CA Montpellier, 2e ch., 26 novembre 2013, n° 12-04810
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Floirac, Etioscan (SARL)
Défendeur :
Moreau, Némopharm (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chassery
Conseillers :
M. Prouzat, Mme Olive
Avocats :
Mes Pepratx Negre, Marcou, Garrigue
Faits et procédure - Moyens et prétentions des parties :
La société Némopharm, qui a son siège à Montpellier (34), a pour objet social l'activité de commercialisation de tous produits, naturels, compléments nutritionnels, diététiques et alimentaires, cosmétiques et tous produits se rapportant à l'équilibre de l'homme et au bien-être, ainsi que le conseil en hygiène de vie, naturopathie et diététique. Elle a développé, sous l'appellation "Physioquanta", une gamme de produits, dont le "Physioscan", qu'elle définit elle-même comme un appareil de haute technologie quantique permettant de réaliser des scans énergétiques du corps d'une remarquable précision et une restauration de l'équilibre par bio résonance ; gérant de la société Némopharm, Guillaume Moreau est propriétaire de la marque "Physioscan" déposée à l'Inpi, le 14 février 2007, dans les classes 9 et 10.
La société Etioscan, qui a son siège à Clapiers (34), a pour objet de louer et de commercialiser des appareils à usage paramédical ou médical et d'organiser des actions de formation sur l'utilisation des appareils vendus ; elle commercialise notamment un appareil, l'"Etioscan", visant à stimuler l'auto guérison de l'organisme par une thérapie de bio résonance ; gérant de la société, Hervé Floirac, qui exerce la profession de kinésithérapeute et d'ostéopathe, a déposé, avec Nathalie Floirac, la marque "Etioscan", le 17 mars 2011, auprès de l'Inpi, dans les classes 9 et 10.
Pour assurer la promotion de ses produits, la société Némopharm a créé un site Internet et obtenu de la société Google le référencement du nom de domaine "Physioscan". Le 20 septembre 2010, la société Némopharm a fait constater par Me Guibert, huissier de justice à la Roche-sur-Yon, qu'en tapant "Physioscan" dans l'emplacement du moteur de recherche Google, apparaissait, parmi les dix premiers sites répertoriés, le résultat "Etioscan Bioresonance" dirigeant l'internaute sur le site "www.alians-d.com.ua/fr/" d'une société ukrainienne, qui promouvait un appareil, "l'Etioscan", et présentait, dans les contacts, le site Internet "www.etioscan.fr" de la société Etioscan et l'adresse E-mail de son dirigeant, Hervé Floirac.
Après avoir mis en demeure la société Etioscan d'avoir à cesser d'utiliser le mot "Physioscan" pour tout référencement sur Internet et à faire disparaître la mention "Etioscan" de ses produits et supports publicitaires, la société Némopharm et Guillaume Moreau ont fait assigner celle-ci, ainsi que Nathalie Floirac, par acte du 3 août 2011, devant le Tribunal de grande instance de Montpellier en concurrence déloyale et contrefaçon de marque.
Ils soutenaient, d'une part, qu'en utilisant le mot-clé "Physioscan" pour détourner la clientèle potentielle vers son propre site Internet via le moteur de recherche Google, la société Etioscan avait commis un acte de concurrence déloyale, les produits et services commercialisés par les deux sociétés étant identiques ou similaires, et, d'autre part, que la marque "Etioscan" constituait une contrefaçon par imitation de la marque "Physioscan" au sens de l' article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle , compte tenu de leurs similitudes visuelles et phonétiques et du risque de confusion en résultant dans l'esprit du public.
Par jugement du 26 avril 2012, le tribunal a notamment :
- dit que la société Etioscan a commis des actes de concurrence déloyale au détriment de la société Némopharm,
- dit qu'il est fait interdiction à la société Etioscan d'utiliser le référencement commercial ayant comme support ou référentiel le terme "Physioscan" sur le moteur de recherche Internet Google, dans le délai d'un mois à compter de la signification de la décision et passé ce délai, sous astreinte de 1 000 euro par infraction constatée et ce, pendant 60 jours,
- dit que la société Etioscan et Mme Floirac se sont livrées à des actes de nature à constituer une contrefaçon par imitation de marque,
- condamné la société Etioscan et Mme Floirac à enlever l'ensemble des placards et insertions publicitaires portant la mention "Etioscan", à retirer de la vente l'ensemble des produits portant ladite marque, à cesser toute utilisation de la marque "Etioscan" y compris sur Internet, dans un délai d'un mois à compter de la signification de la décision et passé ce délai, sous astreinte de 1000 euro par jour de retard et ce, pendant 60 jours,
- condamné la société Etioscan à verser à M. Moreau la somme de 50 000 euro à titre de réparation,
- condamné la société Etioscan à payer à la société Némopharm et à M. Moreau la somme de 800 euro, chacun, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné Mme Floirac à payer la société Némopharm et à M. Moreau la somme de 800 euro, chacun, sur le fondement de l'article 700 du même code,
- débouté la société Némopharm et M. Moreau du surplus de leurs demandes,
- ordonné l'exécution provisoire.
La société Etioscan et Mme Floirac, qui n'avaient pas comparu en première instance, ont régulièrement relevé appel de ce jugement en vue de sa réformation. Elles demandent à la cour de débouter la société Némopharm et M. Moreau de l'ensemble de leurs prétentions et de les condamner, solidairement, à leur payer les sommes de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 5 000 euro HT sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
Au soutien de leur appel, ils font essentiellement valoir (conclusions reçues par le RPVA le 2 octobre 2013) que :
- la preuve d'une faute susceptible de caractériser un comportement déloyal n'est pas démontrée, alors qu'il n'existe pas de risque de confusion vis-à-vis d'une clientèle de professionnels entre les deux produits commercialisés sous des noms phonétiquement éloignés et de signification différente et que sur l'écran de recherche Google obtenu en utilisant le mot-clé "Physioscan", aucun lien électronique, sous la forme d'une "petite main" que prend le curseur sur l'écran de l'ordinateur, ne permet de renvoyer l'internaute vers la société Etioscan,
- contrairement à ce qui est prétendu, la société Etioscan n'exploite pas le site"www.alians-d.com.ua/fr/", qui est géré par un tiers, la compagnie Alliance-Dent Limited ayant son siège à Kiev en Ukraine, et rien ne permet d'affirmer qu'elle a créé un lien hypertexte vers ce site, ce dont il résulte qu'il ne peut lui être reproché un usage illicite du mot-clé "Physioscan" en vue d'obtenir un référencement commercial à partir de ce mot-clé dans le moteur de recherche Google,
- le tribunal ne pouvait, sans se contredire, retenir l'existence d'actes de concurrence déloyale, tout en déboutant la société Némopharm de sa demande en paiement de dommages et intérêts,
- la marque "Etioscan" ne peut être considérée comme une imitation de la marque "Physioscan" au sens de l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, dès lors que les produits commercialisés sous ces marques sont destinés à un public de professionnels du secteur médical ou paramédical, excluant ainsi tout risque de confusion, qu'eu égard notamment à l'étymologie des termes utilisés "Physio" et "Etio", aucune imitation des signes en conflit ne se trouve caractérisée et qu'au surplus, le public spécialisé, appelé à consulter les annonces publiées sur Internet, ne peut se méprendre sur l'origine des produits proposés sous les deux marques, comme provenant d'une même entreprise ou d'entreprises économiquement liées,
- en toute hypothèse, le préjudice revendiqué par la société Némopharm et M. Moreau n'est pas justifié.
La société Némopharm et M. Moreau concluent, pour leur part, à la confirmation du jugement ; ils sollicitent la publication de l'arrêt à intervenir par voie de presse aux frais des appelants et la condamnation de ces derniers au paiement d'une amende civile, qui ne saurait être inférieure à 3 000 euro, outre l'allocation à chacun d'eux de la somme de 4 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Ils soutiennent (conclusions reçues par le RPVA le 17 avril 2013) que :
- la marque "Physioscan" s'est vue emprunter par imitation des éléments vocables, qui lui sont caractéristiques et distinctifs, puisque sur le plan visuel, les marques "Physioscan" et "Etioscan" présentent un nombre de syllabes identiques et six lettres sur dix identiques, classées dans le même ordre, que sur le plan phonétique, la reprise dans un ordre identique d'un certain nombre de lettres produit à l'oreille des analogies sonores et qu'en matière quantique, "Physio" a pour corollaire le terme "Etio",
- les produits et services de la société Némopharm, bénéficiaire d'un contrat d'exploitation exclusif, sont, par ailleurs, identiques à ceux de la société Etioscan et le risque de confusion est d'autant plus avéré que les produits sont commercialisés sur le même marché et par deux sociétés géographiquement proches,
- c'est donc à juste titre que le tribunal a retenu l'existence d'une contrefaçon de marque par imitation, sur le fondement de l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle,
- l'emprunt du nom de domaine "Physioscan" sur le moteur de recherche Google a permis à la société Etioscan de tirer profit de la notoriété de la marque "Physioscan" et des investissements réalisés pour son développement, en orientant les consommateurs internautes sur son propre site par le biais d'un lien hypertexte,
- il importe peu que l'exploitant du site "www.alians-d.com.ua/fr/", soit un tiers, alors que M. Floirac, gérant de la société Etioscan, a reconnu publiquement avoir des intérêts en Europe de l'est et des collaborateurs ayant créé ce site,
- il en est résulté un acte de concurrence déloyale, qui créé nécessairement un préjudice correspondant au trouble commercial lié au détournement de la clientèle.
C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 3 octobre 2013.
Motifs de la décision :
En vue de caractériser les actes de concurrence déloyale, qu'ils reprochent à la société Etioscan, la société Némopharm et M. Moreau produisent le procès-verbal de constat dressé le 20 septembre 2010 par Me Guibert, huissier de justice à la Roche-sur-Yon, dont il résulte qu'en tapant, dans le moteur de recherche de la société Google (http://www.google.fr), le mot "Physioscan", apparaît, parmi les dix premiers sites répertoriés de la recherche (sur 1990 résultats), le lien commercial "Etioscan Bioresonance" dirigeant l'internaute sur le site www.alians-d.com.ua/fr/.
Il ressort des constatations faites par l'huissier, qui a annexé à son constat diverses captures d'écran, que la page d'accueil, en caractères cyrilliques, mentionne que le site est exploité par une entreprise "Alliance-Dent, Ltd" basée en Ukraine à Kiev (Kyiv), qu'après avoir cliqué sur le drapeau français, les pages du site, destinées au public francophone, présentent un appareil, "l'Elioscan S22", permettant d'analyser et de traiter par bio résonance les tissus, cellules ou organes du corps humain et que dans la rubrique "Représentants" figurant sur la partie gauche de la page d'accueil, est notamment répertorié Hervé Floirac, représentant "Alliance-Dent, Ltd" en France, Suisse, Belgique, Pays-Bas et Luxembourg avec l'indication d'une adresse (centre commercial la Croisée, 34 830 Clapiers), de numéros de téléphone (04 67 59 18 57 , 06 20 40 50 00), d'une adresse E-mail ([email protected]) et d'un site web (http:// www.etioscan.fr). Pour autant, le fait que M. Floirac soit désigné sur le site www.alians-d.com.ua/fr/ comme le représentant dans divers pays d'Europe, dont la France, du fournisseur ukrainien d'un appareil présentant les mêmes propriétés que le "Physioscan" commercialisé par la société Némopharm et que ses coordonnées et celles de la société Etioscan, dont il est le gérant, y soient également mentionnées, alors que dans le cadre d'une recherche sur Google, l'utilisation du mot-clé "Physioscan" permet de faire apparaître l'adresse de ce site, n'est pas en soi suffisant à caractériser l'existence d'une concurrence parasitaire, qui soit imputable à la société Etioscan et de nature à engager sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du code civil.
En effet, ni M. Floirac, ni la société Etioscan ne sont les exploitants du site www.alians-d.com.ua/fr/ et il n'est pas établi qu'ils soient, directement ou indirectement, à l'origine de la réservation auprès de la société Google du mot-clé "Physioscan" conduisant à orienter automatiquement les internautes vers ce site, dans le cadre d'une recherche sur Internet ; il n'est même pas évident qu'ils aient eu connaissance de l'utilisation de ce mot-clé permettant de faire apparaître, de manière privilégiée, les coordonnées du site de leur fournisseur ukrainien et ils justifient avoir demandé à celui-ci, par courriel du 19 septembre 2010, de faire modifier les termes de son référencement Google "Adwords". C'est donc à tort que le premier juge a considéré que la société Etioscan avait commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Némopharm.
L'article L. 713-3 b) du Code de la propriété intellectuelle, sur lequel se fondent la société Némopharm et M. Moreau pour soutenir l'existence d'une contrefaçon de la marque "Physioscan", dispose que sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public, l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement ; il est de principe que le risque de confusion doit être apprécié globalement en considération de l'impression d'ensemble produite par les marques compte tenu, notamment, du degré de similitude visuelle ou conceptuelle entre les signes, du degré de similitude entre les produits et de la connaissance de la marque sur le marché.
Au cas d'espèce, il n'est pas discuté que la marque déposée à l'Inpi par M. Moreau, le 14 février 2007, dans les classes 9 et 10, sous le signe "Physioscan", désigne un produit identique ou similaire à celui couvert par l'enregistrement de la marque "Etioscan", effectué par Mme Floirac, le 17 mars 2011, auprès de l'Inpi, dans les mêmes classes 9 et 10, qui concerne également un appareil censé restaurer l'équilibre corporel par une thérapie de bio résonance ; ce type de matériel est destiné à être vendu à des thérapeutes, professionnels de santé.
Les signes "Physioscan" et "Etioscan" n'ont de commun que le terme "scan", abréviation de "scanner" (de l'anglais to scan, scruter, balayer du regard), notamment utilisé, dans le secteur médical pour désigner un appareil d'imagerie permettant l'étude de structures anatomiques, ce qui, s'agissant des appareils en cause, supposés réaliser des scans énergétiques du corps humain (sic), constitue un terme banal susceptible de se retrouver dans de nombreuses marques désignant des produits ou services faisant appel aux techniques de l'imagerie par laser ou rayons X ; il n'existe, pour le surplus, aucune similitude ni phonétique, ni visuelle dans l'emploi des préfixes "Physio" et "Etio", lesquels, comme le soulignent les appelants, ont un sens étymologique différent.
Dès lors, aucune similitude ou risque de confusion ne peut être retenu entre les signes considérés, qui désignent des produits, qui, certes, sont commercialisés par des sociétés localisées toutes deux dans la région montpelliéraine, mais qui ont, somme toute, vocation à être vendus à un public de professionnels, par définition avertis ; il convient en conséquence, contrairement à ce qu'a décidé le premier juge, de débouter la société Némopharm et M. Moreau de leurs demandes fondées sur l'existence d'une contrefaçon de marque par imitation.
L'exercice d'une action en justice est un droit qui ne dégénère en abus qu'en cas d'intention malicieuse ou de mauvaise foi de la part de son auteur ; en l'espèce, il n'est pas établi en quoi l'action engagée par la société Némopharm et M. Moreau procède d'un abus de droit caractérisé de leur part, en dépit du reproche, qui leur est fait, de n'avoir pas vérifier, préalablement, si des modifications avaient été apportées à la recherche sur Google à partir du mot-clé "Physioscan" ; la demande incidente de société Etioscan et de Mme Floirac en paiement de dommages et intérêts de ce chef ne peut ainsi qu'être rejetée.
Au regard de la solution apportée au règlement du litige, la société Némopharm et M. Moreau doivent, en revanche, être condamnés aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à la société Etioscan et à Mme Floirac la somme de 2 000 euro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, Infirme dans toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de grande instance de Montpellier en date du 26 avril 2012, Statuant à nouveau, Déboute la société Némopharm et Guillaume Moreau de l'ensemble de leurs demandes en concurrence déloyale et contrefaçon de marque, Rejette la demande incidente de la société Etioscan et de Nathalie Floirac en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive, Condamne la société Némopharm et M. Moreau aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à la société Etioscan et Mme Floirac la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit que les dépens d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.