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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 27 novembre 2013, n° 11-22513

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Marc Jacobs International

Défendeur :

Euroline (SAS), Duo Lynx (SAS), Wylson (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rajbaut

Conseillers :

Mmes Chokron, Gaber

Avocats :

Mes Boccon-Gibod, Blanchard, Cahen, Avakian

T. com. Paris, du 6 déc. 2007

6 décembre 2007

Vu le jugement contradictoire en date du 6 décembre 2007 par lequel le Tribunal de commerce de Paris a débouté la société Marc Jacobs International (régie par les lois de l'Etat du Delaware) de ses demandes en concurrence déloyale et parasitisme formées à l'encontre des sociétés Galeries Lafayette (SA) et Euroline (SAS) et l'a condamnée à verser à chacune de ces sociétés une indemnité de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 14 mai 2010 confirmant le jugement précité, mettant hors de cause la société Wylson appelée en garantie par la société Galeries Lafayette et condamnant la société Marc Jacobs International, à payer à la société Duo Lynx (SAS), également appelée en garantie par la société Galeries Lafayette, 5 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

Vu l'arrêt du 15 novembre 2011 aux termes duquel la Cour de cassation (Chambre commerciale, financière et économique) a cassé et annulé, sauf en ce qu'il met la société Wylson hors de cause, l'arrêt rendu le 14 mai 2010, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris, remis en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la Cour d'appel de Paris autrement composée ;

Vu la déclaration de saisine après renvoi déposée le 2 décembre 2011 par la société Marc Jacobs International ;

Vu les dernières conclusions, signifiées le 10 juin 2013 par la société Marc Jacobs International, demanderesse à la saisine ;

Vu les dernières conclusions, signifiées le 24 juin 2013 par les sociétés Euroline et Duo Lynx, défenderesses à la saisine ;

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 3 septembre 2013 ;

Sur ce, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, il est expressément renvoyé aux décisions de justice et écritures des parties précédemment visées ;

Qu'il suffit de rappeler que la société Marc Jacobs International, ci-après la société Marc Jacobs, spécialisée dans la création de vêtements et accessoires de mode de luxe qu'elle commercialise sous les marques "Marc Jacobs" et "Marc by Marc Jacobs", ayant découvert l'offre en vente dans le grand magasin parisien Les Galeries Lafayette d'un sac à main pour femme reproduisant servilement, selon elle, le modèle Venetia qui constituerait depuis sa commercialisation en 2000 un produit phare de ses collections, a fait procéder le 26 octobre 2005 à un constat d'huissier de justice qui a permis d'établir que le sac litigieux, vendu sous la référence E 5268, présentait une étiquette portant l'indication Euroline ;

Qu'elle a dans ces circonstances assigné au fondement de concurrence déloyale et parasitisme la société Euroline ainsi que la société Galeries Lafayette (laquelle a appelé en garantie les sociétés Wylson et Duo Lynx) devant le Tribunal de commerce de Paris qui l'a déboutée de ses prétentions par jugement du 6 décembre 2007 ;

Qu'ayant interjeté appel de ce jugement, elle s'est désistée de ses demandes à l'égard de la société Galeries Lafayette, ainsi que l'a relevé le conseiller de la mise en état par une ordonnance du 18 juin 2009 constatant l'extinction de l'instance dirigée contre cette société ;

Que la Cour d'appel de Paris, par arrêt du 14 mai 2010, a confirmé le jugement entrepris et, y ajoutant, a mis hors de cause la société Wylson et condamné la société Marc Jacobs à payer à la société Duo Lynx 5 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

Que la société Marc Jacobs s'est pourvue en cassation contre cet arrêt mais s'est désistée de son pourvoi à l'égard de la société Wylson, dont la mise hors de cause est désormais définitive ;

Que la Cour de cassation, par arrêt de cassation du 15 novembre 2011, fait grief à la Cour d'appel de Paris d'une part, d'avoir rejeté la demande en concurrence déloyale sans avoir recherché, comme elle y avait été invitée, si indépendamment du risque de confusion, le sac incriminé n'était pas de nature à évoquer, dans l'esprit du public concerné, le sac Venetia de la société Marc Jacobs et, eu égard à sa piètre qualité, à porter atteinte à son image de marque et à sa notoriété d'autre part, d'avoir retenu, pour écarter le grief de parasitisme, que cette notion n'est pas applicable à l'espèce du fait même de la situation de concurrence entre les parties alors que l'action en parasitisme n'est pas subordonnée à une absence de situation de concurrence entre les parties ;

Sur la demande de mise hors de cause de la société Duo Lynx,

Considérant que la société Duo Lynx fait observer qu'elle a été appelée en la cause en intervention forcée et en garantie par la société Galeries Lafayette, défenderesse à l'action principale en concurrence déloyale et parasitisme engagée par la société Marc Jacobs laquelle n'avait formé à son endroit aucune demande quand elle s'est désistée de ses prétentions contre la société Galeries Lafayette de sorte que, la demanderesse à l'action principale et la défenderesse à l'appel en garantie n'ayant jamais été liées par un lien d'instance, le dessaisissement de la cour à l'égard de la société Galeries Lafayette emportait nécessairement le dessaisissement de la cour à l'égard de la société Duo Lynx ;

Qu'elle en déduit que la société Marc Jacobs est irrecevable à initier à son encontre des demandes en concurrence déloyale et parasitisme qu'elle s'était gardée de lui opposer en première instance comme en cause d'appel tant qu'elle maintenait ses prétentions à l'endroit de la société Galeries Lafayette ;

Considérant qu'il est en effet établi au vu des pièces de la procédure, que la société Marc Jacobs n'a dirigé devant les premiers juges aucune demande à l'encontre de la société Duo Lynx appelée en intervention forcée et en garantie par la société Galeries Lafayette, défenderesse à l'action principale ;

Qu'en cause d'appel, force est de constater qu'elle n'a pas davantage formé de demande à l'égard de la société Duo Lynx aux termes de ses conclusions du 27 octobre 2008, et qu'elle a pour la première fois recherché la condamnation "solidaire" des sociétés Euroline et Duo Lynx pour concurrence déloyale et parasitisme, par des écritures du 1er février 2010, signifiées après que le conseiller de la mise en état a constaté par ordonnance du 18 juin 2009 son désistement de l'ensemble de ses prétentions à l'endroit de la société Galeries Lafayette et l'extinction de l'instance concernant cette société ;

Considérant que l'arrêt de cassation du 15 novembre 2011 ayant remis la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant l'arrêt du 14 mai 2010 de la Cour d'appel de Paris, la société Duo Lynx est bien fondée à soutenir que la demande de la société Marc Jacobs nouvellement émise à l'encontre de la société Duo Lynx par des conclusions d'appel du 1er février 2010, réitérées devant la présente cour de renvoi, est irrecevable ;

Sur la demande de mise hors de cause de la société Euroline,

Considérant qu'il n'est pas contesté aux termes des propres écritures des sociétés intimées, que la société Euroline, ayant pour activité le commerce en gros et demi-gros de produits de maroquinerie qu'elle diffuse sous la marque Euroline, a importé de Hong Kong les sacs litigieux, les a ensuite vendus à la société Duo Lynx, laquelle les a fournis à la société Galeries Lafayette qui les a proposés à la vente dans son magasin parisien ;

Considérant que la société Euroline a été assignée avec la société Galeries Lafayette par la société Marc Jacobs devant le Tribunal de commerce de Paris pour concurrence déloyale et parasitaire ;

Qu'elle est mal fondée à soutenir, pour conclure à sa mise hors de cause, qu'elle n'est pas le fournisseur de la société Galeries Lafayette qui a acheté les sacs litigieux à la société Duo Lynx ;

Que dès lors qu'elle a importé et commercialisé en France les sacs incriminés, la société Euroline doit répondre de ses actes au regard de la faute de concurrence déloyale et parasitaire invoquée par la société Marc Jacobs au fondement des dispositions de l'article 1382 du Code civil ;

Sur la concurrence déloyale et le parasitisme,

Considérant qu'il résulte de l'examen comparatif auquel la cour s'est livrée, et qu'il n'est pas sérieusement contesté, que le sac référencé E 5268 et marqué Euroline, constitue la reproduction servile du sac Venetia de la société Marc Jacobs ;

Considérant que ce dernier caractérise par une forme sensiblement rectangulaire aux côtés arrondis, par la présence de deux poches frontales à rabat ornées de surpiqûres lesquelles sont doublées sur le rabat de fermeture, d'un fermoir métallique circulaire sur chacune de ces poches frontales, de deux anses situées en partie supérieure du sac, rattachées au sac par des anneaux sous chacun desquels est disposé un double empiècement bordé de deux rangs de surpiqûres, d'une lanière centrale dotée d'une boucle métallique rectangulaire permettant de fermer la lanière par ses deux passants dont l'un est libre et l'autre est fixé sur la face frontale du sac par deux rivets métalliques ;

Considérant que le sac Euroline reprend l'ensemble de ces éléments dans ses moindres détails y compris le dessin en forme de petit cercle gravé sur chacun des fermoirs métalliques ronds, avec pour seules différences, à peine perceptibles, que les anses sont légèrement plus longues et que la lanière centrale visible sur la face du sac, s'arrête à la limite inférieure du sac et ne traverse pas la base et le dos du sac ;

Considérant que si la société Euroline prétend que le sac Venetia est banal et reflète les tendances de la mode, force est de constater qu'aucune des coupures de revues féminines des années 1996-1997 et 2005 versées aux débats au soutien de ses allégations, ne montre un modèle alliant les caractéristiques du sac revendiqué et produisant la même impression d'ensemble ;

Considérant que la société Marc Jacobs, à l'inverse, justifie que son modèle est exposé sur ses catalogues sans discontinuité depuis 2000, que des articles de presse lui ont été consacrés (Vogue août 2004, WWD avril 2005) et qu'il a fait l'objet de campagnes publicitaires de 2000 à 2005, figurant parfois en première page de couverture de publications à fort tirage (WWD décembre 2000, Lucky août 2001, Oprah Magazine février 2003, L'officiel novembre 2005, Printemps Magazine février, mars, septembre 2005, Le Figaro 24 novembre 2005) ;

Considérant qu'il est ainsi établi que le sac à main Venetia constitue un produit emblématique de la société Marc Jacobs, un "permanent" de ses collections dont le succès auprès du public ne s'est pas démenti depuis une dizaine d'années ;

Considérant qu'au regard de cette circonstance, la reprise par le sac Euroline de toutes les caractéristiques qui confèrent au modèle Venetia sa physionomie propre ne saurait être fortuite mais, tout au contraire, traduit une volonté délibérée d'exploiter à moindre coût le succès commercial que rencontre ce modèle, en tirant indûment profit des investissements que la société Marc Jacobs a consentis pour sa création et sa promotion ;

Considérant que pour réduire encore son prix de revient, et par là-même son prix de vente, le sac Euroline est fabriqué dans une matière synthétique de médiocre qualité alors que le modèle original est réalisé dans les cuirs les plus nobles qui en font un produit de grand luxe ;

Considérant que la société Euroline, ajoutant que les prix de vente sont, respectivement, de 29,90 euros pour le sac Euroline, qui est présenté au public en vrac dans des bacs, et de 735 euros pour le sac Venetia, déduit de ces éléments que les produits en présence ne sont pas positionnés sur le même segment de marché et que le risque de confusion n'est pas avéré pour le consommateur moyen, normalement attentif et avisé de la catégorie de produits en cause ;

Or considérant qu'il résulte des observations qui précèdent que, dans l'esprit du public concerné, le sac Euroline évoque nécessairement le sac Venetia qui constitue un produit phare de la société Marc Jacobs et dont il reproduit servilement l'ensemble des caractéristiques ;

Qu'il s'ensuit qu'en commercialisant les sacs litigieux, qui réalisent dans une piètre qualité et à très faible prix la copie du sac Venetia, la société Euroline s'est rendue coupable d'une captation parasitaire des investissements de la société Marc Jacobs et a, de surcroît, porté atteinte à la notoriété, à l'image de marque et, partant, au succès commercial du modèle copié qu'elle a vulgarisé et déprécié ;

Considérant que ces faits, contraires aux usages honnêtes et loyaux du commerce, caractérisent au sens des dispositions de l'article 1382 du Code civil une faute préjudiciable à la société Marc Jacobs qui est fondée à en demander réparation ;

Sur les mesures réparatrices,

Considérant qu'il n'est pas démenti que la société Euroline a importé en France 1 712 sacs litigieux et en a fourni 304 à la société Galeries Lafayette pour un prix unitaire de 12 euros ;

Considérant que la société Marc Jacobs n'étaye sa demande de dommages-intérêts, formée à hauteur de 150 000 euros, de la moindre pièce comptable susceptible de justifier, notamment, du montant des investissements financiers et humains qu'elle a consacrés à la conception et à la publicité du modèle Venetia ;

Considérant qu'il n'en demeure pas moins que le produit copié a incontestablement fait l'objet d'investissements importants, en particulier publicitaires, qui ont contribué à sa notoriété et dont la société Euroline a indûment tiré profit ;

Que la cour relève toutefois que s'il est justifié de campagnes promotionnelles dans la presse jusqu'en 2005, il n'est produit la moindre publicité pour la période postérieure ;

Considérant que la société Marc Jacobs a nécessairement subi une baisse de chiffre d'affaires et un manque à gagner des suites de la désaffection de la clientèle à l'égard d'un produit dont l'image s'est dévalorisée et de son détournement inéluctable ;

Considérant qu'au regard de ces éléments, le préjudice de la société Marc Jacobs doit être fixé à 20 000 euros ;

Considérant qu'une mesure d'interdiction s'impose dans les termes du dispositif ci-après pour faire cesser les actes illicites et prévenir leur renouvellement ;

Considérant, en revanche, que les mesures de retrait du marché et de publication sollicitées par la société Marc Jacobs sont dénuées de pertinence compte tenu de l'ancienneté des faits ;

Considérant que l'équité commande de condamner la société Euroline à verser à la société Marc Jacobs au fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile une indemnité de 10 000 euros qui recouvre l'ensemble des frais irrépétibles exposés à l'occasion de la procédure y compris les frais de constat d'huissier de justice ;

Par ces motifs : Infirme le jugement déféré, Statuant à nouveau, Déclare irrecevable la demande formée par la société Marc Jacobs à l'encontre de la société Duo Lynx, Dit que la société Euroline a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire au préjudice de la société Marc Jacobs en commercialisant le sac référencé E 5268 marqué Euroline constituant la copie servile du sac Venetia, Condamne la société Euroline à payer à la société Marc Jacobs la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts, Interdit à la société Euroline de commercialiser le sac référencé E 5268 marqué Euroline constituant la copie servile du sac Venetia de la société Marc Jacobs, sous astreinte dont la cour se réserve la liquidation de 500 euros par infraction constatée à compter de la signification du présent arrêt, Déboute du surplus des demandes, Condamne la société Euroline aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés, s'agissant des dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et à verser à la société Marc Jacobs une indemnité de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles.