CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 29 novembre 2013, n° 12-07381
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bertail
Défendeur :
Pourquoi Pas La Lune (SAS), Delais, France Televisions (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Aimar
Conseillers :
Mmes Renard, Gil
Avocats :
Mes Pierrat, Hodel, Levy, Nguyen Thanh, Oudinot, Amblard
Monsieur Marc Bertail se présente comme étant producteur exécutif et directeur de production audiovisuelle depuis plus de vingt ans, ayant développé de multiples programmes audiovisuels et, parmi eux en 1993, un projet dans la perspective des élections présidentielles de 1995 qui consistait à suivre des familles en filmant leurs réactions et évolutions face aux discours, candidats et débats politiques, ce qui n'avait jamais été fait auparavant précise-t-il.
Il expose que le projet intitulé Présidentielles 95 - Média Politique qui a fait l'objet d'un procès-verbal de constat le 15 septembre 1994 n'a pas été retenu pour les élections présidentielles de 1995, qu'il l'a par la suite déposé à la SACD le 26 juin 2001 dans la perspective des élections présidentielles suivantes puis l'a largement diffusé parmi les médias et, en particulier, auprès du directeur de la société Pourquoi Pas La Lune (2P2L).
S'étant aperçu qu'à l'occasion des élections présidentielles de 2007 était diffusée sur la chaîne de télévision France 5 une émission en cinq épisodes, selon lui identique à son projet, intitulée Je vote comme je suis produite par la société 2P2L et ajoutant que des propositions de dédommagement sont restées lettre morte, par acte des 20 avril 2009, 11 et 23 août 2010, Monsieur Bertail a assigné en contrefaçon de droits d'auteur la société 2P2L puis Monsieur Bertrand Delais et la société France Télévisions (pris en leurs qualités, respectivement, de producteur, d'auteur et de diffuseur de l'émission).
Par jugement contradictoire rendu le 15 mars 2012, le Tribunal de grande instance de Paris a, en substance, débouté la société 2P2L de sa demande de rejet de pièces, déclaré Monsieur Bertail irrecevable en sa demande au titre de la contrefaçon en le déboutant de sa réclamation au titre de la concurrence déloyale, débouté par ailleurs Monsieur Delais de sa demande indemnitaire du fait du blocage de ses droits SCAM, rejeté les demandes indemnitaires pour procédure abusive, en condamnant Monsieur Bertail à verser à Monsieur Delais, à la société 2P2L et à la société France Télévisions les sommes, respectivement, de 6 000 euros, 4 000 euros et 4 000 euros et à supporter les dépens.
Par dernières conclusions signifiées le 3 octobre 2013, Monsieur Marc Bertail, appelant, demande pour l'essentiel à la cour, au visa des articles L. 111-1, L. 111-2, L. 331-1-3 et L. 335-3 du Code de la propriété intellectuelle et 1382 du Code civil, d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes et :
- à titre liminaire, d'écarter des débats les pièces n° 16 à 23 de la société 2P2L en constatant qu'elles ne lui ont pas été communiquées,
- à titre principal, en considérant que son format d'émission est original et protégé par le droit d'auteur et que l'émission Je vote comme je suis en est la contrefaçon, de condamner in solidum les trois intimés à lui verser la somme de 16 137,50 euros à ce titre ; pour le surplus, de les condamner in solidum à lui communiquer les comptes d'exploitation et annexes certifiés de l'émission litigieuse, ce sous astreinte, et à lui verser 10 % des sommes générées par la diffusion de cette émission sur la base des comptes communiqués,
- à titre subsidiaire, de dire que les intimées ont commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice en utilisant son projet et de les condamner à lui verser la somme de 20 000 euros à ce titre en déboutant les intimés de leurs entières prétentions,
- en tout état de cause, de condamner in solidum les trois intimés à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral subi, d'ordonner une mesure de publication d'usage, d'infirmer le jugement en ses dispositions relatives à l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens, en condamnant les intimés à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 37 de la loi sur l'aide juridictionnelle et à supporter tous les dépens.
Par dernières conclusions signifiées le 1er octobre 2013 pour "rectification d'erreurs matérielles", la société par actions simplifiée Pourquoi Pas La Lune (2P2L) demande pour l'essentiel à la cour, au visa des articles 9, 15 et 16 du Code de procédure civile, L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle, 1315 et suivants et 1382 du Code civil, de confirmer le jugement sauf en ses dispositions qui lui sont défavorables et, y ajoutant :
- de considérer que l'émission L'après-élection : les attentes des Français diffusée sur France 5 le 15 mai 2007 à 21 heures 37 est produite par la société No Mad Pro, société absente de la cause, et que Monsieur Bertail est irrecevable en sa demande à son encontre fondée sur cette émission,
- de "dire et juger hors des débats" les pièces communiquées par Monsieur Bertail numérotées 2 à 4, dépourvues de force probante ses pièces numérotées 13a à 13k et, s'agissant des pièces 24A à 24S communiquées pour la première fois en cause d'appel constituant des preuves que Monsieur Bertail se constitue à lui-même, de les écarter des débats comme dépourvues de tout caractère probant,
- de condamner Monsieur Bertail à lui verser les sommes suivantes :
* 10 000 euros pour préjudice commercial et d'image,
* 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
* 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens,
- de déclarer la société France Télévisions "irrecevable et mal fondée" (sic) en sa demande subsidiaire de garantie.
Par dernières conclusions signifiées le 27 septembre 2013, Monsieur Bernard Delais prie pour l'essentiel la cour, au visa des articles 9, 15 et 16, 32-1 du Code de procédure civile, L. 111-1 et L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle et 1382 du Code civil, de confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a débouté de ses demandes indemnitaires, subsidiairement de débouter Monsieur Bertail en ses demandes au titre de la contrefaçon et de la concurrence déloyale et, y ajoutant, de le condamner à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral, celle de 15 000 euros pour procédure abusive, celle de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.
Par dernières conclusions signifiées le 25 septembre 2013, la société anonyme France Télévisions demande en substance à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les prétentions de Monsieur Bertail à son encontre, en tout état de cause, de les déclarer irrecevables et infondées, très subsidiairement, de condamner la société 2P2L à la garantir conformément à l'article 16 du contrat du 6 décembre 2006 et de condamner tout succombant à lui verser la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
SUR CE,
Sur la demande de rejet des pièces n° 16 à 23 communiquées par la société 2P2L :
Considérant que dans ses conclusions au fond et aux fins de rejet des pièces de la société 2P2L signifiées le 3 octobre 2013 (auxquelles cette dernière a répliqué par conclusions de procédure signifiées le 9 octobre 2013), Monsieur Bertail demande à la cour de rejeter huit pièces de procédure ainsi explicitées dans le bordereau de communication de pièces de la société 2P2L daté du 1er octobre 2013 :
- pièce 16 - extrait Wikipedia "Les dossiers de l'écran", "le jeu de la mort",
- pièce 17 - No Mad Prod
- pièce 18 - Emission Etats Généraux
- pièce 19 - Attestation CAC,
- pièce 20 - Conclusions Bertail TGI et appel (intégralité des écritures) pour mémoire,
- pièce 21 - CA Paris 12/09/2012,
- pièce 22 - Convention collective de la production audiovisuelle,
- pièce 23 - rushes (DVD-R)
Considérant que pour demander que celles-ci soient écartées des débats, Monsieur Bertail, rappelant que la clôture de l'instruction de l'affaire avait été reportée au 3 octobre pour être plaidée le 10 octobre 2013 et que les intimés ont conclu tardivement, fait valoir que ces pièces, bien que recensées, n'ont fait l'objet d'aucune communication et qu'il n'a pu en prendre connaissance qu'au jour de la clôture ; que ceci constitue, selon lui, une atteinte manifeste au principe du contradictoire ;
Mais considérant que, par conclusions de procédure signifiées le 9 octobre 2013 auxquelles l'appelant ne réplique pas, la société 2P2L lui oppose sa propre carence puisqu'elle affirme, sans être démentie, que ces pièces qui comprenaient notamment un DVD de rushes, ont été déposées à sa toque le 1er octobre 2013, avec transmission du bordereau, et qu'il lui appartenait d'en prendre possession plutôt que d'attendre la matinée du jour de la clôture pour signaler une éventuelle difficulté de transmission à ses confrères ;
Qu'elle rappelle justement le contexte procédural de l'affaire puisqu'ainsi que jugé par le tribunal, Monsieur Bertail a introduit une instance et conclu en première instance sans pour autant produire les DVD des émissions incriminées ; que l'affaire devait être plaidée le 8 février 2013 devant la cour et que Monsieur Bertail a adopté un comportement contestable tout au long de la procédure ;
Qu'il apparaît, en effet, que cette affaire qui devait être plaidée le 8 février 2013 a fait l'objet d'un renvoi uniquement parce que Monsieur Bertail avait produit de nouvelles pièces et conclu le 6 février 2013, veille de la clôture, en modifiant substantiellement ses demandes ; qu'après fixation d'un nouveau calendrier destiné à permettre de retenir ces nouvelles pièces et conclusions en permettant aux intimés d'y répliquer et alors que l'affaire devait être clôturée le 05 septembre 2013, Monsieur Bertail a conclu le 30 août 2013 en déposant un nombre important de nouvelles pièces parmi lesquels cinq DVD de l'émission incriminée et un DVD de l'émission Etats Généraux - L'après élection, les attentes des Français diffusée sur France 5 le 15 mai 2007 ;
Qu'il ressort de ces éléments qu'en procédant comme il l'a fait, Monsieur Bertail a contraint ses adversaires, de manière récurrente et sans réel souci du contradictoire, à assurer leur défense, qu'il est en conséquence mal venu à leur reprocher d'avoir violé le principe du contradictoire, d'autant qu'il lui était loisible de prendre connaissance des pièces communiquées le 1er octobre 2013 et de solliciter un report de la clôture de l'instruction de l'affaire plutôt que de rédiger de nouvelles conclusions, le 3 octobre 2013, tendant à voir rejeter lesdites pièces sans pour autant circonstancier sa demande en regard du contenu de chacune de ces pièces ;
Qu'il sera, par conséquent, débouté de sa demande ;
Sur la demande de rejet des pièces n° 2, 4, 13a à 13k, 24A à 24S :
Considérant qu'aux termes du dispositif de ses dernières conclusions signifiées le 1er octobre 2013 (qui seul saisit la cour conformément aux dispositions de l'article 954 du Code civil de sorte qu'il n'y a pas lieu de se prononcer sur les pièces qui ne sont évoquées que dans le corps de ses écritures), la société 2P2L demande que soient rejetées des débats lesdites pièces, ainsi explicitées au pied des dernières conclusions de l'appelant :
- pièce n° 2 : dépôt de manuscrit à la SACD du 26.06.2001,
- pièce n° 4 : annulée,
- pièce n°13 (de 13a à 13k) : accusé réception (sic) de télécopie,
- pièce n° 24a mail Bertail à Caza du 02.11.2007,
- pièce 24b : mail Sebag à Bertail du 28.11.2007,
- pièce 24c : mail Bertail à Caza du 07.01.2008,
- pièce 24d : mail Caza à Bertail du 07.01.2008,
- pièce 24e :mail Bertail à Sebag du 09.01.2008,
- pièce 24f : mail Sebag à Bertail du 14.01.2008,
- pièce 24g : mail Bertail à Sebag du 16.01.2008,
- pièce 24h : échange de mails entre Bertail à Caza (sic) du 18.02.2008,
- pièce 24i : mail Berail à Chiche du 05.03.2008,
- pièce 24j : mail Chiche à Bertail du 06.2008 (sic),
- pièce 24k : mail Bertail à Chiche du 11.03.2008,
- pièce 24l : mail Sebag à Bertail du 27.03.2008,
- pièce 24m : mail Bertail à Sebag des 27 et 28.03.2008 (sic),
- pièce 24n : mail Bertail à Sebag du 07.04.2008,
- pièce 24o : mail Bertail à Chiche du 07.04.2008,
- pièce 24p : mail Sebag à Bertail du 10.04.2008,
- pièce 24q : mail Bertail à Caza du 08.05.2008,
- pièce 24r : mail Bertail à Caza du 11.05.2008,
- pièce 24s : mail Caza à Bertail du 14.05.2008 ;
Que, s'agissant de la pièce n° 2, la société 2P2L fait valoir qu'elle n'a été communiquée que tardivement et qu'elle est incomplète ; que, cependant, le fait qu'une pièce ne soit communiquée qu'en cours de procédure de première instance ne la rend pas irrecevable, pas plus que son caractère incomplet dès lors qu'il conduit à se prononcer sur la force probante de cette pièce et relève du fond du litige ;
Que, s'agissant de la pièce n° 4, il ressort de la liste des pièces communiquées qu'elle a été "annulée", ce que confirme l'examen du dossier de plaidoiries qui ne la contient pas ;
Que s'agissant des pièces 13a dont il est seul fait état dans le corps des écritures de la société 2P2L au soutien de cette demande (page 7/35), il y a lieu de considérer que le rejet en est réclamé au motif qu'elle contient une mention manuscrite illisible et qu'elle est dénuée force probante, ce qui ressort, ici aussi, du fond du litige ;
Qu'il en va de même des pièces numérotées 24a à 24s auxquelles la société 2P2L reproche de n'être que des preuves faites à soi-même, sans force probante ;
Que, par conséquent, doivent être rejetées les demandes de cette intimée tendant à voir purement et simplement écarter des débats les pièces précitées dont la force probante sera examinée, s'il échet, avec le fond ;
Sur la protection par le droit d'auteur du projet intitulé Présidentielles 95 - Média Politique :
Considérant que Monsieur Bertail reproche au tribunal d'avoir dénié cette protection à son projet aux motifs qu'il ne précisait pas les éléments caractérisant son originalité et portant l'empreinte de sa personnalité et en observant qu'il le présentait lui-même comme une idée, alors, selon lui, que le jugement a repris quasi-littéralement ses écritures en explicitant les étapes (au demeurant minimes car tenant au fait que la caméra devait être cachée ou pouvait ne pas l'être) - projet dans sa forme du 15 septembre 1994 puis dans sa forme du 21 juin 2001- mais a omis d'ajouter que les émissions devaient être suivies d'un débat comme l'a fait l'émission Etats Généraux - L'après élection, les attentes des Français incriminée ;
Qu'à son sens, cette présentation révélait toute l'activité créatrice de son auteur et un degré d'élaboration amplement suffisant pour permettre sa protection ; que son projet reflète, tant dans sa conception que dans son contenu, l'empreinte de la personnalité de son auteur et une combinaison originale de ses éléments constitutifs et qu'il est inexact d'affirmer, comme le font les intimés, qu'il est abstrait et insusceptible d'accéder à l'univers des formes ;
Que, plus précisément et à la faveur de son évolution, son projet (dont il précise qu'il devait nécessairement être adapté aux besoins du diffuseur et développé dans ce sens par le producteur dont c'est le rôle) ne se réduit pas à de simples idées sur une émission politique mais doit être, selon lui, qualifié d'abouti en ce sens que, dans la combinaison qu'il revendique, celui-ci :
- détaille le panel représentatif des familles,
- précise le positionnement de la puis des camera(s) - selon l'évolution du projet - destinée(s) à capter les réactions brutes des familles,
- imagine l'évolution de l'émission en envisageant la formation de familles de pensées politiques,
- prévoit une scission en deux parties, d'abord une synthèse des réactions, quelques jours avant l'élection puis après l'élection avec les réactions et commentaires suscités par l'élection et une rencontre avec un homme politique, le projet de 2001 ajoutant, en effet, une émission postérieure avec un grand débat,
- détaille "largement" la progression dramatique ;
Considérant, ceci exposé et s'agissant de la forme du projet, que les sociétés 2P2L et France Télévisions opposent justement à l'argumentation de l'appelant selon laquelle la jurisprudence a, par le passé, reconnu à des projets d'émissions tierces qu'elles pouvaient bénéficier de la protection instaurée par le Livre I du Code de la propriété intellectuelle, qu'il s'agissait de projets faisant l'objet de pilotes mettant en forme un projet en 'format papier', particulièrement détaillés, bien différents des quelques deux pages puis quatre pages sommaires des projets successifs de Monsieur Bertail (lesquels seraient, selon Monsieur Delais, au nombre de trois et non de deux avec des différences, voire des contradictions, qui interrogent sur les contours de l'œuvre revendiquée), sans qu'il ait cru devoir réaliser fût-ce un pilote d'émission ;
Qu'à s'en tenir à l'œuvre telle qu'elle se présentait en 2001 (en pièce 3), puisque l'appelant se prévaut d'un projet "abouti" successivement qualifié en cours de procédure, comme le remarque Monsieur Delais, de "concept", de "synopsis" puis de "format", il est constant que seule est éligible à la protection par le droit d'auteur, non pas l'idée, qui est de libre parcours, mais la mise en forme de l'idée en une création perceptible pourvu qu'une telle création porte l'empreinte de la personnalité de son auteur ;
Que ce "concept", "synopsis", "projet" ou "format" est composé d'un document de trois pages intitulé Présidentielles 95 - Média Politique auquel sont annexés le document de deux pages objet du constat de 1994 et un document de sept lignes intitulé Présidentielles 2002 ;
Que Monsieur Bertail a conclu, dans les deux premiers de ces documents : "Certes, le projet de Monsieur Bertail est ambitieux mais il constituera une trace unique dans l'histoire de la télévision : le déroulement d'une campagne présidentielle au sein même de différentes familles d'électeurs" ; que, ce faisant, Monsieur Bertail s'attachait à mettre en relief à titre conclusif le caractère original (voire novateur) de son projet dans le domaine des idées ;
Que si Monsieur Bertail s'emploie à démontrer que ce projet dépasse la simple idée et se trouve apte à accéder à l'univers des formes en soulignant le détail des caractéristiques qu'il revendique et dont la combinaison serait au fondement de son originalité, il ne peut être qu'être relevé, à l'examen de ces documents et comme le font valoir, en divers points, les intimés :
- que, par-delà la notion de "campagne électorale" qui ne fait pas l'objet d'une définition alors qu'elle est susceptible de diverses acceptions, le vocabulaire employé, à tout le moins dubitatif, tout comme l'emploi fréquent du mode conditionnel trahissent une absence de choix délibérés : "il est possible qu'un et un seul membre de la famille (...)', 'une caméra sera placée pendant plusieurs semaines, peut-être durant tout le déroulement de la campagne (...)' ou encore, s'agissant de la rencontre avec un homme politique : 'peut-être celui pour qui ils ont voté, peut-être l'opposant",
- que ne sont précisés ni le format de l'émission ni sa durée, la proposition de scission, sommairement évoquée, n'attestant pas d'une option précise pour une forme particulière et révélant même des incertitudes sur son contenu puisqu'en particulier la première partie devrait, selon ce que permet de constater le projet de Monsieur Bertail, être diffusée "quelques jours avant les élections" mais comporter des réactions "jusqu'à la veille de l'élection" ; qu'en outre, la société 2P2L objecte, à raison, que l'appelant est irrecevable à lui opposer l'idée de produire une deuxième partie post-électorale puisque l'émission L'après-élection - les attentes des Français diffusée sur France 5 le 15 mai 2007 s'inscrit dans un programme de type magazine hebdomadaire intitulé Etats généraux diffusé depuis 2005, coproduite par la société No Mad Prod (non attraite en la cause) et France 5, comme en atteste l'Institut National de l'Audiovisuel,
- que le panel représentatif des familles n'est nullement arrêté puisqu'il peut être, suivant les documents enliassés en 2001 et non point synthétisés, au nombre de sept ou d'une dizaine, pas plus que ne le sont les catégories professionnelles et les diverses zones géographiques dont elles seraient issues, lesquelles ne sont introduites qu'à titre exemplatif, - qu'aucun parti n'est pris sur le nombre de caméras, leur positionnement ou leur caractère caché ou non alors que cela peut avoir un impact sur les "réactions brutes" que le projet tel que présenté a l'ambition de recueillir, de sorte que le projet reste au stade d'une intention non précisément arrêtée et formalisée,
- qu'outre le fait que ne sont pas précisées l'agencement des séquences et leur montage, ainsi que l'objecte la société 2P2L, la progression dramatique n'est présentée que comme ce que Monsieur Bertail "imagine", selon ses propres termes (page 9 de ses dernières conclusions) ;
Qu'il en résulte que l'appelant ne peut valablement prétendre qu'il développe "avec minutie et précision" son projet ; que ce projet dont il revendique la protection ne se présente que comme une articulation d'idées sans accéder à une forme précise marquée par son empreinte personnelle, seule susceptible de donner prise au droit d'auteur ;
Qu'il suit que doit être confirmé le jugement qui en a ainsi décidé en le déclarant irrecevable à agir en contrefaçon de droit d'auteur ;
Sur l'action en concurrence déloyale :
Considérant qu'invoquant à titre subsidiaire les dispositions de l'article 1382 du Code civil lui permettant de poursuivre la sanction de pratiques contraires aux usages loyaux du commerce distincts de la reproduction d'une œuvre elle-même, Monsieur Bertail fait valoir qu'il n'a été débouté de cette demande par les premiers juges que parce qu'il ne produisait pas les émissions diffusées qu'il estimait fautives mais que tel n'est plus le cas en cause d'appel ;
Qu'il affirme que le visionnage des émissions litigieuses révèle que Monsieur Delais et la société 2P2L ont illicitement repris l'ensemble des caractéristiques essentielles du format d'émission qu'il avait développé ; que, critiquant le tribunal qui a ajouté qu'en "toute hypothèse" la description de l'émission incriminée lui permettait d'énoncer que son approche était très différente du fait de la différence fondamentale tenant à l'absence, dans l'émission, de caméra cachée, l'appelant détaille les éléments de reprise : concept, contexte électoral, sujets, immersion, objectif, lieu ou encore émission-plateau post-élection ;
Qu'il ajoute que les nombreuses pièces qu'il verse aux débats portant sur l'accueil réservé à son projet par divers médias attestent de sa diffusion, que le développement de l'émission Cinq sur cinq que lui a proposé le directeur de la société 2C2L et ses offres de "dédommagement" le prouvent aussi, et soutient qu'est fautive la réalisation d'une œuvre par une personne à partir d'un projet non abouti qui lui avait été transmis lors de relations antérieures ;
Considérant, ceci rappelé et s'agissant de la recevabilité de son action à ce titre contestée par la société France Télévision, que l'absence de démonstration d'une faute fondée sur des faits distincts n'est pas une condition de recevabilité de l'action mais une condition de fond ;
Que, sur le fond, il convient de considérer qu'il ne peut y avoir de confusion entre une idée imprécise, insuffisamment élaborée et formalisée, et une émission de télévision finalisée et diffusée dès lors que le public ne pourra faire le lien entre le sommaire projet revendiqué et l'œuvre finalisée qui lui a été présentée sur la chaîne de France Télévisions ;
Qu'à admettre même que la reprise incriminée porte sur l'option de suivre la campagne électorale à travers un documentaire d'immersion tel que cela ressort du projet, à savoir: le déroulement d'une campagne présidentielle au sein même de différentes familles d'électeurs, ne peut prospérer le grief articulé par Monsieur Bertail tenant au fait qu'il a fait l'objet d'une diffusion parmi les médias et que les intimés ont indûment tiré profit de la valeur de ce projet de documentaire d'immersion ;
Qu'en effet, la société 2P2L démontre que ce type de documentaire consistant à placer le citoyen au centre du débat s'inscrivait, dans 'l'air du temps' depuis plusieurs années et qu'ayant elle-même produit des émissions comme Les paris de Delanoé, Comme un coup de tonnerre ou 36 heures, il correspondait à ses activités habituelles ;
Qu'elle observe, de plus, avec pertinence que le refus opposé à Monsieur Bertail par pas moins de huit professionnel de l'audiovisuel, à réception de son projet, fait douter de la valeur économique dont la captation lui est reprochée à faute, d'autant que celui-ci recélait un risque juridique tenant au respect au droit à l'image consécutivement à l'emploi de caméras cachées ;
Que, de son côté, Monsieur Delais, notamment concepteur d'une émission telle que Le jour où la France a dit non, réplique justement, sans d'ailleurs être contredit, que leurs démarches respectives ne peuvent être confondues, qu'il s'agisse du type de réactions recherché dans les familles concernées, de la focalisation vers le politique et les intentions de vote ou, au contraire dans son émission, vers le vécu quotidien de ces familles, ou même de leur traduction télévisuelle puisqu'alors que le "concept" de Monsieur Bertail envisageait un premier documentaire juste avant l'élection, les émissions de Monsieur Delais se présentent comme un feuilleton en cinq épisodes tourné en période pré-électorale au gré des événements marquants de la vie personnelle des familles concernées ;
Que le jugement mérite donc, sur cet autre point, confirmation ;
Qu'il s'induit, de plus, de ce qui précède que les demandes de la société 2P2L contestant la force probante des pièces précitées ainsi que celle de la société France Télévisions tendant à obtenir la garantie de la société 2P2L deviennent sans objet ;
Sur la demande indemnitaire présentée par Monsieur Delais au titre de son préjudice moral :
Considérant que, débouté de cette première demande en paiement de dommages-intérêts au motif qu'il ne justifiait pas de la réalité de son préjudice, Monsieur Delais réitère sa demande en précisant qu'il ne se fonde plus sur le préjudice que lui a causé la mise en réserve de droits par la SCAM, compte tenu de la présente procédure, mais sur le préjudice moral qu'elle lui a causé en faisant état de l'atteinte à son image et à sa réputation auprès des diffuseurs du fait des propos dénigrants et diffamatoires de Monsieur Bertail ;
Mais considérant qu'à supposer que cette demande qui tend désormais à indemniser un préjudice extra-patrimonial et non plus patrimonial ne se heurte pas à l'exception de nouveauté prévue à l'article 564 du Code de procédure civile, il n'est pas démontré que les propos incriminés aient dépassé les limites admissibles dans le cadre d'une procédure judiciaire tendant à obtenir la protection de droits de propriété intellectuelle ou la réparation de comportements présentés comme déloyaux et qu'un préjudice en soit résulté ;
Que la demande ne saurait donc prospérer ;
Sur la demande indemnitaire présentée par la société 2P2L pour préjudice commercial et d'image :
Considérant que si l'intimée se prévaut du préjudice d'image que lui a causé la présente procédure auprès des cinq diffuseurs hertziens dans le secteur de la production audiovisuelle, force est de relever que cette demande n'était pas présentée en première instance, comme le révèle la lecture du jugement, et qu'elle ne justifie pas d'une omission de statuer ni même ne le prétend ;
Qu'il y a lieu de lui opposer l'exception de nouveauté prévue à l'article 564 précité et de la déclarer, par conséquent, irrecevable en sa réclamation ;
Sur la demande indemnitaire pour procédure abusive présentées par la société 2P2L et
Monsieur Delais :
Considérant que pour démontrer que Monsieur Bertail a, en cinq ans de procédure et avec trois avocats successifs, abusé de son droit d'ester en justice, la société 2P2L fait valoir qu'en s'acharnant à poursuivre l'instance pour bénéficier de la protection du droit d'auteur sur une œuvre qu'il qualifiait lui-même initialement d'"idée" et qu'il a ensuite artificiellement qualifiée de synopsis, de projet ou encore de format, Monsieur Bertail ne peut prétendre s'être mépris sur l'étendue de ses droits ;
Que, pour sa part, Monsieur Delais fait état, non seulement de la parfaite connaissance qu'avait Monsieur Bertail du fait que son projet inabouti ne pouvait accéder à la protection par le droit d'auteur mais aussi de manœuvres caractérisées par la présentation du nombre de ses projets ou de l'attestation de Monsieur Azoulay qualifiée d'attestation de complaisance ;
Considérant, ceci rappelé, qu'ainsi qu'évoqué ci-avant dans le cadre des questions de procédure tranchées par la cour, le comportement procédural de Monsieur Bertail, quelque peu oublieux du principe du contradictoire, n'est pas exempt de faute et qu'il n'a pas manqué de causer à ses adversaires, outre un accroissement des frais de justice auxquels ils ont été exposés, des tracas accentués par l'incertitude juridique dans laquelle ils se sont trouvés, pour une bonne part de son fait, durant cinq ans ;
Qu'il sera, en conséquence, condamné à verser à chacun une somme de 500 euros à ce titre ;
Sur les demandes accessoires :
Considérant que l'équité commande de condamner Monsieur Bertail à verser à chacun des intimés une somme complémentaire de 6 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Que, débouté de ce chef de prétentions, Monsieur Bertail qui succombe supportera les dépens d'appel ;
Par ces motifs, Rejette les demandes de Monsieur Marc Bertail tendant à voir écarter des débats les pièces n° 16 à 23 produites par la société Pourquoi Pas La Lune SAS ; Rejette les demandes de la société Pourquoi Pas La Lune SAS tendant à voir écarter des débats les pièces n° 2, 4, 13a à 13k, 24A à 24S produites par Monsieur Bertail ; Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a rejeté les demandes indemnitaires fondées sur l'abus de procédure et, statuant à nouveau en y ajoutant ; Déclare la société Pourquoi Pas La Lune SAS irrecevable en sa demande indemnitaire en réparation de son préjudice commercial et d'image, par application de l'article 564 du Code de procédure civile ; Condamne Monsieur Marc Bertail à verser à la société Pourquoi Pas La Lune SAS et à Monsieur Bertrand Delais la somme de 500 euros, au profit de chacun, à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ; Condamne Monsieur Marc Bertail à verser à la société Pourquoi Pas La Lune SAS, à Monsieur Bertrand Delais et à la société France Télévisions SA la somme complémentaire de 6 000 euros, ceci au profit de chacun, en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute Monsieur Marc Bertail de ses prétentions ; Condamne Monsieur Bertail aux dépens d'appel, avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.