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Décisions

Cass. com., 26 novembre 2013, n° 12-26.015

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Saint Yves société d'intérêt collectif agricole à conseil d'administration (SCA)

Défendeur :

Coopérative agricole des producteurs de légumes Sud-Est de l'Oise, Ferme de la Theve (EARL), Ferme de Balagny (SCA), Bauche et fils (SCA), Besnard (EARL), Bel Air (EARL), Boisseau-Marly (EARL), Bonneuil (EARL), Bouville (EARL), Brisset (EARL), Champfleury (SCA), Chartier (Consorts), Chartier Plessis (EARL), La Ferme du Château (EARL), Choisy (SCA), Caeckaert, Sébastien Charpentier (EARL), Courtier-Villers (EARL), Cuypers et fils (EARL), Ferme du Courtillet (SCA), Cuypers Edouard (EARL), Cuypers Vincent (EARL), Daudre (EARL), Duchenne (SCA), La Grande Cour (SCA), Ferme de la montagne (SCA), Guibert, Haquin-Ferme Sainte Marie (SCA), Haquin Remi et Benoit (GAEC), Lewko (EARL), Ferme de l'Oratoire (EARL), La Malmaison (EARL), Martin (EARL), Ferme de Mauregard (EARL), Moquet, Moulin (EARL), Nantouillet (GAEC), Pilouvet (EARL), Plasmans Vemars (EARL), La Pomponne (EARL), Proffit, Prot (EARL), Saint Leu (EARL), Ferme Taveau (GAEC), Troenes (EARL), Trois Ormes (EARL), Vasseur Charny (EARL), Vivient (EARL), Meignen-Boucher (SCA), Ferme de Montagny (SCA), Vanlerberghe, Poligny (EARL), Van Puyvelde (ès. qual.), Van Hyfte (EARL), Omont (ès. qual.), Ferme de Conde (SCA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Rapporteur :

M. Fédou

Avocat général :

Mme Batut

Avocats :

SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, SCP Delvolvé

Amiens, 1re ch. sect. 1, du 21 juin 2012

21 juin 2012

LA COUR : - Joint les pourvois n° 12-26.015 et 12.26.332, qui attaquent le mëme arrêt ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Amiens, 21 juin 2012), rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 8 février 2011, pourvoi n° 09-17.034), que la société Saint Yves, qui exploitait une conserverie, avait pour fournisseurs quasi exclusifs cinquante-deux adhérents d'une coopérative de production des légumes du Sud-Est de l'Oise (la société Capleso) ; qu'elle avait également conclu avec quatre agriculteurs des contrats d'épandage d'effluents ; que la société Saint Yves ayant informé la société Capleso de la fermeture de son site de production, la société Capleso et ses adhérents ont fait assigner la société Saint Yves en indemnisation des préjudices qu'ils déclaraient avoir subis du fait de cette fermeture ; que les quatre agriculteurs titulaires des contrats d'épandage ont sollicité une indemnisation distincte au titre de la rupture de ces contrats ; que devant la cour d'appel de renvoi, les adhérents de la société Capleso ont soutenu qu'ils étaient recevables à agir et que la société Saint Yves avait engagé sa responsabilité envers eux pour rupture brutale de ses relations commerciales avec la société Capleso ;

Sur la recevabilité du pourvoi n° 12-26.332, relevée d'office après avertissement délivré aux parties : - Attendu qu'une même personne, agissant en la même qualité, ne peut former qu'un seul pourvoi en cassation contre la même décision ;

Attendu que par déclaration adressée le 1er octobre 2012, la société Saint Yves a formé, contre l'arrêt rendu le 21 juin 2012, un pourvoi en cassation enregistré sous le numéro 12-26.332 ;

Attendu que la société Saint Yves qui, en la même qualité, avait déjà formé contre la même décision le 19 septembre 2012 un pourvoi enregistré sous le numéro 12-26.015, n'est pas recevable à former un nouveau pourvoi en cassation ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 12-26.015 : - Attendu que la société Saint Yves fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré les associés de la société Capleso recevables en leur action en responsabilité dirigée contre elle, alors, selon le moyen : 1°) que la recevabilité de l'action en responsabilité engagée par un associé à l'encontre d'un cocontractant de la société est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel et distinct de celui qui pourrait être subi par la société elle-même ; que cette condition n'est satisfaite que si l'associé se prévaut d'un préjudice propre, qui ne soit pas le corollaire du préjudice social ; qu'au cas présent, pour déclarer recevable l'action en responsabilité introduite par les associés de la société Capleso contre la société Saint Yves, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que les associés de la société Capleso invoquaient un "préjudice personnel et distinct de celui de la société coopérative", qu'elle a identifié comme un préjudice "résultant de la désorganisation de son exploitation agricole et des pertes économiques découlant d'un changement brutal de pratiques culturales", mais sans vérifier, comme elle y était pourtant invitée par l'exposante, si le préjudice invoqué par les associés de la société Capleso n'était pas le simple corollaire du préjudice qu'aurait seule pu invoquer la société Capleso ; qu'en réputant ainsi satisfaite la condition qu'elle était tenue de vérifier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 31 du Code de procédure civile ; 2°) que la recevabilité de l'action en responsabilité engagée par un associé à l'encontre d'un cocontractant de la société est subordonnée à l'allégation d'un préjudice propre, qui ne soit pas le corollaire du préjudice que pourrait invoquer la société ; que quand bien même il serait établi que la faute du contractant de la société aurait provoqué un préjudice susceptible d'être constaté et évalué en la personne des associés, cette circonstance serait sans incidence sur la recevabilité de l'action individuelle de l'associé, qui ne dépend que du point de savoir si le préjudice allégué par l'associé est distinct du préjudice que pourrait invoquer la société ; qu'au cas présent, pour déclarer recevable l'action en responsabilité introduite par les associés de la société Capleso contre la société Saint Yves, la cour d'appel a constaté que la rupture par la société Saint Yves de ses relations commerciales avec la société Capleso était de nature à générer un préjudice qui pouvait, en raison de la transparence matérielle et économique de la société coopérative agricole Capleso, être constaté et évalué en la personne de chacun des associés de la société Capleso ; qu'en déduisant ainsi la recevabilité de l'action individuelle des associés de la possibilité de constater un préjudice en leur personne, cependant que cette circonstance était indifférente et que seul importait le point de savoir si ce préjudice était distinct du préjudice qu'aurait pu invoquer la société, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants, en violation de l'article 31 du Code de procédure civile ; 3°) que ne constitue pas un préjudice personnel et distinct du préjudice que pourrait invoquer la société, justifiant la recevabilité de l'action individuelle de l'associé, le préjudice subi indistinctement par la collectivité des associés et par la société ; qu'au cas présent, la cour d'appel a identifié le préjudice invoqué par les associés de la Capleso comme résultant pour chacun d'eux de la "désorganisation de son exploitation agricole et des pertes économiques découlant d'un changement brutal de pratiques culturales" ; qu'un préjudice ainsi identifié ne pouvait, par hypothèse, qu'être subi indistinctement par l'ensemble des associés de la Capleso et par la société Capleso elle-même ; qu'en déclarant néanmoins recevable l'action individuelle introduite par les associés de la Capleso à l'encontre de la société Saint Yves, cependant qu'il ressortait de ses propres constatations que le préjudice subi par les associés était nécessairement subi indistinctement par les associés et par la société Capleso, la cour d'appel a violé l'article 31 du Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt constate que ni les statuts ni le règlement intérieur de la société Capleso ne prévoient que la coopérative achète les produits de ses coopérateurs pour les revendre, même pour des opérations ponctuelles ; qu'il relève que par l'effet de leur adhésion à la société coopérative, les associés de la société Capleso se sont trouvés soumis à des règles strictement définies pour la commercialisation de leur production légumière et enfermés dans une relation de monopole à l'égard de la société Saint Yves ; qu'il relève encore que de telles règles impliquaient une rémunération individualisée et personnalisée des apports de chacun des associés en fonction de la nature, de la qualité et de la quantité de produits livrés à l'usine de conserverie de la société Saint Yves ; qu'il retient que par suite d'un système de production organisé selon les impératifs de la société Saint Yves, la perte brutale et sans préavis d'une filière exclusive de transformation de leur production légumière était de nature à entraîner pour chacun des associés de la société Capleso une désorganisation de son exploitation agricole ainsi que des pertes économiques résultant d'un brusque changement de pratiques culturales ; qu'ayant ainsi fait ressortir que la rupture brutale des relations commerciales établies entre la société Saint Yves et la société Capleso avait causé à chaque associé de cette dernière un préjudice personnel et distinct de celui qui aurait pu être subi par elle, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen de ce pourvoi : - Attendu que la société Saint Yves fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à chacun des adhérents de la société Capleso la somme de 1 000 euro en réparation de leur préjudice moral, alors, selon le moyen, qu'un même préjudice ne peut faire l'objet d'une double indemnisation ; qu'au cas présent, la cour d'appel a condamné la société Saint Yves à indemniser les associés de la société Capleso au titre d'un "préjudice moral de désorganisation" que la cour d'appel a décrit comme consistant en "la désorganisation des exploitations agricoles et les désagréments qui en ont résulté" ; que cette indemnisation s'ajoute à l'indemnisation, ordonnée par la cour d'appel au titre du préjudice matériel, de la perte pour les associés de la société Capleso de la marge qu'ils auraient réalisée si le préavis avait été exécuté ; que pourtant, tel que décrit par la cour d'appel, le préjudice indemnisé au titre du préjudice moral ne pouvait consister qu'en la perte de marge subie par les associés de la société Capleso ; qu'il se trouvait donc nécessairement réparé par l'octroi de dommages-intérêts compensant la perte de marge subie ; qu'en ordonnant néanmoins l'indemnisation de ce préjudice au titre d'un préjudice moral autonome, cependant que ce préjudice se trouvait nécessairement réparé par l'indemnisation, ordonnée au titre du préjudice matériel, de la perte de marge subie par les associés de la société Capleso, la cour d'appel, a procédé à une double indemnisation d'un même préjudice, en violation de l'article 1382 du code civil et du principe de réparation intégrale du préjudice ;

Mais attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni de ses conclusions que la société Saint Yves ait soutenu devant la cour d'appel que le préjudice indemnisé au titre du préjudice moral des associés de la société Capleso s'était trouvé nécessairement réparé par l'octroi de dommages-intérêts compensant la perte de marge subie par eux ; que le moyen, nouveau, et mélangé de fait et de droit, est, comme tel, irrecevable ;

Et sur le troisième moyen de ce pourvoi : - Attendu que la société Saint Yves fait encore grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à verser certaines sommes à la SCEA Ferme de Montagny, à la SCEA Meignen Boucher, à la SCEA de Choisy et à M. Vanlerberghe, alors, selon le moyen : 1°) que les termes du litige sont déterminés par les prétentions des parties ; que devant la cour d'appel, les associés de la coopérative n'avaient pas conclu sur la question de la rupture du contrat d'épandage ; qu'aucune demande indemnitaire n'avait ainsi été formulée par les épandeurs ; que la cour d'appel a néanmoins confirmé l'indemnisation qui leur avait été accordée par les premiers juges ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation des articles 4 et 5 du Code de procédure civile ; 2°) qu'est caduc le contrat dont la cause disparaît ; que quand bien même le contrat serait conclu pour une durée déterminée, la disparition de sa cause fait cesser le contrat pour l'avenir et dispense les deux parties de l'exécution du contrat jusqu'au terme convenu ; qu'au cas présent, il était constant que le contrat d'épandage avait été conclu pour écouler les eaux de la conserverie, et que la conserverie avait cessé son activité au début de l'année 2004 ; que la cour d'appel a jugé que la société Saint Yves avait engagé sa responsabilité pour n'avoir pas poursuivi le contrat jusqu'au terme prévu du 1er janvier 2009 ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si le fermeture de la conserverie n'avait pas entraîné la caducité du contrat, de sorte qu'aucune indemnisation ne pouvait plus être due pour inexécution du contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1131 du code civil ;

Mais attendu, d'une part, que dès lors qu'en cause d'appel, la SCEA Ferme de Montagny, la SCEA Meignen Boucher, la SCEA de Choisy et M. Vanlerberghe sollicitaient la confirmation du jugement du chef des indemnités allouées en réparation des préjudices subis, c'est sans méconnaître les termes du litige que la cour d'appel a statué sur les demandes d'indemnisation formées au titre de la rupture des contrats d'épandage ;

Et attendu, d'autre part, que l'arrêt retient qu'à défaut d'un nouvel accord entre elles, les parties étaient tenues de respecter le terme convenu des contrats d'épandage ; qu'il retient encore que la rupture de ces contrats par la volonté unilatérale de la société Saint Yves a engagé la responsabilité de cette dernière ; qu'il ajoute que l'arrêt de la conserverie a entraîné pour les épandeurs des pertes de bénéfices non totalement compensées par la réduction des charges correspondantes ; qu'ayant ainsi fait ressortir que la rupture fautive de ces contrats à l'initiative de la société Saint Yves avant le terme convenu avait causé à ses cocontractants un préjudice leur ouvrant droit à réparation, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer une recherche que ses appréciations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : Declare irrecevable le pourvoi n° 12-26.332 ; Rejette le pourvoi n° 12-26.0150.