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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 21 novembre 2013, n° 11-03876

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Institut Technique de la Fédération Française du Bâtiment

Défendeur :

Courtoux (ès qual.), Pixscene (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur

Avocats :

Mes Vignes, Leonzi, Dazza, Egloff

TGI Paris, 4e ch. sect. 1, du 15 févr. 2…

15 février 2011

FAITS ET PROCÉDURE

L'Institut Technique de la Fédération Française du Bâtiment (l'Institut technique) est une association qui a pour objet de rapprocher les personnes physiques ou morales participant à la construction d'immeubles. Il a souhaité réaliser un événement de communication d'envergure sous la forme d'un forum itinérant permettant la présentation des grands enjeux du secteur du bâtiment et ses perspectives au grand public, ainsi qu'aux acteurs professionnels, politiques et associatifs. Dans cet objectif, il a contacté la société Pixscène qui a pour activité la production et la vente de spectacles vivants. Après une phase d'étude et de conception de l'événement, les parties ont signé un contrat le 20 mars 2009, avec effet rétroactif au 1er janvier 2008. Ce contrat prévoyait que l'opération comprendrait trois phases pour un prix total d'environ 10,5 millions d'euro : une première de pré-étude du projet, d'ores et déjà accomplie facturée 230 000 euro HT, une deuxième de production, comprenant notamment l'embauche et la formation du personnel ad'hoc, la préparation des moyens matériels et logistiques nécessaires aux manifestations, la troisième phase concernait l'exploitation. Durant les deux années qui ont suivi, sept manifestations se sont déroulées. Par lettre du 6 septembre 2010, l'Institut technique a annoncé à la société Pixscène sa décision de mettre en jeu la faculté contractuelle de dédit pour les manifestations de 2011. À cette date, quatre manifestations avaient été réalisées et deux autres en préparation, ont été maintenues. Cette décision a ensuite été confirmée par lettre du 15 novembre 2010, malgré un nouveau devis présenté par la société Pixscène le 28 octobre 2010. La société Pixscène a alors fait assigner l'Institut technique devant le Tribunal de grande instance de Paris en vue d'obtenir réparation de cette rupture qu'elle estimait fautive et brutale. Cette société a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ouverte par jugement du 20 avril 2010, ensuite convertie en liquidation judiciaire par jugement du 22 décembre 2010. Maître Courtoux a été désigné comme liquidateur. Par jugement en date du 15 février 2011, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de grande instance de Paris a, notamment :

- déclaré recevable la demande formée par Maître Courtoux en sa qualité de liquidateur de la société Pixscène.

- dit que la rupture par l'Institut Technique du contrat de prestations de services en date du 20 mars 2009 est fautive ;

- condamné l'Institut Technique de la Fédération française du Bâtiment à payer, ès qualités, à Maître Courtoux la somme de 200 000 euro à titre de provision sur dommages-intérêts, et celle de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Avant dire droit sur le surplus :

- ordonné une mesure d'expertise avec mission à l'expert de donner son avis sur les préjudices et coûts induits et supportés par la société Pixscène par la rupture intervenue à la date du 16 septembre 2010 du contrat de prestations de services.

Vu l'appel interjeté le 1er mars 2011 par l'Institut technique contre cette décision ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 26 septembre 2013 par l'Institut technique, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- déclarer son appel recevable ;

- infirmer l'ensemble des dispositions du jugement entrepris ;

Statuant à nouveau,

- rejeter l'ensemble des demandes de la société EMJ, prise en la personne de Maître Didier Courtoux, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Pixscène ;

A titre subsidiaire, si la cour confirmait les dispositions du jugement entrepris sur le principe de la responsabilité civile de l'association IT-FFB :

- confirmer les dispositions de la décision de première instance aux termes desquelles le Tribunal de grande instance de Paris a désigné un expert pour déterminer le montant du préjudice subi par la partie intimée ;

- condamner la société EMJ, prise en la personne de Maître Didier Courtoux ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Pixscène à payer une somme de 25 000 euro à l'IT-FFB en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- le condamner aux entiers dépens.

L'appelant expose que les termes clairs et précis de l'article 4.2 du "contrat de prestation de services" du 20 mars 2009 stipulaient la possibilité pour lui de rompre le contrat de manière anticipée, sans indemnités, après six manifestations et que c'est à tort que le tribunal a jugé la résiliation fautive.

Il soutient que la commune intention des parties a toujours été de lui permettre de rompre le contrat de manière anticipée et sans indemnités après six manifestations et qu'il n'a pas commis de faute en exerçant cette faculté.

L'Institut technique fait aussi valoir que le contrat n'emportait aucune obligation pour les parties de réaliser dix-huit manifestations, ni une moyenne de six par an, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges.

Selon lui, la société Pixscène n'a pas subi un préjudice certain du fait de la résiliation du contrat. Il précise qu'en tout état de cause, celui-ci prévoyait une clause exonératoire de responsabilité, et que l'existence d'un lien de causalité entre le fait générateur et le préjudice prétendu par l'intimée fait défaut.

Vu les dernières conclusions signifiées le dix-huit septembre 2013 par la société Pixscène, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- dire et juger recevable l'intervention volontaire de la Selarl EMJ, prise en la personne de Maître Courtoux en lieu et place de Maître Courtoux, ès qualité de Liquidateur de la société Pixscène,

A titre principal,

- confirmer le jugement rendu le 15 février 2011 en ce qu'il a déclaré recevable la demande formée par Maître Didier Courtoux en sa qualité de liquidateur de la société Pixscène et dit que la rupture par l'IT-FFB du contrat de prestations de services en date du 20 mars 2009 est fautive,

- confirmer le jugement rendu le 15 février 2011 en ce qu'il a condamné l'IT-FFB à payer à, ès qualité, Maître Courtoux, la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens exposés à ce jour dont distraction au profit de Maître Tragin,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné l'IT-FFB à payer à, ès qualité, Maître Didier Courtoux, la somme de 200 000 euro à titre de provision sur dommages-intérêts,

Statuant à nouveau,

- condamner l'IT-FFB à payer à la Selarl EMJ prise en la personne de Maître Didier Courtoux en sa qualité de liquidateur de la société Pixscène la somme de 1 419 317,31 euro à titre de dommages-intérêts,

Subsidiairement,

- condamner l'IT-FFB à payer à la Selarl EMJ prise en la personne de Maître Didier Courtoux en sa qualité de liquidateur de la société Pixscène, la somme de 200 000 euro à titre de provision sur dommages-intérêts,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné une mesure d'expertise et désigné Monsieur Etlin pour y procéder

- débouter l'appelant de l'ensemble de ses demandes,

- condamner l'IT-FFB à payer à la Selarl EMJ prise en la personne de Maître Didier Courtoux en sa qualité de liquidateur de la société Pixscène la somme de 25 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Pixscène soutient que l'Institut technique a commis une faute en violant son obligation d'exécuter les conventions de bonne foi et en rompant brutalement les relations contractuelles entre les parties.

Elle expose que le contrat du 20 mars 2009 a été rédigé par les services juridiques et les avocats de l'Institut technique, et qu'il doit donc être interprété en sa faveur, ainsi que dans le sens d'une approche globale de l'équilibre du contrat.

Elle affirme ensuite que l'esprit de celui-ci imposait que la faculté de dédit pouvait être exercée dans la première année d'exploitation, pour autant que six manifestations au moins aient lieu dans cette période, dès lors que la commune intention des parties était de mettre en place la réalisation de dix-huit manifestations à raison de 6 par an sur 3 ans.

Elle soutient également que le devis de septembre 2008 (annexe 0-1 du contrat) a été paraphé et signé par les parties au même titre que le contrat principal, et a, par voie de conséquence, la même valeur contractuelle.

La société Pixscène reproche également à l'IT-FFB de n'avoir commandé la réalisation que de sept manifestations durant les années contractuelles 1 et 2, ce qui constitue une violation manifeste, et en tout état de cause une exécution de mauvaise foi de la convention liant les parties.

Sur le préjudice et le lien de causalité, elle expose que l'IT-FFB doit les sommes contractuellement convenues entre les parties au titre des années 1 et 2, et insiste sur le fait que les moyens matériels et financiers mis en œuvre par elles étaient extrêmement importants. Elle affirme que la rupture brutale des relations commerciales le 15 novembre 2010 a été la cause exclusive de la liquidation judiciaire du 21 décembre 2010.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur l'applicabilité de l'article L. 442-6, I 5° du Code de commerce

Aux termes de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers," (...) "de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels".

L'Institut technique n'est pas un producteur, un commerçant, ou un industriel. Il n'est pas non plus une personne immatriculée au répertoire des métiers et, dans ces conditions, sa responsabilité ne peut être engagée sur le fondement de cette disposition. Il n'en demeure pas moins que si la rupture est intervenue de manière abusive, elle engage alors la responsabilité de l'Institut technique sur le fondement des articles 1134 et 1147 du Code civil.

Sur le caractère fautif de la rupture

La société Pixscène ne conteste pas que le contrat ait prévu une possibilité de dédit dans son article 4, mais elle soutient que l'esprit du contrat et l'essence même de son utilité économique pour elle, imposaient que l'exercice de cette faculté soit limité à la première année d'exploitation, intitulée année 1, pour la période du 1er juin 2009 au 31 mai 2010, et seulement si six manifestations au moins avaient eu lieu dans cette période.

L'article 4 du contrat est ainsi rédigé :

"4.2.1 IT-FFB aura une faculté de dédit. Dans ces conditions, il pourra mettre fin à la Convention en adressant, à tout moment, une lettre recommandée avec demande d'avis de réception au Prestataire indiquant sa volonté en ce sens, sans avoir à justifier de sa décision.

4.2.2 La Convention prendrait alors immédiatement fin à la réception de la lettre, à condition que le Prestataire reçoive celle-ci au plus tard trois mois avant la Manifestation suivante. A défaut, la Convention prendrait fin immédiatement après ladite Manifestation.

4.2.3 La faculté de dédit n'ouvrirait droit à aucune indemnité en faveur du Prestataire si la rupture de la Convention prenait effet après la réalisation de six (6) Manifestations.

4.2.4 A la fin de la Convention, y compris en cas de rupture anticipée de la Convention (sauf ceux qui résulteraient d'une faute de la part du Prestataire et sous réserve des stipulations de l'article 4.2.3), IT-FFB serait immédiatement redevable d'une indemnité forfaitaire de :

- un million deux cent mille euro (1 200 000 euro) si la Convention prenait fin avant la première Manifestation (sous réserve des dispositions de l'article 4.2.3. ci-dessus)

- un million euro (1 000 000 euro) si la Convention prenait fin après la première Manifestation et avant la deuxième ;

- huit cent mille euro (800 000 euro) si la Convention prenait fin après la deuxième Manifestation et avant la troisième ;

- six cent mille euro (600 000 euro) si la Convention prenait fin après la troisième Manifestation et avant la quatrième ;

- quatre cent mille euro (400 000 euro) si la Convention prenait fin après la quatrième Manifestation et avant la cinquième.

- deux cent mille euro (200 000 euro) si la Convention prenait fin après la cinquième Manifestation et avant la sixième. (...)".

Il convient de relever que l'article 4.2.3 ne précise pas que les six manifestations doivent avoir été réalisées pendant la première année d'exploitation. Il ne ressort pas non plus des termes du contrat que celui-ci devait conduire obligatoirement à la réalisation de dix-huit manifestations. Au contraire, l'article 1.2 qui indique "Le nombre de manifestations sera défini en fonction du contexte économique et politique national et particulier aux sites pressentis. Il sera au maximum de dix-huit (18) pour toute la durée de la convention et, dans cette hypothèse, de six (6) en moyenne pour chacune des Années" conduit à considérer que la volonté des parties était que le nombre de dix-huit manifestations sur la durée totale du contrat était un maximum et que le nombre de six manifestations par an n'était une obligation pour aucune des parties, mais une moyenne. À ce sujet, le fait que la convention conclue le 19 septembre 2008 entre l'Institut technique et la FFB ait prévu que l'opération "reprend le concept de valorisation des métiers, tout en le démultipliant dans le temps (...) et l'espace (campagne itinérante ciblant au total dix-huit grandes villes de France métropolitaine) (...)", ou le fait que le pré-devis de la société Pixscène, annexé au contrat, ait prévu le budget global de toute l'opération ne permettent pas de considérer que l'intention des parties aurait été de réaliser obligatoirement dix-huit manifestations en quatre ans, à raison de six par an, sans possibilité pour l'Institut technique de renoncer à la suite des opérations de communication, alors même que la faculté de dédit et ses conséquences financières sont expressément prévues par la convention des parties.

La cour observe au contraire que M. Bongrand, gérant de la société Pixscène, a adressé le 17 janvier 2009, en cours de négociation du contrat, un courrier électronique à l'avocat de l'Institut technique par lequel il a transmis un document relatif aux conditions d'annulation pendant la tournée au cours d'une saison "suivant les villes, leur nombre et les années". Ce document, établi par la société Pixscène elle-même, qui détaille année par année les sommes qui lui seraient dues en cas d'annulation, indique pour les années 2 et 3 "Aucun dédit annulation". Ce qui montre que les parties avaient bien convenu de la possibilité pour l'Institut technique de ne pas poursuivre le contrat pour les années 2 et 3, sans que celui-ci ait à verser une indemnité de rupture à la société Pixscène. Par ailleurs, l'étude de ces éléments financiers permet de constater que les sommes prévues en cas de dédit pour l'année numérotée 1 devaient s'ajouter aux frais prévus pour la mise en œuvre de chaque opération, dans chacune des six villes, qui correspondent tous à des coûts de production. Il s'en déduit que les conditions financières de dédit prévues uniquement dans le cadre de la première année de production étaient destinées à compenser les investissements réalisés par la société Pixscène pour la totalité de l'opération, et que cette compensation, réalisée à la fin de cette première année, n'était plus due en cas de renoncement de l'Institut technique au reste de l'opération. Enfin, l'examen de l'échéancier figurant en annexe du contrat permet de constater que les coûts d'investissements de production, de modules d'exposition, des structures et de la vidéo étaient répartis entre le 4 septembre 2008 et le premier septembre 2009, les paiements prévus pour les autres années ne représentant plus que les prestations des années concernées. Les conditions prévues dans ce contrat ne font pas apparaître de déséquilibre entre les parties, d'autant que les éléments du dossier, dont notamment les échanges de courriers électroniques comme celui examiné ci-dessus, permettent de constater que la société Pixscène a été associée à sa rédaction et qu'elle a elle-même élaboré et formulé les éléments financiers qui ont été retenus. Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que l'Institut technique n'a pas commis de faute en rompant le contrat le 6 septembre 2010 et en indiquant que cette rupture interviendrait à la suite des deux manifestations dont l'organisation était en cours, alors qu'ainsi la rupture intervenait à l'issue de la réalisation de six manifestations. Dans ces conditions le jugement doit être réformé et les demandes de Maître Courtoux, ès qualités, doivent être rejetées.

Sur les frais irrépétibles

L'Institut technique a été contraint d'engager des frais non compris dans les dépens afin de faire valoir ses droits. Il est équitable, compte tenu de la situation de la société Pixscène, de la condamner à payer à l'appelant la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a déclaré recevable la demande formée par Maître Courtoux en sa qualité de liquidateur de la société Pixscène. Statuant à nouveau, Dit que l'Institut technique n'a pas commis de faute en rompant le contrat conclu avec la société Pixscène le 20 mars 2009 ; Rejette toutes les demandes de Maître Courtoux, ès qualités ; Rejette toutes les demandes autres, plus amples ou contraires des parties, Condamne Maître Courtoux, ès qualités, à verser à l'Institut technique la somme de 5 000 euro, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne Maître Courtoux, ès qualités, dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.