CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 13 novembre 2013, n° 12-00189
TOULOUSE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
International Esthétique (SAS)
Défendeur :
Zhao Beauté (SARL), Lafarge (ès qual.), Autrement (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cousteaux
Juges :
Mmes Salmeron, Pellarin
Avocats :
Mes Dessart, Deschamps, Lafarge, Bourgeon, SCP Boyer & Gorrias
Faits et procédure
M. Henin a signé un contrat de réservation de zone avec la SAS International Esthétique par acte du 15 mars 2003.
M. Henin, en qualité de gérant de la SARL Beauté Passion Academy a régularisé, par acte du 14 février 2004, avec la SAS International Esthétique un contrat de franchise de 9 ans pour l'exploitation d'un institut à l'enseigne Epil Center à Cambrai.
Un second institut de beauté a été ouvert le 6 juillet 2004 à Douai par la SARL Beauté Passion Academy.
M. Henin a acquis début 2005 les parts sociales de la SARL Autrement exploitant le magasin Epil Center d'Amiens.
A la suite de la dégradation des relations entre la SARL Beauté Passion Academy et la SAS International Esthétique, cette dernière a fait assigner la SARL Beauté Passion Academy devant le Tribunal de commerce de Toulouse par acte d'huissier du 24 janvier 2006.
Par jugement du 30 juin 2008, cette juridiction a :
- donné acte à la SAS International Esthétique de sa proposition d'achat au prix du marché des fonds de commerce exploités par les SARL Beauté Passion Academy et Autrement à Cambrai,
- débouté la SARL Beauté Passion Academy de sa demande de nullité du contrat de franchise,
- condamné la SAS International Esthétique à payer à la SARL Beauté Passion Academy la totalité des redevances perçues à tort pour le magasin de Douai, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
- condamné la SAS International Esthétique à rembourser à la SARL Autrement la somme de 29 944 euro, avec intérêts au taux légal à la date de l'assignation au titre des redevances perçues à tort,
- débouté les SARL Beauté Passion Academy et Autrement de toutes leurs autres demandes,
- condamné la SARL Beauté Passion Academy à payer à la SAS International Esthétique les sommes de :
21 428,58 euro au titre des redevances de franchise et des fournitures de marchandises du magasin de Cambrai,
4 142,18 euro au titre des fournitures de marchandises et de prestations du magasin de Douai,
- condamné la SARL Autrement à payer à la SAS International Esthétique la somme de 3 706,59 euro au titre des fournitures de marchandises et de prestations du magasin d'Amiens,
- prononcé la résiliation du contrat de franchise de la SARL Beauté Passion Academy aux torts réciproques de la SARL Beauté Passion Academy et la SAS International Esthétique,
- jugé nulles et de nul effet les clauses de non-affiliation à un réseau et de non-création de réseau,
- débouté les parties de leurs autres demandes,
- ordonné l'exécution provisoire.
Les SARL Beauté Passion Academy et Autrement ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 7 octobre 2008.
Par arrêt du 2 juin 2010, la Cour d'appel de Toulouse a :
Infirmé le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SAS International Esthétique à rembourser aux SARL Beauté Passion Academy et Autrement les redevances perçues pour les magasins de Douai et d'Amiens.
Statuant à nouveau de ce chef :
Débouté la SARL Beauté Passion Academy de sa demande de remboursement des redevances perçues pour le magasin de Douai et la SARL Autrement de sa demande de remboursement de la somme de 29 944 euro au titre des redevances perçues pour le magasin d'Amiens.
Confirmé le jugement entrepris en ses autres dispositions.
Y ajoutant :
Dit que les SARL Beauté Passion Academy et Autrement ont régulièrement passé des contrats de franchise avec la SAS International Esthétique pour les magasins de Douai et d'Amiens.
Prononcé la résiliation des contrats de franchise passés entre la SAS International Esthétique et les SARL Beauté Passion Academy et Autrement pour les magasins de Douai et d'Amiens aux torts réciproques des parties, à compter du 31 août 2006.
Dit que la résiliation du contrat de franchise entre la SAS International Esthétique et la SARL Beauté Passion Academy pour le magasin de Cambrai a pris effet au 31 août 2006.
Condamné la SAS International Esthétique à rembourser à la SARL Beauté Passion Academy la somme de 10 000 euro au titre des frais de publicité initiale.
Rejeté les demandes des parties en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par arrêt du 18 octobre 2011, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi principal formé par les SARL Beauté Passion Academy et Autrement et cassé l'arrêt de la cour d'appel mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages et intérêts de la SAS International Esthétique au titre du manque à gagner du fait de la résiliation des contrats de franchise, sans rechercher si les manquements respectifs des parties à leurs obligations contractuelles avaient causé à chacune d'elles un égal préjudice de nature à entraîner la compensation totale des sommes auxquelles elles pouvaient prétendre réciproquement.
La SAS International Esthétique a saisi la Cour d'appel de Toulouse le 13 janvier 2012.
La SAS International Esthétique a transmis ses dernières écritures par RPVA le 12 juillet 2013.
La SARL Beauté Passion Academy et la SARL Autrement ont transmis leurs dernières écritures par RPVA le 25 juin 2013.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 30 juillet 2013.
Par acte du 4 septembre 2013, la SAS International Esthétique a fait assigner en intervention forcée Maître Lafarge, en sa qualité de mandataire judiciaire de la SARL Zhao Beauté, anciennement dénommée la SARL Beauté Passion Academy, désigné par le Tribunal de commerce d'Amiens le 26 juillet 2013.
Par conclusions transmises par RPVA le 25 septembre 2013, Maître Lafarge, ès qualités, a repris l'instance en faisant siennes les dernières écritures de la SARL Zhao Beauté.
Moyens et prétentions des parties
Dans ses écritures, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'énoncé du détail de l'argumentation, au visa des articles 1134 et 1147 du Code civil, la SAS International Esthétique demande à la cour de :
- juger les sociétés Zhao Beauté (anciennement Beauté Passion Academy) et Autrement irrecevables en leurs demandes contraires au dispositif de l'arrêt de la cour d'appel du 2 juin 2010 ayant acquis l'autorité de la chose jugée ;
- juger subsidiairement les sociétés Zhao Beauté et Autrement mal fondées en leurs demandes, faute de justifier d'un quelconque lien de causalité entre les manquements imputés au franchiseur et les préjudices allégués ;
- condamner la société Zhao Beauté à payer à la société International Esthétique la somme de 236 200,84 euro à titre de dommages et intérêts pour manque à gagner consécutif à la résiliation des contrats de franchise ;
- juger subsidiairement que la descente d'enseigne décidée par la société Zhao Beauté avant le terme des contrats de franchise a causé à la société International Esthétique un trouble et un manque a gagner ouvrant droit à réparation ;
- mettre à la charge de la société Zhao Beauté une juste indemnisation destinée à réparer ce trouble et ce manque à gagner,
- condamner la société Zhao Beauté à payer à la société International Esthétique la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société Zhao Beauté aux dépens qui pourront être recouvrés par Maître Emmanuelle Dessart conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
Dans son assignation en intervention forcée, la SAS International Esthétique demande à la cour de constater l'existence de la créance principale et de dire que les dépens seront passés en frais privilégiés.
Dans leurs dernières écritures, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la SARL Beauté Passion Academy et la SARL Autrement demandent à la cour d'appel de :
- Juger qu'au jour de l'assignation introductive d'instance, la société International Esthétique n'avait aucun grief à faire valoir à l'égard des sociétés Autrement et Beauté Passion Academy au soutien de sa demande en résiliation anticipée des contrats de franchises,
- Juger que les seuls manquements des sociétés Autrement et Beauté Passion Academy sur lesquels la cour d'appel de céans a fondé sa décision de résiliation des contrats aux torts partagés consistent en des faits postérieurs de plus de 10 mois à l'assignation introductive d'instance délivrée par la société International Esthétique,
- Juger qu'il a définitivement était jugé que la société International Esthétique a manqué à ses obligations essentielles d'aide et d'assistance d'une part et de loyauté et bonne foi contractuelle d'autre part tant lors de la conclusion des contrats de franchise que lors de leur exécution,
- Juger que la part de responsabilité des sociétés Autrement et Beauté Passion Academy dans la résiliation des contrats est minime au regard des manquements de la société International Esthétique dans l'exécution de ses obligations qui sont l'essence même du contrat de franchise,
- Juger que la société International Esthétique est l'initiatrice de la rupture contractuelle prononcée aux torts partagés,
- Juger que postérieurement à l'assignation introductive d'instance, les sociétés Autrement et Beauté Passion Academy ont été de facto exclues du réseau par le franchiseur et n'ont eu d'autre choix économique que de quitter celui-ci et d'installer leur propre enseigne,
- Débouter par conséquent, la société International Esthétique de ses demandes d'indemnisation non fondées, non causées et non justifiée,
En tout état de cause, dire et juger qu'aucune condamnation ne saurait être prononcée à l'encontre de la société Autrement, en redressement judiciaire depuis le 1er février 2013,
- Condamner la société International Esthétique à payer à :
+ la société Autrement la somme de : 434 773,34 euro
+ la société Beauté Passion Academy la somme de : 854 170,07 euro
- Condamner la société International Esthétique à payer à chacune des concluantes la somme de 7 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- La condamner aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.
Motifs de la décision
Il convient de révoquer l'ordonnance de clôture afin de recevoir tant l'assignation en intervention forcée du mandataire judiciaire de la SARL Zhao Beauté que les conclusions déposées par celui-ci.
La Cour de cassation a déclaré non fondé le moyen de la SARL Beauté Passion Academy et de la SARL Autrement faisant grief à l'arrêt de la Cour d'appel de Toulouse du 2 juin 2010 d'avoir rejeté leur demande de résiliation des contrats de franchise aux torts du franchiseur et leurs demandes de paiement consécutives au prononcé de cette résiliation. La juridiction suprême a cassé l'arrêt de la cour d'appel mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages et intérêts de la SAS International Esthétique au titre du manque à gagner du fait de la résiliation des contrats de franchise.
La cassation partielle intervenue sur le seul pourvoi incident de la SAS International Esthétique limite la question devant être tranchée par la Cour d'appel de Toulouse dans le cadre de la présente instance à l'éventuelle allocation de dommages et intérêts à la SAS International Esthétique.
La cour d'appel n'a pas à re-statuer sur les manquements imputables aux parties ayant conduit à la résiliation des contrats de franchise, ni à revenir, comme la SARL Zhao Beauté et la SARL Autrement l'évoquent, sur la durée déterminée ou non du contrat de franchise pour l'établissement secondaire de Douai, ayant été jugé de façon définitive qu'un faisceau d'indices précis et concordants permettait de retenir l'existence d'un contrat de franchise Epil Center pour cet établissement, nonobstant l'absence de formalisation d'un contrat écrit entre les parties, ni à revenir sur la date des manquements retenus à l'encontre de SARL Beauté Passion Academy et de la SARL Autrement, ayant été jugé que les juges du fond doivent prendre en considération toutes les circonstances de la cause intervenues jusqu'au jour de leur décision, y compris après l'acte introductif d'instance.
Aux termes de l'arrêt de la Cour d'appel de Toulouse du 2 juin 2010, également définitif sur ce point, d'une part, la SAS International Esthétique, qui ne rapporte pas la preuve d'avoir respecté ses obligations contractuelles en matière d'assistance et de conseil à l'égard des SARL Beauté Passion Academy et Autrement, a manqué à l'exécution loyale et de bonne foi des contrats de franchise litigieux, et d'autre part la SARL Beauté Passion Academy a manqué à ses obligations contractuelles stipulées à l'article 7.2 des contrats de franchise en modifiant radicalement l'agencement d'origine des éléments de décoration extérieure de ses locaux sans l'accord préalable du franchiseur et, alors que les contrats de franchise signés respectivement les 15 et 5 février 2004 pour une durée de 9 ans étaient toujours en vigueur, les SARL Beauté Passion Academy et Autrement ont constitué le 19 juin 2006 un groupement d'intérêt économique sous le nom de SARL Beauté Passion Academy Développement à l'effet de poursuivre leur activité sous une enseigne commune Zhao à compter du mois d'août 2006, rompant ainsi brutalement et abusivement leurs relations avec leur franchiseur. En considération des fautes respectives de la SAS International Esthétique et des SARL Beauté Passion Academy et Autrement, la cour d'appel a prononcé la résiliation des contrats de franchise aux torts réciproques des parties à compter du 31 août 2006.
La SARL Zhao Beauté et la SARL Autrement ne peuvent pas, comme elles déjà ont tenté de le faire devant la Cour de cassation, remettre en cause l'appréciation souveraine des premiers juges du fond en appel sur l'importance des manquements respectifs retenus.
Il résulte de l'arrêt du 2 juin 2010 que les contrats de franchise passés par M. Henin prévoient qu'en contrepartie des redevances dues au franchiseur ce dernier garantit aux franchisées une formation et une assistance initiales et permanentes pour l'acquisition et la reproduction du savoir-faire et des méthodes spécifiques propres à Epil Center, qu'il s'oblige notamment à leur apporter une " assistance permanente " et notamment l'envoi des conseillers du réseau qui visitent régulièrement les instituts et procèdent à des audits et compte rendus de visite afin d'apporter une assistance personnalisée à chaque franchisé et qu'il organisera chaque année au moins une réunion de franchise nationale à laquelle tous les franchisés seront tenus de participer, qu'à cet égard, il ressort du courrier de M. Henin à la SAS International Esthétique en date du 13 janvier 2006, dans lequel le franchisé se plaignait des défaillances du franchiseur à son obligation de conseil et d'assistance, que seule une réunion de zones a eu lieu en 2005 au lieu des 4 annoncées et que les deux actions commerciales de février sur Cambrai et Douai ont été menées à la seule initiative des franchisées sans aide du franchiseur pour les mailings et animations, qu'en outre, deux seuls comptes-rendus d'audit ont été établis en juillet 2005 pour les centres de Cambrai et d'Amiens, à l'exception de celui de Douai, et aucune réunion nationale n'a été tenue en 2005, la dernière l'ayant été en septembre 2004. Il résulte de ces éléments que si la SAS International Esthétique a manqué à l'exécution loyale et de bonne foi des contrats de franchise litigieux, l'inexécution n'est pas totale.
Compte tenu de la nature des manquements imputables à chacune des parties tels que précisément listés par la cour d'appel dans l'arrêt du 2 juin 2010, il convient de juger que les torts réciproques retenus caractérisent un partage des torts par moitié. Dès lors, la SAS International Esthétique ne pourra se voir allouer que la moitié du préjudice dont elle justifierait.
La SAS International Esthétique ne sollicite que la condamnation de la SARL Zhao Beauté à lui payer la somme de 236 200,84 euro à titre de dommages et intérêts pour manque à gagner consécutif à la résiliation des contrats de franchise, dans la mesure où elle n'a pas procédé à la déclaration de créance pour la SARL Autrement.
Le calcul opéré par la SAS International Esthétique, en pièce 45, prend en compte le chiffre d'affaires hors taxe de la SARL Beauté Passion Academy pendant l'année 2005, majoré de 5 % par an pour parvenir à un montant de redevances non perçues jusqu'aux dates de fin des contrats.
Selon les données comptables fournies par la SARL Beauté Passion Academy, son chiffre d'affaires HT en 2005 s'est élevé à 476 007,67 euros. Mais la SAS International Esthétique a pris pour base une somme de 474 987 euros. La majoration annuelle de 5 % n'étant pas certaine, seul le chiffre d'affaires retenu par la SAS International Esthétique sera pris en compte, 5 % pendant la durée des contrats restant à courir donne une somme légèrement supérieure à 150 000 euros.
Cependant, le préjudice du franchiseur ne s'élève pas à l'intégralité des redevances qui auraient dû lui être versées jusqu'au terme des contrats, dans la mesure, où s'ils avaient été menés à leur terme, le franchiseur aurait dû fournir en échange des redevances des prestations dont il est dispensé par la résiliation, comme le détaille l'article 11.2 du contrat de franchise.
De plus, il convient de prendre en considération l'installation de franchisés à Amiens, Arras et Lens, qui dépendaient de la zone territoriale concédée à titre exclusif à la SARL Beauté Passion Academy en mars 2010 et courant 2011, installation procurant à la SAS International Esthétique le versement de redevances, alors que les contrats résiliés à compter du 31 août 2006 auraient dû prendre fin en février et mai 2013.
Tous ces éléments conduisent la cour d'appel à fixer à 30 000 euros le montant des dommages et intérêts à allouer à la SAS International Esthétique.
Mais, en raison de la procédure collective ouverte au profit de la SARL Zhao Beauté et de la déclaration de créance effectuée par la SAS International Esthétique, il convient de fixer la créance de cette dernière à ladite procédure collective pour un montant de 30 000 euros.
Enfin, par application de l'article 639 du Code de procédure civile, la SARL Zhao Beauté qui succombe sur les dommages et intérêts sera condamnée aux dépens des deux procédures devant la cour d'appel de Toulouse.
Par ces motifs, Révoque la clôture qui est prononcée à nouveau juste avant l'ouverture des débats, Infirme le jugement du Tribunal de commerce de Toulouse en date du 30 juin 2008 en ce qu'il a débouté la SAS International Esthétique de sa demande de dommages et intérêts, Et statuant à nouveau du chef infirmé, Fixe la créance de la SAS International Esthétique à la procédure collective de la SARL Zhao Beauté à la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts, Y ajoutant, Vu l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute la SAS International Esthétique, la SARL Zhao Beauté et la SARL Autrement de leurs demandes de ce chef, Condamne la SARL Zhao Beauté aux dépens des deux instances devant la cour d'appel de Toulouse, qui seront passés en frais privilégiés de la procédure collective.