CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 20 novembre 2013, n° 12-04791
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Provera France (SAS)
Défendeur :
Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Luc, Nicoletis
Avocats :
Mes Buret, Ponsard
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
La société Provera France est mandataire chargée des achats pour l'enseigne des magasins Cora. A la suite de la loi du 4 août 2008 dite de Modernisation de l'économie, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi (le ministre de l'Economie) a chargé la DGCCRF de vérifier l'existence de pratiques susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat issu de la négociation commerciale. C'est dans ces conditions et à la suite des diligences menées par la DGCCRF auprès de la société Provera France que le ministre de l'Economie a assigné, par acte du 5 novembre 2009, la société Provera France devant le Tribunal de commerce de Meaux aux fins de juger que la clause intitulée "inexécution contractuelle" et la clause intitulée "Modalités de règlement et de facturation" créent un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties au profit de la société Provera France.
Par jugement prononcé le 6 décembre 2011, le Tribunal de commerce de Meaux a :
- dit la demande du ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi recevable et partiellement bien-fondée ;
- donné acte au ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi qu'il renonce à demander la nullité des deux clauses de la convention marque nationale et leur retrait des conventions en cours ;
- donné acte à la société Provera France de ce que le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi ne critique que deux clauses de la convention unique conclue entre la société Provera France et ses fournisseurs ;
- dit et juge que la distorsion des modalités de mise en œuvre des conditions de résiliation pour inexécution contractuelle qui résulte de la clause intitulée "inexécution contractuelle" de l'article 7.3 de la Convention fournisseur de Marque Nationale, dans sa partie relative à la résiliation pour sous-performance du produit, crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au profit de la société Provera France ;
- dit et jugé que la distorsion en matière de délais de règlement applicables à la société Provera France et à ses fournisseurs, qui résulte de la clause intitulée "modalités de règlement et facturation" et du contenu de l'annexe 5 de la convention fournisseur de marque nationale, crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au profit de la société Provera France ;
- dit que ces clauses contreviennent donc aux dispositions de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce ;
- enjoint à la société Provera France de cesser pour l'avenir les pratiques consistant à mentionner les clauses susvisées dans ses contrats ;
- condamné la société Provera France à payer au ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi la somme de 250 000 euro (deux cent cinquante mille euro) au titre de paiement d'une amende civile ;
- condamné la société Provera France à payer au ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi la somme de 3 000 euro (trois mille euro) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le 14 mars 2012, la société Provera France a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions signifiées le 9 septembre 2013, la société Provera demande à la cour de :
- déclarer l'appel recevable et bien fondé ;
En conséquence,
- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Meaux en date du 6 décembre 2011 sauf en ce qu'il a donné acte à la société Provera France de ce que le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi ne critique que deux clauses de la convention unique conclue entre la société Provera France et ses fournisseurs ;
Et statuant à nouveau,
In limine litis,
- constater que l'intimé renonce à ses demandes sur le fondement de l'article 906 du Code de procédure civile ;
En conséquence,
- prendre acte que l'intimé renonce à ses demandes tendant à ce que les pièces à l'appui des premières conclusions de la société Provera soient écartées et à ce que les conclusions n° 2 de la société Provera et les pièces associées soient écartées ;
Sur l'absence de pouvoir spécial du représentant de l'intimé,
- constater que le représentant de l'intimé n'a pas reçu de pouvoir spécial pour introduire l'action et déposer les conclusions ultérieures ;
En conséquence,
- déclarer l'action de l'intimé nulle ;
Et sur l'absence d'information des fournisseurs visés par l'assignation ;
- constater que l'intimé n'a pas notifié l'introduction de son action aux fournisseurs signataires de la convention unique de la société Provera France conformément à la décision n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011 du Conseil constitutionnel ;
En conséquence,
- déclarer l'action de l'intimé recevable ;
Sur la nullité du jugement et l'irrecevabilité des demandes de l'intimé,
- constater que la demande de l'intimé est irrecevable car si la cour y faisait droit, la cour excèderait ses pouvoirs et rendrait un arrêt de règlement en violation de l'article 5 du Code civil ;
En conséquence,
- déclarer la demande de l'intimé irrecevable,
Au fond,
- constater que l'intimé caractérise le prétendu déséquilibre significatif comme résultant de la coexistence des délais de paiement susceptibles d'évoluer à la hausse en ce qui concerne le règlement des marchandises des fournisseurs avec un délai de paiement intangible pour le règlement des prestations de services et du paiement des prestations de services sous forme d'acomptes mensuels ;
- constater que l'intimé ne rapporte pas la preuve que la société Provera France a tenté de soumettre ou soumis ses fournisseurs à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties notamment à l'article 7.3 et à l'annexe 5 de la convention fournisseur marque nationale et à l'article 3 de la convention de prestation de services ;
- constater que les demandes de l'intimé vont à l'encontre du principe de la liberté d'entreprise ;
En conséquence,
- prendre acte que la simple différence entre les délais de paiement des marchandises et les délais de paiement des prestations de services ne constitue pas un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ;
- débouter l'intimé de l'ensemble de ses demandes ;
Et en tout état de cause,
- condamner l'intimé à payer à la société Provera France la somme de 75 000 euro au titre de l'article 700 du CPC.
La société Provera France relève, à titre liminaire, que le ministre chargé de l'Economie abandonne ses demandes sur le fondement de l'article 906 du Code de procédure civile en ce qu'il ne sollicite plus ni dans les motifs de ses dernières conclusions du 20 août 2013 ni dans leur dispositif que soient écartées les pièces communiquées à l'appui des conclusions notifiées au ministre chargé de l'Economie le 20 juin 2012 et les conclusions n° 2 de la société Provera et les pièces y afférentes qui lui ont été notifiés le 18 mars 2013.
Elle démontre que l'action du ministre chargé de l'Economie est nulle et irrecevable du fait de l'absence de pouvoir spécial du représentant du ministre et de l'absence d'information des fournisseurs sur l'introduction de l'action en justice. Par ailleurs, la société Provera France considère que le jugement rendu le 6 décembre 2011 par le Tribunal de commerce de Meaux est nul car il s'apparente à un arrêt de règlement contraire à l'article 5 du Code civil.
La société Provera France développe sur le fond que le ministre chargé de l'Economie ne rapporte pas la preuve de la soumission ou d'une tentative de soumission des clauses aux 33 fournisseurs visés par l'assignation ni de l'existence d'un déséquilibre significatif à travers les deux clauses concernées ni de l'existence d'un préjudice causé aux fournisseurs et d'un trouble à l'ordre public économique.
Elle expose, au surplus, que les clauses litigieuses, à savoir la clause intitulée "inexécution contractuelle" et la clause intitulée "modalités de règlement et facturation", ne figurent pas parmi la liste des clauses établie par le Code de la consommation ni dans celle de la jurisprudence existante en droit de la consommation et en droit de la distribution.
Par conclusions signifiées le 20 août 2013, le ministre de l'Economie et des Finances demande à la cour de :
Sur la procédure,
- constater que le représentant du ministre n'a pas à justifier d'un pouvoir spécial pour introduire l'action et déposer les conclusions afférentes ;
- constater que le ministre n'avait pas à notifier l'introduction de son action aux fournisseurs signataires de la convention unique de la société Provera France, en vertu de la décision n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011 du Conseil constitutionnel ;
- constater que la cour n'excèderait pas ses pouvoirs et ne violerait pas l'article 5 du Code civil dédié aux arrêts de règlement si celle-ci faisait droit aux demandes du ministre ;
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Meaux du 6 décembre 2011, sur la recevabilité de l'action du ministre ;
Au fond,
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Meaux du 6 décembre 2011, sur le fond,
- constater que le ministre apporte la preuve que la société Provera France a tenté de soumettre ou soumis ses fournisseurs à un déséquilibre significatif des droits et obligations des parties, notamment dans la partie relative à la résiliation pour inexécution contractuelle tirée de la sous-performance du produit de l'article 7.3 de la convention ;
- constater que le ministre apporte la preuve que la société Provera France a tenté de soumettre ou soumis ses fournisseurs à un déséquilibre significatif des droits et obligations des parties, notamment par la clause intitulée "Modalités de règlement et facturation" et le contenu de l'annexe 5 de la Convention fournisseur de Marque Nationale, relatives respectivement aux délais de paiement des factures émises par Provera et par le fournisseur ;
- faire droit au ministre de l'ensemble de ses demandes ;
- dire que ces clauses contreviennent aux dispositions de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce ;
- enjoindre à la société Provera France de cesser pour l'avenir les pratiques consistant à mentionner les clauses susvisées dans ses contrats ;
- condamner la société Provera France au paiement d'une amende civile de 2 millions d'euro ;
- condamner la société Provera France à verser au ministre la somme de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le ministre de l'Economie et des Finances soutient que son action est recevable dans la mesure où son représentant n'a pas à produire de pouvoir spécial devant les juridictions civiles et commerciales dès lors qu'il bénéficie de l'arrêté de délégation de pouvoirs du 12 mars 1987. A cette fin, il rappelle que la Cour de cassation l'a confirmé dans sa décision du 16 décembre 2008 l'opposant à la société EMC Distribution.
Le ministre prétend avoir pris acte de la décision QPC 2011-126 rendu par le Conseil constitutionnel le 13 mai 2011 en retirant au cours de la première instance sa demande de nullité des clauses litigieuses pour la remplacer par une demande de cessation des pratiques abusives. Ainsi en vertu de cette décision, le ministre n'a pas à notifier l'introduction de son action aux fournisseurs signataires de la convention unique de la société Provera France. Il fait valoir en outre que son action n'est pas contraire à l'article 5 du Code civil en ce que sa cause est spécifique à la relation entre l'enseigne et ses fournisseurs et qu'ainsi, elle est précise et délimitée. Il ajoute qu'il n'avait pas l'intention de se substituer à la volonté des parties mais de prouver qu'il est possible de parvenir à une solution moins déséquilibrée dans la relation contractuelle des parties. Il expose, par ailleurs, que la société Provera n'a pas respecté les règles de procédure définies par l'article 906 du Code de procédure civile puisque les conclusions et les pièces afférentes n'ont pas été communiquées simultanément. Il démontre, sur le fond, que la société Provera France a tenté de soumettre ou soumis ses fournisseurs à un déséquilibre significatif des droits et obligations des parties, dans la partie relative à la résiliation pour inexécution contractuelle tirée de la sous-performance du produit de l'article 7.3 de la convention ainsi que par la clause intitulée "Modalités de règlement et facturation" et le contenu de l'annexe 5 de la Convention fournisseur de Marque Nationale, relatives respectivement aux délais de paiement des factures émises par la société Provera et par le fournisseur. A cette fin, il soulève d'une part, que l'article 7-3 ne distingue pas entre les cas ouvrant droit à résiliation et ceux entraînant un déférencement partiel et d'autre part, que la clause prévue par ce texte place le fournisseur dans une situation d'insécurité juridique et commerciale intolérable dans la mesure où le distributeur dispose du droit de déréférencer l'ensemble de ses produits dès lors qu'une seule référence ne remplirait pas les objectifs définis et ce, même si ces méventes lui sont directement imputables.
De plus, le ministre conteste le fait que les délais de paiement des factures de prestations de service que s'octroie la société Provera à l'article 3 du contrat de prestations de services soient fixés de manière intangible à un niveau bas alors que les délais de paiement des marchandises de ses fournisseurs sont négociables et fixés à un niveau majoritairement supérieur. Il fait valoir que son action étant autonome, il n'est pas tenu de démontrer l'existence d'un préjudice et d'un dommage à l'économie actuelle.
Sur ce :
Considérant que la cour ne statue que sur ce qui est expressément demandé par les parties dans le dispositif de leurs conclusions, qu'ainsi, elle ne statuera pas sur la demande formée en application de l'article 906 du Code de procédure civile par le ministre qu'il a abandonnée,
1) Sur l'irrecevabilité de la demande du ministre :
Sur l'absence de pouvoir spécial :
Considérant que la société Provera soutient que Monsieur Quéméré directeur départemental de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes n'avait pas de pouvoir spécial prévu par les articles 853 et 871 du Code de procédure civile pour introduire l'action en justice sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce de sorte que "l'introduction de l'action en justice" est nulle; que le ministre soutient que le pouvoir spécial n'est pas nécessaire ;
Considérant qu'il résulte des termes de l'article L. 470-5 du Code de commerce et de l'arrêté du 12 mars 1987 toujours en vigueur pris sur le fondement de l'article 56 de l'ordonnance du premier décembre 1986 devenu l'article L. 470-5 du Code de commerce et portant délégation de pouvoir du ministre, que ce dernier habilite les directeurs départementaux de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à le représenter devant les juridictions civiles et commerciales, que le directeur départemental de la concurrence n'a par conséquent pas besoin de justifier d'un pouvoir spécial pour agir au nom du ministre, que dans le cadre de la réforme des services décentrés de l'Etat, le décret 2009-1377 du 10 novembre 2009 a transféré certaines missions de contrôle du fonctionnement du marché aux directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi et que l'article R. 470-1-1-20 du Code de commerce désigne désormais comme représentant du ministre pour l'application de l'article L. 470-5 du Code de commerce dans les actions fondées sur l'article L. 420-6 du Code de commerce les directeurs régionaux des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi ;
Considérant toutefois que lors de l'introduction de l'action le 5 mars 2009 à une date antérieure à la réforme des services décentrés de l'Etat, Monsieur Quéméré était directeur départemental de la concurrence, de l'emploi et de la répression des fraudes ; qu'en application de l'arrêté du 12 mars 1987, il était habilité à représenter le ministre au sens de l'article 56 de l'ordonnance du premier décembre 1986 et devenue l'article L. 470-5 du Code de commerce et n'avait pas à fournir de pouvoir spécial pour introduire l'action en justice,
Considérant que l'introduction de l'action a été conduite régulièrement ;
Sur l'appel à la cause des fournisseurs :
Considérant que selon la société Provera, il résulte de la décision du Conseil constitutionnel du 13 mai 2011 n° 2011-126 QPC, que le fournisseur doit être informé de l'introduction de la demande, qu'il doit ainsi avoir la possibilité de s'exprimer sur une action fondée sur une action contractuelle quelle qu'elle soit dès qu'elle le concerne en intervenant à l'instance pour défendre ses intérêts, soit pour "dédouaner" la partie poursuivie, soit pour obtenir une aggravation de la condamnation ; que le retrait par le ministre des demandes d'annulation des clauses et de cessation des pratiques dans les contrats en cours est inopérant puisque les fournisseurs sont toujours concernés par la demande de cessation des pratiques pour l'avenir de sorte que l'absence d'information de ceux-ci, les privant de la possibilité de participer ou non au procès qui les concerne, viole les principes du droit au recours effectif et de la liberté contractuelle ; que déclarer recevable l'action du ministre qui, par une "construction purement artificielle" a "maintenu une demande distincte de cessation par l'avenir en soutenant qu'elle serait d'une autre nature que la demande de cessation des pratiques pour le présent" et n'a pas informé les fournisseurs de son action, revient à contourner la décision du Conseil constitutionnel ;
Considérant que le ministre rappelle que l'objectif de son action est d'empêcher la réitération des pratiques illicites pour l'avenir en s'appuyant nécessairement sur les contrats et clauses qui ont pu exister et qui démontrent un déséquilibre significatif, que le Conseil constitutionnel a seulement précisé que l'information était nécessaire lorsque l'action avait pour objet la nullité, la restitution de l'indu et la réparation du préjudice subi par les pratiques illicites ;
Considérant que ce soit dans la décision ou dans le commentaire qu'il en a fait, le Conseil constitutionnel a envisagé l'information des fournisseurs dans le cadre de l'action en nullité contractuelle et en restitution de sommes d'argent, ce qui n'est pas l'objet du litige actuel ; que le ministre qui demande dans les termes de l'article L. 442-6 III alinéa 2 du Code la cessation des pratiques pour l'avenir sans désormais solliciter la nullité des contrats les comportant n'intervient pas dans le champ contractuel des parties ; qu'en exerçant une action qui lui est propre, il n'a pas l'obligation d'informer les fournisseurs de sa démarche ; qu'en outre, il n'est pas interdit aux fournisseurs d'engager les actions en justice pour faire valoir des droits ou encore de se joindre à l'action du ministre ; que le ministre n'encourt pas les critiques de violation du droit au recours effectif et d'entrave à la liberté contractuelle ;
Nullité du jugement et appréciation des clauses :
Considérant que la société Provera fait valoir que le juge saisi d'une demande concernant des contrats futurs dont le contenu n'est pas connu se livre à une analyse in abstracto du "déséquilibre significatif" et viole l'article 5 du Code civil qui prohibe les arrêts de règlement ;
Considérant toutefois, comme le remarque le ministre, que la cause soumise à la juridiction est limitée et précise : que les clauses, le déséquilibre qui en résulte sont bien identifiés ; que le ministre agit pour empêcher la réintroduction dans les contrats entre distributeur et fournisseurs identifiés ou non de clauses reprises chaque année, qu'il exerce une action autonome de protection de fonctionnement du marché et de la concurrence ; que l'existence d'un préjudice pour les fournisseurs ou d'une atteinte au marché n'a pas à être démontrée pour qu'une sanction soit prononcée ; que le juge ne se lie pas pour l'avenir en statuant sur la demande,
2) sur le fond :
Sur la preuve sur la tentative de soumission :
Considérant que la société Provéra fait valoir que la "tentative de soumission" ne peut être déduite de la mise à disposition d'une trame type de contrat, et que, contrairement à ce que soutient le ministre selon lequel il s'agit de contrats d'adhésion, la discussion, la négociation sont possibles ; que la mise à disposition d'une trame type répond à la nécessité de conformer à de nombreuses dispositions civiles et pénales dans des délais extrêmement contraints chaque année, parfois dans un contexte économique très tendu, et de prévoir certaines dispositions contractuelles nécessaires à la relation commerciale ; que la trame type de contrat n'interdit pas la négociation ; que certains des fournisseurs s'y opposent, font des réserves, ne signent pas l'annexe 5 qui contient les clauses critiquées et que d'autres les acceptent ; que si les réserves ne sont pas acceptées par Provera, il n'existe pas d'accord sur les clauses qui ne sont alors pas opposables aux fournisseurs, et que le ministre ne justifie pas ici que les clauses ayant fait l'objet de réserves que la société Provera n'aurait pas acceptées ont été néanmoins mises en œuvre ; que la simple lecture de la clause 7.3 révèle qu'elle est dépourvue de cause, faute de mention d'un objectif ou d'un résultat ; que pour l'autre clause, le délai de paiement correspond au délai de paiement légal supplétif de trente jours visé par l'article L. 441-6 du Code de commerce et que sa seule mention ne démontre pas la tentative de soumission ou la soumission des fournisseurs à ces délais de paiement qui correspondent pour la plus part à ceux qu'ils pratiquent eux-mêmes, étant observé qu'aucune preuve n'est rapportée que cette clause est "intangible et non négociable" ;
Considérant que le ministre rappelle que l'application de l'article L. 442-6 I du Code de commerce n'exige pas pour son application que soit rapportée la preuve de la puissance d'achat du distributeur, que les fournisseurs ont des débouchés très limités pour commercialiser leur produits en raison de la concentration du marché de la grande distribution, que la société Provera qui est un "acteur d'envergure de la distribution française" ne peut soutenir qu'elle n'est pas en position d'imposer des clauses contractuelles à ses fournisseurs ; qu'il rappelle que l'article L. 442-6 I sanctionne à la fois la soumission et la tentative de soumission ; qu'en l'espèce, le contenu de la clause de résiliation tel qu'il résulte de l'étude rédactionnelle de celles-ci révèle le déséquilibre, peu important sa mise en œuvre effective ;
Considérant que la société Provera met à la disposition de ses fournisseurs des trames type de contrats, que le principe même de cette pratique n'est pas contestable et peut en effet répondre à des nécessités exemptes de critiques ; que ce qui est en cause est l'absence de modification de ces clauses figurant dans ces trames types ; qu'en effet, la société Provera ne fait jamais connaître son accord ou son désaccord sur les réserves ou des avenants proposés par les fournisseurs (Mac Cain, Lactalis, Mars par exemple) de sorte que, le contrat étant néanmoins exécuté, les modifications n'interviennent jamais ; qu'il peut être ainsi constaté si la négociation est possible, elle n'est pas effective et que les contrats soumis aux fournisseurs sont de véritables contrats d'adhésion ; que la "soumission" est ainsi établie ; que les pratiques dénoncées par le ministre rentrent dans le champ d'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
Preuve du déséquilibre significatif :
Considérant que la société Provera expose que le caractère de déséquilibre significatif ne peut résulter des seuls termes des stipulations critiquées, qu'il doit y avoir une "distorsion manifeste" par référence à l'article L. 132-1 du Code de la consommation et à la jurisprudence à laquelle ce texte a donné lieu ; que cette "distorsion manifeste" doit être appréciée au regard de la pleine connaissance qu'ont les professionnels des contrats qu'ils concluent et au niveau de l'ensemble du contrat ; que les deux clauses ne démontrent aucun déséquilibre significatif ;
Considérant que comme le rappelle le ministre, la liberté de négociation commerciale trouve ses limites dans le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, que l'article L. 442-6 dont la mise en œuvre n'est pas limitée aux seules hypothèses d'application de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce au regard de la nécessité de maintenir un équilibre entre les relations commerciales, que l'abus est établi in abstracto, sans qu'il y ait besoin de justifier des effets de celui-ci, dès lors que les pratiques sont contraires à l'ordre public en raison du préjudice qu'elles portent nécessairement à l'économie par l'élimination de partenaires commerciaux et par la nuisance à l'investissement ;
Clause 7.3 de la convention "fournisseur marque nationale" :
Considérant que la clause critiquée concerne la faculté donnée à une partie de résiliation totale ou partielle du contrat huit jours après l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception "restée infructueuse" en raison de l'inexécution d'une ou plusieurs obligation par l'autre partie pour une série d'hypothèses listées dont l'une est retenue par le ministre, la "sous-performance du produit par rapport aux objectifs fixés d'un commun accord entre les parties et/ou aux résultats annoncés par le fournisseur" ;
Considérant que la société Provera expose que la clause, classique, répond à des objectifs ou des motifs très variés, tests de nouveaux produits, harmonisation d'une gamme ; qu'elle rappelle que la clause est applicable à l'initiative de l'une ou l'autre des parties, lorsque les objectifs fixés en commun ne sont pas atteints, ce qui est dans l'intérêt des deux parties et que la performance d'un produit résulte non seulement de son propre fait mais également de sa qualité, de son attractivité, de la publicité que le fournisseur a pu lui-même lui faire ; que cette clause, qui ne peut être analysée sans l'examen des autres clauses de l'article 7 qui prévoient elles aussi la résiliation, ne crée pas un déséquilibre significatif ;
Considérant toutefois comme le souligne le ministre, la clause 7.3 permet la résiliation pour "non-performance" au besoin totale huit jours après l'envoi d'une lettre recommandée sans que la preuve soit donnée que le destinataire l'ait reçue et, contrairement à ce que la convention indique, sans que lui soit laissée la possibilité de corriger le manquement avant la résiliation ; que la résiliation est automatique en raison d'un manquement dont la réelle gravité fait défaut et sans considération de l'ancienneté de la relation commerciale des parties ; que la réciprocité de la mise en jeu de la clause, son utilisation par le fournisseur restent grandement théoriques (les exemples contraires donnés par la société Provera concernent des sociétés qui ont un poids économique certain, Sodebo, Ferrero, Panzani, Campbells) ; que le recours au juge, en cas de contestation sur l'application de bonne foi de la clause n'aura pas empêché le déréférencement qui aura suivi son application et les conséquences irréversibles pour le fournisseur, ce que justement l'action du ministre a pour but d'éviter ; que cette clause crée manifestement un déséquilibre significatif dans la relation distributeur-fournisseur ; qu'aucune compensation à celui-ci ne peut être trouvée dans l'étude des autres dispositions de l'article 7.3 de la convention ;
Clause de délais de paiement de la convention de prestations de services.
Considérant que la société Provera est liée au fournisseur par une convention annuelle de "prestations de services" de coopération commerciale, par laquelle moyennant rémunération, la société Provera assure des promotions du produit par des prospectus, cartes et autres supports ; que les délais de paiement des fournisseurs sont de trente jours nets date de facture ;
Considérant que la société Provera soutient que la comparaison des délais qui ne portent pas sur les mêmes obligations n'a pas de sens et que rien n'oblige à traiter des contrats ayant des objets différents de manière identique ; qu'en l'espèce, les écarts entre les délais de paiement pour les ventes et pour les prestations de services sont marginaux compte tenu du volume comparé des achats réalisés par Provera et des prestations de services fournis par Provera ; que le ministre ne justifie d'aucune étude d'impact réel de ces pratiques sur les flux de trésorerie ; qu'il ne justifie pas non plus que l'existence d'un déséquilibre significatif résulterait de ce que les délais de paiement des fournisseurs ne pourraient évoluer qu'à la hausse alors que les délais pour le règlement des prestations de services seraient intangibles, ou encore de ce que les acomptes, décidés par les deux parties en toute légalité, seraient versés avant la réalisation des prestations de services ;
Considérant que le ministre conteste le fait que les délais de paiement des factures de prestations de services que s'octroie Provera sont fixés de manière intangible à un niveau particulièrement bas (30 jours) alors que les délais pour les paiement des marchandises des fournisseurs sont négociables et fixés majoritairement à un niveau supérieur au délai concernant les prestations de services, que leur intangibilité alors que les délais de paiement des marchandises peuvent évoluer à la hausse et la mise en œuvre des conditions de paiement de ces prestations de services sous forme d'acomptes mensuels créent un déséquilibre significatif ayant un impact important sur la trésorerie des fournisseurs ;
Considérant que la réglementation des délais de paiement visant indifféremment les prestations de services et la vente des biens, rien n'interdit de comparer les délais les concernant ;
Considérant que les délais de paiement accordés aux fournisseurs pour s'acquitter des factures relatives aux prestations restent intangibles alors que dans le même temps les délais de paiement accordés à Provera pour s'acquitter des factures des fournisseurs sont négociables ; que par ailleurs, l'existence d'un délai de quarante-cinq jours au profit de Provera alors qu'il est de trente jours net pour les fournisseurs, soit supérieur de moitié à l'avantage de Provera et le paiement d'acomptes mensuels par lesquels le fournisseur fait l'avance des frais de promotion qui peuvent intervenir plusieurs mois plus tard entraînent mécaniquement la création d'un solde commercial à la charge de la plus part des fournisseurs, et ce, sans qu'il y ait lieu de se livrer à des études pour rechercher l'impact réel sur la trésorerie des parties ; qu'il résulte de ces dispositions déséquilibre significatif au détriment du fournisseur ;
Considérant que la société Provera ne justifie pas que d'autres éléments de la convention peuvent supprimer un tel déséquilibre ;
Sur le préjudice causé à l'économie :
Considérant que les pratiques relatives aux délais de paiement et à la résiliation automatique soumettent les fournisseurs, sans qu'ils puissent en discuter réellement, à des conditions de paiement qui tendent nécessairement à obérer leur trésorerie, et à des conditions d'exécution du contrat qui les exposent à un anéantissement de la relation commerciale ; que ces pratiques portent un trouble réel à l'ordre public économique ;
Considérant que le jugement sera confirmé.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement, Condamne la société Provera à payer au ministre la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.