CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 14 novembre 2013, n° 11-20542
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Optical Center (SAS)
Défendeur :
Centre Optic (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur
Avocats :
Mes Brault, Fisselier, Cioloca
FAITS ET PROCÉDURE
La société Optical Center a pour activité la vente au détail d'équipements optiques depuis 1991. Elle exploite de nombreux magasins en France, directement ou sous franchise.
Elle a employé, en qualité de vendeurs, MM. Adam et Yohan Trojman, le premier à compter du 5 juillet 2005, le second à compter de janvier 2007 et tous deux jusqu'au 24 juillet 2009. Par ailleurs, elle a, à plusieurs reprises, pour l'aménagement de ses magasins, fait appel à l'entreprise générale de bâtiment S.T. Systemes, dont M. Simon Trojman, père de ces deux salariés, est directeur commercial.
Le 30 juin 2009, la société Centre Optic, spécialisée dans le même domaine que la société Optical Center, a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bobigny. Cette société est présidée par M. Adam Trojman et exploite un magasin d'optique à Bondy en Seine-Saint-Denis.
La société Optical Center soutenant que le nom de la société Centre Optique et l'aménagement de son magasin imitant les siens, constituaient des actes de concurrence déloyale, a fait assigner la société Centre Optic en réparation devant le Tribunal de commerce de Bobigny.
Par jugement en date du 8 novembre 2011, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Bobigny a :
- débouté SAS Optical Center de ses demandes
- débouté SAS Centre Optic de sa demande de dommages et intérêts,
- condamné Optical Center à payer à Centre Optic la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
- condamné Optical Center aux dépens,
- liquidé les dépens à recouvrer par le Greffe à la somme de 82,17 euros TTC.
Vu l'appel interjeté le 16 novembre 2011 par la société Optical Center contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées le 21 juin 2012 par la société Optical Center par lesquelles il est demandé à la cour de :
- dire et juger l'action de la société Optical Center recevable et bien fondée ;
- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Bobigny en date du 8 novembre 2011;
- constater que la société Centre Optic a commis des faits de parasitisme au détriment de la société Optical Center ;
- lui faire injonction de cesser ces agissements, sous astreinte de 500 euros par jour un mois après le prononcé du jugement ;
- ordonner à la société Centre Optic de rembourser à la société Optical Center la somme de 10 000 euros perçue au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en première instance ;
Au vu du dommage déjà réalisé,
- condamner la SAS Centre Optic à verser la somme de 170 000 euros à la SAS Optical Center à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi ;
- ordonner la publication du jugement à intervenir dans le quotidien régional Le Parisien et dans la publication professionnelle Acuité aux frais de la SAS Centre Optic, et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter d'un mois après le prononcé du jugement ;
- condamner la SAS Centre Optic à verser la somme de 10 000 euros à la SAS Optical Center sur le fondement de l'article 700 du CPC ainsi qu'à payer les entiers dépens.
La société Optical Center soutient que le comportement de MM Trojman est déloyal et parasitaire car ces derniers ont eu accès à des informations stratégiques de par leurs fonctions et les formations qu'ils ont suivies lorsqu'ils étaient ses salariés.
Elle ajoute que la société Centre Optic a imité son nom commercial et utilise des signes distinctifs identiques aux siens. Ces similitudes étant de nature à entraîner une confusion auprès de la clientèle entre les deux enseignes.
Elle indique également que la société Centre Optic a imité l'agencement de ses magasins, alors que les réseaux de franchise reposent sur une standardisation des points de vente tant par la présentation des produits, des méthodes appliquées, que par l'agencement extérieur et intérieur du fonds de commerce des franchisés.
Elle reproche enfin à ses anciens salariés l'utilisation déloyale de son savoir-faire et de ses stratégies commerciales, et fait valoir à ce sujet que les offres proposées par la société Centre Optic sont quasiment identiques aux siennes.
Vu les dernières conclusions signifiées le 4 juillet 2012 par la société Centre Optic par lesquelles il est demandé à la cour de :
- faire droit à l'appel incident de Centre Optic,
Et statuant à nouveau,
- dire et juger la société Optical Center irrecevable en ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Optical Center à régler à la société Centre Optic la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts,
En tout état de cause,
- confirmer le jugement dont appel, en ce qu'il a débouté Optical Center de ses demandes et l'a condamnée à régler 10 000 euros à Centre Optic, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,
- condamner la société Optical Center à régler à la société Centre Optic la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles engagés devant la cour,
- condamner Optical Center aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui comprendront le coût des constats réalisés par Me Bouaziz, huissier de justice.
La société Centre Optic soutient que la société Optical Center est dépourvue tant d'intérêt que de qualité à agir car elle ne peut demander la réparation d'un préjudice prétendument subi par un de ses franchisés, dont le magasin n'est même pas situé dans la même zone de chalandise que le sien. Elle forme donc appel incident sur la décision du tribunal de déclarer la société Optical Center recevable en ses demandes.
Sur le fond, elle fait valoir que le Tribunal de commerce de Bobigny a fait une exacte appréciation des faits et du droit en retenant qu'elle n'avait commis aucun acte de concurrence déloyale et de parasitisme.
A titre très subsidiaire, à supposer que la cour retienne qu'elle a mis en œuvre des actes de concurrence déloyale, elle fait valoir que la société Optical Center ne justifie pas du quantum de la réparation sollicitée.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée, ainsi qu'aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la recevabilité à agir de la société Optical Center :
Il résulte des pièces produites par la société Optical Center qu'elle est le franchiseur de plusieurs magasins exploités sous l'enseigne éponyme. Elle est à ce titre détentrice des droits sur la marque, l'enseigne et le savoir-faire développé dans ses magasins et doit garantir à ses franchisés l'exploitation paisible de ces éléments qu'elle met à leur disposition par le contrat de franchise. Elle a en conséquence intérêt à agir contre les faits de concurrence déloyale par parasitisme qu'elle dénonce.
Par ailleurs, elle justifie qu'il existe cinq magasins sous l'enseigne Optical Center en Seine-Saint-Denis dont un au Blanc Mesnil et l'autre à Saint-Denis, ce dernier étant une succursale. Ces magasins qui se trouvent à une distance parcourue en un peu plus de 10 minutes en voiture du magasin de la société Centre Optic exploité à Bondy sont bien dans la même zone de chalandise que ce magasin.
Dans ces conditions, la société Optical Center qui a intérêt et qualité à défendre les droits inhérents aux éléments mis à disposition de ses franchisés est recevable à agir contre la société Centre Optic.
Sur les actes de concurrence déloyale :
Selon la société Optical Center, les actes de concurrence déloyale sont caractérisés par l'imitation de son nom commercial, de l'agencement des magasins et de ses offres commerciales.
Il convient à titre liminaire de relever que les contrats de MM. Adam et Yohan Trojman ne comportent pas de clause de non-concurrence et qu'il serait contraire au principe de la liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, de leur interdire de constituer une société exerçant la même activité que celle de leur ancien employeur, sauf, à ce qu'ils mettent en œuvre des pratiques déloyales, ce dont ce dernier doit rapporter la preuve.
L'imitation du nom commercial et du logo :
Le fait que la dénomination Centre optique puisse correspondre à la traduction des termes Optical Center ne saurait en interdire l'usage à une entreprise qui, comme la société Optical Center, exerce l'activité d'opticien. En effet, d'une part, l'adjonction des deux noms centre et optique qui sont des termes banals, correspond parfaitement à l'activité déployée par la société qui utilise cette enseigne, d'autre part, elle se distingue des termes Optical Center par le simple fait qu'elle utilise des termes français, alors que les termes de l'autre enseigne sont anglais, les consommateurs, habitués à l'utilisation de termes anglo-saxons, étant parfaitement en mesure de rattacher ces deux dénominations à des opérateurs distincts. Enfin, ces termes sont, ainsi que l'a exactement relevé le tribunal, de perception euphonique différente. Dans ces conditions, l'utilisation de la dénomination Centre optique ne constitue pas un acte d'imitation du nom commercial Optical Center et ne saurait être qualifié de déloyale.
Par ailleurs, le logo de la société Optical Center est constitué par deux ronds parallèles, blancs, entourés de noir, le rond de droite n'étant pas totalement fermé pour figurer la lettre C, l'ensemble étant surmonté d'une barre horizontale courbe, afin de représenter une monture, et imprimé sur un fond de losange rouge, sous lequel est inscrite la dénomination Optical Center. Celui de la société Centre Optic est composé d'un rectangle noir au milieu duquel sont inscrits deux ovales cerclés de blanc, aplatis verticalement, dont celui de gauche n'est pas totalement fermé pour figurer la lettre C, et qui sont reliés entre eux afin de figurer une paire de lunette, l'ensemble étant suivi de la dénomination Centre Optique.
Si ces deux dessins représentent chacun une paire de lunettes stylisée, il s'agit là de leur seule similitude, puisqu'ils diffèrent dans leurs couleurs et leur graphisme, rendant impossible toute confusion ou même rapprochement intellectuel. Comme il a été relevé s'agissant de l'enseigne, le logo de la société Centre Optic ne constitue pas une imitation de celui de la société Optical Center et son utilisation ne peut être qualifiée d'acte déloyal.
L'imitation de l'agencement des magasins :
Il résulte du constat d'huissier produit par la société Centre Optic que son magasin est agencé dans les tons blanc, noir et gris, alors que les photos versées au débat par la société Optical Center permettent de constater que ses magasins sont eux installés dans les tons blanc et marron. Ces divers documents permettent de constater que les mobiliers n'y sont pas semblables et que, si les magasins comportent des tables d'essai autour desquelles sont posées des chaises, ces tables sont installées de façon parallèle aux murs dans le magasin Centre Optic, alors qu'elles sont situées au centre des magasins Optical Center. Enfin, si dans tous ces magasins les murs sont, de la même façon, couverts de présentoirs de montures de lunettes, ce mode d'exposition des montures est un concept décoratif communément repris dans les magasins d'optique.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Centre Optic n'a pas imité les agencements des magasins de la société Optical Center.
Les offres commerciales :
La société Optical Center décrit un certain nombre de ses offres commerciales groupant certains produits, lunettes ou lentilles de contact, moyennant, soit un prix forfaitaire fixe, soit des réductions exprimées en pourcentages. Elle soutient que la société Centre Optic reprend quasi exactement les mêmes offres, tant en ce qui concerne le regroupement des produits, qu'en ce qui concerne le prix ou la réduction offerts.
Cependant, le principe de la liberté du commerce et de l'industrie autorise les opérateurs économiques à aligner leurs offres commerciales sur celles de leurs concurrents, dès lors que cet alignement ne procède pas d'une entente anticoncurrentielle entre eux. Le fait que MM. Yohan et Adam Trojman aient suivi des formations aux techniques de vente lorsqu'ils étaient salariés de la société Optical Center, ne permet nullement de considérer qu'ils ont utilisé de façon déloyale les connaissances acquises auprès de celle-ci au bénéfice de la société Centre Optic, d'autant, d'une part, que leurs contrats ne comportaient aucune clause de non-concurrence, d'autre part, qu'il est démontré par les pièces produites aux débats que les offres en cause sont aussi pratiquées par une autre enseigne dénommée les Opticiens Conseils.
Il résulte de ces éléments, qu'ils soient analysés de façon indépendante ou cumulative, que la société Optical Center ne rapporte pas la preuve que la société Centre Optic aurait mis en œuvre des pratiques de nature à tirer profit, sans rien dépenser, de son savoir-faire ou de sa renommée. C'est donc à juste titre que le tribunal a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit jugé que la société Centre Optic était responsable d'actes de concurrence déloyale par parasitisme, ainsi que sa demande d'indemnisation corrélative.
Sur la demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive :
Le fait de se méprendre sur la portée de ses droits ne saurait à lui seul dégénérer en abus et les éléments du litige ne permettent pas de considérer que la société Optical Center aurait fait, en l'espèce, preuve de mauvaise foi dans l'exercice de ses droits.
Par ailleurs et à titre surabondant, la cour observe que la société Centre Optic n'établit pas le préjudice qu'elle allègue, l'attestation du conseiller clientèle de sa banque étant insuffisante à démontrer qu'elle aurait été empêchée de se développer.
Sur les frais irrépétibles :
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Centre Optic le montant des frais non compris dans les dépens qu'elle a dû exposer pour faire valoir ses droits et la société Optical Center sera, en conséquence, condamnée à lui verser la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Rejette l'exception d'irrecevabilité soulevée par la société Centre Optic ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ; Rejette la demande de la société Centre Optic en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive ; Rejette toute demande autre plus ample ou contraire des parties ; Condamne la société Optical Center à verser à la société Centre Optic la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Optical Center aux dépens qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.