serait impartial, alors qu'il serait soupçonnable de vouloir justifier a posteriori la décision de rejet et celle de condamnation.

Sur ce point, l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008, afin de permettre aux personnes ayant fait l'objet de visites domiciliaires antérieures, d'obtenir un contrôle juridictionnel effectif en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite, ainsi que, le cas échéant, des mesures prises sur son fondement, a instauré, par son article 5 IV, un régime transitoire, prévoyant, notamment en son alinéa 2 :

"si l'autorisation de visite et saisie n'a pas fait l'objet d'un pourvoi en cassation ou si cette autorisation a fait l'objet d'un pourvoi en cassation ayant donné lieu à un arrêt de rejet de la Cour de cassation, un recours en contestation de l'autorisation est ouvert devant la Cour d'appel de Paris saisie dans le cadre de l'article L. 464-8 du Code de commerce, hormis le cas des affaires ayant fait l'objet d'une décision irrévocable à la date de publication de la présente ordonnance".

Ce régime s'applique à l'espèce.

1° Sur l'irrégularité des autorisations de visite domiciliaire antérieures à l'ordonnance du 13 novembre 2008

Il n'appartient pas à la cour de céans, saisie de recours contre une ordonnance ayant autorisé une visite domiciliaire et contre les opérations qui en sont résultées, de se prononcer au-delà de sa saisine, sur l'ensemble des autorisations prononcées avant la mise en œuvre des dispositions transitoires, ce qui s'analyserait comme un arrêt de règlement.

En l'espèce, l'Autorité de la concurrence avait, dès le 11 avril 2008, notifié des griefs à la société Colas Rail qui, dès lors, disposait, à compter de l'ordonnance du 13 novembre 2008, d'un recours juridictionnel effectif en fait et en droit.

Ce moyen sera donc rejeté.

2° Sur l'impartialité du juge

Les sociétés Colas Rail et Pichenot Bouillé considèrent que si l'article 5 IV al. 2 susvisé de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008, ouvre une voie de recours contre une ordonnance d'autorisation de visite domiciliaire et de saisie, ce texte ne peut, dès lors qu'un arrêt de rejet de la Cour de cassation du pourvoi contre l'ordonnance d'autorisation et une décision de condamnation au fond sont déjà intervenus, offrir l'accès à un juge impartial.

Mais dès lors qu'une décision déjà prise par une autre formation ne s'impose pas au juge, il appartient à celui-ci d'apprécier en toute indépendance les faits dont il est saisi, quelles que soient les conséquences prévisibles de cette annulation sur le sort du dossier jugé par ailleurs.

C'est donc à juste titre que l'Administration répond que raisonner différemment remettrait en cause le principe du double degré de juridiction et qu'elle affirme que le contentieux des décisions de l'Autorité de la concurrence est d'une toute autre nature que celui de la légalité des ordonnances autorisant les visites domiciliaires et saisies, quand bien même l'annulation de l'autorisation querellée entraînerait des conséquences en cascade sur les sanctions déjà prises. Ces contentieux sont, par ailleurs, examinés par des formations de jugement différentes, excluant tout conflit d'intérêts, alors qu'aucun juge composant la cour n'a eu à connaître précédemment des faits qui sont soumis à son examen.

Ce moyen sera donc rejeté.

3° Sur le délai raisonnable

Chacun a droit à un procès équitable, lequel exige que l'on soit jugé dans un délai raisonnable. Ce délai s'apprécie en considération de la complexité de l'affaire, du comportement des parties et de celui des autorités compétentes.

D'autre part, la durée excessive de la procédure ne peut donner lieu qu'à une indemnisation, sans pouvoir, en aucun cas, entraîner sa nullité.

Les sociétés requérantes considèrent que les dispositions transitoires instaurées par l'ordonnance du 13 novembre 2008, ne respectent pas l'exigence du délai raisonnable.

Mais le délai particulièrement long, près de dix années, qui s'est écoulé depuis l'ordonnance déférée et les opérations de saisie (6 juillet 2004), s'explique, non pas tant par la complexité de l'affaire, que par l'évolution progressive de la jurisprudence qui, à chaque étape de la procédure et à l'occasion de recours exercés par des personnes se trouvant dans des conditions comparables à celle des sociétés requérantes, a accordé aux parties des garanties nouvelles : recours effectif, juge impartial, mesures transitoires à effet rétroactif, permettant la mise en œuvre de dispositions plus protectrices.

Le caractère rétroactif de l'annulation sollicitée pourrait conduire par ailleurs, s'il y était fait droit, et par voie de conséquence, à l'annulation des sanctions prises par l'Autorité de la concurrence, de sorte que le délai écoulé depuis l'autorisation contestée n'est pas de nature à entraîner des conséquences irrémédiables pour la société requérante, laquelle ne sollicite d'ailleurs pas l'allocation de dommages et intérêts.

Il résulte donc de l'enchaînement des procédures successives ayant conduit à la présente décision, qu'aucun manquement de l'État à son devoir de protection juridictionnelle de l'individu n'est établi et que le délai écoulé n'a pas causé une atteinte personnelle, effective et irrémédiable aux parties requérantes dont la demande est, au demeurant, paradoxale, les sociétés Colas Rail et Pichenot Bouillé ayant obtenu le bénéfice de mesures transitoires leur permettant d'exercer un recours effectif contre la décision d'autorisation de visite domiciliaire, et se prévalant du délai écoulé pour parvenir aux avancées obtenues pour réfuter l'examen tant désiré de la décision déférée.

Ce moyen sera donc rejeté

Sur les mérites de l'ordonnance déférée

L'ordonnance du 23 juin 2004 contient une analyse détaillée de documents relatifs à un appel d'offres pour la rénovation de la voie ferrée Cannes-Grasse qui, confrontés aux explications d'un membre de la commission de contrôle économique et financier des transports, ont conduit le premier juge d'en déduire une présomption d'atteinte au libre jeu de la concurrence dans le déroulement de cet appel d'offres.

Le juge a également examiné des documents relatifs à la passation d'un marché de travaux sur la réfection de la ligne n° 6 du métro parisien qui l'ont conduit à considérer qu'il existait des soupçons de concertation frauduleuse sur des prix supérieurs aux prix concurrentiels et des indices de répartition des marchés.

Enfin, divers documents relatifs à un marché de travaux ferroviaires passés par le conseil général de l'Isère, montrait notamment des incohérences tarifaires dans les offres des entreprises, qui ont conduit le juge à présumer l'existence d'une offre de couverture et d'une entente entre soumissionnaires.

Les sociétés requérantes considèrent que le contrôle qui incombait au juge en vertu de l'article 450-4 du Code de commerce, n'a manifestement pas été effectué, dans le court laps de temps séparant la requête de l'ordonnance et qu'il n'existait pas de présomption de l'existence de pratiques illicites.

Sur le contrôle effectif exercé par le premier juge

D'une part, il est indifférent que les termes de l'ordonnance soient identiques à ceux de la requête, dès lors que tant la motivation que le dispositif de l'ordonnance sont réputés établis par le juge qui les a rendus et signés.

D'autre part, l'article L. 450-4 du Code de commerce ne prévoyant aucun délai entre la présentation de la requête et le prononcé de la décision, l'absence de contrôle effectif ne saurait se déduire du temps écoulé entre le jour du dépôt de la requête et la date de l'ordonnance, en l'espèce l'une et l'autre étant datées du 23 juin 2004, ou du nombre des pièces produites au soutien de la requête, au demeurant, assez peu important.

Sur l'appréciation des indices par le premier juge

Comme l'énonce justement la société Colas Rail, les présomptions sont des conséquences que la loi ou le magistrat tire d'un fait connu à un fait inconnu (article 1349 du Code civil) et celles qui ne sont point établies par la loi sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat qui ne doit admettre que les présomptions graves, précises et concordantes et dans les cas seulement où la loi admet les preuves testimoniales, à moins que l'acte ne soit attaqué pour cause de fraude ou de dol (article 1353 du Code civil).

La société Colas Rail, analysant successivement et individuellement chacune des pièces qui ont été soumises au premier juge, (par exemple, le travail de nuit pour le premier marché) fait grief à l'ordonnance déférée d'avoir tiré des conséquences infondées des éléments de fait qui lui ont été soumis.

Mais les indices de pratiques non concurrentielles résultent parfois d'éléments qui, pris individuellement ne sauraient suffire à les caractériser alors que leur réunion, qui ne saurait être le fruit du hasard, constitue précisément l'indice déterminant.

En l'espèce, Il résulte des pièces versées aux débats et dont le premier juge a eu connaissance, que le marché de construction et régénération de la voie ferrée Cannes-Grasse, seul des trois auquel la société Seco Rail ait participé, a présenté les particularités suivantes :

A la suite de l'appel d'offres européen du 25 septembre 2002, la société Réseau Ferré de France avait reçu quatre réponses, dont l'une émanait de la société espagnole Comsa, qui n'avait pas fait acte de candidature mais avait effectué une visite du chantier.

Les offres des trois candidats étaient toutes supérieures au prix établi par le service acheteur (3,71 M euro), soit + 18 % pour Seco Rail, + 22 % pour TSO et + 23 % pour ESAF.

La commission d'appel d'offres avait alors déclaré le marché infructueux et décidé de retenir l'offre de Comsa, supérieure de 7,5 % au prix objectif (4,7 % après recalage). Mais cette entreprise, qui ne disposait pas alors de tous les agréments nécessaires, s'était désistée en mai 2003. Une procédure négociée s'était alors engagée, les entreprises Seco Rail et TSO remettant des offres un peu moindres mais cependant supérieures de 17,34 % et 20,10 % au prix objectif.

La société Comsa, dont le dossier d'agrément avait été accepté, n'avait pas souhaité déposer d'offre et le marché avait été attribué à la société Seco-Rail qui avait proposé une offre proche de celle de Comsa (+ 7,8 % du prix objectif).

Au cours de cette procédure, le syndicat des entrepreneurs de travaux de voies ferrées de France (STEVF) avait adressé un courrier à la SNCF s'étonnant de dérogations accordées à des entreprises étrangères, orientation qui mettait en cause, selon lui, les principes fondamentaux de sécurité de circulation des engins ainsi que "les usages de bonne concurrence (...)."

Cependant, le matériel de cette entreprise espagnole était déjà agréé dans plusieurs autres Etats membres et la société bénéficiait d'une solide expérience dans son pays d'origine (annexe 1 du procès-verbal du 17 décembre 2003, contenu dans l'annexe 3 de la requête)

M. J, contrôleur financier, avait déclaré aux enquêteurs qu'aucun agrément permanent n'était nécessaire pour ces travaux, cas extrêmement rare de voie non "circulée" pour lequel les exigences en sécurité ne sont pas aussi contraignantes que sur les voies "circules". Il avait également indiqué que dans ce secteur très peu concurrentiel, tous les donneurs d'ordre avaient enregistré une forte augmentation des prix affectant toutes les activités de maintenance - régénération de voies nouvelles, et pour partie inexpliquée.

La hausse de 29 % pour la période 1997/2003 n'était pas nécessairement entièrement imputable aux prestataires car "d'une manière générale, on évalue à 10/15 %, la part non explicable des hausses observées au cours des trois dernières années", avait-il noté.

Mais les hausses constatées sur le marché en cause par rapport aux objectifs définis par les donneurs d'ordre excédaient très largement ces valeurs et l'on ne pouvait en attribuer la responsabilité aux exigences de sécurité du donneur d'ordre.

L'invocation du travail de nuit par la requérante comme facteur de majoration du prix n'est donc pas recevable puisque les travaux pouvaient être réalisés de jour, compte tenu de l'absence de circulation sur les voies.

Le prix proche de l'offre faite par le concurrent étranger, auquel a finalement été conclu le marché, constitue un élément en faveur d'une surévaluation des prix initialement proposés par les soumissionnaires nationaux.

Le fait pour Seco-Rail de maintenir lors de la consultation négociée une offre très supérieure à l'estimation était économiquement irrationnel dans un marché très concurrentiel. Celle-ci ne pouvait se concevoir que si l'entreprise était assurée que son prétendu concurrent ferait une offre encore plus élevée, ce qui fut le cas.

Il ressort donc clairement de l'ensemble de ces éléments, tant en ce qui concerne le niveau des prix que le déroulement de la procédure, que des présomptions fortes laissaient présumer qu'à l'occasion de ce marché les entreprises en cause avaient mis en œuvre une concertation visant à désigner par avance l'attributaire du marché, à favoriser artificiellement une hausse des prix du marché et enfin à interdire l'accès au marché d'un concurrent plus performant.

S'agissant du marché de la deuxième tranche des travaux de réfection de la ligne 6 du métro parisien, l'appel d'offre européen lancé par la RATP le 13 août 2003 avait suscité trois candidatures émanant du groupement Amec SPIE Rail/Vossloh et des sociétés TSO et Pichenot Bouillé.

L'entreprise Seco-Rail s'était excusée et Alsthom n'avait pas répondu.

Les prix proposés étant très au-dessus de l'estimation, la RATP avait engagé une négociation sans obtenir de réduction significative et finalement retenu l'offre moins disante de la société Pichenot Bouillé.

La société requérante soutient que l'écart entre l'estimation et les offres s'expliquerait par le fait que la RATP aurait établi son estimation sur la base des prix d'un marché de 1997 n et que le carnet de commande des entreprises était plein. Elle invoque également une probable augmentation des primes d'assurance et les exigences techniques du chantier, faits qui auraient été totalement passés sous silence par l'ordonnance.

Mais le rapport de présentation des offres (annexe 4 de la requête) analyse non seulement le taux horaire, mais aussi le temps passé et les prix proposés étaient très au-dessus de l'estimation RATP : en analysant les sous-détails de prix, on s'aperçoit que les taux horaires et le matériel employé sont au-dessus des prix couramment pratiqués dans la profession. De plus le temps passé pour certaines tâches est surestimé.

Cette analyse atteste que les éléments de comparaison étaient contemporains du marché en cause et a procédé à une évaluation nuancée du niveau de prix, qui pouvait être explicable par certaines caractéristiques du marché (période d'exécution, crainte d'un contentieux susceptible de se solder par une reprise des travaux) et particularités du chantier (métro sur pneus). Cependant les dérives de certains postes ne trouvaient pas de justification.

Le comportement des entreprises a conforté ce constat : au terme de la première phase de la consultation, les offres de TSO (+ 70 %), du groupement Amec SPIE Rail (+ 45 %) et de Pichenot Bouillé (+ 42 %), se situaient très au-dessus de l'estimation.

Au cours de la procédure de négociation, les réductions proposées par les entreprises soumissionnant seules ont été peu significatives, de 3 et 3,8 %, tandis que le groupement maintenait son offre, renonçant à toute chance d'être retenu. La réduction consentie par TSO, vu le montant élevé de son offre initiale, ne lui ménageait aucune chance d'être retenue et, la société Pichenot Bouillé a obtenu le marché avec un rabais minime.

En ce qui concerne les travaux de rénovation du (...), les pièces versées aux débats démontrent l'incohérence des prix unitaires ne tenant pas compte des économies d'échelle, ce qui aurait pourtant dû aboutir à une offre sensiblement moins élevée du groupement Cegelec, à la fois sur le marché qui lui a été attribué et sur celui des travaux en gare.

De plus ce groupement a proposé des prix différents pour des prestations identiques dans les deux marchés. Il a remis une étude de faisabilité géotechnique sur le site de la gare de La Mure, non prévue par le règlement de consultation, mais pas pour le marché concernant les lignes entre les gares. Cette différence traduisait le peu de motivation du groupement Cegelec pour ce dernier marché et laissait présumer que son offre sur ce marché constituait une offre de couverture.

L'invocation par la société Colas Rail d'une éventuelle stratégie commerciale différenciée pour expliquer ces comportements n'est pas de nature à anéantir le soupçon et c'est fort pertinemment que le premier juge a relevé des signes de concertation visant à augmenter artificiellement les prix et a une répartition des marchés entre les groupements TSO Catenaires/Vossloh, attributaire du marché de la restauration des infrastructure électriques entre Saint Georges et La Mure, et Cegelec/Amec SPIE Rail, attributaire des travaux de restauration des infrastructures des gares de Saint Georges et La Mure.

L'analyse des trois marchés ci-dessus confirme ainsi, dans leur globalité, mais aussi, pris individuellement, la réalité des présomptions de pratiques anticoncurrentielles mises en évidence par le juge des libertés et de la détention et c'est donc à juste titre et par des motifs qui doivent être approuvés, que le juge des libertés et de la détention a fait droit à la requête et autorisé les visites domiciliaires critiquées.

La critique des opérations de saisie proprement dites ne reposant que sur celle du bien-fondé de l'ordonnance du 23 juin 2004, les demandes qui en découlent seront rejetées.

Par ces motifs : LA COUR, Reçoit les sociétés Colas Rail et Pichenot Bouillé en leur recours, Les déboute, Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 23 juin 2004 par le juge de la liberté et de la détention du Tribunal de grande instance de Versailles, Rejette toutes autres demandes.