Cass. com., 26 novembre 2013, n° 12-29.709
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Argeville (SA)
Défendeur :
Créations et parfums (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
Mme Mouillard
Avocat général :
Mme Batut
Avocats :
SCP Blanc, Rousseau, SCP Baraduc, Duhamel
Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 25 octobre 2012), que la société Créations et parfums et la société Argeville exercent à Grasse la même activité de fabrication et négoce d'essences, matières aromatiques et composants pour la parfumerie ; que reprochant à la seconde d'avoir débauché plusieurs de ses salariés et de l'avoir ainsi désorganisée, la première l'a fait assigner en paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale ;
Attendu que la société Argeville fait grief à l'arrêt de sa condamnation alors, selon le moyen : 1°) qu'en s'étant bornée à énoncer qu'il résultait d'indices concordants que la migration des salariés était le résultat d'une action concertée et de manœuvres déloyales visant volontairement à désorganiser la société Créations et parfums et à s'approprier sa clientèle, la cour d'appel, qui n'a nullement précisé la nature des indices concordants et des manœuvres déloyales imputées à la société Argeville ni expliqué en quoi la société Créations et parfums avait été désorganisée, a statué par voie d'affirmation et a ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile ; 2°) que l'embauche d'anciens salariés d'une entreprise concurrente n'est fautive que lorsqu'elle a pour effet de désorganiser cette société ; qu'en ayant jugé fautive l'embauche par la société Argeville de 5 salariés ayant appartenu à la société Créations et parfums sans avoir recherché, comme elle y était invitée, si ces embauches, effectuées sur une période de plusieurs années s'étendant de 2003 à 2009, avaient entraîné une véritable désorganisation de cette société ayant une incidence mesurable sur son activité et non de simples perturbations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ; 3°) que la simple embauche, dans des conditions régulières, d'anciens salariés d'une entreprise concurrente, n'est pas fautive ; que l'embauche d'anciens salariés libres de tout contrat et à la recherche d'un emploi ne peut constituer un acte de concurrence déloyale ; qu'en ayant imputé à faute à la société Argeville l'embauche en 2003 de M. Fruitier, qui avait quitté la société Créations et parfums depuis le 9 mai 2000, et l'embauche en août 2009 de M. Jérémy Akoum, dont le contrat s'était achevé en juillet 2009 et qui avait multiplié les recherches d'emploi et les candidatures, la cour d'appel a de nouveau violé l'article 1382 du code civil ; 4°) que les juges sont tenus d'indiquer la nature et l'origine des documents de preuve sur lesquels ils se fondent pour affirmer l'existence d'un fait ; qu'en ayant retenu que la société Créations et parfums avait connu une perte subite de clientèle et une privation corrélative de chiffre d'affaires, sans mentionner aucune pièce étayant cette affirmation, cependant que la société Argeville soutenait que son adversaire ne produisait aucun document comptable, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ; 5°) qu'en s'étant bornée à affirmer que les manœuvres déloyales avaient nécessairement causé un préjudice à la société Créations et parfums sans avoir constaté l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice résultant de la perte de clientèle et l'embauche des salariés par la société Argeville, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt constate que la société Argeville a recruté au cours de l'été 2009 trois salariés du service commercial de la société Créations et parfums, tous trois en possession d'une "promesse d'embauche pour un contrat de travail à durée indéterminée" valable jusqu'au 31 octobre 2009 et consentie antérieurement à la cessation de leur contrat de travail, et qui ont donné leur démission peu avant leur embauche ; qu'il relève que ces salariés ont occupé au sein de la société Argeville des fonctions commerciales semblables à celles qu'ils avaient occupées au sein de la société Créations et parfums et sur des secteurs géographiques similaires et souligne que les embauches concomitantes de ces salariés par la société Argeville, qui exerce la même activité tournée essentiellement vers l'export, ont entraîné la désorganisation de la société Créations et parfums et notamment celle de son service commercial divisé en deux secteurs, Asie et Moyen-Orient, qui ne comptait que six personnes ; qu'il relève que ces mouvements de personnels, qui n'étaient dictés par aucun motif objectif d'insatisfaction exprimé par les salariés envers leur ancien employeur, ont permis à la société Argeville d'exploiter les connaissances commerciales desdits salariés et d'obtenir un transfert à son profit de clients de la société Créations et parfums, en particulier de clients du secteur du Moyen-Orient dont ces anciens salariés étaient en charge ; qu'en l'état de ces seules constatations et appréciations, justifiant légalement sa décision, et dont il résulte que la société Argeville s'est livrée au débauchage du personnel de la société Créations et parfums dans des conditions ayant conduit à la désorganisation de l'activité de celle-ci, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ;
Et attendu, en second lieu, que la cour d'appel, qui a retenu que la société Créations et parfums justifiait d'un préjudice commercial et moral de 90 000 euros, constitué par la perte subite de clients et par la privation corrélative du chiffre d'affaires qui pouvait être escompté de la poursuite des relations commerciales pendant une durée raisonnable, a souverainement apprécié l'existence du préjudice subi par la société Créations et parfums ainsi que le montant de l'indemnité propre à en assurer la réparation ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.