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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. A, 31 octobre 2013, n° 12-05332

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Espace Group (SA)

Défendeur :

Brunet Lecomte, Scop Coop'mag (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gaget

Conseillers :

MM. Martin, Semeriva

Avocats :

Selarl Forestier-Lelièvre, Selarl Stouls, Associés

TGI Lyon, 10e ch., du 21 juin 2012

21 juin 2012

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Lyon Mag' a été fondée en 1995 par M. Brunet Lecomte ; elle se consacrait à l'édition de divers médias de presse régionale, notamment le mensuel Lyon Mag', dont M. Brunet Lecomte était directeur de publication.

Lors de la liquidation judiciaire de la société Lyon Mag', la société Espace Group a acquis la marque "Lyon Mag'", utilisée jusqu'alors pour l'édition de ce magazine.

Faisant grief à M. Brunet Lecomte d'avoir obtenu l'enregistrement, à titre personnel, de la marque "Mag2Lyon", la société Espace Group l'a assigné, ainsi que la société Coop Mag, qui exploite cette marque pour éditer un magazine d'information locale, afin de voir dire ce dépôt frauduleux et les parties adverses pour contrefaçon, concurrence déloyale et parasitisme.

Le jugement entrepris la déboute de l'ensemble de ses demandes et la condamne à payer aux défendeurs, unis d'intérêts, la somme totale de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Espace Group a relevé appel.

Elle considère que, compte tenu de ses fonctions dans la société Lyon Mag, le dépôt par M. Brunet Lecomte de la marque litigieuse ne tendait qu'à frauder les droits des créanciers et du cessionnaire de la marque "Lyon Mag'" en empêchant ce dernier de l'exploiter, en raison du risque de confusion découlant de la proximité des signes enregistrés pour désigner des produits et services identiques ou similaires, peu important qu'il ne connût pas, à l'époque, l'identité de ce cessionnaire.

La société Espace Group soutient qu'en toute hypothèse, la marque seconde est contrefaisante.

Sur la demande reconventionnelle, elle fait valoir qu'elle avait l'intention d'exploiter la marque cédée, que d'ailleurs, elle l'a fait et qu'elle a acquitté pour cela un prix de cession significatif.

La société Espace Group demande en conséquence de réformer le jugement et, au visa de la règle fraus omnia corrumpit et de l'article L. 714-3 du Code de la propriété intellectuelle, de déclarer nul le dépôt de la marque "Lyon2Mag", n° 3630189, de dire que M. Brunet Lecomte et la société Coop Mag se sont rendus coupables de contrefaçon, de leur interdire l'usage du signe incriminé, sous astreinte, d'ordonner diverses mesures de confiscation, d'affichage et de publication et de condamner respectivement M. Brunet Lecomte à lui payer une somme de 100 000 euros en réparation de son préjudice, outre celle de 10 000 euros en ce qui concerne les frais irrépétibles, et la société Coop Mag à lui payer à ces titres celles de 300 000 euros et 10 000 euros, de dire également recevable et fondée son action en concurrence déloyale et parasitaire et de condamner la société Coop Mag à lui payer, de ce chef, une somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts.

La société Coop Mag et M. Brunet Lecomte concluent en commun pour se défendre de toute fraude dans le dépôt de la marque "Lyon2Mag", qui est totalement arbitraire et distincte de la marque "Lyon Mag'" et soutenir que c'est au contraire la société Espace Group qui a frauduleusement acquis la marque première, sans l'exploiter, dans le seul but d'empêcher la relance d'un magazine concurrent.

Ils font valoir par ailleurs qu'il n'existe aucun risque de confusion entre les marques en présence et, en ce qui concerne le grief de concurrence déloyale, que la société espace Group ne peut interdire à la société Coop Mag de se servir de son savoir-faire et de son expérience pour réaliser un nouveau mensuel.

Ils concluent, au visa des articles L. 713-3 et suivants du Code de la propriété intellectuelle et de l'article 1382 du Code civil :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- débouter en conséquence la société Espace Group de l'ensemble de ses demandes, comme étant irrecevables et mal fondées,

- reconventionnellement, la condamner à verser à chacune d'eux la somme de 30 000 euros pour procédure abusive,

- condamner cette société à leur verser la somme de 10 000 euros chacun en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La marque française :

a été enregistrée en 1995, "en lettres blanches sur fond rouge", d'après les précisions données dans le dépôt, et renouvelée depuis, pour désigner : "Papier, carton ; billets (tickets) ; drapeaux en papier et écriteaux en papier et carton ; étiquettes non en tissu ; coffrets pour la papeterie ; porte-affiches en papier et en carton ; sacs, sachets, enveloppes ; pochettes pour l'emballage en papier ; affiches ; aquarelles ; cartes postales, cartes de souhaits ; chromos ; décalcomanies ; dessins ; gravures ; images ; objets d'art lithographiés ; objets d'art gravés ; planches (gravures) ; photogravures ; enseignes en papier ou en carton ; produits de l'imprimerie: journaux, magazines, revues, périodiques, livres ; articles pour reliures ; photographies ; papeterie ; adhésifs (matières collantes) pour la papeterie ou le ménage ; matériel pour les artistes ; pinceaux ; machines à écrire et articles de bureau (à l'exception des meubles) ; matériel d'instruction ou d'enseignement (à l'exception des appareils) ; matières plastiques pour l'emballage: sacs, sachets, pochettes, feuilles d'emballage en matières plastiques ; cartes à jouer ; caractères d'imprimerie ; clichés. Publicité ; gestion des affaires commerciales ; administration commerciale ; travaux de bureau. Distribution de prospectus, d'échantillons. Services d'abonnement de journaux pour des tiers. Conseils, informations ou renseignements d'affaires. Comptabilité. Reproduction de documents. Bureaux de placement. Gestion de fichiers informatiques. Organisation d'expositions à buts commerciaux ou de publicité. Education ; formation ; divertissement ; activités sportives et culturelles. Edition de livres, de revues. Prêts de livres. Production de spectacles, de films. Agences pour artistes. Location de films, d'enregistrements phonographiques, d'appareils de projection de cinéma et accessoires de décors de théâtre. Organisation de concours en matière d'éducation ou de divertissement. Organisation et conduites de colloques, conférences, congrès. Organisation d'expositions à buts culturels ou éducatifs.

La marque française numéro 3630189 :

a été déposée "en couleurs" (le chiffre 2 est en rouge) par M. Brunet Lecomte et enregistrée le 17 février 2009, pour désigner : 16 : Produits de l'imprimerie ; articles pour reliures ; photographies ; articles de papeterie ; adhésifs (matières collantes) pour la papeterie ou le ménage ; matériel pour les artistes ; pinceaux ; machines à écrire et articles de bureau (à l'exception des meubles) ; matériel d'instruction ou d'enseignement (à l'exception des appareils) ; caractères d'imprimerie ; clichés ; papier ; carton ; boîtes en carton ou en papier ; affiches ; albums ; cartes ; livres ; journaux ; prospectus ; brochures ; calendrier ; instruments d'écriture ; objets d'art gravés ou lithographiés ; tableaux (peintures) encadrés ou non ; aquarelles ; patrons pour la couture ; dessins ; instruments de dessin ; mouchoirs de poche en papier ; serviettes de toilette en papier ; linge de table en papier ; papier hygiénique ; couches en papier ou en cellulose (à jeter) ; sacs et sachets (enveloppes, pochettes) en papier ou en matières plastiques pour l'emballage ; sacs à ordures en papier ou en matières plastiques ; 35 : Publicité ; gestion des affaires commerciales ; administration commerciale ; travaux de bureau ; diffusion de matériel publicitaire (tracts, prospectus, imprimés, échantillons) ; services d'abonnement à des journaux (pour des tiers) ; conseils en organisation et direction des affaires ; comptabilité ; reproduction de documents ; bureaux de placement ; gestion de fichiers informatiques ; organisation d'expositions à buts commerciaux ou de publicité ; publicité en ligne sur un réseau informatique ; location de temps publicitaire sur tout moyen de communication ; publication de textes publicitaires ; locations d'espaces publicitaires ; diffusion d'annonces publicitaires ; relations publiques ; 38 Télécommunications ; informations en matière de télécommunications ; communications par terminaux d'ordinateurs ou par réseau de fibres optiques ; communications radiophoniques ou téléphoniques ; services de radiotéléphonie mobile ; fourniture d'accès à un réseau informatique mondial ; services d'affichage électronique (télécommunications) ; raccordement par télécommunications à un réseau informatique mondial ; agences de presse ou d'informations (nouvelles) ; location d'appareils de télécommunication ; émissions radiophoniques ou télévisées ; services de téléconférences ; services de messagerie électronique ; location de temps d'accès à des réseaux informatiques mondiaux ; et 41 : Éducation ; formation ; divertissement ; activités sportives et culturelles ; informations en matière de divertissement ou d'éducation ; services de loisir ; publication de livres ; prêts de livres ; dressage d'animaux ; production de films sur bandes vidéo ; location de films cinématographiques ; location d'enregistrements sonores ; location de magnétoscopes ou de postes de radio et de télévision ; location de décors de spectacles ; montage de bandes vidéo ; services de photographie ; organisation de concours (éducation ou divertissement) ; organisation et conduite de colloques, conférences ou congrès ; organisation d'expositions à buts culturels ou éducatifs ; réservation de places de spectacles ; services de jeu proposés en ligne à partir d'un réseau informatique ; service de jeux d'argent ; publication électronique de livres et de périodiques en ligne ; micro-édition.

- L'action de la société Espace Group tend, d'abord, à l'annulation du dépôt adverse, comme étant frauduleux, puis à la constatation de la contrefaçon de sa marque par la marque "Mag2Lyon" ; celle de la société Coop Mag et de M. Brunet Lecomte tend à voir déclarer frauduleuse l'acquisition de la marque première, puis à rejeter l'action en contrefaçon.

Au regard de la première série de ces demandes respectives, il convient d'examiner si le dépôt ou la cession ont été réalisés dans l'intention de priver autrui d'un signe nécessaire à son activité et, pour ce qui est de la seconde, de rechercher s'il existe un risque de confusion entre les signes.

Dans l'un et l'autre cas, il y a donc lieu d'apprécier si l'activité jusqu'alors développée sous la marque "Lyon Mag'", ou celle menée sous la marque "Mag2Lyon" était empêchée, voire même simplement gênée par l'existence même du signe concurrent, ou si les modalités de son exploitation effective caractérisent une atteinte à l'usage de la marque première.

- Quant au premier aspect de ce débat, les deux marques semi-figuratives superposent visuellement leurs éléments de manière similaire, pour obtenir, dans les deux cas, un signe ramassé ; la présence du chiffre 2, en caractères assez grands pour réunir les deux autres éléments, conduit cependant à une impression globale différente de celle de la marque première ; par ailleurs, la police utilisée dans la marque seconde contribue à la distinguer de la marque "Lyon Mag'", en ce compris l'apostrophe finale, qui n'est pas reprise.

Phonétiquement, les deux marques sont proches, en dépit de l'inversion de leurs éléments verbaux ; il reste cependant que la marque seconde compte une syllabe supplémentaire.

Au plan intellectuel, la différence est très faible, seul le chiffre 2 produisant un décalage.

Il résulte de ces éléments que la marque seconde n'est pas identique à la marque première : elle n'en reproduit pas tous les éléments, sans modification, ni ajout et, considérée dans son ensemble, elle recèle des différences qui ne sont pas si insignifiantes qu'elles peuvent passer inaperçues aux yeux d'un consommateur moyen.

Il existe pourtant des similitudes qui, globalement, ne sont pas très fortes, sauf sur le plan intellectuel, mais qui intéressent les éléments verbaux, dominants de la marque première, quelle que soit leur valeur distinctive propre, ce qui conduit à s'interroger sur l'existence d'un risque de confusion.

De ce point de vue, il est d'abord prétendu que la marque "Lyon Mag'" jouit d'une renommée.

Les références que font les conclusions de la société Espace Group aux règles particulières des article 5 § 2 de l'ancienne directive 89-104 CEE du 21 décembre 1998 et, par conséquent, à celles de l'article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle, ne sont pas opérantes en l'espèce, puisqu'il n'est pas soutenu que les produits et services respectivement couverts doivent être tenus comme non similaires.

Cependant, la connaissance de la marque par une partie significative du public concerné constitue, lorsqu'elle est établie, un facteur pertinent d'examen du risque de confusion.

Les conclusions de M. Brunet Lecomte et de la société Coop Mag concèdent que le mensuel Lyon Mag', créé en 1995 avait acquis sur la région lyonnaise une certaine notoriété en raison du savoir-faire, de la particularité, du caractère et de la singularité de ses fondateurs et de son équipe.

La société Espace Group souligne pour sa part que la marque a été exploitée durant quinze ans, par sa diffusion mensuelle dans toute la région Rhône-Alpes, qu'elle a fait l'objet de nombreuses publicités destinées à promouvoir le produit qu'elle servait à désigner et que, de l'aveu même de son ancien titulaire, cette renommée est acquise par l'utilisation du slogan "un Lyonnais sur deux lit Lyon Mag'".

Il ressort de ces observations convergentes que la marque "Lyon Mag'" a donc été utilisée et promue dans des conditions telles que le public concerné par le magazine édité sous cette marque en connaissait l'existence.

Mais il en résulte seulement que la marque a atteint une notoriété locale, par le fait d'une utilisation conforme à sa fonction même, de sorte qu'il n'est pas justifié d'une notoriété nationale particulière propre à renforcer son caractère distinctif ; il s'agit d'une marque disposant, de ce point de vue, d'une force distinctive normale.

Pour autant, un faible degré de similitude entre les marques peut être compensé par un degré élevé de similitude entre les produits ou services désignés, au point de créer un risque de confusion.

Or, il n'est pas contesté que les produits et services couverts par les deux enregistrements sont identiques ou similaires.

Cette interdépendance des facteurs implique en l'espèce que l'effet des similitudes visuelle, phonétique et conceptuelle entre les signes considérés en leur ensemble, qui ne sont pas très fortes, doit être évalué au regard de cette similarité des produits et services.

Mais, d'une part, la marque première est très peu distinctive ; ces éléments non verbaux sont peu perceptibles et ses éléments verbaux essentiellement descriptifs d'un magazine (en abrégé, Mag') consacré à "Lyon".

Chacun de ces signes, pris isolément, ne peut être monopolisé au détriment des autres opérateurs ayant en vue de créer une revue concurrente ; leur combinaison, d'ailleurs dans un signe semi-figuratif, est seule protégeable

D'autre part, les titres de revue ont couramment un caractère très évocateur, voire quasiment descriptif, afin de sensibiliser le public au contenu qui lui est proposé, ainsi qu'en attestent l'élément verbal de la marque "Lyon Mag'" et le nombre de marques contenant le mot "Mag'", tel que relevé sur Internet par les intimés.

Dès lors, s'agissant précisément de produits et services concernant des activités ayant un rapport assez proche avec l'édition, un décalage assez faible entre les signes ne fait pas obstacle à l'identification par le public de l'origine du produit.

En conséquence, la marque "Mag2Lyon", qui organise d'une manière spécifique certains des éléments peu distinctifs de la marque première, fussent-ils dominants, constitue un signe se différenciant suffisamment de celui de la marque "Lyon Mag'", y compris pour des produits et service très similaires ; elle est propre à identifier, sans risque de confusion, l'origine du produit, comme étant différente de celle du produit désigné par cette marque et ne peut donner à croire qu'il est mis sur le marché par une entreprise économiquement lié au titulaire de cette dernière.

Par ailleurs, les éléments colorés ou graphiques distinguant les deux signes ne sont pas négligeables et contribuent à les distinguer l'un de l'autre.

En conséquence, l'examen global des deux marques en litige montre que l'impression d'ensemble produite par celles-ci sur le consommateur moyennement attentif, normalement informé et n'ayant pas simultanément les deux marques sous les yeux ne peut créer de risque de confusion : la marque seconde n'est pas contrefaisante.

Aucune gêne ou entrave ne résulte de son existence ou de son exploitation et la société Espace Group n'est pas fondée à soutenir que son dépôt a été effectué dans l'intention de priver autrui, et particulièrement le cessionnaire de la marque première, quel qu'il soit, d'un signe nécessaire à son activité.

Il en résulte, de façon symétrique, que M. Brunet Lecomte et la société Coop Mag, qui n'ont pas été empêchés de lancer puis de développer leur journal sous la marque "Lyon2Mag", n'établissent pas que l'acquisition de la marque "Lyon Mag'", quelles qu'en aient été les modalités, constituerait une fraude destinée à leur interdire d'accéder au marché considéré.

Le tribunal a retenu que cette fraude se déduisait pourtant de ce que le président-directeur général de la société Espace Group déclarait dans la presse, au mois de mai 2009, qu'il déciderait dans quelques semaines s'il relancerait le titre.

Mais le fait que le cessionnaire étudie les conditions de cette relance et qu'en définitive le titre n'a pas reparu, n'implique nullement qu'au moment où il s'est porté acquéreur, moyennant un prix important de 189 824,21 euros, il avait déjà décidé d'investir cette somme afin de stériliser la marque.

Cette décision a pu tout aussi bien résulter de l'observation ultérieure du marché et de la place que le magazine "Mag2Lyon" s'y était faite et, faute d'élément contraire déterminant, y compris au regard du long conflit des parties, de leurs alliés ou des fortes oppositions de personnes qui sont décrites dans les conclusions, son caractère frauduleux n'est pas établi.

Et, en toute hypothèse, dans la mesure où les deux marques peuvent coexister sans risque de confusion, ce grief ne peut être accueilli, faute d'atteinte au droit d'exercer une activité concurrente.

- Quant au débat portant sur les modalités d'exploitation de la marque seconde, la société Coop Mag et M. Brunet Lecomte exposent qu'à la suite des actions contentieuses ayant conduit à la déconfiture de la société Lyon Mag', les anciens salariés de cette entreprise se sont regroupés en coopérative afin de créer un nouveau magazine et que M. Brunet Lecomte, qui a souhaité les accompagner dans ce projet, a procédé au dépôt de la marque "Lyon2Mag".

Ces anciens du journal Lyon Mag' ne se sont pas contentés de "créer un nouveau magazine".

Ils ont, en de multiples occasions, présenté "Mag2Lyon" comme l'héritier de "Lyon Mag'" :

- en bandeau, sur la couverture du numéro 1 de la revue (avril 2009) : "L'équipe de Lyon Mag' est de retour !",

- l'éditorial du numéro du mois de mai 2009 : ''tu avais tort de parier sur la mort de Lyon Mag', car Lyon Mag', ce n'est pas simplement un magazine, mais une idée forte, une juste cause",

- en page 12 du journal, à propos précisément du demandeur à la présente instance : "d'où sans doute sa trouille d'avoir à affronter à la loyale l'équipe de Lyon Mag' et son Mag2Lyon",

- en page 13 : "l'esprit Lyon Mag' n'est pas mort, (...), l'esprit Lyon Mag' est de retour avec ce nouveau "Mag2Lyon".

Le courrier des lecteurs témoigne que c'est bien ainsi que les fidèles de la revue précédente l'ont compris (à titre d'exemple, dans le numéro 1 : "se relancer en période de crise, après une année de bagarre, une liquidation (...)").

Et les commentaires de presse recensés par le constat d'huissier dressé le 9 avril 2009 reflètent la même conclusion (à titre d'exemple : "Les Echos" : Mag2Lyon reprend le flambeau de Lyon Mag' en coopérative, (...), pour remplacer le défunt Lyon Mag', en liquidation judiciaire").

Référence étant faite, pour le surplus, aux pièces du dossier qui sont toutes en ce sens et aux conclusions de la société Espace Group, qui en font la citation, il est établi que le nouveau journal a été présenté comme la continuation de l'ancien et a ainsi récupéré les avantages liés à l'ancienneté du titre et à sa notoriété locale.

Ce comportement serait fautif s'il en résultait quelque déloyauté à l'égard de la société Espace Group qui, ayant acquis la marque, se voyait gênée dans un éventuel projet de relance.

Mais, au moment où cette société a acquis la marque "Lyon Mag'", la revue "Mag2Lyon" était déjà dans les kiosques ; c'est en connaissance de cette relance de l'ancien magazine et à un moment où elle était en mesure d'apprécier la possibilité d'user de cette marque, que la société Espace Group a pris la décision de l'acquérir, à un prix pour lequel elle a librement enchéri.

Quel qu'en ait été le mobile (relancer effectivement le magazine ou stériliser la concurrence au profit d'un autre intervenant) son investissement a donc été réalisé dans le cadre d'une information complète et suffisante de la valeur de la marque acquise.

La relance d'un journal héritier de Lyon Mag' ne caractérise pas un acte de parasitisme, puisque l'actif de la société liquidée a été négocié au vu de cette situation.

Le dépôt de la marque concurrente ne peut être qualifié de frauduleux ou même de fautif, même s'il n'a été effectué que pour permettre aux anciens du journal de reprendre leur activité.

Certes, quoique les marques "Lyon Mag'" et "Mag2Lyon" soient, en théorie, suffisamment distinctes pour qu'aucune contrefaçon ne résulte de leur comparaison même, les conditions effectives de leur exploitation pourraient caractériser une faute par création d'un risque de confusion.

Mais cette faute n'est pas constituée en l'espèce, aucun principe ne s'opposant à ce que d'anciens salariés fassent connaître qu'ils poursuivent, notamment en matière de journalisme d'information et d'opinion, l'œuvre d'une publication précédente, éditée par une société ayant désormais disparu.

Dès lors qu'elle connaissait cette situation, la société Espace Group n'est pas fondée, par ailleurs, à soutenir qu'elle aurait subi un préjudice.

Son comportement procédait d'une évaluation des chances de réussite du nouveau magazine et le seul fait que son évaluation ne soit pas vérifiée n'implique ni faute ni dommage consécutif.

Le jugement la déboutant de ses demandes doit être confirmé.

- Le comportement de la société Espace Group ne revêt pas un caractère abusif, dans la mesure où la défense de son droit de marque ne s'est accompagné d'aucun comportement dont résulterait une déloyauté ou une méconnaissance grave de la réalité de ses droits ; il n'est pas plus de "multiplication des procédures", par la simple succession d'une action en référé, puis de la saisine du juge du fond dans le cadre de la présente instance.

Il n'est pas plus établi, enfin, que cette prétendue prolifération procédurale aurait pour objet ou pour effet de priver les anciens salariés de la société Lyon Mag' de leur outil de travail ou d'entraver le développement du journal ; il n'y a eu que litige sur la coexistence possible des signes concurrents.

La demande de dommages-intérêts pour procédure abusive n'est pas fondée.

- La société Espace Group succombe essentiellement ; les dépens d'appel sont à sa charge.

Aucune circonstance ne conduit à écarter l'application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Par ces motifs : LA COUR, - Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, - Y ajoutant, déboute la société Coop Mag et M. Brunet Lecomte de leurs demandes de dommages et intérêts, - Vu l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la société Espace Group à payer à M. Brunet Lecomte et à la société Coop Mag la somme globale de 10 000 euros, - Condamne la société Espace Group aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile par ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande.