Cass. crim., 27 novembre 2013, n° 12-85.829
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Rapporteur :
M. Soulard
Avocat général :
Mme Caby
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Baraduc, Duhamel
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société X, contre l'ordonnance n° 54 du premier président de la Cour d'appel de Paris, en date du 29 mai 2012, qui a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à effectuer des opérations de visite et saisie de documents en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8-1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme, de l'article 102 du code civil, des articles L. 450-1, L. 450-4 et R. 450-2 du Code du commerce, des articles 520 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'ordonnance attaquée (10-23187) du 29 mai 2012 a rejeté le recours de la société X dirigé contre les ordonnances du juge des libertés autorisant à procéder à des visites domiciliaires dans les locaux de ladite société ;
"aux motifs que la société X soulève en premier lieu l'absence de contrôle juridictionnel effectif pendant le déroulement des opérations de visite et de saisies, contrôle répondant aux exigences de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; que cette demande relève non du contrôle de la légalité de l'ordonnance mais du contrôle de la régularité des opérations de visite et de saisie ; que, par ailleurs le fait que deux ordonnances ont été prises le même jour, l'une par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Créteil, l'autre par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Versailles, ne peut faire échec au contrôle juridictionnel effectif pendant le déroulement des opérations de visite, étant constant, comme clairement indiqué sur son ordonnance, que le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Versailles n'est intervenu que sur commission rogatoire du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Créteil, qui s'est seul prononcé sur l'autorisation accordée ; que la société X ne peut, par voie de conséquence, qu'être déboutée de sa demande tendant à voir retenir une violation de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
"alors que, selon l'article L. 450 du Code du commerce, l'ordonnance est notifiée préalablement et sur place à l'occupant des lieux et que la visite domiciliaire s'exécute sous l'autorité et le contrôle du juge l'ayant ordonnée, lequel peut se rendre dans les locaux et décider à tout moment de la suspension ou de l'arrêt de l'opération effectuée par les enquêteurs ; que pour être effective cette garantie doit être mentionnée dans l'ordonnance d'autorisation de même que les modalités de saisine du juge ; qu'en estimant que l'irrégularité de ce chef de l'ordonnance notifiée relevait du contrôle des opérations de visite et non du contrôle de la légalité de l'ordonnance et en refusant dès lors de se prononcer sur la régularité même de l'ordonnance qui lui était déférée, laquelle ne comportait aucune mention de la possibilité de recourir au juge pendant la saisie elle-même, le juge d'appel a méconnu ensembles le texte susvisé ainsi que l'article R. 450-2 du Code de commerce et de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme ; qu'il en est d'autant plus ainsi que l'arrêt laisse dépourvu de toute réponse le mémoire de l'exposante faisant valoir que la lacune de l'ordonnance n'avait pas été comblée par une information verbale, émanant des personnes qui l'avaient notifiée ; qu'en statuant comme il l'a fait le juge délégué a ainsi entaché sa décision d'une insuffisance de motifs caractérisée" ;
Attendu que, si c'est à tort que le premier président a jugé irrecevable le grief tiré de ce que l'ordonnance autorisant la visite ne mentionnait pas le droit de l'occupant de saisir le juge des libertés et de la détention pendant le cours des opérations ni les modalités de cette saisie, l'ordonnance attaquée n'encourt cependant pas la censure, dès lors qu'il résulte des dispositions de l'article L. 450-4, alinéa 3, du Code de commerce, que ces opérations sont placées sous le contrôle du juge qui les a autorisées ou de celui, territorialement compétent, qu'il a désigné à cet effet ; d'où il suit que le moyen, irrecevable en sa seconde branche, ne peut qu'être écarté ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 6 et 8-1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme, de l'article 102 du code civil, des articles L. 450-1 et L. 450-4 du Code du commerce, des articles 520 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'ordonnance attaquée (10-23187) du 29 mai 2012 a rejeté le recours de la société X dirigé contre les ordonnances du juge des libertés et de la détention autorisant à procéder à des visites domiciliaires dans les locaux de ladite société ;
"aux motifs que la société X soulève en deuxième lieu l'absence de bien fondé de l'autorisation des opérations de visite et de saisie accordée par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Créteil du fait en premier lieu que la motivation de l'ordonnance fait douter de l'exercice d'un contrôle effectif par le juge des libertés et de la détention, d'autre part que les déclarations anonymes sur lesquelles s'appuie l'autorisation des opérations de visite et de saisies ne constituent pas un indice suffisant permettant de justifier l'autorisation de ces opérations ; que ces motifs et le dispositif de l'ordonnance d'autorisation sont réputés être établis par le juge qui l'a rendue et signée ; que le fait que l'ordonnance reprenne la motivation de la requête de l'Autorité de la concurrence ne peut avoir aucune incidence sur la régularité de l'ordonnance ; que par ailleurs le juge délégué du premier président est amené à effectuer un second contrôle des pièces produites par l'Autorité de la concurrence, ce qui renforce le contrôle juridictionnel effectif ; qu'avant de délivrer l'autorisation de procéder aux opérations de visite et de saisie domiciliaire, le juge doit vérifier de manière concrète le bien-fondé de la demande, délimiter le marché concerné et caractériser les pratiques anti-concurrentielles présumées ; que le secteur économique concerné, à savoir "la fourniture de dispositifs médicaux cardiologiques" est clairement indiqué dans l'ordonnance ; que les agissements présumés sont mentionnés comme entrant dans le champ des pratiques prohibées dans le secteur ; que l'Autorité de la concurrence se fonde, pour solliciter les opérations de visite et de saisie, en premier lieu sur deux déclarations anonymes de salariés ; que ces déclarations contiennent des indications suffisamment précises ; qu'il résulte en effet d'une de ces déclarations que "les prix limites de vente (...) sont appliqués systématiquement dans le cadre des réponses aux appels d'offres lancés depuis septembre 2005 ; que ceci résulte d'une décision adoptée au sein du syndicat professionnel Snitem à Courbevoie par les cinq fournisseurs de matériels cardio-vasculaires implantés en France à ce jour à savoir : Medtronic France, Sorin - qui a racheté Ela Medical - Saint-Jude Medical, Boston - qui a racheté Guidant et CPI - et Biotronik France" ; que la seconde déclaration précise : "il n'y a que 5 fabricants au niveau mondial Medtronic, Saint-Jude Medical, Biotronik, Sorin Group et X. Il y a des réunions mensuelles au Snitem, le syndicat professionnel, qui concernent les défibrillateurs implantables, les pace makers et les sondes. L'accord, de ce que nous avons pu regrouper comme informations, aurait eu lieu au premier semestre 2005, probablement au mois de septembre (...) Le raison principale est la suivante : les fabricants ont décidé de ne plus baisser les prix en accordant des remises car ces remises, qui pouvaient parfois être importantes jusqu'en 2005 (jusqu'à - 40 %), servaient de justification au CEPS pour baisser le tarif LPPR des produits concernés. En outre, suite à la précédente affaire instruite devant le conseil de la concurrence à l'époque, les fabricants ne voulaient plus être pris en défaut en ne répondant pas aux appels d'offres et ont donc décidé de répondre tous au prix plafond (...)" ; qu'il a pu en résulter pour les hôpitaux s'approvisionnant en dispositifs médicaux cardiologiques implantables une neutralisation de la concurrence par les prix, leur choix ne pouvant se baser que sur des critères d'ordre technique ; que la mise en œuvre de la pratique présumée a pu avoir pour effet de mettre en échec le jeu de la concurrence entre les fabricants résultant normalement des mécanismes d'appels d'offres ; qu'en procédant à un alignement des offres sur le tarif issu de la LPPR (liste des produits et prestations remboursables), les fabricants ont pu rendre le marché transparent, en retirant toute forme d'incertitude quant au comportement de leurs concurrents ; que ces déclarations permettaient de légitimement suspecter une possible action ou stratégie d'entente entre les cinq principaux acteurs du secteur de la fourniture de dispositifs médicaux cardiologiques dont la société appelante ; que ces attestations sont corroborées par ailleurs par les autres pièces produites par l'Autorité de la concurrence, en particulier l'étude de différents marchés hospitaliers concernant différentes régions du territoire, faisant présumer une possibilité d'action concertée, convention ou entente des cinq principaux fournisseurs pouvant avoir pour objet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse et en interdisant d'accorder des remises aux hôpitaux, et visant dès lors à restreindre significativement ou même empêcher toute concurrence par les prix et ce alors d'une part que le prix des dispositifs médicaux cardiologiques n'a semble-t-il subi aucune baisse des pouvoirs publics et que les hôpitaux sont incités par leur réglementation à faire jouer la concurrence entre les fabricants ; qu'il n'a pu en résulter une augmentation de prix significative pour les hôpitaux et une neutralisation de la concurrence par les prix sur les produits en cause, le marché étant quasiment couvert par les cinq fournisseurs en cause et la demande sur le marché français émanant principalement des centres hospitaliers par voie d'appels d'offres ; que les éléments produits en l'état au débat ne permettent pas d'affirmer, comme le fait la société X, que les évolutions de la législation depuis 2004 dans ce domaine expliqueraient à elles seules ces pratiques ; que l'ensemble de ces éléments permet de suspecter une possible action ou stratégie d'entente illicite, rendant le marché concerné transparent, ce que seule une instruction peut établir ou écarter ; que l'ordonnance contestée ne peut, par voie de conséquence, qu'être confirmée ;
"1°) alors que le juge doit, au moins, donner l'image de l'impartialité en vertu de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et que cette exigence fondamentale n'est pas satisfaite lorsque, en présence d'une demande de nature à porter atteinte au domicile de l'entreprise, le juge des libertés et de la détention, dont il est établi qu'il a reçu une ordonnance pré-rédigée par l'administration poursuivante, se contente de motiver sa décision en reproduisant presque mot pour mot les termes de la requête ; qu'en refusant de prononcer la nullité de l'ordonnance litigieuse tout en constatant qu'elle avait été rendue dans ces conditions, le premier président a violé ensemble les articles 6 et 8-1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme ;
"2°) alors qu'en vertu de l'article L. 450-4 du Code du commerce le juge doit "vérifier" que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; que la reproduction, en termes presqu'identiques, de la requête élaborée par le service d'enquête ne permet pas, en l'absence de tout élément susceptible de corroborer les données avancées par l'administration, de s'assurer que le juge des libertés et de la détention a rempli son office ; qu'en se contentant d'affirmer que l'ordonnance entreprise devait être "réputée avoir été établie par le juge qui l'a rendue", et, de façon inopérante, que le dispositif de l'ordonnance indiquait "clairement le secteur économique concerné", ce qui constitue la reprise exacte des termes de la demande de l'Autorité de la concurrence figurant page 12 aliéna 8 de sa requête, sans relever le moindre indice du contrôle qu'aurait dû exercer le juge des libertés et de la détention sur le projet qui lui avait été soumis, le premier président a violé par refus d'application le texte susvisé ainsi que l'article L. 450-4 du même code ;
"3°) alors que suivant les règles énoncées dans l'article 520 du Code de procédure pénale, le juge d'appel, en cas d'irrégularité de forme, ce qui est le cas d'une absence de motivation, doit annuler la décision du premier juge avant d'évoquer ; qu'en décidant au contraire de conforter et de confirmer l'autorisation du juge des libertés et de la détention par des motifs propres qui évoquent le fond après l'exécution de la mesure litigieuse, le premier président laisse incertain le point de savoir si, au contraire, elle était nulle ; qu'en se prononçant comme il l'a fait, le premier président a violé par fausse application tant le texte susvisé que l'article L. 450-4, alinéa 2, privant du même coup la société X d'un recours effectif au sens de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme" ;
Attendu que les motifs de l'ordonnance autorisant les opérations de visite et saisies sont réputés avoir été établis par le juge qui l'a rendue et signée ; qu'il s'ensuit que le moyen doit être écarté;
Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme ;
Rejette le pourvoi.