CA Versailles, 13e ch., 14 novembre 2013, n° 13-03153
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Morin (EURL)
Défendeur :
Compagnie des eaux et de l'ozone (SCA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Belaval
Conseillers :
Mmes Beauvois, Vaissette
Avocats :
Mes Guerin-Auzou, Pierrat, Bonneton
Par assignation en date du 30 mars 2012, l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Morin (société Morin) a fait citer devant le Tribunal de commerce de Chartres la société Compagnie des eaux et de l'ozone exerçant sous l'enseigne Véolia Eau (société CEO) aux fins de voir cette dernière condamner à lui payer la somme de 450 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice par elle subi du fait de la résiliation anticipée et abusive des contrats, au visa de l'article 1134 du Code civil et de l'article L. 442-6 du Code de commerce.
La société CEO a soulevé une exception d'incompétence de la juridiction saisie au profit du Tribunal de commerce de Paris en application des dispositions des articles L. 442-6 et D. 442-3 et de l'annexe 4-2-1 du Code de commerce.
Par jugement rendu le 26 mars 2013, le Tribunal de commerce de Chartres a fait droit à l'exception soulevée et s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris.
La société Morin a formé contredit de compétence motivé par déclaration remise au greffe du Tribunal de commerce de Chartres le 4 avril 2013.
Par ordonnance en date du 25 avril 2013, l'affaire a été distribuée à la 13e chambre de la cour et les parties convoquées à l'audience du 16 septembre 2013.
A l'appui de son contredit, la société Morin fait valoir que :
- elle avait renoncé par des conclusions au fond déposées devant le tribunal de commerce au fondement tiré de l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
- concernant le contrat écrit du 1er mars 2010, sa demande d'indemnisation liée à la résiliation anticipée dudit contrat à hauteur de 350 000 euro est fondée exclusivement sur l'application des articles 1134 et 1184 du Code civil et son examen relève de la compétence exclusive du Tribunal de commerce de Chartres en application de la clause attributive prévue à l'article 11 du contrat qui prévoit que les contestations qui s'élèveront entre la société CEO et elle seront soumises au tribunal judiciaire du ressort dont les deux sociétés dépendent et de l'article 48 du Code de procédure civile ;
- le sort des deux contrats verbaux annexes doit être tranché par le Tribunal de commerce de Chartres s'agissant des conséquences de la rupture du contrat principal qui lui-même relève de cette juridiction ;
- il s'agit de prestations exécutées dans le ressort du Tribunal de commerce de Chartres et sa demande en paiement de la somme de 100 000 euro de dommages-intérêts au titre de la perte de ces contrats est formée à titre principal sur le fondement contractuel et, à titre subsidiaire, sur l'article 1382 du Code civil, ce qui justifie la compétence de cette juridiction;
- subsidiairement, la cour ordonnera la disjonction si elle devait considérer le Tribunal de commerce de Chartres incompétent pour statuer sur ses demandes liées aux contrats annexes résiliés avec effet immédiat.
Elle demande donc à la cour de faire droit à son contredit, d'infirmer le jugement et statuant à nouveau, de dire que le Tribunal de commerce de Chartres est seul compétent, subsidiairement d'ordonner la disjonction des demandes, de dire d'une part que la résiliation du contrat écrit principal relève de la compétence du Tribunal de commerce de Chartres et infirmer le jugement, d'autre part, de confirmer le renvoi devant le Tribunal de commerce de Paris pour la rupture immédiate des contrats verbaux.
Elle sollicite également l'infirmation du jugement sur l'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et la condamnation de la société CEO à lui payer 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société CEO a adressé à la cour des conclusions écrites reçues le 1er août 2013 lui demandant de déclarer mal fondé le contredit et de confirmer le jugement du 26 mars 2013, de débouter la société Morin de toutes ses demandes et de la condamner à lui payer une indemnité de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient que :
- la compétence des juridictions spécialisées pour statuer sur le contentieux des pratiques restrictives de concurrence suscité par l'article L. 442-6 du Code de commerce est nécessairement d'ordre public et la société Morin ne peut pas solliciter l'application de la clause d'attribution de compétence puisqu'en vertu de l'article 6 du Code civil, une telle clause ne peut écarter des règles d'ordre public ;
- en réponse aux conclusions d'incompétence, la société Morin a finalement écarté de ses demandes l'application des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce mais force est de constater que le litige dont les termes n'ont pas évolué en cours d'instance porte uniquement sur la notion de rupture brutale des relations commerciales établies relevant de ces dispositions et de son côté, elle vise le cas de force majeure ;
- la règle selon laquelle l'accessoire suit le principal conduit à reconnaître à la juridiction spécialisée la faculté de juger l'intégralité du litige et s'oppose à la disjonction sollicitée.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux dernières conclusions signifiées conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.
DISCUSSION :
Dans l'assignation qui a saisi le Tribunal de commerce de Versailles, la société Morin sollicitait la condamnation de la société CEO au paiement de la somme de 450 000 euro sur un double fondement, à savoir l'article 1134 du Code civil et l'article L. 442-6 du Code de commerce.
La société Morin rappelait dans son acte introductif d'instance que :
- depuis 2000, elle avait conclu successivement différentes conventions de prestations de services avec la société CEO,
- selon contrat écrit du 1er mars 2010 conclu pour une durée déterminée de trois années, la société CEO avait renouvelé le contrat de prestations de services, en lui confiant le transport des boues, du compost, des lixiviats ainsi que l'assistance à l'exploitation de la plate-forme de compostage de Saint-Aubin-des-Bois, qu'elle lui avait également confié selon diverses conventions verbales à durée indéterminée, des prestations annexes portant sur le transport des déchets verts de la déchetterie située à Lucé vers la station de Saint-Aubin, nécessitant l'acquisition de camions à fond mouvant outre un chargeur, et sur le transport du compost confectionné sur l'aire de Saint-Aubin jusque dans les champs des agriculteurs destinataires, ces derniers se chargeant ensuite de l'épandage dans leurs champs ;
- par courrier du 24 octobre 2011, la société CEO lui avait notifié la fermeture de la plate-forme de compostage de Saint-Aubin pour des raisons liées à la réglementation sur la protection de l'environnement et ce dès la fin de l'année 2011, en conséquence la résiliation anticipée de la convention du 1er mars 2010 à l'issue de la fabrication et de l'épandage des derniers andains de compost le 30 avril 2012 et implicitement la rupture brutale des contrats verbaux qui s'exécutaient depuis les années 2000.
La société Morin, décrivant l'ensemble du cycle d'exploitation de la plate-forme de Saint-Aubain et les prestations réalisées, soutenait d'une part que le contrat du 1er mars 2010 ayant été conclu pour une durée déterminée, il devait en application de l'article 1134 du Code civil être honoré jusqu'à son terme et que la société CEO ne pouvait s'en délier de manière unilatérale, que s'agissant des contrats à durée indéterminée, la rupture brutale sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures et des usages reconnus par les accords professionnels ouvrait droit à des dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce.
La société Morin sollicitait donc la réparation des préjudices subis du fait de la résiliation anticipée et abusive du contrat écrit ainsi que du fait de la rupture brutale des contrats verbaux annexes. Elle formait une demande d'indemnisation globale, toutes causes de préjudices confondues, à hauteur de 450 000 euro mais détaillait dans les motifs de l'acte introductif d'instance les divers postes de préjudice au titre du contrat écrit (pertes de chiffre d'affaires sur le compostage des boues sur la dalle, sur le transport des boues et du compost, sur le transport des lixiviats, sur l'entretien semestriel de la plate-forme et sur le transport des composts), au titre des préjudices annexes pour perte du chiffre d'affaires auprès des agriculteurs, au titre du contrat verbal avec la SED, filiale de Véolia (perte de chiffre d'affaires sur la perte des déchets verts) et du contrat verbal d'entretiens des matériels.
La rupture brutale de relations commerciales établies est sanctionnée par l'article L. 442-6 III [sic] alinéa 5 du Code de commerce visée par la société Morin dans son assignation.
Aux termes de cet article, les litiges qui sont relatifs à son application sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret.
Selon l'article D. 442-3 du même code, pour l'application de l'article L. 442-6, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d'outre-mer sont fixés conformément au tableau de l'annexe 4-2-1 du présent livre. Cette annexe désigne pour juridiction compétente dans le ressort de la Cour d'appel de Versailles, le Tribunal de commerce de Paris.
Le législateur a ainsi entendu conférer une compétence exclusive aux tribunaux spécialisés dans le contentieux de l'article L. 442-6 du Code de commerce.
Il résulte des faits de l'espèce et des demandes formées par la société Morin que les contrats verbaux qui ont été selon elle poursuivis dans le cadre d'une relation établie depuis 2000 étaient les accessoires du contrat écrit du 1er mars 2010 et que la rupture brutale intervenue sans préavis a été la conséquence immédiate de la résiliation du contrat principal.
La règle impérative de compétence des juridictions spécialisées en matière de rupture brutale de relations commerciales établies doit conduire en l'espèce à désigner la juridiction spécialisée seule compétente en la matière pour juger le litige en son entier et apprécier l'intégralité des préjudices résultant de la décision du 24 octobre 2011 de la société CEO de mettre fin aux relations existant avec la société Morin.
La clause attributive de compétence figurant à l'article 11 du contrat écrit doit être écartée face au caractère impératif de cette compétence exclusive des juridictions désignées conformément à l'article L. 442-6 du Code de commerce qui a pour effet d'attraire l'ensemble du litige devant le même juge.
La société Morin fait certes valoir qu'elle a désormais abandonné le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce et demande qu'il lui en soit donné acte.
Cependant, elle ne saurait échapper à l'exception d'incompétence soulevée en renonçant artificiellement au visa de l'article L. 442-6 du Code de commerce, postérieurement aux conclusions saisissant le Tribunal de commerce de Chartres de cette exception alors qu'en réalité, le litige n'a pas évolué en cours d'instance portant sur les mêmes conditions de résiliation des contrats, que la société Morin continue à solliciter la réparation du préjudice résultant de la perte brutale des contrats annexes due à la résiliation du contrat principal, qu'elle continue à invoquer un fondement délictuel, ne serait-ce que subsidiairement, et que les chefs des préjudices allégués dont elle sollicite la réparation sont exactement identiques à ceux figurant dans son assignation.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a fait droit à l'exception d'incompétence, sans ordonner la disjonction des demandes.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
Les dépens du contredit seront à la charge de la société Morin.
L'équité commande de la condamner à payer à la société CEO une indemnité de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Rejette le contredit de compétence et confirme le jugement du 26 mars 2013 en toutes ses dispositions. Y ajoutant, Condamne la société Morin aux dépens qui seront recouvrés par les avocats de la cause conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. La condamne à payer à la Compagnie de l'eau et de l'ozone une indemnité de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. La déboute de sa demande au même titre.