CA Versailles, 13e ch., 7 novembre 2013, n° 07-05457
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Free (SAS)
Défendeur :
Libentia (EURL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Belaval
Conseillers :
Mmes Beauvois, Vaissette
Avocats :
Mes Jullien, Khayat, Chouteau, Kuchukian
La société Télécom Italia (Télécom Italia), opérateur de téléphonie et de fourniture d'accès à l'Internet sous l'enseigne "Alice", aux droits de laquelle est aujourd'hui la société Free après l'absorption de Télécom Italia par la société Liberty Surf Group, a conclu le 26 novembre 2003 un contrat d'agent commercial à durée indéterminée avec la société Aclys Consulting, aux droits de laquelle est aujourd'hui la société Libentia (Libentia), afin de recruter des clients sur le territoire français.
Télécom Italia entrait en effet sur le marché français de la téléphonie, à l'occasion de la fin du monopole de France Télécom.
Le 1er juin 2004, les sociétés Télécom Italia et Libentia ont signé un nouveau contrat d'agent commercial, annulant et remplaçant le premier, et s'en distinguant, d'une part, en ce qu'il élargissait le territoire d'intervention de Libentia à d'autres villes, et d'autre part, en ce que les services dont la vente était confiée à Libentia étaient étendus notamment aux services Alice à destination des professionnels.
Quatre avenants à ce contrat ont par la suite été conclus en 2004-2005 modifiant notamment les taux des commissions, les conditions d'acquisition des commissions, ou encore les produits et services Alice vendus.
Un troisième contrat d'agent commercial a été conclu par les parties avec effet au 1er mai 2005 : il modifie à nouveau le territoire contractuel et limite les services Alice concernés à des offres exclusivement destinées aux consommateurs.
Télécom Italia a résilié le 29 juillet 2005 le contrat d'agence commerciale qui la liait à Libentia en invoquant des comportements commerciaux qualifiés de fautes graves.
Estimant que Télécom Italia avait abusivement résilié le contrat sans préavis et commis des manquements graves et répétés à ses obligations contractuelles, notamment d'information et de loyauté en choisissant un concurrent direct de Libentia, la société FDC, pour assurer la gestion des contrats, Libentia l'a assignée le 26 octobre 2005 devant le Tribunal de commerce de Nanterre, pour obtenir sa condamnation à lui payer la somme globale de 1 676 000 euro HT, portée ensuite à la somme de 2 004 496 euro TTC. Par le jugement déféré, en date du 23 mai 2007, cette juridiction a fait partiellement droit à la demande de Libentia en rejetant sa demande relative à la résiliation prétendument abusive du contrat et en accueillant sa demande relative à la réparation du préjudice causé par les manquements contractuels de Free à concurrence de 56 855,41 euro TTC au titre des commissions restant dues et de 150 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation de la concurrence déloyale subie par Libentia du fait de l'intervention de la société FDC et de tous préjudices.
Télécom Italia a interjeté appel de cette décision et Libentia en a formé appel incident. Devant la cour d'appel, le débat s'est cristallisé autour des points suivants :
- les démarchages illicites imputés par Free à Libentia pendant l'exécution du contrat ayant justifié aux yeux de Free la mise en place d'un contrôle systématique des souscriptions qu'elle avait confié à la société FDC, la pratique généralisée de "dé-commissionnements" et la résiliation du contrat pour faute dont la gravité était contestée par Libentia
- les conditions dans lesquelles Télécom Italia avait, selon Libentia, modifié l'équilibre du contrat, avait même vidé celui-ci de sa substance et avait abusivement retenu des commissions auxquelles elle estimait avoir droit.
Par arrêt en date du 11 mars 2010, la Cour d'appel de Versailles a infirmé le jugement déféré et statuant à nouveau, dit abusive la rupture du contrat d'agent commercial de Libentia par Télécom Italia, condamné Free, venant aux droits de Télécom Italia, à payer à Libentia une provision de 350 000 euro à valoir sur le préavis (quatre mois) et les dommages-intérêts pour rupture abusive, ainsi que 12 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. L'arrêt, statuant avant-dire droit sur le surplus, a ordonné une expertise, nommé Monsieur Legris pour y procéder avec mission d'examiner les documents remis par Free pour justifier des "dé-commissionnements" et donner à la cour tous éléments qui lui permettront de déterminer les sommes restant éventuellement dues en fonction de la pertinence des motifs avancés et des preuves apportées pour ces "dé-commissionnements".
Un pourvoi a été formé contre l'arrêt du 11 mars 2010 par Free venant aux droits de Télécom Italia. Par arrêt en date du 10 mai 2011, la Cour de cassation a rejeté un moyen dirigé contre le chef de dispositif ayant dit abusive la rupture du contrat, et a cassé l'arrêt mais seulement en ce qu'il a condamné Free à payer à Libentia une provision sur le préavis qui lui est dû, fixé à quatre mois, et a renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Versailles autrement composée, aux motifs qu'en retenant que compte tenu de la durée des relations un préavis de quatre mois aurait été nécessaire, sans rechercher comme elle y était invitée si la durée du préavis qui devait être calculée en fonction de chacune des années d'exécution du contrat n'était pas moindre compte tenu de la date du début des relations contractuelles le 26 novembre 2003 et celle de la rupture intervenue le 29 juillet 2005, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Libentia a saisi la cour d'appel de renvoi.
Par arrêt en date du 10 avril 2012, la Cour d'appel de Versailles, statuant dans les limites de la cassation partielle, et après avoir constaté que la question de l'indemnisation de Libentia restait l'objet de l'instance pendante par ailleurs en raison de l'absence de dépôt du rapport d'expertise, a dit que Free aurait dû respecter un préavis de deux mois et a rejeté toutes les autres demandes.
Le rapport d'expertise a été déposé le 2 juillet 2012 non sans que la conduite des opérations ait posé quelques difficultés. En effet, le magistrat chargé du contrôle de l'expertise a, le 3 mars 2011, rejeté une demande d'extension de la mission de l'expert présentée par Libentia et tendant à obtenir que les opérations d'expertise portent sur la reconstitution de la totalité des commissions effectivement dues - payées ou non - afin de calculer le montant de l'indemnité de rupture.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 4 juin 2013, Libentia demande à la cour d'appel de :
- juger que la somme de 350 000 euro allouée par l'arrêt du 11 mars 2010 à titre de provision portera intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation introductive d'instance soit le 26 octobre 2005
- constater que l'ensemble des réclamations ont été faites en justice avant le 19 juin 2013 et sont recevables en appel et non-prescrites
- condamner Free à lui payer avec intérêts au taux légal à compter du 26 octobre 2005 les sommes suivantes exprimées en euro et HT, la TVA étant à la charge de Free calculée au taux légal sur chacun des postes :
* 688 990 euro HT au titre des commissions ou des indemnisations sous forme d'indemnité compensatrice des commissions, se décomposant en 140 348 euro HT pour avoirs abusifs ou non justifiés, 46 986 euro HT pour factures impayées, 28 265 euro HT pour le travail de la dernière période mai-août 2005, 10 205 euro HT pour l'annulation des annulations imposées abusivement, 157 827 euro HT pour les commissions non reconnues Scrivener, 177 695 euro HT pour les commissions non reconnues inéligibles, et 127 654 euro HT pour les commissions impayées sur challenges
* 131 380 euro HT au titre de l'indemnisation des deux mois légaux de préavis
* 131 380 euro HT au titre de l'indemnisation du défaut de respect d'un préavis quelconque de rupture
* 3 941 400 euro HT au titre de l'indemnisation de la perte du contrat d'agent commercial
* 1 257 867 euro HT au titre de l'indemnisation de la perte de chance de recevoir les reversements et les primes de fidélité conformément au dernier contrat d'agent
* Ou alternativement 3 941 400 euro HT à titre de dommages-intérêts de réparation de l'absence d'indemnisation contractuelle du préjudice subi
* ou alternativement 1 257 867 euro HT à titre de dommages-intérêts de réparation de l'absence d'indemnisation contractuelle de la perte de chance de recevoir les reversements et primes de fidélité
- condamner Free aux dépens d'appel y compris les frais d'expertise de 19 500 euro HT, et la somme de 20 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Subsidiairement, Libentia demande à la cour d'appel d'ordonner une nouvelle expertise pour aider à l'appréciation du bien-fondé des réclamations relatives à l'annulation des annulations imposées abusivement (10 205 euro HT), aux commissions non reconnues appelées Scrivener (157 827 euro HT), aux contrats inéligibles (177 695 euro HT) et aux commissions impayées sur challenges (127 654 euro HT), soit au total 473 391 euro HT, et dans ce cas, d'allouer les provisions suivantes :
- 215 599 euro HT au titre des commissions traitées dans le rapport Legris
- 42 041,60 euro HT au titre de l'indemnité légale de préavis
- 42 041,60 euro HT au titre de l'absence de respect d'un quelconque préavis
- 1 261 248 euro HT au titre de l'indemnisation de la perte abusive du contrat d'agent commercial
- 402 517 euro HT au titre de l'indemnisation de la perte de chance de recevoir les reversements des primes de fidélité
- alternativement 1 261 248 euro HT au titre de dommages-intérêts de réparation d'absence d'indemnisation contractuelle du préjudice subi
- alternativement 402 517 euro HT à titre d'indemnisation de la perte de chance de recevoir les reversements des primes de fidélité.
Au soutien de ces demandes, Libentia développe les moyens de fait et de droit suivants :
- Libentia insiste en premier lieu sur la description des relations contractuelles entre les parties et souligne la dépendance dans laquelle elle se trouvait par rapport à son mandant, cette dépendance étant caractérisée par la mainmise de Télécom Italia sur la facturation, sa présentation et les corrections à y apporter en fonction des avoirs ou reprises qu'elle imposait à son mandataire.
- la mission confiée à l'expert, dont le périmètre a été fixé par la cour d'appel le 11 mars 2010 en fonction des réclamations formulées devant elle à l'époque, elles-mêmes fondées sur les éléments connus à l'époque, portait sur l'analyse des justifications des refus de paiement par Télécom Italia des commissions dues à Libentia et non sur la sincérité des commissions elles-mêmes dont le bien-fondé est acquis. Il en résulte que le droit à commissions n'est pas l'objet du litige et que la charge de la preuve du bien-fondé du refus des commissions incombe à Free. Cette preuve est d'autant moins apportée que le contrat d'agence commerciale est un contrat civil et que la preuve ne peut être faite par tous moyens. A cet égard, l'expert s'est borné à analyser les copies d'écrans fournies par Free qui reprennent les refus de commissionnements non-contradictoires appliqués par Télécom Italia sans vérifier la réalité, l'authenticité et la pertinence des documents justificatifs des annulations opérées par les clients. En conséquence, l'expert n'a pas pu répondre à sa mission.
- les demandes sont fondées sur l'exécution de bonne foi des engagements contractuels en vertu de l'article. Toutes les demandes présentées actuellement étaient comprises dans la demande initiale, elles n'en sont que le complément ou l'actualisation de sorte qu'elles sont recevables.
- le point de départ de la prescription a été fixé au 29 juillet 2005 dans l'arrêt d'appel du 11 mars 2010, la prescription applicable est celle de l'article L. 110-4 du Code de commerce, soit dix ans, et non celle de l'ancien article 2277 du Code civil, soit cinq ans, car aucun terme périodique n'était fixé pour le paiement des commissions, les demandes sont donc recevables. En outre, la demande en justice a interrompu la prescription.
- Libentia estime avoir droit en premier lieu au paiement du montant des "avoirs" pratiqués de manière injustifiée par Télécom Italia sur le montant effectivement payé des commissions dues sur des opérations facturées entre janvier 2004 et septembre 2005 représentant une somme de 140 348 euro HT.
- elle estime avoir droit ensuite au paiement des sommes déduites de manière injustifiée du montant des commissions par Télécom Italia. Ces déductions pratiquées à concurrence de 46 986 euro HT n'ont été découvertes que lorsque Libentia pu analyser des relevés généraux d'opérations transmis par Télécom Italia bien après la réalisation des opérations.
- elle soutient être fondée à réclamer la rémunération des contrats souscrits entre le 4 mai 2005 et le 10 août 2005 qui n'a pas été prise en compte et qui n'a même pas fait l'objet d'une facturation alors que les droits à commissions existent. Ils ont été reconstitués à partir des listes produites par Free à l'expert.
- elle demande, indépendamment des avoirs imposés par Télécom Italia avec lesquels elle ne fait pas double emploi, la rétrocession des annulations de commissions non justifiées pratiquées sur les quatre premières factures appelées TIF 1, 2, 3, et 5, à concurrence de 10 205 euro HT.
- Libentia se plaint enfin d'avoir subi deux séries de refus de commissions de la part de Télécom Italia aux motifs fallacieux et injustifiés que les contrats de téléphonie souscrits par son intermédiaire ne pouvaient être pris en compte soit parce qu'ils n'étaient pas conformes à la loi "Scrivener" soit parce que les numéros de téléphone n'étaient pas encore enregistrés sur la base de Télécom Italia ou étaient "inéligibles". Elle fait valoir que dans les deux cas, les problèmes rencontrés étaient survenus du fait de Télécom Italia et qu'elle ne saurait avoir à en supporter les conséquences et demande de ce chef les sommes respectives de 157 827 euro HT et de 177 695 euro HT.
- Libentia décrit les pratiques mises en place par Télécom Italia pour motiver son réseau d'agents et notamment l'organisation de challenges ou de grand prix générateurs de primes auxquelles elle était contrainte de participer. Le calcul des primes était fait par Télécom Italia et Libentia prétend que des primes pourtant dues ne lui ont pas été payées à concurrence de 127 654 euro HT ;
- S'agissant de l'indemnisation de la rupture définitivement jugée abusive, Libentia soutient avoir subi différents postes de préjudice qu'elle calcule sur la base des commissions qui ont été effectivement payées et sur celles qui auraient dû être payées. Sachant que les vingt et un mois de collaboration ont généré au total 1 379 491 euro HT de commissions payées ou encore dues, on aboutit à une moyenne de rémunération de 65 690 euro HT par mois. Sur la base de ces commissions, compte tenu de la durée des engagements, de la durée indéterminée du contrat, de la perte financière subie et des prévisions de développement perdues, elle demande une indemnisation égale à 60 mois x 65 690 euro, soit 3 941 400 euro HT.
Par ses dernières conclusions signifiées le 18 juin 2013, Free soulève à titre liminaire l'irrecevabilité de certaines demandes de Libentia comme étant nouvelles et subsidiairement prescrites, à savoir les cinq demandes, successivement formulées par la société Libentia après l'arrêt du 11 mars 2010 dans ses conclusions du 23 décembre 2010, du 10 janvier 2013 et du 7 mars 2013, en paiement d'une somme de 10 205 euro qui correspondrait à des "annulations" de commissions, d'une somme de 157 827 euro qui correspondrait à des opérations non facturées par la société Libentia du fait de rétractations exercées par les clients en application de la loi dite "Scrivener", d'une somme de 127 654 euro au titre de primes sur objectifs prétendument dues, d'une somme de 177 695 euro, au titre d'opérations inéligibles et d'une somme de 1 257 867 euro HT au titre de primes de fidélisation prétendument dues.
Free rappelle que les demandes nouvelles sont interdites en cause d'appel et soutient que les demandes nouvelles de Libentia ne peuvent en aucun cas être considérées comme virtuellement comprises dans les demandes initiales. Elle souligne que la prescription applicable est celle de l'article 2277 du Code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 disposant que se prescrivent par cinq ans les actions en paiement de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts et que tel était bien le cas en l'espèce puisque Libentia recevait chaque mois une facture précisant le nombre de contrats donnant lieu à commission et le nombre de contrats donnant lieu à "dé-commissionnement". Libentia n'est pas fondée à soutenir que la prescription relative à ces créances a été interrompue par la demande en justice puisqu'elles n'ont fait pas l'objet d'une réclamation dès l'origine.
A titre principal, Free demande à la cour :
- Sur l'évaluation des commissions :
- Sur les "dé-commissionnements" soumis à expertise :
Tirant toutes conséquences de droit du défaut de communication par Libentia des documents qu'elle s'était engagée à produire à la demande de l'expert, dire que Libentia ne rapporte pas la preuve qui lui incombe du bien fondé de ses demandes en paiement de commissions retenues ou reprises par Télécom Italia, qu'il y a lieu de retenir la méthode proposée par l'expert pour chiffrer les "dé-commissionnements" sur la base des copies écran extraites de la base de données des abonnés de Télécom Italia, que les "dé-commissionnements" refusés par l'expert résultent d'erreurs d'interprétation des dispositions des contrats d'agents", que Free a rapporté la preuve du bien-fondé des "dé-commissionnements" pour un montant total de 115 230 euro", que les opérations d'expertise ont permis d'établir que la facture TIF 002 a remplacé la facture TIF 001 pour ce qui concerne les commissions de décembre 2003", que les sommes réclamées par Libentia au titre du remboursement des "dé-commissionnements" doivent être diminuées de la somme de 22 545 euro.
En conséquence, juger que le montant du rappel de commissions auquel pourrait prétendre Libentia ne saurait excéder la somme de 2 788 euro (soit 140 563 euro - 115 230 euro - 22 545 euro)"; juger que Free n'est pas redevable de la somme de 46 986 euro HT qui est incluse dans la réclamation de 140 573 euro HT soumise aux opérations d'expertise, n'est pas débitrice de la somme de 8 165 euro HT, que la facture de régularisation du 8 novembre 2006 qui intègre la somme de 8.165 euro HT présente un solde créditeur de 7 613,03 euro TTC au profit de Free, que la demande en paiement de 28 265 euro HT au titre de commissions pour la période du 4 mai au 10 août 2005 ne repose sur aucun fondement, seul un listing établi par Libentia étant produit à l'appui d'une telle demande.
A titre subsidiaire, si la cour considérait que l'évaluation de l'expert est justifiée, juger que le montant des "dé-commissionnements" justifié par Free s'élève à la somme de 78 950 euro";
- Sur les demandes de commissions et primes non soumises à expertise:
Dire que Libentia ne rapporte pas la preuve qui lui incombe des droits à commission dont elle se prétend créancière et ne saurait se contenter de fonder ses demandes sur des listings établis par ses soins et non certifiés, au titre des annulations de commissions qu'elle a opérées de ses propres factures, des opérations ayant fait l'objet de rétractations de clients en application de la loi dite "Scrivener", des contrats inéligibles et des primes d'objectifs qu'elle ne démontre pas avoir atteints" et, en conséquence, débouter Libentia de sa demande en paiement de la somme de 10.205 euro au titre des annulations de commissions qu'elle a opérées de ses propres factures, dont le montant est de surcroît volontairement erroné, débouter Libentia de ses demandes en paiement des sommes de 157 827 euro, au titre de commissions refusées du fait des rétractations de clients en application de la loi dite "Scrivener", et de 177 695 euro au titre de commissions refusées sur des contrats inéligibles, et débouter Libentia de sa demande en paiement de la somme de 127 654 euro à titre de primes sur des objectifs contractuels qui n'ont pas été atteints";
- Sur la moyenne mensuelle des commissions :
Dire que Libentia a procédé à un calcul volontairement erroné de la moyenne mensuelle de ses commissions en y intégrant deux fois les mêmes sommes" et débouter Libentia de sa demande de fixation de la moyenne mensuelle de ses commissions à la somme de 65 690 euro HT"; juger plutôt que la moyenne mensuelle des commissions de Libentia au cours des 21 mois de la relation contractuelle, doit être évaluée à la somme de 26 329 euro HT";
- Sur les indemnités de préavis :
Constater que Libentia hésite pas ignorer les termes de l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Versailles le 10 avril 2012 sur renvoi après cassation, pour tenter d'obtenir la condamnation de Free au paiement d'indemnités de préavis correspondant à quatre mois de commissions" et juger que le montant total de l'indemnité de préavis de Libentia ne saurait excéder deux mois de commissions, soit sur la base de la moyenne mensuelle des commissions pendant la durée des relations contractuelles, la somme de 52 658 euro (2 x 26 329 euro)";
- Sur les indemnités de rupture du contrat d'agent :
Constater que Libentia ne mentionne pas le fondement de ses demandes indemnitaires à hauteur de 3 941 400 euro équivalent 60 mois, soit cinq ans, de commissions dont le calcul est de surcroît exagéré, et débouter pour défaut de fondement Libentia d'une telle demande, en retenant que l'indemnité compensatrice de fin de contrat, ne saurait excéder 12 mois de commissions, soit sur base de la moyenne mensuelle des commissions, la somme de 315 948 euro (12 x 26 329 euro).
Donner injonction à Libentia de produire l'original de la lettre de Télécom Italia du 25 mai 2005 afin d'en vérifier l'authenticité du fait de sa production tardive le 6 mars 2013 et débouter pour défaut de fondement Libentia de sa demande d'indemnisation d'une prétendue perte de chance de recevoir des reversements de primes de fidélité dont l'évaluation à hauteur de 1 257 867 euro ne repose sur aucun document probant,
Débouter Libentia de sa demande en paiement de la TVA sur les indemnités de fin du contrat d'agence.
Débouter Libentia de sa demande subsidiaire de complément d'expertise, eu égard notamment à la réticence et la carence dont elle a fait preuve à l'occasion des opérations d'expertise diligentées par l'expert désigné par l'arrêt de la cour du 11 mars 2010.
Condamner Libentia à payer à Free la somme de 30 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et aux entiers dépens.
SUR CE,
Considérant qu'il est irrévocablement jugé que la résiliation par Free du contrat d'agence commerciale souscrit avec Libentia était abusive et que Free aurait dû respecter un préavis de deux mois ;
Considérant que Libentia formule deux types de demandes, d'une part une demande en paiement de commissions restant dues pour la période d'exécution du contrat et d'autre part une demande de nature indemnitaire en réparation du préjudice subi du fait de la résiliation abusive du contrat ;
I - Sur les demandes en paiement de commissions relatives à la période d'exécution du contrat :
Considérant que ces demandes se décomposent en deux parties, d'une part les demandes qui étaient déjà formellement exprimées au cours des instances antérieures et d'autre part les demandes qui sont présentées par Libentia pour la première fois au cours de la présente instance d'appel et dont la recevabilité est contestée par Free ;
1 - Sur la recevabilité des demandes :
Considérant que l'article 564 du Code de procédure civile interdit aux parties, à peine d'irrecevabilité, de soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ; que l'article 565 du même code dispose que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent ; que l'article 566 autorise les parties à expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément;
Considérant que Free soulève l'irrecevabilité des demandes qui ont été formulées par Libentia après l'arrêt avant dire droit du 11 mars 2010 aux motifs qu'elles seraient nouvelles;
Considérant qu'ainsi qu'il a été mentionné ci-dessus, Libentia formule aujourd'hui une demande globale élevant à la somme de 688 990 euro HT au titre des commissions ou des indemnisations sous forme d'indemnité compensatrice des commissions, se décomposant en 140 348 euro HT pour avoirs abusifs ou non justifiés, 46 986 euro HT pour factures impayées, 28 265 euro HT pour le travail de la dernière période mai-août 2005, 10 215 euro HT pour l'annulation des annulations imposées abusivement, 157 827 euro HT pour les commissions non reconnues Scrivener, 177 695 euro HT pour les commissions non reconnues inéligibles, et 127 654 euro HT pour les commissions impayées sur challenges ; que l'essentiel des demandes prétendument nouvelles, soit les quatre derniers postes, correspond à des postes de "dé-commissionnements" qui n'avaient pas été invoqués auparavant mais qui s'inscrivent dans la discussion globale du bien-fondé des "dé-commissionnements" opérés par Free dont les juges sont saisis depuis l'origine et dont elles constituent le complément ; qu'il faut en conclure qu'elles ne sont pas nouvelles au sens des articles précités ;
Considérant que Free soulève l'irrecevabilité des demandes qui ont été formulées par Libentia après l'arrêt avant dire droit du 11 mars 2010 aux motifs qu'elles seraient prescrites en application des dispositions de l'article 2277 du Code civil dans sa rédaction applicable en la cause;
Considérant que cet article dispose que se prescrivent par cinq ans les actions en paiement de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts ; que cette disposition ne s'applique pas lorsque la créance, même périodique, dépend d'éléments qui ne sont pas connus du créancier ;
Considérant que tant l'article 7 du contrat du 26 novembre 2003 et l'article 6 du contrat du 1er juin 2004, que l'article 6 du contrat du 2 mai 2005, stipulaient que Télécom Italia s'engageait à fournir à Libentia au plus tard le 15 de chaque mois la facture correspondant à sa rémunération pour le mois écoulé ainsi que les éléments de calcul du montant des commissions et que le paiement de la rémunération interviendrait dans un certain délai (trente jours puis de quatorze jours fin de mois) à compter de l'envoi par Télécom Italia de la facture pour compte de Libentia ; qu'il en résulte que pendant toute la durée des relations contractuelles, les commissions dues à Libentia devaient faire l'objet d'un paiement à des termes périodiques inférieurs à une année ;
Considérant que si, dès la deuxième convention du 1er juin 2004, la facturation de la rémunération était expressément confiée à Télécom Italia, si le droit à rémunération était différé au moment de l'activation du service souscrit par le client, et si le montant retenu pour la rémunération pouvait subir des minorations allant jusqu'à 100 % du montant du droit à rémunération dans certains cas décrits dans les stipulations contractuelles (cas du défaut de paiement des commandes par le client, cas de la résiliation du contrat par le client dans les soixante jours, cas des contrats non-conformes, cas des contrats souscrits sans respect des règles relatives au démarchage à domicile des clients), il n'en demeure pas moins que Libentia, qui fournissait à Télécom Italia les contrats souscrits par les clients, était rendue destinataire tous les mois des factures de commissions, des éléments permettant le calcul des commissions et des relevés des cas ouvrant droit à minoration ou à annulation de la commission, lesquels sont produits aux débats ; qu'en conséquence, Libentia était en mesure de connaître dès la facturation tous les éléments dont dépendait sa créance de rémunération ; que le fait qu'elle estime ne pas avoir été en mesure d'apprécier le bien-fondé des refus de commissions est indifférent car cette situation ne l'empêchait pas d'agir en paiement des commissions refusées ;
Considérant que la prescription de l'article 2277 du Code civil trouve à s'appliquer aux demandes de Libentia relatives à des sommes devenues exigibles plus de cinq ans avant la date de leur première réclamation ;
Considérant que Libentia demande le paiement d'une somme de 10 205 euro HT pour "l'annulation des annulations imposées abusivement" sur les premières facturations ; que cette demande a été formulée pour la première fois dans ses conclusions signifiées le 23 décembre 2010 ; qu'à supposer qu'elle soit due, cette somme était exigible en totalité au plus tard trente jours après l'émission de la facture, soit entre les mois de février et avril 2005 ; que plus de cinq ans étant écoulés entre la date d'exigibilité et la date de la demande, et aucun acte interruptif n'étant survenu, celle-ci est prescrite ;
Considérant que Libentia demande le paiement d'une somme de 157 827 euro HT pour les commissions "non reconnues Scrivener", de 177 695 euro HT pour les commissions "non reconnues inéligibles", et 127 654 euro HT pour les commissions "impayées sur challenges" ; que ces demandes ont été formulées pour la première fois dans les conclusions du 23 décembre 2010 pour les deux premières puis du 7 mars 2013 pour la troisième ; qu'à supposer qu'elles soient dues, les commissions correspondantes étaient exigibles, selon les périodes, au plus tard trente jours ou quatorze jours fin de mois après l'émission de la facture de commissions par Télécom Italia pour le compte de Libentia ; qu'il résulte des documents produits par les parties que la plus récente des factures de commissions contestées par Libentia servant de fondement aux demandes litigieuses date du mois d'aout 2005 ; que plus de cinq ans étant écoulés entre la date d'exigibilité des commissions réclamées et la date de la demande, et aucun acte interruptif n'étant survenu, ces demandes sont prescrites ;
Considérant que seront déclarées irrecevables les demandes en paiement des sommes suivantes :
- 10 205 euro HT pour l'annulation des annulations imposées abusivement,
- 157 827 euro HT pour les commissions "non reconnues Scrivener",
- 177 695 euro HT pour les commissions "non reconnues inéligibles",
- et 127 654 euro HT pour les commissions "impayées sur challenges" ;
2 - Sur le bienfondé des demandes :
Considérant que la cour demeure saisie du bienfondé des demandes en paiement de commissions qui ne sont pas prescrites, à savoir :
- 140 348 euro HT pour avoirs abusifs ou non justifiés,
- 46 986 euro HT pour factures impayées,
- 28 265 euro HT pour le travail de la dernière période mai-août 2005 ;
Considérant que l'article L. 134-9 du Code de commerce dispose que la commission est acquise dès que le mandant a exécuté l'opération ou devrait l'avoir exécutée en vertu de l'accord conclu avec le tiers ou bien encore dès que le tiers a exécuté l'opération et que la commission est acquise au plus tard lorsque le tiers a exécuté sa part de l'opération ou devrait l'avoir exécutée si le mandant avait exécuté sa propre part ; que l'article L. 134-10 du même Code dispose que le droit à la commission ne peut s'éteindre que s'il est établi que le contrat entre le tiers et le mandant ne sera pas exécuté et si l'inexécution n'est pas due à des circonstances imputables au mandant et que les commissions que l'agent commercial a déjà perçues sont remboursées si le droit y afférent est éteint ;
Considérant que l'article 6 du contrat du 26 novembre 2003 stipulait que Télécom Italia se réservait le droit d'accepter ou de refuser les clients et que son article 7 consacrait le droit à commission de l'agent sur les seules ventes menées à bonne fin, après encaissement total du prix des commandes directes ou indirectes adressées par les clients et acceptées par Télécom Italia ;
Considérant que l'article 5 du contrat du 1er juin 2004 stipulait toujours que Télécom Italia se réservait le droit d'accepter ou de refuser les clients, en tout ou en partie, et son article 6 stipulait que les commissions n'étaient définitivement acquises à l'agent pour un client donné que dès lors que ce client était actif durant les 90 jours suivant la date d'activation des services auxquels il avait souscrit et avait réglé ses factures relatives aux prestations fournies durant ces trois mois ; que figurait à l'annexe 4 du contrat la table des commissions prévoyant les rémunérations de base, les minorations applicables si le client n'était plus actif dans les 90 jours et les critères pris en compte pour la mesure du statut actif;
Considérant que l'article 6 du contrat du 1er mai 2005 stipulait que Télécom Italia appliquerait une minoration de 100 % du montant de la commission versée au titre de l'activation d'un service si le client au titre duquel la commission a été versée résiliait le service qu'il avait choisi dans les 60 jours suivant la date d'activation dudit service et si cette résiliation avait lieu suite à une réclamation du client due à une inexécution ou mauvaise exécution par Libentia de ses obligations ; qu'un tableau des commissions était annexé au contrat ; qu'il convient d'ores et déjà de relever que le cas de la résiliation par Télécom Italia n'était pas envisagé par les parties de sorte qu'il ne peut constituer un cas de refus de commissions ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1315 du Code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; que réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ; que s'il appartient en conséquence à Libentia de prouver l'existence de son droit à commission par la production des contrats souscrits par les clients par son intermédiaire, il appartient en revanche à Free de démontrer que son obligation de payer les commissions est éteinte à la suite de la survenance d'un événement susceptible de justifier une minoration avant paiement ou l'établissement d'un avoir après paiement ; qu'entre commerçants la preuve peut être faite par tous moyens ;
- Sur les avoirs litigieux :
Considérant que le point de contestation entre les parties concerne la justification par Télécom Italia du bien-fondé des "dé-commissionnements" effectués matériellement au moyen d'avoirs déduits des paiements des commissions facturées ; que si les tableaux établis par Télécom Italia constituent des pièces de référence pour identifier les contrats souscrits par l'intermédiaire de Libentia ouvrant le cas échéant droit à commission, les mentions qui y figurent qui ont été portées par Télécom Italia elle-même sur les causes des minorations ou des avoirs ne sauraient en aucun cas apporter à elles seules la démonstration du bien-fondé des avoirs émis après paiement ; que Free est parfaitement en mesure de démontrer par d'autres moyens que les seules mentions portées sur les tableaux susdits qu'un contrat n'a pas donné lieu à mise en service, ou qu'un client n'est pas resté actif ou qu'il n'a pas réglé ses factures ou encore qu'il a résilié le contrat dans le délai contractuel, voire a usé de la faculté de rétractation ;
Considérant que Libentia demande le paiement de la somme de 140 348 euro HT au titre des avoirs qu'elle conteste ; qu'il résulte des écritures de Free que celle-ci prétend n'avoir pas à produire d'autres pièces justificatives que ses propres tableaux ou fichiers réalisés à partir des écrans des comptes clients ouverts chez elle ; que sa défaillance dans la charge de la preuve, qui lui incombe, de l'extinction de son obligation de payer les commissions correspondant aux contrats souscrits a pour conséquence de démontrer le bien-fondé des demandes de Libentia ; qu'il sera fait droit à ce chef de demande ;
- Sur la facture du 7 octobre 2005 :
Considérant que Libentia demande le paiement de la somme de 46 986 euro HT correspondant à une facture qu'elle a émise le 7 octobre 2005 et qui se rapporte aux commissions qui seraient dues au titre de "contrats soi-disant annulés, preuve jamais reçue" dont une liste était jointe ; que Libentia indique que ces contrats ont bien été souscrits par son intermédiaire mais que Télécom Italia en a contesté dès l'origine l'existence ou la validité de sorte que ces contrats n'ont donné lieu à aucun paiement de commissions ; que s'agissant d'une contestation qui porte, non sur l'établissement par Télécom Italia d'un avoir après paiement ce qui suppose que les contrats ont été à un moment ou à un autre pris en compte, fût-ce pour une courte durée, mais sur la formation elle-même du contrat avec le client, il appartient à Libentia de rapporter la preuve de la souscription de ces contrats, ce qu'elle ne fait pas puisqu'elle se borne à fournir une liste informatique de l'ensemble des contrats ne permettant aucune vérification de leur existence et de leur régularité ; que ce chef de demande sera rejeté ;
- Sur les opérations des mois de mai à août 2005 :
Considérant que Libentia demande le paiement de la somme de 28 265 euro HT au titre des commissions qui seraient dues pour les contrats souscrits entre les mois de mai et d'aout 2005, juste avant la résiliation du contrat d'agence commerciale et qui n'auraient pas fait l'objet de facturation de la part de Télécom Italia ; qu'elle soutient que la liste des contrats concernés a été établie à partir de la liste des contrats annulés sans preuves ou justifications du 7 octobre 2005 ; que la même conclusion doit être tirée de l'absence de preuve de la conclusion de ces contrats avec le client que pour la facture du 7 octobre 2005 ; que ce chef de demande sera rejeté ;
Considérant en conséquence qu'au titre des commissions restant dues pour la période d'exécution du contrat Free sera condamnée à payer à Libentia la somme de 140 348 euro HT, la TVA calculée au taux en vigueur sur ce montant restant à la charge de Free ;
II - Sur la réparation de la résiliation du contrat d'agence commerciale :
Considérant que Libentia demande la condamnation de Free à lui payer les sommes suivantes :
- 131 380 euro HT au titre de l'indemnisation des deux mois légaux de préavis
- 131 380 euro HT au titre de l'indemnisation du défaut de respect d'un préavis quelconque de rupture
- 3 941 400 euro HT au titre de l'indemnisation de la perte du contrat d'agent commercial
- 1 257 867 euro HT au titre de l'indemnisation de la perte de chance de recevoir les reversements et les primes de fidélité conformément au dernier contrat d'agent ;
1 - Sur la recevabilité de la demande de réparation de la perte de chance de percevoir les primes de fidélité :
Considérant que Free soulève l'irrecevabilité de cette demande comme étant nouvelle pour avoir été présentée pour la première fois dans les conclusions signifiées par Libentia le 7 mars 2013 ; que cette demande qui tend à indemniser l'entier préjudice subi du fait de la rupture abusive, dont l'appréciation était déjà confiée aux premiers juges, constitue le complément des demandes d'origine ; qu'elle est recevable ;
2 - Sur la détermination du préjudice :
Considérant que Libentia sollicite deux fois l'indemnisation des deux mois de préavis, la première sur le fondement des dispositions de l'article L. 134-11 du Code de commerce qu'elle appelle préavis légal, et la seconde sur le fondement de l'arrêt de la cour d'appel du 10 avril 2012 ; que la cour d'appel a irrévocablement jugé qu'en application de l'article L. 134-11 du Code de commerce, Libentia aurait dû bénéficier d'un préavis de deux mois ; que Libentia n'est pas fondée à obtenir deux fois l'indemnisation du même préjudice ; que, compte tenu du volume des affaires apportées pendant la période précédant immédiatement la résiliation, et du montant des commissions auquel Libentia pouvait légitimement s'attendre pendant les deux mois de préavis, le préjudice subi par Libentia du fait du non-respect d'un préavis de deux mois sera réparé par l'allocation d'une somme de 80 000 euro ;
Considérant que l'article L. 134-12 du Code de commerce dispose qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ; que cette indemnité a pour objet de réparer la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune ;
Considérant que Libentia sollicite l'indemnisation de la perte du contrat d'agent commercial à concurrence de la somme de 3 941 400 euro HT ; que compte tenu de la durée des relations contractuelles, des circonstances de la résiliation du contrat telles qu'elles ont été relevées par la cour d'appel dans son arrêt du 11 mars 2010, de la conclusion d'un nouveau contrat à durée indéterminée le 2 mai 2005, soit moins de trois mois avant la rupture, laissant légitimement espérer le maintien de relations ayant vocation à se poursuivre pendant plusieurs années, du montant des commissions générées par le contrat et du montant de celles qui auraient pu être raisonnablement attendues pour l'avenir, le préjudice subi par Libentia du fait de la perte du contrat sera réparé par l'allocation d'une indemnité de 750 000 euro ;
Considérant que Libentia sollicite l'indemnisation de la perte de chance de percevoir des primes de fidélité ; que l'article 6-2 du contrat du 2 mai 2005 stipulait que l'agent aurait droit à une commission supplémentaire en cas de fidélisation du client consommateur dans les conditions et les taux définis en annexe 4, c'est-à-dire si le client ne résiliait pas le service qu'il avait souscrit pendant une certaine durée et s'il payait les factures relatives à la fourniture de ce service pendant cette durée ; que le premier seuil de déclenchement du droit à commission supplémentaire était de trois mois de fidélité du client à compter de l'activation du service; que Libentia a perçu entre mai et août 2005, au titre de ces commissions supplémentaires, la somme totale de 26 euro HT ; que Libentia n'a pas cru utile de calculer ce qu'elle aurait perçu à ce titre en 2004 et 2005 si les contrats précédents avaient prévu ce type de commissions ; qu'elle produit aux débats un tableau intitulé "projection prime de fidélité" (pièce n° 328) qui présente sommairement des prévisions de volumes susceptibles de générer des primes de fidélité pendant les cinq ans suivant la résiliation à partir de volumes réels dont le contenu n'est ni ventilé selon l'ancienneté des contrats souscrits avec les clients ni précisé ; qu'en conséquence il convient de retenir que la résiliation du contrat a causé un préjudice caractérisé pour Libentia par la perte de chance de bénéficier de 26 euro de commissions supplémentaires pendant 15 mois, soit 26 euro x 15 = 390 euro ;
Considérant que les indemnités ne sont pas assujetties au paiement de la TVA ; qu'il n'y a pas lieu de prononcer des condamnations TTC ; que Free sera condamnée à payer à Libentia à titre de dommages-intérêts la somme globale de 80 000 euro + 750 000 euro + 390 euro = 830 390 euro ; que s'agissent d'indemnités fixées par le juge, la provision de 350 000 euro à valoir sur l'indemnisation du préjudice allouée par la cour d'appel portera intérêts au taux légal à compter de son arrêt du 11 mars 2010, et que la différence entre le montant de la provision et les sommes ci-dessus portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Considérant que l'équité commande de condamner Free à payer à Libentia la somme de 15 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; que Free sera par ailleurs condamnée aux dépens d'appel qui comprendront les frais d'expertise ;
Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, Déclare irrecevables les demandes présentées par la société Libentia tendant à obtenir paiement des sommes suivantes : - 10 205 euro HT pour l'annulation des annulations imposées abusivement, - 157 827 euro HT pour les commissions "non reconnues Scrivener", - 177 695 euro HT pour les commissions "non reconnues inéligibles", - et 127 654 euro HT pour les commissions "impayées sur challenges" ; Condamne la société Free à payer à la société Libentia la somme de 140 348 euro HT au titre des commissions restant dues, la TVA calculée au taux en vigueur sur ce montant restant à la charge de la société Free, Rejette les autres demandes de la société Libentia tendant à obtenir paiement de commissions supplémentaires, Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société Free relativement à la demande de la société Libentia en réparation de la perte de chance de percevoir les primes de fidélité, Condamne la société Free à payer à la société Libentia la somme globale de 830 390 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la résiliation abusive du contrat du 2 mai 2005, outre les intérêts au taux légal, Dit que la provision de 350 000 euro à valoir sur l'indemnisation du préjudice déjà allouée à la société Libentia par la cour d'appel portera intérêts au taux légal à compter de son arrêt du 11 mars 2010, et que la différence entre le montant de la provision et la somme de 830 390 euro portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, Condamne la société Free à payer à la société Libentia la somme de 15 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Free aux dépens de première instance et d'appel qui comprendront les frais d'expertise et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.